Communication scientifique
Séance du 16 mai 2006

État actuel de la médecine expérimentale : le cas particulier (?) de la psychiatrie

Edward Bullmore *

État actuel de la médecine expérimentale :

le cas particulier (?) de la psychiatrie.

Edward BULLMORE *

L’état actuel de la médecine expérimentale n’est pas propice à la découverte de nouveaux médicaments. Les chiffres des cinq dernières années, fournis par quinze grands laboratoires le prouvent : il subsiste une disproportion croissante entre dépenses investies en recherche et ventes enregistrées de médicaments.

Si quelques possibilités pour la médecine expérimentale peuvent exister en psychiatrie, force est de reconnaître que les évaluations et les mesures biologiques probantes font défaut. Les syndromes cibles, telles la dépression ou les psychoses, sur lesquelles agissent les molécules, sont mal validés. Sans oublier que les modèles paracliniques restent peu prédictifs, et que les phases deux et trois ne sont pas toujours concluantes. Il s’impose donc de recourir à des études expérimentales innovantes, sur des malades bien caractérisés.

Les traitements de la mélancolie ont été longtemps inefficaces, parfois inhumains.

La découverte des inhibiteurs de la monoamine oxydase et des tricycliques, entre les années 1950 et 1980, a suggéré que la dépression pourrait être due à une déficience en monoamines.

Les dépressions constituent une lourde charge économique pour tous les pays. Elles sont la quatrième cause de maladie dans le monde et il est prévu qu’en 2020, elles arriveront au deuxième rang. Près de 50 % des déprimés ne réagissent pas aux antidépresseurs actuellement disponibles, sans oublier qu’ils sont souvent suivis d’un certain nombre d’effets indésirables. De ce fait, un antidépresseur qui agirait rapidement et plus sûrement, chez un grand nombre de patients, pourrait devenir le médicament le plus vendu au monde. Or, les défis à relever pour le développement d’un nouvel antidépresseur s’avèrent complexes, car la dépression est hétérogène et multifactorielle et les marqueurs de la dépression sont cliniques et non biologiques.

Enfin, les essais cliniques versus placebo, ne concernent que des patients déprimés et ne constituent peut-être pas la solution idéale.

Les antidépresseurs existants agissent en modifiant les fonctions d’un large réseau d’interconnexions cérébrales, particulièrement au niveau des systèmes sérotoniner-
giques. La partie ventrale du cortex cingulaire antérieur joue un rôle affirmé dans les processus émotionnels normaux et anormaux.

L’IRM fonctionnelle est susceptible de constituer un marqueur de la sévérité des syndromes dépressifs. Les déprimés ont tendance à accorder davantage d’attention aux faciès tristes, et à surestimer le degré de tristesse qu’ils représentent. Cette propension en faveur des émotions négatives est associée à une plus grande activation du cortex cingulaire. La dépression a des répercussions sur le lobe temporal médian et sur le corps strié, comme en témoigne la comparaison des sujets déprimés avec des sujets sains. Or, les traitements antidépresseurs entraînent des modifications au niveau de ces régions anatomiques.

L’IRM fonctionnelle peut donc devenir un marqueur biologique de la réponse placebo. Plusieurs régions cérébrales déterminant la dépression et la réponse aux antidépresseurs sont ainsi concernées dans les réponses aux placebos, aux antidé- presseurs et aux analgésiques.

Les résultats de l’IRM sont également susceptibles de constituer un facteur prédictif de réponse aux antidépresseurs. Si l’on divise un échantillon de déprimés en deux groupes, selon que le volume du cortex singulaire antérieur s’avère ou plus grand ou plus petit que la moyenne, les deux groupes ainsi définis, vont montrer des degrés d’amélioration significativement différents, après huit semaines de traitement par fluoxétine. Sur les scores de l’échelle de dépression de Hamilton (16,3 versus 10,4), les sujets ayant un cortex singulaire antérieur volumineux, s’améliorent significativement davantage, que les sujets ne possédant qu’un petit cortex.

Comment l’IRM peut-elle agir sur le développement des médicaments antidépresseurs ? Les marqueurs IRM de sévérité, se révèlent plus sensibles aux changements symptomatiques. Mais se pose alors la question de savoir si le coût de l’IRM est abordable ? Les marqueurs de l’IRM sont structuraux ou fonctionnels et ils pourraient être utiles dans la prédiction de la réponse au traitement et/ou au placebo dans des échantillons biologiquement bien définis et différenciés. Certains de ces échantillons biologiquement sélectionnés devraient permettre de potentialiser la détection du pouvoir antidépresseur des molécules, par exemple chez les sujets ayant un volume cingulaire antérieur important.

A partir des bio-marqueurs et des données de l’imagerie, la firme GSK tente de développer des stratégies anti-dépressives. Ainsi, des échantillons sélectionnés, particulièrement sensibles, pourraient être utilisés pour détecter les effets des antidé- presseurs et permettre de réduire la durée et le coût des études, tout en favorisant l’apparition plus rapide d’une réponse aux antidépresseurs. Ces données sont susceptibles d’entraîner des conséquences positives sur le développement des antidépresseurs en phase II. Ils devraient aussi permettre d’orienter des choix pour l’amélioration des modèles animaux en pré-clinique, tout en favorisant simultané- ment l’évolution des autres phases du développement.

CONCLUSION

La dépression est un vaste domaine qui va en s’amplifiant et qui crée des besoins cliniques majeurs. Il s’avère de ce fait urgent et, c’est un réel défi, de développer de nouveaux médicaments. Il est possible d’utiliser les images cérébrales en IRM, pour apprécier l’effet des antidépresseurs sur les fonctions cérébrales et aussi, pour prévenir la réponse aux médicaments ou au placebo. GSK poursuit un plan straté- gique pour valider ces échantillons biologiquement différenciés et pour améliorer le rapport efficacité/coût dans les phases II des essais cliniques. Le succès d’une approche biologique pour le développement clinique précoce des antidépresseurs est susceptible de connaître d’importantes implications, tant en amont qu’en aval.


* Professeur Edward BULLMORE M.B. Ph. D., Chef de l’Unité de recherche de médecine relationnelle et de génétique G.S.K., Professeur de Psychiatrie à l’Université de Cambridge (Grande Bretagne).

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 9, 1883-1885, séance du 16 mai 2006