Séance dédiée aux violences envers les femmes
Introduction
Roger HENRION *
Le 25 novembre est la Journée internationale de la lutte contre les violences envers les femmes et notre Premier Ministre, Monsieur François Fillon, a décrété, le 25 novembre de l’année dernière, que cette lutte serait la grande cause nationale de l’année 2010. L’Académie se devait de manifester, en cette occasion, sa complète adhésion et sa participation. C’est la raison de cette séance particulière au cours de laquelle nous entendrons deux exposés.
Le premier sur les violences conjugales sera fait par Monsieur Luc Frémiot, Substitut général près la Cour d’Appel de Douai, qui est l’un des premiers magistrats, sinon le premier, à s’être préoccupé de ces violences. Le second, qui portera sur les viols, sera fait par Madame Emmanuelle Piet, Médecin départemental au Conseil général de Seine-Saint-Denis et Présidente du collectif féministe contre le viol. Deux acteurs engagés que je connais de longue date.
Je me permets, auparavant, de rappeler quelques données sur les violences conjugales, qui ressortent essentiellement d’une enquête [1] et d’un groupe de travail [2].
La fréquence des violences est beaucoup plus élevée qu’on ne le pensait
L’enquête sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF) [1] précise que dans notre pays, 9,4 % des femmes âgées de 20 à 59 ans (environ 1 600 000) avaient été victimes de violences conjugales au cours des douze mois précédant l’enquête, 2,5 % (environ 400 000) avaient été victimes de violences physiques, 0,9 % (environ 160 000) de viols et 20 à 25 % de violences psychologiques. Encore ces chiffres ne concernent-ils pas les adolescentes et les personnes âgées. Des données plus récentes émanant de médecins généralistes de la Seine-Saint-Denis sont plus pesssimistes.
Ces violences évoluent inexorablement par cycles dont l’intensité et la fréquence augmentent avec le temps, entrecoupés de périodes de rémission pendant lesquelles la femme reprend espoir. En fait, la femme est entraînée dans une véritable spirale de violence.
Leur caractère est le plus souvent caché
Près de 40 % des femmes qui avaient déclaré dans l’enquête avoir subi des violences n’en avaient jamais parlé à personne. De même, deux tiers des femmes qui avaient subi des rapports sexuels forcés étaient restés silencieux, même auprès de leur famille.
Les violences s’observent dans toutes les catégories sociales
Contrairement à une idée reçue, elles ne concernent pas que les populations défavorisées ou des brutes alcooliques mais intéressent toutes les couches de la société, y compris les couches aisées, policées, intellectuelles. S’il n’existe pas de profil .de femmes victimes, les femmes jeunes sont deux fois plus touchées que leurs aînées, de même que les étudiantes, les femmes sans emploi, celles élevées en institution et les immigrées de première ou deuxième génération originaires du Maghreb ou de l’Afrique Subsaharienne. Chez ces dernières, la fréquence des violences graves est multipliée par trois. La fréquence des violences subies est multipliée par quatre lorsqu’il existe des antécédents de violences sexuelles ou de maltraitance au cours de l’enfance.
Le profil de l’agresseur est variable
Certains sont des psychopathes, paranoïaques éprouvant une méfiance quasi délirante à l’égard des femmes ou des jaloux compulsifs particulièrement dangereux.
D’autres ont des personnalités « limites ». Ce peut être des immatures impulsifs qui deviennent violents à l’occasion d’un événement qui les dépasse, ou des psychorigides autoritaires qui entendent tout diriger et supportent mal la contradiction.
D’autres sont des pervers narcissiques qui ne frappent pas mais exercent sur leur partenaire une violence psychologique permanente. Ils se présentent souvent comme des hommes au-dessus de tout soupçon. D’autres sont des migrants qui arrivent de pays où les coutumes et le statut de la femme sont très différents, D’autres encore ont été témoins ou victimes de violence ou d’abus sexuels dans leur enfance.
D’autres enfin sont des alcooliques (30 % à 90 % des cas selon les statistiques), la prise d’alcool, même occasionnelle, facilitant le passage à l’acte. On peut en rapprocher la consommation de substances psychotropes, désormais présente dans 10 % des cas.
La gravité des violences est dans l’ensemble sous-estimée
Les conséquences des violences ne se limitent pas à des complications purement physiques. Les séquelles sont importantes ; les troubles psychosomatiques variés et très fréquents, les maladies chroniques très souvent aggravées. Les violences provoquent des dégâts psychologiques considérables, source de dépressions dans 50 % des cas, de tentatives de suicides, d’abus de tabac, de cannabis, d’autres drogues ou de médicaments pour tenter de surmonter la situation. D’autres présentent les signes d’un syndrome post-traumatique. La femme finit par être dans un état d’anxiété intense avec sentiment d’humiliation, de dévalorisation personnelle, voire de culpabilité. Elle se replie sur elle-même, s’isole et son mari l’isole, de sa famille, de ses amis, de ses relations de travail. Trois mots résument son état : honte, culpabilité, peur. Il se produit en elle une véritable anesthésie émotionnelle et parfois physique et un état dissociatif avec conscience altérée qui amènent la victime à subir sans rien dire les pires avanies, cherchant parfois même des excuses à son partenaire. Les violences laissent des cicatrices psychologiques très graves. En définitive, les violences conjugales peuvent aboutir à la mort de la femme. Elles sont même une des causes principales de mortalité des femmes en France où une femme meurt de violence tous les deux jours et demi.
La grossesse est un facteur déclenchant ou aggravant
L’enfant est perçu par l’homme comme un intrus qui va lui retirer l’affection de sa femme. Près des deux tiers des femmes qui avaient déjà subi des violences ont déclaré qu’elles s’étaient aggravées. Les grossesses sont mal suivies. Ces violences retentissent à la fois sur la mère et l’enfant. Elles peuvent entraîner des avortements spontanés, des ruptures prématurées des membranes et des accouchements prématurés, des décollements prématurés du placenta des hémorragies, voire des ruptures utérines. L’enfant est lui aussi touché par la violence : hypoxie fœtale avec séquelles psychomotrices, mort fœtale in utero ou mort-né, retard de croissance in utero à la suite des stress répétés subis par la mère. Le malaise de la femme s’exprime après l’accouchement par une carence de soins à l’enfant, un allaitement déficient, des douleurs abdominales et pelviennes persistantes. Les victimes ont plus souvent des épisodes de dépression sévère dans les suites de couches et font plus souvent des tentatives de suicide.
Une étude récente a montré que la vision que se font les patientes de leur futur accouchement est faite d’inquiétude, d’angoisse dans près de 60 % des cas. On assiste à cette occasion à un réveil du syndrome traumatique avec un trouble profond de l’identification et le sentiment pour la femme qu’elle ne sera pas une bonne mère. C’est au quatrième mois de la grossesse que se réveilleraient « les vieux démons que l’on croyait éteints ». D’où l’intérêt de la consultation supplémentaire à cette date, véritable fenêtre prénatale, où s’allument des clignotants.
La violence dont l’enfant est témoin a les mêmes effets sur lui que s’il en était victime
Dans près de 80 % des cas, les enfants sont témoins de scènes de violence. Ces violences qui sont l’occasion d’une remise en cause de l’image de la mère et du père, retentissent sur leur santé. Ils peuvent souffrir de lésions traumatiques, de troubles du sommeil, de l’alimentation, de troubles psychologiques, de troubles psychosomatiques de type régressif : troubles sphinctériens à type d’énurésie ou d’encopré- sie, de troubles du langage, voire de retards staturo-pondéraux qui se corrigent lorsque l’enfant est placé dans de meilleures conditions. Ils peuvent aussi avoir des troubles du comportement : désintérêt ou surinvestissement scolaire, fugues, agres- sivité pouvant conduire à la délinquance et à des conduites addictives, des tentatives de suicide. Ces enfants sont susceptibles de reproduire au cours de leur vie la violence, seul modèle de communication qu’ils connaissent, soit en choisissant un partenaire violent pour les femmes, soit en imposant la violence dans leur couple pour les hommes. Depuis peu, est apparue une série de meurtres d’enfants à l’occasion d’une séparation, d’un divorce, d’une garde contestée, l’homme préférant ses enfants morts et à lui plutôt que vivants et à l’autre a dit le psychiatre Zagury. Ils se suicident en général peu après.
Leur retentissement sur la Santé Publique est très important
Les femmes ont des affections chroniques plus fréquentes et la probabilité d’avoir consulté, d’avoir été hospitalisées ou mises en arrêt de travail au cours des douze derniers mois était plus élevée. Dans l’ensemble, elles s’estimaient en moins bon état de santé et près d’un quart d’entre elles avaient qualifié leur état de moyen ou même de mauvais. Selon l’Organisation mondiale de la santé, les femmes victimes perdent entre une et quatre années de vie en bonne santé et la prise en charge ambulatoire d’une femme victime coûte deux fois et demie plus chère à la société que celle des autres femmes. Les violences contribuent également à surcharger l’activité des services de secours, de la police et à encombrer les tribunaux.
L’impact économique des violences est considérable
L’estimation financière des violences conjugales s’élevait en 2006 à près d’un milliard d’euros par an : 380 millions d’euros pour les coûts médicaux, 232 millions pour le traitement policier et judiciaire des affaires et celui de la prise en charge des victimes par l’état, 305 millions environ pour le coût « humain » (décès évitables, handicaps à la naissance), 89 millions pour les frais de logement et de prestations sociales et 83 millions de perte de production domestique et de revenus. Encore ne s’agit-il que d’une estimation approximative et à minima.
La législation a fait des progrès spectaculaires
En particulier, l’agresseur peut désormais être éloigné du domicile conjugal et tenu à l’écart de sa femme, à tous les stades de la procédure pénale, et son état pris en charge, ce que nous expliquera Monsieur Luc Frémiot qui a choisi un titre particulièrement éloquent : « Soigner les agresseurs pour sauver les victimes ».
Les médecins, qui sont le plus souvent les premiers interlocuteurs des femmes, en dehors des urgences nocturnes, sont mal à l’aise.
Curieusement, auparavant, les violences ne semblaient pas intéresser ces derniers.
Les travailleurs sociaux, les magistrats, les policiers, les gendarmes se réunissaient entre eux et discutaient des violences conjugales sans jamais les consulter. Ils jouent pourtant un rôle clé dans le dépistage, le recueil de l’histoire, le constat des lésions.
Ils ont aussi un rôle stratégique en donnant des conseils aux femmes, en les informant de leurs droits et en les orientant au mieux des circonstances. Malheureusement, beaucoup de médecins restent réticents. Ils pensent que toute enquête est une intrusion dans la vie privée. Ils sont découragés par l’attitude de certaines femmes, leur ambivalence, leur refus de quitter leur compagnon, de porter plainte, mais aussi par la fréquence des retraits de plainte qui les mettent en porte-à-faux. Ils éprouvent parfois de la difficulté à déterminer les responsabilités respectives. Ils se plaignent du manque de temps. Mais les deux raisons principales pour expliquer leur réticence sont l’absence de toute formation au cours de leurs études et l’éventualité de retombées judiciaires.
BIBLIOGRAPHIE [1] Les violences envers les femmes en France. Enquête nationale.
La documentation française .
Paris, 2003.
[2] Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé. La documen- tation française. Paris, 2001
Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 8, 1519-1523, séance du 23 novembre 2010