Communication scientifique
Séance du 27 novembre 2007

Évolution de la transplantation hépatique en Europe au cours des quinze dernières années

MOTS-CLÉS : chirurgie/methodes. donneur tissu. europe. transplantation foie/statistiques et donnees numeriques. transplantation hepatique/tendance
Fifteen years of liver transplantation in Europe
KEY-WORDS : europe. liver transplantation/statistics et numerical data. liver trasplantation/trends. surgery/methods. tissue donors

René Adam, au nom des Centres Européens de Transplantation Hépatique (European Liver Transplantation Registry : ELTR et de l’European Liver and Instestinal Transplantation Association : ELITA)

Résumé

La transplantation hépatique a connu un essor considérable au cours des deux dernières décennies. Les progrès chirurgicaux et un suivi médical adapté ont permis d’atteindre en Europe un taux de survie des patients à un an qui atteint 84 %. Cette amélioration concerne toutes les indications y compris le carcinome hépatocellulaire. L’avènement de nouvelles techniques chirurgicales, comme le foie partagé ou le donneur vivant, développées pour remédier à la pénurie de greffons n’ont pas affecté cette progression de la survie.

Summary

Liver transplantation has considerably evolved over the last two decades. With improvements in surgery and patient care, the one-year patient survival rate is now about 84 % in Europe. This improvement has occurred in all indications, including hepatocellular carcinoma. The advent of new surgical techniques designed to palliate the graft shortage, such as the use of split liver and living donors, has not negatively affected the survival curve.

INTRODUCTION

La transplantation hépatique (TH) est devenue le traitement de choix des malades ayant une insuffisance hépatique terminale. Depuis l’avènement de la cyclosporine en 1983, le nombre de TH par an n’a pas cessé d’augmenter et dépasse actuellement cinq mille interventions par an en Europe. En parallèle, nous avons assisté à une évolution des indications associée à un progrès considérable des techniques chirurgicales et de la prise en charge péri-opératoire des patients. Plusieurs équipes ont montré l’évolution favorable des résultats mais le caractère monocentrique des publications ne permet pas d’avoir une appréciation globale de cette évolution.

Nous avons donc analysé les données du Registre Européen (ELTR) pour évaluer le degré de cette évolution par indication et en fonction des techniques chirurgicales.

Patients et Méthodes

De mai 1968 à décembre 2005 l’ELTR a colligé les données de 68 776 TH réalisées dans cent trente-sept centres et vingt-trois pays. L’ELTR est mis à jour deux fois par an et les résultats sont publiés dans le site du registre [1]. Avant l’analyse statistique, les données sont soumises à plusieurs contrôles de qualité intégrant des visites d’audits des centres participants [2].

L’évolution des indications, des techniques chirurgicales et des résultats de la survie a été analysée au cours des quinze dernières années en comparant trois périodes :

— 1990-1995 ; — 1995-2000 et — 2000-2005. L’analyse de la survie des patients était réalisée par la méthode de Kaplan-Meier.

Résultats

Indications

Les résultats des indications montrent une augmentation des cirrhoses alcooliques (20 % dans la période 2000-2005 vs 15 % dans la période 1990-1995), virales C (16 % dans la période 2000-2005 vs 11 % dans la période 1990-1995), et du carcinome hépatocellulaire (16 % dans la période 2000-2005 vs 9 % dans la période 1990-1995) (Tableau 1). Les résultats de survie dépassent actuellement 85 % à un an à l’exception des hépatites fulminantes (75 %). La survie s’est considérablement améliorée pour toutes les indications y compris le carcinome hépatocellulaire et les cirrhoses virales C dont l’amélioration de survie est plus modérée (Figure 1).

Techniques chirurgicales les alternatives a la TH conventionnelle de type foie partagé (split) et donneur familial se sont développées et représentent chacune 6 %, de l’ensemble des TH dans la période 2000-2005, alors qu’elles ne représentaient respectivement que 2 % et

FIG. 1 A. — Évolution de la survie des patients après transplantation hépatique pour hépatite fulminante.

FIG. 1 B. — Évolution de la survie des patients après transplantation hépatique pour cirrhose alcoolique.

FIG. 1 C. — Évolution de la survie des patients après transplantation hépatique pour cirrhose virale C.

FIG. 1 D. — Évolution de la survie des patients après transplantation hépatique pour cirrhose virale B.

FIG. 1 E. — Évolution de la survie des patients après transplantation hépatique pour carcinome hépatocellulaire 0,7 % dans la période 1990-1995 (Tableau 1). Une nette amélioration de la survie a été observée dans les greffes à foie cadavérique entier et les foies partagés. Les résultats des TH à donneur familial sont stables au cours de la dernière période, après l’amélioration qu’ils ont connu dans la période 1995-2000 (Figure 2).

TABLEAU 1. — Évolution des indications et des techniques chirurgicales 1990-1995 1995-2000 2000-2005 n = 11883 n = 17939 n = 26824 Indications

Hépatite Fulminante 1238 (10 %) 1531 (8 %) 1989 (7 %) Cirrhose alcoolique 1841 (15 %) 3561 (20 %) 5402 (20 %) Cirrhose virale C 1351 (11 %) 2810 (16 %) 4265 (16 %) Cirrhose virale B 891 (7 %) 1139 (6 %) 1547 (6 %) Carcinome hépatocellulaire 1042 (9 %) 2085 (12 %) 4191 (16 %) Techniques chirurgicales

Foie cadavérique entier 11094 (93 %) 16174 (90 %) 22840 (85 %) Foie partagé (split) 211 (2 %) 790 (4 %) 1689 (6 %) Foie donneur familial 81 (0,7 %) 299 (2 %) 1484 (6 %)

FIG. 2 A. — Évolution de la survie des patients après transplantation hépatique avec un greffon entier cadavérique.

FIG. 2 B. — Évolution de la survie des patients après transplantation hépatique avec un greffon partagé (split).

FIG. 2 A. — Évolution de la survie des patients après transplantation hépatique avec un greffon de donneur familial.

Conclusion la TH est devenue un traitement de référence qui offre 84 % de survie à un an à des patients dont le pronostic vital est menacé à très court terme. Les cirrhoses alcooliques et virales et le CHC restent les principales indications. Les alternatives chirurgicales à la TH conventionnelle sont de plus en plus proposées avec des résultats en progrès pour le foie partagé, et stables pour le donneur vivant.

BIBLIOGRAPHIE [1] WWW.ELTR.ORG [2] KARAM V., GUNSON B., ROGGEN F., GRANDE L., WANNOFF W., JANSSEN M., GUCKELBERGER O., DELVART V., BISMUTH H., HÖCKERSTEDT K., ROGIERS X., ADAM R. — European Liver Transplant Association. Quality control of the European Liver Transplant Registry : results of audit visits to the contributing centers. Transplantation. 2003 Jun 27, 75 (12), 2167-73.

DISCUSSION

M. Jean-Daniel SRAER

L’augmentation du succès des greffes de foie pendant les différentes périodes envisagées est-elle liée à des changements du traitement immunosuppresseur ?

L’amélioration des résultats de la greffe hépatique a été indiscutablement liée aux changements intervenus dans le traitement immunosuppresseur et en particulier l’avénement de la ciclosporine et du tacrolimus qui ont considérablement diminué le risque de rejet. Pour autant, plusieurs autres facteurs sont intervenus dans l’amélioration des résultats allant de la meilleure sélection des indications à la plus grande expertise chirurgicale.

M. Patrice QUENEAU

Quelles sont exactement les indications de transplantation hépatique dans les intoxications aiguës graves au paracétamol dès lors que le délai d’efficacité potentielle de la N-acétylcystéine a été dépassé ? Quels sont les critères cliniques et biologiques pour décider de cette transplantation hépatique en pareils cas ?

Les critères utilisés en France combinent l’apparition de troubles de la conscience (confusion, désorientation, coma) à l’abaissement du taux de facteur V à moins de 30 % lorsque le patient est âgé de plus de trente ans ou à moins de 20 % s’il a moins de trente ans. Ces critères de gravité établis par le groupe de Beaujon correspondent à une situation pour laquelle le risque de mortalité sans transplantation est de 95 %. D’autres critères ont pu être établis par le King’s College, spécifiques des intoxications au paracétamol et qui incluent : Ph< 7.30, ou la coexistence de : TP > 100 secondes, créatinine > 300 mmoles/l et encéphalopathie de grade III ou IV.

M. Michel BOUREL

On vient d’évoquer les résultats statistiques de la transplantation hépatique au plan durée de vie (ou survie). Sachant que l’évaluation de ce paramètre nécessite beaucoup plus de cas et de bien plus nombreux ajustements que la prise en compte de la durée de vie, il n’en reste pas moins que l’approche de la qualité de vie ne peut être laissée sans réponse validée et objective

L’évaluation de la qualité de vie après transplantation est un paramètre très important dans la mesure où les patients transplantés sont soumis à une surveillance rapprochée et à une immunosuppression à vie, avec ses contraintes et ses risques. Néanmoins, les études faites dans ce domaine démontrent que la qualité de vie est meilleure après qu’avant transplantation. En outre la qualité de vie des transplantés hépatiques est meilleure que celle des transplantés rénaux ou cardiaques, dans une étude que nous avons pu faire, comparant ces trois groupes de patients.

M. Bernard SALLE

La transplantation hépatique chez l’enfant pour atrésie des voies biliaires représente quel pourcentage ? Quels sont les résultats, en terme de survie et de facilité de vie, chez le petit enfant ?

La transplantation hépatique pour maladie cholestatique représente 73 % des indications chez l’enfant de moins de deux ans et 42 % chez l’enfant de deux à quinze ans. Au sein de ce groupe, l’atrésie des voies biliaires représente elle-même la majorité des indications. Les résultats de survie sont de 81 % à cinq ans et 79 % à dix ans.

M. Yves CHAPUIS

Au-delà de l’énoncé des résultats en terme de survie, qui sont excellents, à trois et cinq ans, une autre question posée est celle de la qualité de vie au cours de la survie. Personnellement, avec mon équipe à Cochin, nous avons pu apprécier, en 1995, la qualité de vie de cent-vingts transplantés adultes disposant d’un recul supérieur à un an. Où en est-on, en France, de cette évaluation ?

Si un consensus existe autour du caractère tres pertinent de la qualité de vie posttransplantation beaucoup d’études sont rétrospectives, non exhaustives sur les populations étudiées et avec des critères d’évaluation inhomogènes. Il faut désormais mettre sur pied une base de données avec un instrument validé nous permettant d’évaluer et de comparer de façon prospective les résultats de qualité de vie de tous les programmes de transplantation hépatique.


* AP-HP, Hôpital Paul Brousse Centre Hépato-Biliaire Villejuif F94800, France. ** Remerciements à l’ensemble des centres européens de transplantation hépatique Tirés à part : Professeur René ADAM, même adresse Article reçu et accepté le 12 novembre 2007

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1607-1615, séance du 27 novembre 2007