Autre
Séance du 14 juin 2011

FABRE A. — De grands médecins méconnus . Paris, Éditions l’Harmattan, 2010, 218 p.

AutrePrésenté par Jean-Paul Tillement

 

 

Comme nos contemporains l’ont vécu à Pont-Saint-Esprit, la découverte des effets toxiques de l’ergot de seigle eût été plus efficace que la prière pour se débarrasser du feu Saint-Antoine. Mais la science est loin d’avoir décrypté entièrement les déterminants du statut de malade et du processus de guérison. Il est prouvé que la façon dont s’établit la relation avec le thérapeute conditionne la mobilisation de processus endogènes qui participent à la guérison, si bien que, dans le monde des soignants, le pouvoir de guérir est inégalement réparti. Une semblable mobilisation des ressources de la personne suffirait-elle à expliquer les bienfaits de la foi qui sauve ?

En nous menant sur ses traces dans ce voyage entre médecine et religion, Jacques Battin nous fait participer à sa connaissance des arts tout en nous incitant à voyager les yeux ouverts. Dans le même temps, il suscite une réflexion sur le fonctionnement de l’esprit et, plus concrètement, il nous rappelle que l’art de guérir ne relève pas seulement de la science.

Jean Cambier FABRE A. — De grands médecins méconnus , Éditions l’Harmattan, Paris 2010, 218 p .

L’auteur, pédiatre et historien, est connu pour la rigueur de ses observations cliniques et pour ses analyses de situations historiques complexes. Il applique ici ses compétences à l’évocation de médecins que l’histoire n’a pas suffisamment reconnus, tant pour leurs qualités professionnelles et humaines que pour l’impulsion qu’ils ont donnée à l’évolution de la médecine.

Il a sélectionné trente-cinq médecins parmi lesquels certains sont oubliés, d’autres sont connus pour des faits apparemment sans rapport avec la médecine. Les présentations sont brèves, concises, bien documentées et se limitent aux actions essentielles.

Il nous fait tout d’abord découvrir des auteurs qui, à partir d’observations cliniques, ont initié des spécialités médicales nouvelles : l’oncologie avec Cornélius, l’hygiène et les maladies nosocomiales avec Adrien Proust père du célèbre Marcel Proust, la médecine tropicale avec Garcia de Orta, la psychiatrie avec Tronchin.

La pédiatrie n’est pas en reste : la mort subite du nourrisson est longuement décrite avec Davies, le syndrome des enfants battus avec Silverman.

Cheiron le Centaure, outre l’avantage d’avoir été le maître d’Esculape, est considéré comme l’ancêtre des chirurgiens pour l’habileté de ses mains d’où il tire son nom.

Plus tardivement, Fioravanti et Zaccarello, chirurgiens audacieux, furent les premiers à oser pratiquer l’ablation de la rate : l’auteur décrit dans quelles circonstances, les techniques utilisées et il ajoute que le malade a survécu. On observe qu’à cette époque les différents métiers de la santé ne sont pas séparés. Fioravanti était aussi un spécialiste des plantes médicinales, créateur d’un célèbre alcoolat utilisé encore parfois aujourd’hui pour soulager des articulations douloureuses.

 

Certaines idées novatrices n’ont pas été exploitées rapidement. C’est le cas en particulier pour l’origine infectieuse de l’ulcère gastrique ardemment défendue par Marshall, pour les méfaits du tabac par Tchekhov ainsi que pour les anomalies de la mitose provoquées par des doses toxiques de colchique décrites par Pernia, le « petit médecin de Palerme ». En revanche, si l’histoire n’a pas retenu le nom d’Husson, son intuition est à la base de l’effet dit « miraculeux » du colchique dans les crises de goutte.

De nombreux médecins ont suivi des parcours discrets et pourtant fort utiles voire parfois déterminants. La difficile entrée des femmes dans le monde médical est exemplaire à cet égard. Pourtant l’histoire avait bien commencé avec Hildegarde de Bingen, moniale médecin, pharmacien praticien reconnu et même canonisée. Le xixe siècle n’a pas suivi son exemple et l’on peut mesurer les difficultés d’Élizabeth Blackwell, d’Élisabeth Garrett puis en France de Madeleine Gébelin-Brès pour apprendre puis pratiquer la médecine. L’Impératrice Eugénie et le Ministre de l’Instruction Publique Victor Duruy ont du intervenir pour que notre compatriote puisse devenir médecin et qu’après elle, des étudiantes « en chignon » puissent suivre le même chemin.

Beaucoup d’autres, médecins des pauvres et médecins des rois, médecins écrivains, dramaturges, révolutionnaires, diplomates, amis des artistes, n’ont pas trouvé dans la mémoire collective la place qu’ils auraient du avoir. L’un d’entre eux a particulièrement intéressé l’auteur, François-Charles de Pouqueville. Né à la fin de l’ancien régime, il a tenu un rôle national de premier plan fait d’engagements profonds dans des situations très différentes et parfois fort difficiles : prêtre, médecin, membre de l’expédition d’Égypte, prisonnier des Ottomans, Consul en Grèce et grand écrivain On ne peut oublier aussi ceux qui ont connu un destin tragique, Zamenhof, l’inventeur de l’espéranto et Reversy, résistant lyonnais, tous deux fusillés par les allemands.

Une mention spéciale est réservée à docteur Horace Bianchon,un médecin qui n’a jamais existé, sauf dans l’imaginaire d’Honoré de Balzac et omniprésent dans son œuvre. Quelle signification accorder à ce choix et probablement à ce besoin de l’écrivain. L’auteur du livre nous propose d’y réfléchir sans pour autant conclure.

Cet ouvrage reflète bien la personnalité de son auteur. Esprit curieux et cultivé, soucieux de vérité, il sort ainsi de l’oubli des hommes et des femmes dont les actions auraient du connaître une plus grande considération.

Existe-il un lien entre tous ces personnages qui ont connu des destins bien différents et ont vécu à des époques différentes ? Tous ont fait preuve d’imagination, de dynamisme et sont imprégnés du même humanisme médical. C’est le mérite de l’auteur d’avoir su les rassembler.

Vivant, érudit, cet ouvrage vient heureusement augmenter notre connaissance de ceux et celles qui ont contribué au développement de la médecine.

Jean-Paul Tillement

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 6, 1409-1414, séance du 14 juin 2011