Le livre que nous propose cette fois-ci notre éminent confrère Michel Huguier sort apparemment du registre des différents ouvrages dont il est déjà l’auteur, qu’il s’agisse de ses très nombreuses publications à caractère scientifique et médical, ou des livres d’histoire sur des sujets très divers qu’il a fait paraître depuis une dizaine d’années. Il s’inscrit délibérément en effet dans une actualité forte, celle de la campagne présidentielle en cours, comme l’auteur le souligne dès l’avant-propos. Il relève en effet avec juste raison que pour la première fois depuis très longtemps y est donnée une large place aux questions de santé et que des conceptions très contrastées de l’avenir de l’assurance maladie, et au-delà du système de soins, ont été mises en débat.
Mais ce texte n’a pour autant rien d’un ouvrage de circonstance. Sous la modestie du sous-titre – Essai -, l’auteur développe en réalité, en 10 chapitres, une analyse au scalpel des dérives et des impasses dans lesquelles la sécurité sociale est aujourd’hui enfermée, faute de courage dans des choix nécessaires. Le diagnostic d’un mal multiple est fin et précis, où se reconnaît le grand clinicien. Les préconisations sont parfois chirurgicales, pour écarter les solutions en faux-semblant et éradiquer les affections qui menacent d’emporter cet « homme malade » qu’est aujourd’hui l’assurance maladie, selon l’expression de la Cour des comptes que reprend l’auteur. Nous ne sommes pas si loin en réalité des ouvrages scientifiques du Pr Huguier… Mais ce n’est pas seulement, loin de là, le livre d’un médecin. À l’universitaire s’ajoute le praticien de l’action publique, qui fut conseiller de Simone Veil, à laquelle l’ouvrage est dédicacé, et l’analyste particulièrement attentif et informé au sein de la commission « Financement des dépenses de santé, assurance maladie » de l’Académie, des sinusoïdales des décisions des pouvoirs publics depuis des années. Le constant souci de mise en perspective, sous forme en quelque sorte de « travelling arrière » comme on dirait en langage cinématographique, est une des richesses de l’ouvrage, qui renvoie aussi en cela au goût de l’auteur pour l’histoire et les enseignements qu’elle peut apporter pour le présent et l’avenir. Elle montre qu’au-delà de certaines mesures récentes qui ont pu contribuer à son aggravation, le mal vient de plus loin, ce dont témoigne la persistance du lourd déficit, année après année, de l’assurance maladie depuis plus d’une génération.
Mais on se tromperait du tout au tout en voyant dans cet ouvrage une sorte d’« œuvre au noir » ou une vaste déploration. Si l’analyse des erreurs et des faiblesses est implacable, si les « fausses bonnes idées » sont dénoncées avec vigueur (ainsi parmi tant d’autres exemples, l’idée que l’élargissement sans fin du numerus clausus serait en lui-même un remède aux « déserts médicaux »), l’auteur propose et décline en fait de chapitre en chapitre un véritable plan de réformes d’une grande ambition et d’une très grande richesse qui s’inscrit dans une forte cohérence d’ensemble. Il n’est pas de ceux en effet qui considèrent que l’héritage du Conseil national de la Résistance est à remettre complètement en cause pour faire surgir d’autres modes de protection, qui, il le met en lumière à de multiples reprises, ne pourraient être que moins solidaires. Bien au contraire, il se refuse à baisser les bras. Défenseur fervent de l’espérance que portait l’ordonnance du Gouvernement provisoire de la République du 4 octobre 1945 qui a créé la sécurité sociale, il appelle au retour aux principes essentiels qui étaient à son fondement.
Il met à cet égard en pleine lumière, à très juste titre, combien la persistance tenace de ses déficits, le gonflement insidieux de la dette sociale qui en résulte, l’érosion rampante de la protection qu’elle assure remettent en cause chaque année davantage sa légitimité et menacent sa pérennité même. Il appelle ainsi à des réformes structurelles, qui loin de remettre en question notre système de protection sociale, seront l’occasion de le moderniser en profondeur.
La conviction qu’il appelle son lecteur à partager est claire : ces mesures ne sont pas seulement indispensables, elles sont possibles à condition de surmonter frilosité, vision de court terme, manque de continuité dans l’effort, faiblesse dans la mise en œuvre. Il y faut l’effort de tous, un effort justement partagé, méthodique, opiniâtre, prenant appui sur les principes fondateurs de la sécurité sociale : la responsabilité, la justice, la liberté, la solidarité.
Ni passéisme ni passivité, ni angélisme ni pessimisme de l’inéluctable, qui verrait, volens nolens, l’assurance maladie se transformer définitivement en cette « vieille dame indigne » qu’évoque le chapitre d’entrée. Mais un appel à la responsabilité et au courage : c’est ce message fondamental que développent, chacun sous un prisme particulier, les différents chapitres de cet ouvrage qui abordent les unes après les autres les problématiques majeures de l’assurance maladie – son périmètre, son financement, son déficit -, puis celles de notre système de soins – la médecine libérale, les hôpitaux, les médicaments, la prévention-, avant de s’intéresser aux questions du pilotage déficient de cet ensemble qui représente près de 195 Md€ par an. Le dernier chapitre, qui analyse différents systèmes étrangers, n’est pas le moins riche, en particulier en ce qu’il montre bien qu’il n’y a nulle part de solution miraculeuse ni de baguette magique, mais que tout dépend de nous et repose entre nos mains.
C’est un langage ainsi de vérité, une vérité parfois rude et difficile à entendre tant nous sommes convaincus que notre système est le meilleur du monde et est en quelque sorte immortel, que porte cet ouvrage dans le dévoilement des fausses bonnes idées, des promesses irréalistes et non financées, des marges considérables d’efficience de notre système de santé.
Un langage de vérité d’abord envers les pouvoirs publics, qui doivent agir avec plus de cohérence et de courage de choix dans une perspective du long terme pour se tenir sur une ligne de crête étroite, alliant solidarité et liberté, pour éviter l’alternative redoutable entre prestations moins remboursées et davantage de prélèvements sociaux.
Un langage de vérité ensuite envers les assurés sociaux, enclins trop souvent à une surconsommation de soins se traduisant par des gaspillages considérables en raison d’une quasi-gratuité, ce qui appelle l’auteur à une réarticulation des modes de prise en charge des dépenses pouvant aller jusqu’à des formes de franchise généralisée sauf pour les plus défavorisés.
Un langage de vérité aussi envers les professionnels de santé, qui doivent notamment mieux encore être attentifs à l’efficience et à la pertinence de leurs actes et au respect du « tact et mesure » dans leurs honoraires,
L’ouvrage de Michel Huguier ouvre ainsi des débats majeurs, difficiles mais nécessaires et salubres, dans une période qui s’y prête particulièrement au moment où s’ouvre une nouvelle législature. On ne peut que souhaiter que l’ensemble des parties prenantes au devenir de notre système d’assurance maladie et de notre système de soins se saisissent largement et rapidement de la richesse de ses analyses et de ses préconisations pour en nourrir leur réflexion et leur action, et d’abord le nouveau ministre qui sera prochainement désigné.
Un raisonnement méthodique et remarquablement argumenté, une information presqu’encyclopédique puisée aux meilleures sources, un remarquable esprit de pédagogie qui rend compréhensibles des enjeux toujours complexes, des conclusions exprimées avec une netteté stimulante, autant de qualités qui, conjuguées avec un style alerte et enlevé, un ton personnel, et souvent un vrai bonheur d’écriture, viennent au soutien du lecteur et rendent aisé à lire cet ouvrage qui pourrait paraître de prime abord austère par sa matière même.
Version pre-print