Résumé
Les objectifs de la vaccination chez l’homme sont actuellement l’éradication, l’élimination ou l’endiguement (définitions de l’OMS). Pour chaque maladie infectieuse transmissible, il faut en effet tenir compte de l’épidémiologie différente, du mode d’action des vaccins et des politiques poursuivies et acceptables. Depuis le succès obtenu pour la variole, peu de maladies sont candidates à l’éradication : la première sera la poliomyélite, la rougeole pouvant l’être aussi, mais dans une perspective plus lointaine. Les maladies éliminées d’un pays ou d’une région sont à ce jour la poliomyélite (Amériques, Europe, Pacifique Ouest), la rougeole (Finlande, Etats-Unis), la rubéole (Finlande). A ces résultats encore modestes s’oppose le contrôle ou endiguement pour ces mêmes maladies dans de nombreux autres pays et aussi d’autres infections, au prix d’une vaccination correctement appliquée et surtout d’une surveillance épidémiologique rigoureuse : diphtérie, coqueluche, hépatite B. Pour d’autres affections telles que les infections à Haemophilus influenzae b, il est prématuré de miser sur une élimination prochaine, voire sur un contrôle durable. La conduite correcte de la vaccination passe obligatoirement par la mise en place de réseaux de surveillance performants.
Summary
Immunisations in man may act upon the infectious diseases development in three evolutive patterns : eradication, elimination, or disease control. Since the eradication of smallpox, very few diseases are at present candidates for a next eradication ; poliomyelitis will be the first, perhaps followed by measles in many years. In spite of efficacious vaccines and a solely human reservoir, the eradication requires very strict conditions. However some diseases have been recently successfully eliminated : poliomyelitis (Americas, Europe, West Pacific regions) , measles (i.e Finland,United States), rubella (i.e Finland). In spite of some limits, diphtheria, pertussis, hepatitis B are well controlled providing to get a sufficient vaccine coverage and to improve a sustained surveillance of those diseases. Regarding
INTRODUCTION
La vaccination est un geste médical important, symbole d’une médecine qui a changé la physionomie des maladies infectieuses puisqu’elle a fait reculer certains grands fléaux de l’humanité, dont la variole est le premier exemple. Cependant, peut-on espérer des nombreux vaccins actuels et en préparation, que certains permettront d’obtenir des résultats aussi importants pour l’humanité, et, si oui, dans quels délais et au prix de quelles contraintes ?
La vaccination est souvent associée dans l’esprit des médecins et de la population à un espoir d’éradication de la maladie. Or, l’analyse de chaque situation est nécessaire pour comprendre les possibilités qu’offre un vaccin sur le devenir d’une maladie, car il faut distinguer trois modalités évolutives très différentes qui sont l’éradication, l’élimination et l’endiguement, pour reprendre les termes communé- ment utilisés par les épidémiologistes de l’OMS (Tableau 1).
Nous commenterons d’abord ces définitions. L’éradication est la réduction permanente d’une infection au taux zéro, ce qui suppose que l’on surveille activement la maladie. Le terme « les efforts délibérés » permet de ne pas confondre l’éradication avec la disparition spontanée de la maladie ou avec sa mutation : c’est le cas de la variole pour laquelle une action mondiale a été mise en place. « Aucune action ne doit être poursuivie » de type préventif après la certification de l’éradication, puisqu’il y a disparition définitive et confirmée de l’agent infectieux. L’élimination est la même réduction permanente à zéro d’une maladie, mais limitée à l’échelon d’une région ou d’un pays. Cette situation impose qu’une action de surveillance et de prévention soit poursuivie pour maintenir l’acquis et éviter la réimplantation du germe qui continue à circuler dans d’autres régions, parfois voisines : c’est le cas pour la poliomyélite ou pour la rougeole. Enfin, l’endiguement est une réduction parfois proche de l’élimination mais qui implique une action permanente pour que le germe, qui existe toujours dans le pays, ne puisse réinfecter la population [1]. A ce terme d’endiguement on pourrait préférer celui de contrôle de la maladie. Ces trois définitions correspondent à des situations, qui sont dépendantes de la physiopathologie des maladies infectieuses, de leur réservoir, du mode de transmission, et il n’y a pas un passage obligatoire d’une situation vers l’autre.
TABLEAU 1. — Évolution des maladies infectieuses Définitions de l’OMS ÉRADICATION D’UNE MALADIE Réduction permanente à zéro de l’incidence mondiale d’une infection causée par un agent déterminé grâce à des efforts délibérés. Aucune action ne doit ensuite être poursuivie.
ÉLIMINATION D’UNE MALADIE Réduction à zéro de l’incidence d’une maladie dans une zone géographique déterminée, grâce à des efforts délibérés ; une action doit être ensuite poursuivie.
ENDIGUEMENT D’UNE MALADIE Réduction de l’incidence et de la prévalence d’une maladie et de la morbidité ou de la mortalité qui en résulte, grâce à une action délibérée ; il se peut que la maladie considérée ait perdu de son importance du point de vue de la santé publique, mais il est nécessaire de continuer d’agir pour maintenir la réduction obtenue.
Nous nous proposons de parcourir des domaines de l’infectiologie pour lesquels existent des vaccins, sans être exhaustifs, pour tenter de différencier les maladies éradicables des autres.
La poliomyélite
Elle est sur la voie de l’éradication, puisque son réservoir est humain, que les trois virus ont une durée de vie brève et que le vaccin est très efficace. Les résultats sont spectaculaires : élimination certifiée depuis 1995 dans la région OMS des Amériques, certifiée depuis 2000 dans la Région Pacifique ouest, en particulier la Chine [2].
En Europe, l’élimination de la poliomyélite est confirmée depuis 1999 et le processus de certification est donc mis en place. En France la commission nationale de certification prévoit un ensemble de mesures cliniques : déclaration des paralysies aiguës flasques, biologiques ; réseau de surveillance des entérovirus ; épidémiologiques ; enquête de séroprévalence [3, 4].
Mais il persiste des foyers importants dans le monde, en particulier en Inde et en Afrique subsaharienne. La protection vaccinale contre la poliomyélite devra donc être maintenue tant que la certification mondiale n’est pas obtenue, en raison de la persistance actuelle de la circulation des virus de la poliomyélite.
La rougeole
Son éradication est en théorie possible puisque le réservoir est unique et purement humain. En Europe elle est en voie d’élimination et les étapes prévues par l’OMS sont les suivantes : pour l’an 2000 chaque pays devrait obtenir une couverture vaccinale de 95 % pour la 1ère dose chez le nourrisson entre 12 et 24 mois, définir un Programme national de surveillance, installer un laboratoire national de référence, et décider d’un plan d’élimination propre au pays, en particulier définir l’âge optimal de la deuxième dose du vaccin rougeole. L’élimination est escomptée en 2007 pour l’Europe, suivie en 2010 de la certification de l’élimination. La situation de la rougeole est malheureusement très hétérogène puisqu’il y a des pays très avancés comme la Finlande où elle est éliminée depuis 1994 [5], la Suède, la GrandeBretagne ou les Pays-Bas où l’incidence est très faible. En revanche, la couverture vaccinale stagne en particulier en France, en Allemagne et en Italie, laissant des foyers importants en Europe.
Les Amériques sont sur la voie de l’élimination : 100 cas ont été déclarés aux États-Unis en 1999, paraissant tous importés.
En Afrique et en Asie, la rougeole demeure une maladie endémique, ce qui ne laisse pas espérer son éradication avant plusieurs décennies.
La rubéole congénitale
Elle pourrait être éliminée rapidement, puisque le vaccin est très efficace et qu’il est combiné à celui de la rougeole dans la plupart des calendriers vaccinaux des pays industrialisés : cette élimination est réalisée en Finlande [5], et le sera très prochainement aux États-Unis. Pourtant, malgré la simplicité du geste vaccinal, cet objectif n’est pas une priorité pour bon nombre de pays européens et cela en dépit des prises de position très fermes et anciennes de l’OMS sur cet objectif [6].
D’autres maladies infectieuses, qui sont actuellement sous contrôle et pour lesquelles on dispose d’excellents vaccins, demeurent sans espoir clair d’une élimination prochaine, et encore moins d’une éradication. Les raisons en sont très différentes selon les maladies, tantôt liées à la politique vaccinale, tantôt dues à la nature intrinsèque du foyer infectieux et du réservoir.
La diphtérie
Elle est éliminée dans beaucoup de pays dont la France. Mais la couverture vaccinale doit être maintenue à un niveau suffisant, sous peine d’un réveil de la maladie, surtout chez les adultes. Une épidémie de diphtérie a sévi en Russie et dans les pays de la Confédération, avec 250 000 cas et plus de 4 000 morts entre 1992 et 1997 [7]. A l’occasion de cette flambée impressionnante, on a constaté que l’immunité postvaccinale s’amenuisait progressivement, probablement en raison de la raréfaction de la diphtérie et de la disparition des rappels « naturels » [8]. Dans les
pays occidentaux, la moitié des adultes n’ont plus d’anticorps décelables au-delà de 50 ans, voire moins. L’OMS a donc recommandé de faire régulièrement des rappels avec le vaccin antidiphtérique, surtout dans les pays de l’Est qui ont connu cette épidémie. De nombreux pays n’ont pas encore un contrôle suffisant de la diphtérie.
La coqueluche
Dans les pays où la vaccination anticoquelucheuse est bien appliquée, tels que les États-Unis ou la France, on constate une quasi-disparition de la maladie chez l’enfant, suivie d’une réapparition de cas chez de jeunes adultes, environ 25 ans après la généralisation du vaccin chez les nourrissons : c’est la résurgence [9]. Ceci témoigne de la persistance de la circulation du bacille de la coqueluche et de l’insuffisance de la protection vaccinale.
Actuellement, malgré des vaccins efficaces, la coqueluche est, au mieux, contrôlée dans quelques pays du globe et les chances de l’éliminer demeurent très douteuses.
La notion de portage du bacille est imprécise et sujette à controverses et il est prématuré de tirer des conclusions pessimistes avant d’avoir modifié la stratégie vaccinale, en particulier en essayant de protéger les adultes.
Vaccination contre l’ Haemophilus influenzae b (Hib)
Les pays occidentaux industrialisés ont instauré la vaccination à partir de 1991-94 pour tous les nourrissons. Ils ont obtenu une quasi-élimination des méningites à Hib. La Finlande ne compte plus de cas de méningite depuis 10 ans [10]. Mais on a obtenu en même temps une réduction extrême du portage du germe chez les enfants vaccinés, phénomène nouveau et inattendu qui explique la diminution très rapide des cas après la vaccination dans tous les pays [11]. Il est peu probable que l’on parvienne à l’élimination, même dans un pays donné, car la circulation d’Hib persiste. Si l’on examine en effet la notification des maladies invasives à Hib aux États-Unis pour l’année 2000, 52 cas sont encore rapportés dus à l’ Haemophilus capsulé b, mais aussi à d’autres Haemophilus capsulés non b [12]. La vaccination ne peut donc que réduire la maladie, illustrant bien ainsi la qualification d’« endiguement », équivalent d’un contrôle permanent ; en effet, la surveillance des Haemophilus est indispensable, pour s’assurer qu’aucune substitution ne se produit dans la population avec un autre type d’
Haemophilus capsulé [13]. Cette surveillance à été mise en place en France par le centre national de référence des
Haemophilus , à l’instar des autres pays.
Vaccination contre l’hépatite B
Le vaccin de l’hépatite B est très efficace et sa production par des techniques issues du génie génétique (vaccin recombinant) a permis de le mettre à disposition de toutes les populations. L’éradication de la maladie est donc en théorie possible, puisque le réservoir est humain. Cependant les stratégies demeurent encore impré-
cises selon les pays. Deux politiques vaccinales ont eu cours simultanément jusqu’en 1991 selon le niveau d’endémicité des pays : une vaccination ciblée des sujets à risque pour les pays de faible endémie, et une vaccination large, en général des nouveaunés, pour les pays de forte et de moyenne endémie. En 1991, devant l’incapacité de la vaccination ciblée à contenir la progression des cas chez les adultes jeunes dans les pays occidentaux, l’OMS a recommandé que chaque pays instaure une politique de vaccination universelle ou élargie. Plusieurs publications ont fait état de cette double politique, souvent au sein d’une même région de l’OMS, tout en confondant les notions d’élimination, de contrôle et d’éradication [14]. En Europe cette politique s’est progressivement installée, en vaccinant les adolescents et/ou les nourrissons.
Les difficultés sont de plusieurs ordres : le coût du vaccin, l’accessibilité pour certaines tranches d’âge (adolescents), l’acceptabilité en France en raison d’une crainte des maladies neurologiques démyélinisantes chroniques. En Asie du sud-est, et en particulier à Taiwan, des résultats remarquables ont été obtenus, avec une démonstration éloquente de la diminution du nombre des cancers primitifs du foie depuis la mise en place de cette vaccination [15]. En Afrique, la vaccination a beaucoup plus de difficultés à s’intégrer dans le PEV.
Au total, la vaccination de l’hépatite B peut actuellement aboutir au contrôle de la maladie, mais ni son élimination ni son éradication ne sont envisageables dans les 10 ans à venir. En France la couverture vaccinale des nourrissons reste basse, aux environs de 30 % et la vaccination des adolescents a été très réduite à la suite de l’alarme provoquée par l’hypothèse d’un risque éventuel de sclérose en plaques. À moyen terme, le contrôle de l’hépatite B pourrait donc à nouveau échapper.
Conséquences de l’éradication
Les probabilités d’éradication restent donc limitées à très peu de maladies. La conséquence logique en est l’arrêt de la vaccination, comme ce fut le cas pour la vaccine et la variole. L’arrêt sera possible un jour pour la vaccination de la poliomyélite, et dans un temps plus lointain pour la rougeole. Une telle éventualité peut aboutir à un allégement du calendrier vaccinal, laissant place à de nouveaux vaccins.
Pour parvenir à un tel résultat, un contrôle permanent est nécessaire pour affirmer et certifier l’éradication.
Cette entreprise suppose des méthodes très rigoureuses de surveillance :
— reconnaître la maladie, souvent disparue, mais qui doit être enseignée (ce qui n’est pas fait régulièrement) ;
— établir un réseau de laboratoires fiables ;
— informer les médecins et coordonner les résultats, l’IVS en France est le moteur de ces actions. Nous voudrions particulièrement insister sur le besoin actuel d’une meilleure formation concernant les maladies infectieuses et les vaccinations.
CONCLUSION
Pour qu’une maladie soit éliminée ou éradiquée, si elle peut l’être, les vaccins doivent être accessibles, bien acceptés et efficaces. L’accessibilité dépend des possibilités économiques des pays ; c’est ainsi que malgré les recommandations de l’OMS et l’engagement de principe des états, on constate que certaines politiques vaccinales ne sont pas mises en place. La volonté d’élimination doit être partagée par les médecins, les politiques et la population. Ces conditions, apparemment simples et de bon sens, sont loin d’être remplies pour tous les vaccins du calendrier vaccinal ce qui, par exemple, explique la différence des résultats actuels entre la poliomyélite et la rougeole en France.
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