Communication scientifique
Séance du 12 octobre 2011

Le foie

MOTS-CLÉS : bioingénierie. hépatocytes. organes bioartificiels
The liver
KEY-WORDS : bioartificial organs. bioengineering. hepatocytes

Dominique Franco, Karim Si-Tayeb

Résumé

Le traitement des maladies hépatiques par transplantation d’hépatocytes matures n’a pas encore trouvé d’application thérapeutique bien définie en raison de la difficulté de faire intégrer et se maintenir dans les travées hépatocytaires un nombre suffisant d’hépatocytes fonctionnels. Des travaux récents ont montré qu’il était possible par l’utilisation de détergents doux de décellulariser complètement le squelette vasculaire hépatique tout en maintenant un réseau vasculaire intègre et une matrice extra cellulaire spécifique. L’ensemencement d’hépatocytes et/ou d’autres populations cellulaires permet d’obtenir en quelques semaines un organe fonctionnel et transplantable chez le petit animal. A côté des formidables possibilités d’investigation qu’offrent de tels modèles de foie auto construits par l’association de la bio-ingénierie et de la thérapie cellulaire, la construction de tels foies chez l’homme à partir de squelettes exogènes et de cellules allogéniques ou autologues à partir de cellules pluripotentes induites pourrait permettre de remplacer la transplantation hépatique conventionnelle pour de nombreuses maladies hépatiques.

Summary

Hepatocyte transplantation has not yet reached therapeutic status, as it has proven difficult to transplant a sufficient number of functional hepatocytes able to integrate and proliferate inside liver plates. It has recently been shown that whole livers can be decellularized by portal infusion of detergents, yielding a decellularized scaffold with a well preserved vascular

* Chirurgie digestive et viscérale, Hôpital Antoine-Béclère, 157 rue de la Porte-de-Trivaux — 92141 Clamart cedex, e-mail : dominique.franco@abc.aphp.fr ** Inserm U972, Hôpital du Kremlin Bicêtre, 80 rue du Général Leclerc, Bâtiment Grégory Pincus 1er étage — 94276 Le Kremlin Bicêtre.

Tirés à part : Professeur Dominique Franco, même adresse network and specific liver matrix. Perfusion of different combinations of cells through the portal vein of these scaffolds results in reconstitution of a complete functional organ that can be transplanted in small animals. An auto-constructed human liver could be engineered from exogenous liver scaffolds seeded with various cell populations, including autologous cells derived from induced pluripotent stem cells. Auto-constructed livers might replace conventional liver grafts in future.

INTRODUCTION

Alors que la thérapie cellulaire des maladies du foie par la transplantation d’hépatocytes a du mal à s’imposer comme une alternative à la transplantation hépatique, d’autres techniques sont en train d’émerger. Parmi elles, la reconstruction d’organes à partir de squelettes d’organes décellularisés gagne du terrain. Associant bioingénierie et biologie cellulaire, ces techniques ont déjà permis de construire des foies complets chez le petit animal.

La thérapie cellulaire des maladies du foie

La diminution de l’ictère chez les rats Gunn ayant un déficit de la glucuroconjugaison par la transplantation d’hépatocytes normaux a soulevé de grands espoirs dès la fin des années 1970 en faveur de la thérapie cellulaire des maladies du foie [1]. Un petit nombre d’hépatocytes normaux (moins de 5 % de la masse totale d’hépatocytes du foie du receveur) étaient suffisants pour supprimer les effets d’un déficit enzymatique congénital. Ces résultats avaient été confirmés dans d’autres modèles expérimentaux chez le petit animal laissant espérer une application rapide chez l’homme. La réalité est comme toujours plus complexe. En 1994, un essai de traitement de l’hypercholestérolémie familiale par la transplantation d’hépatocytes autologues transduits avec le gène déficient du récepteur du LDL avait suggéré une certaine efficacité de la procédure sur le taux de cholestérol [2]. Ceci n’a pas été confirmé ultérieurement. Une cinquantaine de transplantations d’hépatocytes ont été effectuées chez des patients ayant une cirrhose, une insuffisance hépatique aiguë, ou une maladie hépatique métabolique congénitale (hypercholestérolémie, criglernajjar, déficit en enzymes du cycle de l’urée…). Chez ces derniers seulement la transplantation d’hépatocytes a eu des effets modérés, inconstants et de courte durée [3] Les résultats de ces essais dans les maladies hépatiques héréditaires sont indiqués dans le Tableau I . Ces travaux cliniques et les travaux expérimentaux dans des modèles animaux ont suggéré qu’il était difficile de transplanter, en particulier chez le gros animal, un nombre suffisant d’hépatocytes viables capables de s’intégrer dans les travées hépatocytaires du receveur et d’y proliférer suffisamment pour entraîner une amélioration durable. Différents procédés ont été développés chez l’animal pour tenter de favoriser l’implantation des hépatocytes et leur prolifération.

Ils sont complexes et peu utilisables en pratique clinique [4]. L’utilisation de cellules souches différenciées à la place d’hépatocytes matures a également été tentée. Même si des résultats très intéressants ont été observés dans des modèles murins particuliers d’animaux transgéniques, ils ne sont pas directement transposables à l’homme.

Tableau I. — Résultats des principaux essais de transplantation d’hépatocytes chez l’homme.

(D’après Waelzlein et al ., [3])

Patients

Age at

Viable

Viabi-

Type Route

ImmunoS

Effect

Outcome

Ref

HT cells lity (%) of (x 109) cells

Familial hypercholesterolemia 5a 7-41 1.0-3.2 90-95 F PV None Up to ↓ 20 % LDL in 3 Grossman et al.

yr patients α 1 AT-deficiency 1 52 yr PV OLT after 2 d Strom et al.

Crigler-Najjar syndrome type I 1 10 yr 7.5 90 F PV Tacro + Pred ↓ 50 % bilirubin, enzyme OLT after 4 yr Fox et al.

activity in the liver 2 18 mo 4.3 C IMV Basiliximab + ↓ 40 % bilirubin OLT after 8 mo Dhawan et al.

Tacro + Sirolimus 42 mo 2.1 F/C IMV Tacro + No clear benefit Sirolimus 1 9 yr 7.5 60-80 F PV Tacro + ↓ 30 % bilirubin for a few OLT after 5 mo Ambrosino et

Pred weeks al.

1 8 yr 1.4 93 F PV Tacro + Pred + ↓ 30 % bilirubin, OLT after 11 mo Allen et al.

Azathioprine ↓ phototherapy 2 9 yr 6.1 80 F/C ↓ 35 % bilirubin for 6 mo Waiting list for Lysy et al.

OLT 1 yr 2.6 83 F/C ↓ 25 % bilirubin, OLT after 4 mo ↓ phototherapy for 4 mo 1 8 yr 7.5 F/C PV ↓ 40 % bilirubin for 6 mo OLT at 20 mo Darwish et al.

Factor VII deficiency 2 3 mo 1.1 80-90 C IMV Tacro + Pred ↓ 70 % rFVII requirement OLT after 7 mo Dhawan et al.

for 6 mo 35 mo 2.2 50-90 F/C IMV Tacro + Pred ↓ 70 % rFVII requirement OLT after 8 mo for 6 mo 1 3 mo 2.8 IMV Tacro + ↓ rFVII requirements OLT after 9 mo Dhawan et al.

Sirolimus (unpublished) Glycogen storage disease type I 1 47 yr 2 F

PV Tacro + MMF Normal diet, ↑ fasting Muraca et al.

+ Pred time 1 18 yr 6 PV Normal glucose 6 Lee et al.

phosphatase activity up to 7 mo 1 Partial response Sokal E (personal communication)

Infantile Refsum’s disease 1 4 yr 2 50-90 F/C PV Basiliximab + ↓ 40 % pipecholic acid Sokal et al.

Tacro after 18 mo PFIC2 2 32 mo 0.2 60 ?

PV Tacro + Pred No benefit OLT after 5 mo.

Dhawan et al.

HCC on liver explant 16 mo 0.4 87 ?

PV Tacro + Pred No benefit, cirrhosis OLT after 14 mo established Urea cycle defect

OTC deficiency 1 5 yr 1 F PV ↓ ammonia, 0.5 % of nor- Death 42 d later Strom et al.

mal OTC activity in the from pneumoliver nia 1 10 h 9 51-94 F/C PV Tacro + Pred ↓ ammonia, ↑ protein OLT at 6 mo Horslen et al.

tolerance for a short period 1 14 mo 2.4 89 C PV Tacro + Pred ↓ ammonia, ↑ urea, psy- OLT after 6 mo Stéphenne et al.

chomotor improvement 1 1 d 1.6 85-95 F/C PV Tacro + Pred ↓ ammonia, ↑ urea under Auxiliary OLT Puppi et al.

normal protein diet at 7 mo 2 6 h 0.6 b 71 C PV Basiliximab + ↓ ammonia, ↑ urea, nor- Death from Meyburg et al.

CsA + Pred mal urinary orotic acid infection and excretion metabolic crisis 9 d 0.6 b 64 C PV Tacro + Pred ↓ ammonia, ↑ protein Waiting list for intake, urinary orotic acid OLT normal at 6 mo • ASL deficiency 1 42 mo 4.7 81-90 F/C PV Tacro + Pred ↓ ammonia, psychomotor OLT after 18 mo Stéphenne et al.

catch-up.

Liver + for donor cells and enzyme activity • CPS1deficiency b 1 2.5 1.4 74 C PV Tacro + Pred ↓ ammonia, ↑ urea for 11 Waiting list for Meyburg et al.

mo mo OLT • Citrullinemia 1 25 mo 3 PV ↓ ammonia and citrulline Lee KW (persolevels for up to 6 mo nal communication) 1 36 mo 1.5 b 77 C PV Basiliximab + Normal ammonia, ↑ 40 % Meyburg et al.

Tacro + Pred urea, ↑ protein intake

A l’heure actuelle et par opposition à de nombreux autres organes, le nombre d’essais cliniques utilisant la transplantation d’hépatocytes dans le traitement de maladies hépatiques est extrêmement faible.

La valeur ajoutée des matrices extracellulaires

De nombreux travaux ont montré que l’inclusion des hépatocytes dans une matrice extracellulaire augmentait leur durée de survie et améliorait leur capacité de fonctionnement. Les matrices extra cellulaires favorisent la création des jonctions inter cellulaires et entraînent une organisation fonctionnelle des hépatocytes. Plusieurs types de matrices extra cellulaires artificielles ou naturelles, développées à partir d’organes comme l’intestin, ont été testées sous différentes formes physiques, microtubules, billes, bio-réacteurs. Lorsque des matrices extra cellulaires en trois dimensions sont utilisées, elles favorisent l’organisation des hépatocytes en organoïdes reproduisant des micro-unités hépatiques [5, 6]. In vitro, ces organoïdes ont une fonction hépatique meilleure que celle des hépatocytes isolés en culture sans matrice extra cellulaire. Les matrices extra cellulaires favorisent également la différentiation de cellules moins matures ou de cellules souches plus ou moins indifférenciées en hépatocytes différenciés. La nature de la matrice extra cellulaire, l’addition de diffé- rentes substances et en particulier de facteurs de croissance ou de facteurs angiogéniques, ou de protéines spécifiques de la matrice extra cellulaire hépatique [7, 8] agit sur la différentiation des cellules, leur fonctionnalité et leur insertion dans le réseau capillaire. L’association de la biologie cellulaire et de la bio-ingénierie permet ainsi d’envisager la réalisation soit de foies bio-artificiels externes [9], soit d’organoïdes hépatiques implantables en sous-cutané ou en sous-capsulaire hépatique plus efficaces et plus durables que des hépatocytes transplantés dans le foie par voie intraportale. L’objectif est principalement d’améliorer pendant un temps la fonction hépatique en attendant une amélioration spontanée de l’état du foie ou une transplantation. Un premier exemple de ce type de foie bio-artificiel est représenté par le système Mars® utilisant des hépatocytes porcins. Même si des améliorations ont été observées avec Mars® en particulier chez des malades ayant une insuffisance hépatique aiguë terminale, les essais n’ont jamais réussi à démontrer complètement son efficacité [9]. Les progrès de la technologie font espérer des résultats prometteurs.

Le foie décellularisé

La capacité de la culture 3-D et des matrices spécifiques d’organes à stimuler la croissance, la différentiation cellulaire et le fonctionnement pérenne des cultures cellulaires ou des organoïdes a conduit à imaginer l’utilisation de la trame décellularisée des organes comme échafaudage naturel pour le développement d’organes bio-artificiels et/ou d’organes auto reconstruits.

Cette hypothèse a d’abord été vérifiée avec le cœur [10, 11] chez le rat. La décellularisation du cœur par perfusion avec des détergents puis la recellularisation du squelette matriciel avec des cellules cardiaques néonatales et des cellules endothé- liales a permis d’obtenir un organe contractile répondant à l’injection de médicaments.

Ce concept a été étendu à d’autres organes et en particulier au foie sur lequel plusieurs équipes travaillent actuellement. L’intérêt de la matrice de foie décellularisé a été mis en évidence initialement in vitro sur des lamelles de foie décellularisées par des procédés chimiques et disposées au fond des puits de plaques de cultures cellulaires, servant de bio-matrices pour la culture de progéniteurs hépatiques humains [12]. Sur ce support, les progéniteurs se sont rapidement différenciés en cellules matures qui ont pu être maintenues en culture pendant plus de huit semaines.

Ces résultats ont été appliqués au foie entier décellularisé. La perfusion par la veine porte de détergents « doux » comme du Triton, permet de détruire le contingent cellulaire de l’organe et de laisser intact le squelette vasculaire [13] et biliaire [14] et la matrice extra-cellulaire (Fig. 1). L’analyse de l’ADN montre que la population cellulaire a presque complètement disparu (perte de 97 % de l’ADN) [15]. Des études ultra-structurales mettent en évidence l‘intégrité du squelette vasculaire [15] y compris des sinusoïdes. L’architecture lobulaire et les espaces portes sont conservés. La matrice extracellulaire remplit l’espace entre les vaisseaux et porte l’empreinte déshabitée des anciennes travées hépatocytaires. Cette matrice conserve les protéines spécifiques du foie en particulier les collagènes I et IV, la fibronectine et la laminine.

Des études réalisées au cours de perfusions par la veine porte in vitro [13, 15, 16] confirment que le flux est normal à travers ce squelette hépatique par les veinules portes, les sinusoïdes et les veinules sus-hépatiques. La continence du réseau vasculaire est attestée par l’absence de fuites du perfusât vers le milieu extra-vasculaire.

Des squelettes hépatiques ont d’ailleurs pu être transplantés chez le rat avec un flux sanguin normal à travers le transplant [13, 15] même si une thrombose vasculaire survient rapidement dans les vaisseaux du greffon du fait de l’absence d’endothé- lium. Des résultats identiques ont été observés dans plusieurs espèces animales et en particulier chez la souris, le rat, le furet, le lapin et le porc [15]. Ce squelette hépatique avec un système vasculaire « intact » peut donc servir pour ensemencer des cellules hépatiques.

Le foie recellularisé

La perfusion par le système porte des squelettes de foie décellularisés de différentes populations cellulaires dans des conditions expérimentales bien contrôlées a été réalisée principalement chez les rongeurs avec différentes combinaisons. Un ensemencement de cellules endothéliales le long de la paroi interne des vaisseaux du squelette est obtenu par perfusion de cellules humaines du sang de cordon. Cette recellularisation endothéliale est associée à une diminution de la fréquence de

Fig. 1. — Étapes de la perfusion de détergents dans le foie de rat. (A) : début de la perfusion. (B) : Fin de la perfusion. Le foie est diaphane, laissant voir le squelette vasculaire. Coloration HES (x200) d’une coupe de foie normal. (C) : et de foie décellularisé. (D) : Réseau vasculaire d’un squelette de foie décellularisée in toto . (E) : et après vitrification (F) montrant l’intégrité du réseau vasculaire.

thrombose vasculaire précoce après transplantation in vivo du squelette hépatique [15]. Ceci confirme la fonctionnalité des cellules endothéliales ensemencées.

La perfusion d’hépatocytes, qu’il s’agisse d’hépatocytes humains fœtaux immortalisés [16], ou d’hépatocytes humains fœtaux en culture primaire [15, 16], ou d’hépatocytes humains adultes en culture primaire [13], entraîne une reconstitution du tissu hépatique débutant dans l’environnement immédiat des vaisseaux du squelette et s’étendant dans la matrice extra-cellulaire pour occuper finalement la totalité de l’espace laissé libre par le processus de décellularisation. Des ré ensemencements répétés sont plus efficaces qu’une injection unique [14]. La totalité de l’organe est reconstruite en une période de quelques semaines pendant laquelle le squelette décellularisé est maintenu dans une chambre de perfusion. A terme est construit un nouvel organe dont la structure est très proche du foie normal. L’architecture lobulaire est reconstituée avec les espaces portes et les veinules sus-hépatiques. Les cellules expriment des marqueurs hépatocytaires, biliaires ou endothéliaux différenciés. La fonctionnalité des cellules est attestée par la présence en immunohistochimie de plusieurs enzymes du cytochrome p450, d’albumine, de glucose 6-phosphatase, d’UDP glucuronosyl-transférase A1 [13], du facteur von Willebrand [15] et de l’ARN messager de l’albumine et du cytochrome de plusieurs sous types du cytochrome p450. In vitro les fonctions de synthèse des cellules du foie reconstitué sont supérieures à celles des cellules en culture.

Du fait de l’intégrité des structures vasculaires majeures des foies reconstitués ont pu être greffés en position hétérotopique chez le rat, à la place du rein droit avec une artérialisation portale par anastomose entre l’artère rénale droite et la veine porte du foie reconstitué et une anastomose cavo-cave [13]. Le débit sanguin était rapidement normal à travers le greffon. Après explantation à la 8ème heure, l’analyse des greffons a montré qu’il n’y avait pas d’apoptose et que les hépatocytes avaient conservé leur aspect et leur fonctionnalité. Les greffons explantés gardaient les mêmes propriétés après une conservation de 24h en chambre de perfusion. Des foies reconstitués de souris ont aussi été implantés dans le grand épiploon de souris NOD/SCID/IL-2rγ [16]. Au bout de six semaines, les hépatocytes du foie reconstitué exprimaient l’ARNm de l’albumine et de CYP2C9, CYP3A4 et CYPA1A1 à un taux égal ou plus élevé que des hépatocytes transplantés par voie splénique dans un groupe contrôle. Enfin l’implantation d’un foie reconstitué de rat chez des rats ayant une hépatectomie étendue permettait d’améliorer la biologie hépatique et de prolonger la survie des animaux jusqu’à 72h [17].

L’ensemble de ces travaux montre qu’il est possible, à partir d’un squelette décellularisé de foie murin de reconstruire à l’aide de différentes populations cellulaires un foie sensiblement normal, fonctionnel et transplantable.

Le foie décellularisé : un double enjeu

En dehors de l’intérêt thérapeutique immédiat du foie auto-construit, le modèle de foie décellularisé/recellularisé ouvre de nouveaux domaines de recherche.

Sauter le pas du foie-autoconstruit du petit animal à l’homme dans une perspective thérapeutique n’est pas sans poser de nombreux problèmes. Le plus difficile réside dans la disponibilité de cellules hépatiques matures en grand nombre pour repeupler un foie de grande taille, dans un contexte de pénurie de greffons hépatiques pour la transplantation conventionnelle. Pour pallier cette difficulté, l’utilisation de cellules souches pluripotentes humaines est envisageable. En effet, les différentes recherches dans le domaine de la médecine régénérative combinées aux connaissances acquises sur le développement hépatique ont permis la mise au point de protocoles consistant à différencier les cellules souches pluripotentes humaines en cellules « hépatocytelike » [18-22]. Les étapes de cette différenciation sont contrôlées et récapitulent les étapes connues du développement hépatique [23, 24]. Cependant, ces cellules « hépatocytes-like » atteignent difficilement un stade de maturation satisfaisant pour leur utilisation en thérapie cellulaire. En dépit de leur aptitude à exprimer et sécréter l’albumine, sécréter de l’urée et stocker le glycogène, ces cellules montrent une expression des enzymes impliquées dans la détoxification cent fois inférieure à celle d’hépatocytes humains adultes [23]. L’hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer cet état de fait est liée à l’environnement matriciel qui, au cours de la différenciation in vitro , n’est pas adapté à la maturation des cellules « hépatocyteslike ». Il est ainsi envisageable d’utiliser la propriété du foie décellularisé à maintenir l’état mature des hépatocytes primaires pour induire une différenciation terminale des cellules « hépatocyte-like » générés à partir de cellules souches pluripotentes humaines. En effet, l’organisation en trois dimensions de la matrice du foie décellularisé, la présence de facteurs de croissances imbriqués dans cette matrice, et la possibilité de maintenir une circulation en flux continu avec un apport riche en oxygène sont autant de conditions permettant d’atteindre ce but.

La possibilité d’obtenir des hépatocytes matures à partir de cellules pluripotentes humaines à l’aide de squelettes de foies décellularisés ouvre de nombreuses perspectives dans la recherche, la pharmacologie et les applications cliniques. Tout d’abord, ce procédé permettrait l’accès à une source inépuisable d’hépatocytes. Deuxièmement, les mécanismes conduisant à une maturation pérenne de ces cellules pourront être disséqués plus finement afin de les appliquer in vitro et d’améliorer la production en masse d’hépatocytes dans des modèles plus simples de culture cellulaire. Enfin, la possibilité de reprogrammer des cellules somatiques de patients en cellules souches pluripotentes induites (iPS) donne l’accès à l’étude de pathologies hépatiques humaines jusque là uniquement étudiées dans un contexte animal [25, 26]. L’obtention d’hépatocytes mature à partir de cellules souches embryonnaires ou d’iPS fournira un modèle inestimable dans le domaine pharmacologique incluant la caractérisation et la validation de nouvelles molécules à visés thérapeutiques [25-28].

De plus, l’obtention de cellules iPS à partir d’un patient permettrait de reconstruire un foie avec ses propres cellules et d’éviter ainsi les phénomènes de rejet en cas de transplantation.

Pour finir, l’utilisation du foie décellularisé comme modèle de repopulation et de maturation offre également un environnement idéal pour la mise au point de l’obtention de cellules endothéliales et de cellules étoilées hépatiques à partir de cellules souches pluripotentes humaines. Bien que les hépatocytes assurent la majeure parties des activités métaboliques et de détoxification du corps humains, ces deux types cellulaires sont indispensables pour le maintient de ces fonctions dans le temps.

Vers la transplantation d’un foie autoconstruit chez l’homme ?

Les progrès de la bio-ingénierie et de la biologie cellulaire devraient permettre dans un proche avenir de construire des organes matures à partir d’un squelette décellularisé chez l’homme pour le foie comme pour d’autres organes ; cœur, vaisseaux, vessie, poumons, rein, peau. Un certain nombre de verrous technologiques doivent cependant être résolus avant d’envisager l’implantation de ces organes à visée thérapeutique chez les patients.

Le premier, déjà évoqué, est la capacité, de générer des cellules en nombre suffisant pour recoloniser un organe de gros volume et la définition de la (les) population(s) cellulaire(s) la plus adaptées(s) pour reconstituer un organe transplantable dans les meilleurs délais..

Le second concerne les voies biliaires. Les études réalisées jusqu’à présent n’ont pas porté sur la qualité des canaux biliaires extra-hépatiques et la possibilité de les utiliser pour réaliser une anastomose avec la voie biliaire du receveur ou une anse intestinale, même si la caractérisation des cellules obtenues après recellularisation laisse présager que l’épithélium biliaire est reconstitué.

Il est tentant d’imaginer la constitution d’une banque de foies auto-construits à partir de squelettes de foie non utilisables pour la transplantation et de cellules souches maintenues en culture. Ces foies auto-construits de groupe sanguin ou de type HLA déterminés, immédiatement disponibles, pourraient être transplantés chez les malades ayant une insuffisance hépatique aiguë. Encore plus séduisante est l’hypothèse de reconstruire le foie du patient à partir d’un squelette exogène de taille adaptée et de cellules iPS induites à partir de ses propres fibroblastes, supprimant ainsi complètement le rejet immunologique et la nécessité d’un traitement immunosuppresseur.

Le chemin est long pour y parvenir mais l’accélération des connaissances et de la bio-ingénierie permettra peut-être d’arriver à ce traitement plus tôt qu’il n’est possible de l’imaginer.

CONCLUSIONS

Des foies auto-construits ont été réalisés chez le petit animal et ont pu être transplantés chez des receveurs. Les progrès technologiques laissent penser que ceci est transposable chez le gros animal et pourrait conduire à utiliser en thérapeutique la transplantation de foies auto-constuits à la place de foies de donneurs.

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