Résumé
Dès l’introduction de la pilule dans le domaine de la contraception hormonale, le risque d’accidents de thrombose vasculaire, cérébrale et coronaire, a été souligné et des observations d’infarctus du myocarde ont été rapportées. Toutefois de nombreuses études épidémiologiques ont montré que ces complications coronaires survenaient électivement chez des femmes soumises à une contraception hormonale malgré la présence des facteurs de risque d’athérosclérose, tabagisme, hypertension, hypercholestérolémie en particulier. Au fil des ans, la réduction des doses d’éthinyl oestradiol < 50 µ g et le changement de progestatif ont réduit le risque thrombotique qui persiste tout de même chez des femmes associant des facteurs de risque coronarien au traitement contraceptif hormonal. Nous présentons douze observations d’infarctus du myocarde, concernant des patientes âgées en moyenne de 35 fi 4,5 ans, soumises à divers types de contraception hormonale .Toutes avaient des facteurs de risque vasculaire majeurs, le tabagisme était constant, six avaient des dyslipidémies, trois une HTA modérée et un diabète de type 2. La coronarographie, faite à la phase aiguë a montré soit des occlusions coronaires sur des sténoses sévères athéromateuses soit des thromboses in situ sur des artères présentant des lésions coronaires minimes, non significatives. Deux fois seulement l’infarctus est survenu sur un réseau coronaire angiographiquement normal. L’évolution fut favorable en particulier chez les patientes ayant été traitées rapidement par thrombolyse ou angioplastie. Deux patientes seulement, hospitalisées avant l’ère de la revascularisation immédiate, ont présenté une dysfonction ventriculaire gauche réversible. Aucune récidive ou complication majeure ne survint au cours du suivi, les patientes ayant abandonné * Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine ** Cardiologie, CHU de Rangueil, 2 Avenue Jean Poulhes, Toulouse 31059 *** Clinique Pasteur, Toulouse Avenue de Grande Bretagne Tirés à part : Professeur Jean-Paul BOUNHOURE, 9, rue Deville 31000 Toulouse Article reçu le 13 novembre 2007, accepté le 7 janvier 2008 la contraception hormonale et ayant été traitées pour leurs facteurs de risque. Les études les plus récentes montrent que le risque d’infarctus du myocarde diminue avec les modifications actuelles des pilules contraceptives, le risque étant est très faible avec les pilules de la troisième génération. (odd ratio 1,3) Toutefois, le tabagisme, un âge > à 35 ans, l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie l’obésité, demeurent des facteurs favorisants qui augmentent le danger vasculaire thrombotique. Celui ci persiste chez le patient à risque malgré la réduction des doses d’ethinyl oestradiol et les nouveaux progestatifs.Les pilules de la troisième génération ne dispensent pas du respect des contre indications classiques.
Summary
Shortly after the introduction of oral contraceptives in 1960, myocardial infarction (MI) started to emerge as a major adverse effect. Its mechanism and pathophysiology have remained elusive. Many epidemiological studies identified smoking, hypertension, diabetes and hypercholesterolemia as risk factors for coronary thrombosis in young women using oral contraceptives. The pathogenesis of MI involves two phases : atherosclerotic plaque formation, and thrombotic arterial occlusion. The use of very low doses of estrogen (less than 50 µ g of ethinyl estradiol) and new progestagens have minimized the vascular risks. However, the risk remains in women who smoke or have other atherosclerotic risks factors. We report 12 cases of MI in women aged 35 fi 5 years who were using different types of oral contraceptive. All the women had several risks factors, such as smoking, hypertension, hypercholesterolemia, obesity, and type II diabetes. Coronarography during the acute phase showed either occlusions on severe atherosclerotic stenoses or thrombosis of arteries with non significant atherosclerotic plaque. In two cases coronarography was normal after thrombolysis. Ten women recovered without sequelae, but reversible left ventricular dysfunction occurred in the other two women, who did not have acute-phase revascularization. Recent case-control studies show that the cardiovascular risk is very low with new, thirdgeneration combined contraceptives. But the risk of MI increases with age, smoking, hypertension, dyslipidemia and diabetes. The absolute risks associated with oral contraceptives and smoking are higher in women over 35, because of the steeply rising incidence of atherosclerosis. It is mandatory to respect the classical contraindications of oral contraception.
Dès leur introduction dans le domaine de la contraception les pilules à base d’oestrogènes et de progestatifs ont été mises en cause dans la survenue des thromboses vasculaires cérébrales, coronaires et veineuses. Entre 1963 et 1980, plusieurs auteurs ont rapporté chez des patientes sous contraceptifs oraux, des cas d’infarctus du myocarde de physiopathologie mal élucidée, liés soit à des thromboses aigues sur des vaisseaux sains, soit à une athérogénèse précoce [1-4]. Ces complications ont incité au fil des ans à la réduction progressive des doses d’ethinyl oestradiol, au changement du progestatif et à une plus grande vigilance dans le respect des contre indications. Diverses études épidémiologiques, exposées à de nombreux biais, ont souligné ce danger coronarien ou cérébral, particulièrement quand la prise de contraceptifs oraux était associée à d’autres facteurs de risque, tabagisme, dyslipidémie, hypertension ou diabète. Le risque relatif était multiplié par vingt ou plus pour les femmes tabagiques, prenant des pilules contraceptives comportant cent microgrammes d’estrogènes [5, 6]. Avec le temps les doses d’estrogènes ont été progressivement réduites pour minimiser ce risque vasculaire. Les pilules de
deuxième et troisième génération comprennent 15 à 30 µg d’ethinyl estradiol, associées à de nouvelles molécules de progesterone comme le norgestrel, le levonorgestrel, le desogestrel, le gestodene. Elles représentent un progrès indéniable mais tout en le réduisant fortement, elles ne semblent pas totalement exclure le risque de thromboses [7, 8]. Le traitement oestroprogestatif à deux conséquences vasculaires, un risque à court terme de thrombose aiguë, un risque à long terme d’athérogénèse accélérée et précoce chez les patientes cumulant les facteurs de risque. Nous rapportons douze cas d’infarctus du myocarde survenus chez des femmes prenant divers types de pilules anticonceptionnelles mais cumulant un tabagisme important et d’autres facteurs de risque qui auraient du contre indiquer ce mode de traitement anticonceptionnel.
Malades et méthodes d’étude
Douze jeunes femmes, sous contraception hormonale, furent hospitalisées entre 1977 et 2006 pour un syndrome coronarien aigu. L’âge moyen des patientes était de 35,3 ans (extrêmes 28-42 ans). Toutes présentaient des facteurs de risque vasculaire :
l’intoxication tabagique était constante, (> cent-vingts paquets par an), six fois on constatait une dyslipidémie avec une élévation du cholestérol total et LDL, trois patientes avaient une surcharge pondérale et une hypertension légère et deux d’entre elles un diabète de type 2. Cinq patientes avaient des antécédents vasculaires familiaux avec des infarctus du myocarde ou des accidents vasculaires cérébraux chez leurs parents. Toutes prenaient un traitement anticonceptionnel hormonal lors de l’accident coronarien, la durée du traitement par contraceptifs oraux était en moyenne de cinq à six ans, six fois supérieure à dix ans, quatre fois supérieure à cinq ans.
Les pilules contraceptives utilisées étaient :
— cinq fois des pilules de la première génération avec des doses d’ethinyl estradiol de 100-150 microgrammes avec un norstéroide, le norgestrel — quatre fois des pilules dites de deuxième génération avec des doses d’ethinyl estradiol de 50 microgrammes associé au levonorgestrel ou norgestrel — trois fois des formes de troisième génération avec 20 ou 30 microgrammes d’ethinyl estradiol et des doses variables de levonorgestrel, désogestrel, de gestodène, L’infarctus fut dans tous les cas inaugural, avec un syndrome douloureux thoracique intense, sans prodromes. Il s’agissait sept fois d’un infarctus inférieur, quatre fois d’un infarctus antérieur, une fois d’un infarctus latéral. La nécrose myocardique fut confirmée par le tracé électrique montrant à l’entrée un sus décalage persistant du segment ST associé à une onde Q de nécrose. L’élévation enzymatique était caractéristique avec un pic de créatine phosphokinase en moyenne > à 2000 UI à 37°c (normale < 135) et un taux de CPK- MB à 180 UI en moyenne (< 16 UI). Au cours
TABLEAU — Lésions coronaires — Facteurs de risque Age Art. responsable Autres vx Facteurs de risque Pilule 36 ans IVA st > 80 % st < 30 % Tabagisme 1° génération HTA Obésité 42 ans C droite st <20 % Tabagisme Hypercholest.
2° génération 39 ans IVA st >80 % st < 30 % Tabagisme Hypercholest.
2° génération 35 ans IVA st >80 % Tabagisme Obésité Hypercholest.
3° génération 39 ans IVA st > 80 % < 30 % Tabagisme Hypercholest.
1° génération 37 ans C droite st < 20 % Tabagisme 2°génération 30 ans C droite Tabagisme Thrombus Obésité HTA 2° génération 36 ans C droite > 80 % Tabagisme Hypercholest.
1° génération 34 ans C droite > 80 % Tabagisme Hypercholest.
1°génération 33 ans Diag > 80 % < 30 % Tabagisme 3°génération 34 ans C droite >80 % Tabagisme HTA 1° génération 33 ans C droite < 20 % Tabagisme Thrombus Hypercholest.
2° génération Abréviations : IVA : artère interventriculaire antérieure Diag : artère diagonale — C droite : coronaire droite Vx : vaisseaux Hyoercholest. : Hypercholestérolémie
de l’hospitalisation un bilan biologique complet comportant le dosage des fractions lipidiques athérogènes, une exploration de la coagulation avec recherche des diffé- rents facteurs thrombogènes, des examens immunologiques, furent réalisés chez toutes ces malades.
Une coronarographie fut systématiquement pratiquée, différée au troisième jour dans deux cas, en urgence, dans les douze premières heures, pour les dix autres cas.
Deux patientes, hospitalisées avant l’ère de la revascularisation systématique, reçurent un traitement conventionnel par héparine intraveineuse, dérivés nitrés et bétabloquants. Les dix autres patientes furent traitées soit par thrombolyse intraveineuse suivie d’angioplastie soit par une angioplastie immédiate de première intention.
Résultats
La coronarographie a mis en évidence dans huit cas une sténose sévère ou une occlusion soit de l’artère coronaire droite (quatre cas), soit de l’artère interventriculaire antérieure (trois cas), soit d’une artère diagonale (tableau). Quatre patientes de ce groupe furent traitées par angioplastie de première intention. Quatre fois, chez les patientes les plus âgées de ce groupe, la conarographie a permis de détecter outre une sténose significative sur l’artère responsable de l’infarctus, des lésions pariétales minimes, avec des sténoses inférieures à 30 % faisant évoquer la présence d’une athérosclérose coronaire. Dans un cas après thrombolyse intraveineuse il demeurait une sténose significative d’une artère diagonale qui fut traitée par angioplastie et stent. Dans trois cas d’infarctus inférieur, l’occlusion coronaire avait disparu après thrombolyse intraveineuse : il ne restait qu’une lésion résiduelle, inférieure à 30 % sur l’artère en cause, sans lésion décelable sur les autres vaisseaux, évoquant un thrombus sur une artère angiographiquement normale.
L’évolution de ces syndromes coronariens aigus fut favorable, sans complication rythmique ou péricardique. Les deux patientes n’ayant pu bénéficier d’une recanalisation immédiate de l’artère thrombosée présentèrent une dysfonction ventriculaire gauche avec des signes discrets d’insuffisance cardiaque dans les suites d’un infarctus antérieur. L’échocardiographie cardiaque chez ces deux patientes montrait une akinésie ventriculaire importante, supérieure à quatre segments et une altération modérée de la fraction d’éjection. Pour les autres patientes, il n’y eut en phase aiguë aucun signe de défaillance ventriculaire gauche et le bilan n’a pas constaté d’atteinte de la fonction ventriculaire. L’échographie montrait des séquelles ventriculaires minimes avec une akinésie segmentaire qui a rétrocédé progressivement aux examens de contrôle.
Le bilan biologique effectué au cours de l’hospitalisation n’a pas montré de thrombophilie. L’hémogramme était normal, le fibrinogène, les taux de protéine S, de protéine C activée étant normaux. Le dosage des antiphospholipides par la technique Elisa fut réalisé seulement huit fois et il s’avéra négatif. Le bilan immunologique
n’a mis en évidence aucune élévation pathologique des taux d’anticorps antinuclé- aires et anti ADN. Six malades présentaient une hypercholestérolémie essentielle, négligée : pour ces six patientes, le taux de cholestérol total était en moyenne de 2, 75 fi 0,42 gr /l, le cholestérol LDL de 1,73, fi 0,35 g/l. Les taux de triglycérides étaient en moyenne de 1,85 fi 0,35 g/l. Dans les six autres observations les taux de cholestérol total, de cholestérol HDL et LDL étaient dans les limites de la normale.
Par contre, comme on le constate fréquemment avec l’emploi des oestro progestatifs oraux, on notait une légère hypertriglycéridémie. (1,88 fi 0,34 g/l). Trois malades avaient une hypertension modérée, en moyenne 165-93 mmHg, la tension artérielle était normale dans les autres observations. Le traitement recommandé à la sortie comportait de l’aspirine à faible dose (160mg/j) un bétabloquant, metoprolol, ou atenolol. Deux patientes traitées par angioplastie et stent prirent de l’aspirine et du clopidogrel (75mg/j) pendant 6 mois. Six patientes soumises à un régime hypocalorique et pauvre en matières grasses animales, furent traitées par une statine (pravastatine 10 mg/j).
A la sortie du service l’arrêt du traitement anticonceptionnel hormonal fut recommandé avec si nécessaire une autre modalité de contraception. Le sevrage tabagique total fut conseillé, prescription suivie chez huit patientes revues en consultation pendant plus de trois ans. Les patientes ayant fait une dysfonction ventriculaire dans les suites d’un infarctus antérieur non thrombolysé conservèrent une akinésie importante antérieure et apexienne sur le ventricule gauche sans symptômes d’insuffisance cardiaque, sans arythmie auriculaire ou ventriculaire et sans récidive ischémique. Les six malades dont l’infarctus avait été traité par une revascularisation immédiate furent suivies dans le service, en moyenne pendant trois ans. Quatre autres patientes, surveillées et traitées par leur cardiologue à la sortie de l’hôpital n’ont présenté aucune complication. A notre connaissance aucune récidive isché- mique ne survint ou ne fut signalée par les médecins traitants.
Commentaires
La première observation d’infarctus du myocarde au cours d’un traitement oestroprogestatif a été rapportée par Boyce en 1963 et plusieurs études cas- contrôle ou de cohortes ont confirmé la relation existant entre ces accidents coronariens et la prise de la pilule contraceptive [1-4]. Malgré de multiples critiques méthodologiques formulées sur ces études, il ressort globalement que l’utilisation de pilules oestroprogestatives fortement dosées était associée à une augmentation des accidents coronariens : les utilisatrices avaient un risque multiplié par un facteur allant de 1,8 à 3 par rapport aux non utilisatrices [5]. Pour Tanis et col . Le risque d’infarctus du myocarde était nettement augmenté chez les femmes de plus de trente-cinq ans, tabagiques, par rapport aux non utilisatrices, ne fumant pas [6]. Les progrès pharmacologiques ont permis de diminuer la posologie d’éthinyl estradiol et d’utiliser des progestatifs différents (desogestrel, lévonorgestrel, noréthistérone, gestodène, drospirenone). Mais le risque coronarien, quoique nettement réduit, n’a pas totale-
ment disparu avec ces nouvelles pilules contraceptives minidosées, dites de deuxième et troisième génération [7-9]. En 1997, l’étude de la World Health Organization considérait que le risque d’infarctus annuel était à 0,003 pour mille femmes traitées avant trente-cinq ans et de 0,03 après trente-cinq ans [10]. Plusieurs travaux ont comparé les risques vasculaires des pilules de la deuxième et troisième génération.
L’emploi de ces dernières versus l’absence de traitement hormonal, dans la MICA Study, montrait un Odd Ratio augmenté à 1,96 (IC 95 %, 0,87-4,39) [11]. L’étude RATIO constate une augmentation du risque de facteur 2 (IC 95 %, OR 1,5-2,8) pour les pilules de la deuxième génération et un Odd Ratio plus faible d’1,33 (IC 95 %, 0,7-2, 5) pour celles de la troisième génération. Le risque est identique pour des doses de 20 à 50 µcg d’ethinyl oestradiol, mais il est multiplié par treize pour les femmes tabagiques et par six pour les femmes hypertendues [12]. La méta-analyse de sept études confirme le risque vasculaire supérieur des pilules contraceptives dites de la deuxième génération par rapport à celles de la troisième [13]. Margolis et col ont effectué une étude prospective, avec un suivi moyen d’onze ans, chez des suédoises traitées par les dernières formes de contraceptifs oraux. En l’absence d’une association au tabagisme ou à l’hypertension, ces auteurs ne constatent pas d’augmentation significative du risque d’infarctus avec les pilules très faiblement dosées en oestrogènes [14]. Dans notre expérience avant 1990 le pourcentage d’infarctus chez des patientes traitées par contraceptifs oraux était de 2,1 %, taux qui s’est abaissé à 1,2 % après cette date.
Les auteurs s’accordent pour souligner que le risque absolu d’infarctus augmente nettement avec l’âge, qu’il est plus élevé quand le traitement anticonceptionnel est prescrit après trente-cinq ans, le vieillissement étant fréquemment associé à l’hypertension, l’hypercholestérolémie ou l’obésité. Le risque est très élevé pour les utilisatrices associant au traitement hormonal anticonceptionnel un tabagisme, même modéré, attitude trop répandue, très dangereuse qui doit être formellement proscrite. Les douze observations rapportées concernent des patientes âgées de plus de trente ans, à haut risque, qui n’auraient pas du être soumises à un traitement anticonceptionnel hormonal si les contre indications classiques avaient été respectées. Le tabagisme et les contraceptifs oraux agissent de manière synergique pour accroître le risque thrombotique. Tanis et coll. ont insisté sur le rôle délétère du tabagisme : les femmes ne prenant pas de contraceptifs hormonaux mais fortement tabagiques ont un Odd Ratio à l’égard d’un infarctus de 7,9 (IC à 95 % OR :
4,9-12,9) par rapport aux non fumeuses. Ce risque est trente fois plus élevé chez les fumeuses invétérées traitées par contraceptifs oraux par rapport aux femmes qui ne fument pas et sans contraception hormonale. L’usage du tabac potentialise les effets thrombogènes des pilules même minidosées, augmente l’agrégation plaquettaire, réduit les taux du métabolite urinaire de la prostaglandine, chez les utilisatrices de pilule contraceptive.
Celle ci peut-elle par ses effets métaboliques accélérer l’athérogénèse ? Les effets des oestrogènes sur le métabolisme lipidique sont complexes mais bien précisés [15]. Ils entraînent des modifications quantitatives et qualitatives des lipoprotéines, agissent
sur le métabolisme lipidique au niveau hépatique et extra hépatique. Ces effets sont minimes et l’impact des pilules sur le risque coronarien ne semble pas dépendre de l’effet lipidique. Ils varient avec la molécule utilisée (éthinyl oestradiol ou estradiol), la voie d’administration per os ou parentérale. Les effets bénéfiques comportent une légère élévation du HDL2 qui s’élève par diminution de l’activité de la lipase hépatique et une augmentation de la synthèse hépatique des apolipoprotéines A1 et A2. Le LDL-cholestérol s’abaisse par augmentation du nombre des récepteurs LDL et une modification de l’oxydabilité des particules LDL. Ces effets favorables sont contrebalancés par une augmentation des triglycérides, la synthèse des particules VLDL s’accroissant alors que leur épuration est diminuée [15].
Les progestatifs de divers types ont des effets hétérogènes qui s’opposent aux actions bénéfiques des oestrogènes vu leur effet androgénique. Les dérivés de la nortestoté- rone, levonorgestrel, stimulent la lipase hépatique, diminuent le HDL cholestérol, augmentent le catabolisme des VLDL et réduisent les triglycérides. La contraception par oestroprogestatifs fait appel aux progestatifs norstéroides ayant un effet androgénique important, atténué pour les dernières pilules (desogestrel, gestodène, norgestimate, drospirenone) .Leurs effets réduisent le rôle bénéfique des oestrogènes sur les paramètres lipidiques, élèvent les triglycérides, agissent défavorablement sur l’hémostase.
Les pilules fortement dosées en oestrogènes diminuaient la tolérance glucidique entraînant une augmentation légère de la glycémie et des insulinémies lors des hyperglycémies provoquées. Les études avec les dernières pilules font apparaître des résultats contradictoires avec des glycémies à jeun normales mais des hyperglycé- mies provoquées pathologiques [16].
La contraception hormonale a des effets tensionnels défavorables : les oestrogènes stimulent la synthèse hépatique d’angiotensinogène, favorisant une rétention hydrosodée et une vasoconstriction. Ces modifications sont des facteurs d’élévation de la tension artérielle et cette anomalie a été rapidement constatée chez des femmes jeunes longuement traitées par contraceptifs hormonaux [17]. Trois de nos patientes, traitées ainsi depuis plus de cinq ans, avaient une hypertension modérée avant leur accident coronarien. La pression artérielle se normalisa par la suite avec un régime désodé, un traitement bétabloquant et l’arrêt de la contraception hormonale.
Les effets biologiques les plus délétères relèvent de l’impact de l’ethinyl oestradiol sur la coagulation. Les oestrogènes favorisent les thromboses en augmentant certains facteurs de la coagulation et diminuant des inhibiteurs physiologiques, les taux d’antithrombine III, des protéines C et S. On a décrit une augmentation des taux de fibrinogène et des facteurs VII et X. En association à l’action du progestatif, les pilules contraceptives ont une action dépressive sur le système anticoagulant sanguin en favorisant une résistance à la protéine C activée [18]. Ces modifications, nettes pour de fortes doses d’ethinyl oestradiol, diminuent des doses, réduites à 20 ou 30 microgrammes. Des facteurs génétiques peuvent, de plus, favoriser les throm-
boses : la présence de la mutation du facteur V Leiden, qui entraîne une résistance à la protéine C, peut jouer un rôle crucial dans la survenue d’une complication vasculaire. Le risque de thrombose chez les femmes jeunes porteuses de cette mutation et prenant un oestroprogestatif oral est augmenté d’un facteur trente par rapport aux femmes sans cette anomalie génétique et suivant une contraception orale [19]. Tanis et coll. ont mis en évidence du élévation du risque de facteur quinze chez les femmes tabagiques, porteuses la mutation Leiden, prenant la pilule, par rapport aux non fumeuses, sans cette anomalie génétique [20]. Cette recherche n’a pas été faite pour les observations d’infarctus antérieures à 1995.
Les mécanismes physiopathologiques des thromboses artérielles coronaires demeurent encore mal élucidés mais le rôle thrombogène des oestrogènes paraît déterminant. Une athérogénèse accélérée pourrait être facilitée par de facteurs génétiques et l’association de facteurs de risque à la prise d’une contraception hormonale. Le tabagisme, l’hypertension, les anomalies de la régulation glycémique, les dyslipidé- mies, associés à la prise prolongée d’oestroprogestatifs fortement dosés, sont des facteurs favorisants d’une athérosclérose précoce. Les accidents coronariens que nous rapportons sont survenus chez des patientes à risque dont les vaisseaux présentaient des lésions coronaires significatives ou non à l’angiographie, témoignant d’altérations pariétales du réseau coronarien.Trois fois seulement les artères avaient un aspect angiographique normal, après lyse du thrombus. Dans les neuf autres cas, outre l’atteinte du vaisseau responsable de l’infarctus, l’examen mit en évidence des lésions pariétales minimes, de type athéroscléreux, chez ces malades à risque, utilisant de manière regrettable la pilule contraceptive. La coronarographie n’est pas capable de déceler des plaques d’athérome, vulnérables, mais non sténosantes, dans les cas d’infarctus considérés « à artères angiographiquement normales ». La technique la plus fiable permettant des études plus précises de la lumière artérielle coronaire est l’échographie endocoronaire. Cette exploration, lourde et en évaluation, n’a jamais été utilisée, à notre connaissance dans les infarctus sous contraceptifs oraux. Par contre des études anatomiques, déjà anciennes, chez des patientes décédées d’un infarctus aigu au cours du traitement anticonceptionnel hormonal, ont constaté la présence de thromboses in situ sur des lésions endothé- liales avec une hyperplasie intimale associée à une fibrose sous endothéliale [21]. Les études épidémiologiques les plus récentes privilégient le risque thrombogène, les pilules minidosées de troisième génération ayant peu d’effet lipidique ou tensionnel délétère. La thrombose sur un vaisseau angiographiquement normal pourrait faire évoquer le rôle d’un spasme artériel sur des lésions intimales, point d’appel d’une dysfonction endothéliale.
En conclusion, les observations d’infarctus associées à la prise de contraceptifs oraux que nous rapportons soulignent le danger du non respect des contre indications de la contraception hormonale. Les pilules contraceptives actuellement utilisées et les systèmes trandermiques, sont de moins en moins impliqués dans la survenue de complications vasculaires, en particulier des complications coronaires.
Le risque coronarien des pilules les plus récentes n’atteint pas une valeur significa-
tive si la contraception hormonale n’est pas utilisée chez des patientes tabagiques ou ayant les facteurs de risque classiques d’athérosclérose. Cependant ce risque, difficile à quantifier, parait persister et les contre- indications classiques de la contraception hormonale doivent être rigoureusement respectées, quel que soit le traitement oestroprogestatif prescrit. Le tabagisme qui est en lui-même une cause majeure d’infarctus dans le sexe féminin, les dyslipidémies, l’hypertension, les troubles du métabolisme glucidique demeurent des contre indications formelles à l’utilisation de la pilule contraceptive, même faiblement dosée, cette attitude étant trop souvent négligée dans la pratique médicale courante.
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DISCUSSION
M. André VACHERON
Le traitement hormonal substitutif de la ménopause comporte-t-il lui aussi un risque thrombogène coronarien ?
Jusqu’en 2002 environ, on pensait que le traitement hormonal de la ménopause réduisait le risque cardiovasculaire, à la suite d’études de cohortes, d’observation, non contrôlées.
Cette hypothèse n’a pas été démontrée, hélas, par la dernière étude contrôlée WHI, (Women’s Health Initiative), comportant un très important effectif et un suivi prolongé, qui mit en évidence chez les patientes soumises au traitement substitutif hormonal un risque augmenté de cancer, d’accidents vasculaires cérébraux et d’accidents artériels et veineux thrombotiques. Ce résultat est d’ailleurs surprenant, en désaccord avec des études expérimentales qui ont mis en évidence les effets athéroprotecteurs au laboratoire, chez l’animal, de l’estradiol qui exerce aussi des effets bénéfiques sur la fonction endothéliale. Toutefois le surcroît d’évènements thrombotiques coronariens retrouvé après soixante ans dans WHI et dans HERS démontre bien ce risque coronarien thrombotique.
D’autres études en cours pourront peut-être répondre aux questions actuellement non résolues.
M. Pierre GODEAU
Le risque thrombogène n’est pas limité au secteur coronarien puisqu’on connaît des accidents thrombo-emboliques pulmonaires liés à la contraception hormonale. Vous avez fait allusion à la responsabilité éventuelle d’anticorps antiéthyniloestradiol étudiée jadis par Violette Beaumont. Cette technique est-elle démodée et abandonnée ou y-a-t-il des progrès dans ce domaine ?
Bien sûr le risque veineux est encore supérieur au risque coronarien et artériel, mais nous nous sommes limités aux infarctus du myocarde, plus rares que les accidents dans le secteur veineux. Nous avons fait doser pour les premieres observations les anticorps antiethniloestradiol dans le laboratoire de Madame Beaumont, mais les résultats ont toujours été négatifs et à ma connaissance cette voie a été abandonnée.
Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 3, 569-579, séance du 18 mars 2008