Communication scientifique
Séance du 11 octobre 2011

Introduction : le sommeil est l’affaire de tous

MOTS-CLÉS : sommeil

Jean Cambier

Jean CAMBIER *

En un temps où Pierre Joly, un pharmacien, préside l’Académie nationale de médecine, nous avons voulu consacrer les liens qui unissent nos deux Académies en réservant toute une journée à notre réunion annuelle et en retenant le thème hautement pluridisciplinaire du sommeil.

Le sommeil n’est pas le propre de l’homme. Dès l’origine, le sommeil a été étroitement associé à la vie. Les plantes, elles-mêmes, connaissent l’alternance de périodes actives et de périodes de repos qu’elles adaptent au rythme des jours et des saisons.

Les animaux dorment et rêvent, chacun à leur façon.

L’homme inscrit dans sa mémoire une représentation de cette alternance quotidienne qui détermine en lui une pré-conscience du temps. Mais, alors que le retour du sommeil et de l’éveil l’amène à vivre la succession de ses jours comme des jalons dans la continuité de son existence, le rêve, bousculant l’ordre des souvenirs, ressuscitant les morts, induisant des présages, intervient par surprise pour abolir le temps. Confrontés à ce dilemme, nos ancêtres n’ont pas manqué d’invoquer une intervention surnaturelle. Ils ont vu dans le sommeil un présent des dieux et dans le rêve un instrument à leur disposition. Dans la mesure où le sommeil et le rêve participaient à l’élaboration des mythes fondateurs, leur interprétation était réservée aux mages et aux religieux.

Quant aux poètes, ils n’ont cessé, depuis Homère jusqu’à nos jours, de trouver dans les mystères du sommeil et les aléas du rêve des conditions favorables à une libre inspiration Jusqu’au milieu du xixe siècle, les médecins, y perdant leur latin, se limitaient à exploiter les vertus dormitives de l’opium. Quand Dickens publia, en 1837, les Picwick papers, les péripéties du sommeil vécues par le personnage n’évoquèrent pas d’écho dans le corps médical. Il fallut plus de cent ans pour que Burwell attirât l’attention sur le syndrome qui, depuis lors, pérennise le héros éponyme.

 

Les choses évoluèrent avec l’avènement de la médecine moderne. En1846, Jules Baillarger, un aliéniste, individualisa les phénomènes hypnagogiques associés à l’endormissement. En 1861, Alfred Maury, personnage d’une rare érudition mais non médecin entreprit une étude expérimentale du sommeil et du rêve. En 1876, Sillas Weir Mitchell décrivit les paralysies du sommeil. En 1880, Jean-Baptiste Gelineau qui fut chirurgien de marine avant de se tourner vers la neurologie compléta la description du syndrome narcoleptique. En 1881, Charles Lasègue assimila le délire alcoolique à un rêve éveillé et, peu après, Emmanuel Régis consolida la notion de délire onirique.

Dans le même temps, les chirurgiens avaient découvert les vertus du chloroforme dont l’anesthésie de la Reine Victoria, en 1853, fut la consécration.

À la fin du siècle, à la faveur de la controverse qui opposait Jean-Martin Charcot à Hippolyte Bernheim, l’hypnose se dégagea du magnétisme animal pour constituer une discipline autonome que Sigmund Freud mit à contribution, au même titre que l’analyse des rêves dans sa quête de l’inconscient.

Entre les deux guerres, avec l’encéphalite léthargique, les hallucinations hypnagogiques post-encéphalitiques, l’hallucinose pédonculaire, le sommeil s’enracina dans les structures du tronc cérébral. Avec Bremer, l’électroencéphalographie inaugura la physiologie du sommeil, démarche confortée, dix ans plus tard, par Moruzzi et Magoun démontrant la fonction activatrice dévolue à la substance réticulée mésencéphalique.

Jusqu’à cette date, les connaissances acquises ne dépassaient pas le stade des observations empiriques. L’électroencéphalographie du sommeil et l’avènement de la polysomnographie ainsi que l’application de ces techniques à l’animal, ont conféré à l’hypnologie le statut de discipline scientifique.

Au début des années 50, à Standford, Kleitman, intéressé par les mouvements oculaires qui se produisent durant le sommeil constata, avec Azerinski, l’association de rêves aux mouvements oculaires rapides. Avec Dement, il proposa une classification des états de sommeil qui attribuait le rêve au stade de sommeil rapide, considéré comme un sommeil léger, préludant à l’éveil. C’est alors que Michel Jouvet montra que, lors de ce type de sommeil, l’accélération des rythmes enregistrés sur l’électroencéphalogramme, témoin d’une activation du cortex cérébral, allait de pair avec une sidération généralisée du tonus musculaire, à l’exception des muscles oculomoteurs. Le concept de « sommeil paradoxal » répondait à la présence d’un cerveau éveillé dans un corps paralysé.

Dans cette même période de la fin des années 50, Christian Guilleminault s’attaquait aux apnées du sommeil, Pierre Passouant, à la narcolepsie. Ainsi prenait naissance l’école française du sommeil dont cette journée constatera l’impressionnant développement.

C’est à Michel Jouvet que nous avons tenu à dédier cette réunion. Il ne peut malheureusement être présent parmi nous. Pierre-Hervé Luppi qui poursuit, à Lyon, son œuvre ouvrira la séance sur le thème de l’architecture du sommeil.

Yvan Touitou qui appartient à l’une et l’autre de nos Académies, intervenant en tant que chrono biologiste, nous fera découvrir comment l’horloge interne qui régit le rythme nycthéméral s’adapte tant bien que mal aux impératifs de la vie sociale.

Véronique Fabre et Michel Hamon, membre de l’Académie de médecine, établiront l’inventaire des intermédiaires chimiques qui interviennent dans les processus d’excitation et d’inhibition qui, eux-mêmes, sous-tendent la veille et le sommeil et déterminent leurs péripéties.

Michel Billard a poursuivi, à Montpellier, l’entreprise de Passouant. En se référant à la saga de l’hypocrétine, il nous montrera comment les déboires des chiens Beagle ont enrichi la physiopathologie de la narcolepsie et éclairé d’un jour nouveau l’ensemble des parasomnies.

La matinée ayant fait le point des acquisitions théoriques, l’après-midi sera tournée vers leurs applications médicales et sociales.

 

Jean Costentin, membre de nos deux Académies, montrera avec quelle prudence il faut conduire la médication du sommeil et ne manquera pas de rappeler les méfaits de l’automédication.

Professeur de psychiatrie, Dominique Pringuey responsable de la Fédération du Sommeil à Nice s’interrogera sur les significations du rêve.

Patrick Levy qui dirige, à Grenoble un centre de recherche sur les apnées du sommeil nous apprendra comment ne pas mourir en dormant.

Les apnées du sommeil ne sont qu’une cause parmi d’autres des accidents liés à la baisse de la vigilance et à l’endormissement au volant. Pierre Philip qui dirige une unité de recherche à Bordeaux nous apprendra les précautions à prendre pour ne pas dormir à contretemps….

Pour terminer, Jean-Jacques Hauw, interviendra, non en sa qualité de Trésorier de l’Académie nationale de médecine mais en raison de son rôle dans l’organisation de cette réunion. Proche témoin de la vie des centres du sommeil, il constatera la qualité du travail accompli dans ces centres dont la multiplication sur l’ensemble du territoire ne suffit pas à couvrir les besoins.

Ainsi informées, nos deux Académies pourront mettre au point des recommandations à l’adresse des pouvoirs publics et plus encore de la population, car le sommeil est l’affaire de chacun avant d’être l’affaire de tous.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : j.cambier@wanadoo.fr</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 7, 1513-1516, séance du 11 octobre 2011