Communication scientifique
Séance du 16 mai 2006

De l’intérêt d’une vaccination thérapeutique chez des patients infectés par le VIH sous traitement antirétroviral

Arsène Burny *

Résumé

Des anticorps capables de neutraliser la protéine Tat et induits par vaccination à l’aide d’un toxoïde, prolongent l’interruption des traitements antirétroviraux chez des patients infectés récemment ou de manière chronique par VIII-I. Les effets pathogènes, in vitro , de la protéine Tat, l’association épidémiologique des anticorps anti-Tat, avec la non-progression de la maladie, et des expériences menées chez le singe macaque ont conduit à l’hypothèse selon laquelle l’induction, par vaccination, d’anticorps neutralisant Tat aurait un impact bénéfique sur la progression de la maladie. Pour contrôler cette hypothèse, nous avons mené pendant deux ans chez trente et un patients, une expérience d’interruption du traitement anti-rétroviral. Avant l’interruption du traitement anti-rétroviral, les patients avaient été répartis en deux groupes statistiquement comparables, un groupe contrôle et un groupe traité par un vaccin ant-Tat toxoïde. Que ce soit dans la population entière (n=3 1) ou dans le sous-groupe de patients chroniquement infectés (n = 1 9) des titres anti-Tat élevés étaient associés à la non-reprise de la médication anti-virale et à l’inhibition de toute activité Tat extra-cellulaire. Au contraire, il n’y avait aucune activité anti-Tat dans les séries des patients qui devaient reprendre la médication anti-rétrovirale. Ces résultats, statistiquement significatifs, argumentent en faveur d’un rôle important de Tat extracellulaire dans la pathogenèse du sida et suggèrent de viser Tat dans les traitements anti-sida.

Summary

Tat is a transactivator protein coded by the genome of HIV-1. Besides its transactivating activity, Tat is also exported outside the infected cell and acts as an immunosuppressive agent inducing apoptosis of non-infected activated T-cells and release of α -interferon and TNF α by dendritic cells. The latter properties suggest that Tat is a potential target for an AIDS vaccine. Hereafter we present the data of a two years analytical antiretroviral treatment interruption study carried out in patients who had completed a Phase 1/2 double blind placebo controlled vaccine trial using a non toxic and immunogenic Tat derivative called Tat Toxoid. Six of twelve patients who received Tat toxoid adjuvanted in DcChol mounted a stong neutralizing antibody reaction to Tat. All the six vaccine responders remained medication-free at least two years. By contrast the majority of non-reponders who received the vaccine or the placebo preparation resumed HAART during the two years follow-up study. Such results seem to justify a large scale vaccination trial in the near future.

INTRODUCTION

La protéine Tat du VIH-1, catalyseur des réactions transcriptionnelles des cellules infectées, est excrétée par ces dernières dans leur microenvironnement [1]. Ainsi au sein des foyers infectés des tissus lymphoïdes, la protéine Tat, dans sa configuration extracellulaire, peut agir comme une véritable toxine virale sur les cellules non infectées du système immunitaire qu’elle paralyse en induisant l’apoptose des lymphocytes T activés [2] et la surproduction d’IFNa et de TNFa par les cellules présentant l’Ag [3].

L’effet toxique du Tat permet de comprendre les observations d’ordre épidémiologique montrant que chez les sujets infectés dont la maladie ne progresse pas (Long Term Non Progressors) les taux d’Ac anti-Tat sériques sont élevés et inversement corrélés à l’antigénémie p24 (protéine virale majeure du VIH-1) [4].

Pour combattre les effets pathogènes du Tat sur le système immunitaire des sujets infectés, des essais de vaccination anti-Tat ont été effectués chez le macaque, utilisant un dérivé biologiquement non toxique mais immunogène de la protéine Tat, le Tat Toxoide [5]. Les singes, immunisés par le Tat toxoïde, ont produit des taux élevés d’Ac spécifiques, neutralisant l’activité de la protéine Tat. Après challenge avec un virus hybride SHIV pathogène (virus simien porteur de la protéine Tat du VIH), les macaques immunisés n’ont pas été protégés contre l’infection. Ils ont cependant montré une virémie significativement diminuée par rapport aux contrô- les non immunisés [6].

Ces résultats expérimentaux nous ont conduit à tester le vaccin Tat Toxoïde chez l’homme. Après qu’un essai de phase I, montrant l’innocuité et l’immunogénicité de la préparation, ait été réalisé chez des sujets sains non infectés [7] et des patients infectés [8], un essai de phase I/II a été entrepris par Sanofi-Pasteur à l’hôpital Saint Pierre de Bruxelles (Pr Clumeck), conformément au protocole résumé dans la figure 1.

Étude d’interruption de traitement antirétroviral (EIT) après vaccination anti-Tat

Trente-deux patients volontaires, cliniquement asymptomatiques, tous stabilisés sous chimiothérapie HAART depuis plus de trois mois, ayant une charge virale indétectable (<50 copies d’ARN viral/ml) et un nombre de TCD4+ supérieur à 350 cellules /mm3, ont été répartis en trois groupes homogènes. Le premier groupe (n=12) a reçu le vaccin expérimental (Tat Toxoïde adjuvanté dans du DcChol), le deuxième groupe (n=8) une préparation placebo (adjuvant DcChol) et le troisième

FIG. 1.

groupe contrôle (n=12) l’immunogène sans adjuvant. Comme l’indique la figure 1, au terme de l’essai vaccinal, une étude de deux ans d’interruption thérapeutique (EIT) a été entreprise chez ces patients. L’étude EIT a consisté à interrompre la chimiothérapie HAART chez les patients volontaires (n=31) tant que l’état clinique et les constantes biologiques (CD4 et virémie) le permettaient dans le cadre de la réglementation européenne.

RÉSULTATS

Réponse anticorps anti-Tat au terme de la vaccination 50 % (6/12) des patients ayant reçu le vaccin expérimental (Toxoide + adjuvant DcChol) ont développé au terme de la vaccination une réponse Anticorps positive avec des titres sériques > 10 µg/ml (le cut off correspondant à cinq fois le titre d’un pool de vingt-trois sérums collectés de patients cliniquement sains sous chimiothé- rapie). Il est intéressant de souligner que les anticorps de ces sujets répondeurs ont tous neutralisé l’activité transcriptionnelle du Tat, évaluée in vitro par le test d’expression de la betagalactosidase en utilisant la cellule Hela TZM-b1, portant, par transfection, le gène de la betagalactosidase sous le contrôle de la région LTR du HIV [9]. Aucun des sujets du groupe placebo ayant reçu l’adjuvant DcChol n’a développé de réponse Ac positive (titre sérique > 10 µg/ml) au cours de l’essai.

Dans le groupe contrôle chez qui le Toxoide a été administré sans adjuvant, trois individus ont présenté après vaccination des titres d’Ac élevés, inhibant également

FIG. 2. — Corrélation entre la présence d’anticorps anti-Tat et la reprise du traitement HAART.

l’activité transcriptionnelle de la protéine Tat. Cette réponse s’est montrée cependant transitoire, la chute rapide des anticorps s’expliquant par l’absence de mémoire immunitaire associée à l’absence d’adjuvant du vaccin.

Suivi clinique des patients au cours de l’ETI

Comme le montre la figure 2, les six patients répondeurs ayant reçu le vaccin expérimental (Toxoide adjuvanté) n’ont par repris de chimiothérapie au cours des deux ans de l’étude, contrairement à la majorité des sujets non répondeurs des groupes expérimental et placebo ayant reçu l’adjuvant DcChol (8/13). La différence entre patients répondeurs et non répondeurs s’est montrée significative (Fischer’s exact : 0,036 % à vingt-quatre mois avec un Kaplan Meier Pr : 0,0240) (Figure 2).

Concernant les trois répondeurs du groupe contrôle ayant reçu le Toxoide sans adjuvant, alors qu’un sujet a été mis sous traitement à six mois, les deux autres ont repris la chimiothérapie tardivement au seizième mois.

CONCLUSION

Ces résultats préliminaires obtenus sur un petit nombre de patients, s’ils étaient validés par un essai à large échelle pourraient conduire à associer la vaccination anti-Tat aux traitements antirétroviraux de manière à alléger le poids de ces derniers.

La chimiothérapie HAART, contraignante et coûteuse, si elle est aujourd’hui efficace, hiberne l’infection sans toute fois la stériliser et sa toxicité est source de
complications (lipodystrophie, résistance médicamenteuse et troubles hépatiques).

L’interruption périodique et contrôlée de la chimiothérapie associée à une vaccination anti-Tat devrait permettre une meilleure tolérance de cette médication par les malades.

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* Président de l’Académie Royale de Médecine de Belgique. ** Division of Infectious Diseases, CHU Saint-Pierre, Brussels, Belgium. *** Institute of Human Virology, University of Maryland Biotechnology Center, Baltimore, Maryland.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 9, 1897-1901, séance du 16 mai 2006