Résumé
Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) sont un problème de santé publique dans les pays industrialisés où elles touchent plus d’un habitant sur 1000. Elles affectent surtout les adultes jeunes. L’incidence des MICI s’est accrue fortement après la seconde guerre mondiale dans les pays occidentaux où elle est maintenant stabilisée. Ces maladies sont par contre en nette augmentation en Europe de l’Est, en Asie et dans les pays en voie de développement. Les variations épidémiologiques des MICI observées dans le temps et dans l’espace suggèrent l’intervention de facteurs de risque environnementaux mais seuls le rôle du tabac et de l’appendicectomie sont établis. Les études chez les jumeaux et l’existence de formes familiales de MICI ont souligné l’importance des facteurs de risque génétiques. Un premier gène de susceptibilité à la maladie de Crohn, NOD2/CARD 15 sur le chromosome 16, a été identifié et d’autres gènes ont été localisés. Leur identification devrait permettre de progresser dans la compréhension des interactions entre l’environnement et le système immunitaire intestinal à l’origine des MICI.
Summary
Inflammatory bowel diseases (IBD) are a public health problem in industrialized countries, where 1 in 1000 people are affected. Most patients are young adults. The incidence of IBD has increased considerably in western countries since the second world war but is beginning to level off. On the other hand, the incidence is still rising in low-incidence areas such as Eastern Europe, Asia and developing countries. Differences in incidence rates across age, time, and geographic areas suggest that environmental factors are involved in IBD, but only cigarette smoking and appendectomy have consistently been identified as risk factors. An important role of genetic factors in IBD was first suggested by epidemiological studies showing familial aggregation of IBD and by twin studies. In 2001, the first CD susceptibility gene, NOD2/CARD15 on chromosome 16, was characterized. Other susceptibility genes have since been located. Their identification should help to understand the complex interaction between the environment and the intestinal immune system.
Les Maladies Inflammatoires Chroniques de l’Intestin (MICI), en pratique maladie de Crohn (MC) et rectocolite hémorragique (RCH), sont des inflammations chroniques du tube digestif atteignant exclusivement le rectum et le colon pour la RCH et tout le tube digestif avec une prédilection pour la région iléo-cæcale pour la MC.
La MC et la RCH sont devenues dans les cinquante dernières années un des problèmes majeurs de la gastroentérologie du monde occidental. Dans ces régions, le risque cumulé sur une vie d’avoir l’une ou l’autre maladie est estimé entre 0,5 % et 1 % [1]. Les MICI sont en émergence dans d’autres pays notamment en Asie.
L’épidémiologie est l’étude de la survenue des maladies. L’épidémiologie descriptive (incidence, prévalence, démographie) est à l’origine d’informations importantes concernant le poids des MICI sur le système de santé. L’épidémiologie fournit également des pistes essentielles sur l’origine et/ou la physiopathologie de ces maladies. L’hypothèse la plus courante est que la MC et la RCH résultent d’une réponse inappropriée du système immunitaire muqueux à des composants de la flore intestinale [2]. La concordance de 50-60 % pour la MC observée chez des jumeaux monozygotes illustre l’importance des facteurs génétiques [3]. Des progrès considé- rables ont été faits avec l’identification en 2001 du premier gène de susceptibilité de la MC : NOD2/CARD15 [4, 5]. Les variations de l’incidence et de la prévalence des MICI dans le temps et dans l’espace suggèrent d’autre part un rôle majeur de l’environnement. Dans ce domaine, les avancées ont été moins décisives et seul le rôle du tabac et de l’appendicectomie sont à ce jour bien établis [1].
ÉPIDÉMIOLOGIE DESCRIPTIVE DES MICI
Les études épidémiologiques sont difficiles dans les MICI car leur diagnostic repose sur un faisceau d’arguments et les critères diagnostiques varient suivant les études.
Certaines portent sur des populations hospitalières et d’autres sont faites en population générale. Des différences d’enregistrement existent en fonction des systèmes de santé (accès au secteur privé prédominant ou recours systématique à une consultation hospitalière). Enfin la prévalence de ces affections est difficile à établir du fait de leur longue durée d’évolution et de leur caractère parfois asymptomatique.
INCIDENCE ET PRÉVALENCE
Historiquement, les incidences les plus élevées de MICI ont été rapportées dans des études provenant de Scandinavie, du Royaume Uni et des États-Unis. Au cours des années 1980 et 1990 les publications de données d’incidence et de prévalence se sont multipliées sur le continent européen, au Moyen Orient, dans la zone pacifique et en Amérique Latine, traduisant l’émergence de ces maladies dans le monde et remettant en question le confinement géographique des MICI à l’hémisphère nord [1].
En Europe, l’incidence de la MC varie de 0,7 à 9,8 pour 100 000 hab. et celle de la RCH de 1,5 à 20,3 (Tableau 1) alors que la prévalence varie de 8,3 à 214 pour la MC et de 21,4 à 243 pour la RCH[1]. L’extrapolation de ces chiffres à l’ensemble de la Communauté Européenne aboutit à une estimation de 2,2 millions de personnes atteintes de MICI. Une étude multicentrique européenne a identifié les plus fortes incidences de RCH en Islande et les plus faibles dans le sud du Portugal [6]. Pour la MC, les plus fortes incidences étaient aux Pays-Bas et, en France dans le département de la Somme , la plus basse en Grèce. Globalement il y avait 40 % de RCH et 80 % de
MC en plus dans les bassins de population du nord de l’Europe que dans ceux du Sud.
TABLEAU 1 : Incidence (/105h) de la maladie de Crohn (MC) et de la rectocolite hémorragique (RCH) dans le monde.
MC
INCIDENCE
RCH
INCIDENCE
Canada 14,6 Ile Faroe 20,3 Écosse 9,8 Islande 16,5 Pays Bas 6,9 Angleterre 15,1 USA 6,9 Irlande 14,8 France 6 Canada 14,3 Irlande 5,9 Norvege 13,6 Norvege 5,8 Pays Bas 10 Islande 5,5 Italie 9,6 Angleterre 5,3 Crète 9,4 Israel 4,2 Danemark 9,2 Danemark 4,1 USA 8,3 Allemagne 3,5 Inde 6 Italie 3,4 Allemagne 4,3 Crete 3,3 France 4 Espagne 1,6 Espagne 3,2 Grèce 0,9 Argentine 2,2 Croatie 0,7 Japon 1,9 Japon 0,5 Portugal 1,6 Argentine 0,03 Croatie 1,5
Les premières données d’incidence des MICI en France datent de la fin des années 80[7]. La France se caractérise en Europe par une incidence élevée de MC (6,0) et basse de RCH (4,0) alors que c’est l’inverse dans la plupart des autres pays Européens [1, 8]. Les incidences sont similaires dans l’ensemble des régions à l’exception notable de la Haute-Garonne où l’incidence de MC est plus basse que celle de la RCH [9,10]. À partir des chiffres d’incidence, on peut estimer la prévalence de la MC en France autour de 100 et celle de la RCH à 60. Au total, environ 100 000 personnes seraient atteintes de MICI dans notre pays.
En Amérique du Nord, l’incidence de la MC varie de 3,1 à 14,6 et celle de la RCH de 2,2 à 14,3 (Tableau 1) alors que la prévalence varie de 26 à 199 pour la MC et de 37,5 à 230 pour la RCH[1]. Le nombre de personnes atteintes de MC et de RCH serait ainsi respectivement de 630 000 et de 780 000.
Les MICI étaient considérées comme rares dans les autres régions du monde à l’exception d’Israël, de l’Australie et de l’Afrique du Sud. Cependant, une augmentation rapide de l’incidence de la RCH (et à un moindre degré de la MC) a été observée ces dernières années au Japon, en Corée du Sud, en Inde du Nord et en Amérique Latine [1].
Plusieurs conclusions peuvent être tirées des variations de fréquence des MICI dans le temps (Figures 1A et 1B) et dans l’espace [1]. Une forte augmentation de l’incidence des MICI a été observée dans le monde occidental après la seconde guerre mondiale, suivie d’une stabilisation[1]. Cependant plusieurs études récentes (Écosse, Suède, Nord-ouest de la France) ont mis en évidence une poursuite de l’augmentation d’incidence de la MC, et notamment des formes pédiatriques, suggérant que les facteurs de risque environnementaux sont toujours actifs dans ces régions [8,11]. L’augmentation de l’incidence de la RCH a précédé dans le temps celle de la MC et les pays à forte incidence de MC ont en général une incidence élevée de RCH à l’exception de la France et de la Belgique [1,12]. Ceci suggère l’existence de facteurs de risque communs aux deux maladies. L’augmentation des chiffres d’incidence des MICI dans les pays en développement semble parallèle à une occidentalisation du mode de vie. En Europe, le gradient Nord (forte incidence)-Sud (faible incidence) semble s’effacer au profit d’un gradient Ouest-Est [12]. Cette évolution reste à confirmer du fait du peu de données épidémiologiques encore disponibles en Europe de l’Est.
Démographie
On constate, dans la plupart des études, une prédominance de la MC chez la femme à partir de l’adolescence (sexe ratio : 1,2-1,4), suggérant l’intervention de facteurs hormonaux [1]. À l’inverse il existe une faible prédominance masculine dans la RCH. Le profil le plus fréquent de variation des incidences avec l’âge est celui d’un pic entre 20 et 40 ans suivi d’une décroissance rapide pour la MC et plus progressive pour la RCH (Figures 2A et 2B) [7, 8]. Le pourcentage de formes pédiatriques (début de la maladie avant 17 ans) est inférieur à 10 %.
(A) (B)
FIG. 1 : Évolution de l’incidence de la MC (A) et de la RCH (B) en fonction du temps dans différents pays. (
D’après référence 1).
FIG. 2 : Incidence de la MC (A) et de la RCH (B) en fonction de l’âge et du sexe dans le Registre
EPIMAD (France) (1988-1999). (D’après référence 8).
Race, ethnie
La faible incidence de MICI constatée aux États-Unis chez les sujets de race noire par rapport aux Blancs dans les années 80 reflétait probablement une différence d’accès aux soins. Les études plus récentes montrent que cette différence s’efface avec le temps. La faible incidence de MC chez les américains d’origine asiatique ou hispanique semble par contre réelle [1]. Les études des variations d’incidence dans des groupes ethniques ayant migré dans des zones géographiques différentes de leur région d’origine sont particulièrement instructives. Ainsi, les asiatiques du Sud ayant migré au Royaume Uni ont vu leurs chiffres d’incidence de MICI, initialement bas, rejoindrent rapidement celui du pays d’accueil illustrant l’importance du mode de vie dans la survenue de ces maladies [13, 14]. L’interprétation des données chez les Juifs est plus complexe. La sur-fréquence de MICI chez les Juifs est en effet d’autant plus importante qu’ils vivent dans un pays à forte incidence de ces maladies, traduisant la modulation de facteurs de risque génétiques par l’environnement [15].
FACTEURS DE RISQUE ENVIRONNEMENTAUX
De nombreux facteurs de risque environnementaux ont été évoqués dans les MICI mais les seuls clairement établis sont le tabac et l’appendicectomie.
Le tabac a des effets opposés au cours des MICI : il protége de la RCH mais favorise la survenue d’une MC [16, 17]. Le risque de RCH est réduit d’environ 40 % chez les fumeurs. À l’inverse les ex-fumeurs ont un risque 70 % plus élevé de développer une RCH que les non fumeurs. Ce risque est particulièrement important dans les deux premières années suivant le sevrage. Une fois déclarée, la RCH est moins sévère chez les fumeurs : elle s’étend moins souvent sur le colon proximal, nécessite plus rarement le recours à la corticothérapie et à une colectomie. L’arrêt de l’intoxication aggrave la maladie et sa reprise l’améliore. Un essai thérapeutique avec des patchs de nicotine n’a pas permis de reproduire cet effet [18]. À l’inverse le tabagisme multiplie par plus de deux le risque de MC. L’arrêt du tabac maintient un risque intermédiaire (de l’ordre de 1,5) qui ne disparaît qu’après au moins trois ou quatre ans de sevrage.
La MC a une évolution plus sévère chez les fumeurs : le nombre de poussées est augmenté, le risque de complications (abcès, fistules) est plus élevé et le recours aux corticoïdes et aux immunosuppresseurs est plus fréquent, surtout chez la femme (Figure 3A). Le risque d’intervention chirurgicale et de récidive post-opératoire est également accru. L’effet bénéfique du sevrage est observé dès la première année : le risque de rechutes est réduit de moitié et cet effet est comparable à celui d’un traitement immunosuppresseur (Figure 3B). Plusieurs explications ont été proposées pour expliquer cet effet ambivalent du tabac dans les MICI mais aucune n’a été validée à ce jour. Le tabagisme passif, notamment dans l’enfance, n’influence pas le risque de MICI.
(A) Pourcentage de patients nécessitant un traitement immunosuppresseur dans les 15 ans suivant le diagnostic de MC. La consommation de tabac est associée à une prescription accrue d’immunosuppresseurs, notamment chez la femme.
(B) Effet de l’arrêt du tabac sur le risque de rechutes au cours de la MC. L’arrêt du tabac diminue le risque de rechutes. Le risque de rechutes chez les ex-fumeurs rejoint celui des non-fumeurs après 3 ans de sevrage.
FIG. 3 : Effet du tabac sur l’évolution de la maladie de Crohn (MC). (D’après référence 39).
L’appendicectomie réduit de près de 70 % le risque de RCH [19]. Cet effet protecteur n’existerait qu’en cas d’intervention réalisée avant l’age de 20 ans et pour appendicite aiguë ou lymphadénite mésentérique (et non de façon erronée pour un syndrome douloureux abdominal) [20, 21]. Comme dans le cas du tabac, et de manière indépendante, l’appendicectomie est associée à une évolution moins grave de la RCH avec un risque réduit de colectomie [22]. L’appendicectomie pourrait augmenter le risque de MC [23, 24] mais cet effet reste discuté. Le mécanisme de l’effet protecteur de l’appendicectomie contre la RCH est inconnu. L’ablation de l’appendice ou son inflammation pourrait protéger de la RCH en modifiant la réponse du système immunitaire muqueux intestinal.
La prise de contraceptifs oraux augmente légèrement le risque de MICI, notamment de MC (risque relatif : 1,4) [1]. Cependant, les oestro-progestatifs faiblement dosés en œstrogènes n’influencent pas l’évolution de ces maladies.
De très nombreux facteurs alimentaires ont été incriminés dans les MICI (régime pauvre en fibre, surconsommation de sucres raffinés, excès de graisse animale, fast-food, friture, microparticules, chaîne du froid non respectée) mais aucun n’a été formellement identifié [25-27]. La plupart des études sont contradictoires et méthodologiquement critiquables.
La plupart des patients atteints de MICI incriminent le stress et les facteurs psychologiques dans la survenue et l’évolution de leur maladie. Cependant, une étude récente du Registre EPIMAD n’a pas montré d’influence significative d’évé- nements de vie considérés comme traumatisants sur la survenue d’une MC ou d’une RCH [28]. De même, aucune étude n’a démontré leur influence sur la survenue des poussées une fois la maladie déclarée [29].
L’environnement dans l’enfance pourrait avoir un rôle particulièrement important dans la survenue d’une MICI [30]. La répartition géographique et l’évolution dans le temps de ces maladies ont fait émettre l’hypothèse qu’un niveau d’hygiène élevé dans l’enfance pourrait être associée à un risque supérieur de MICI. À l’inverse, les enfants vivant dans un milieu défavorisé au contact d’infections bactériennes et/ou parasitaires seraient protégés de ce risque du fait d’une meilleure « éducation » de leur système immunitaire. Cette théorie, également en vogue pour d’autres maladies dysimmunitaires comme l’asthme ou le diabète de type 1, n’a pas été confirmée. À l’inverse plusieurs études ont révélé une fréquence accrue d’infections périnatales et infantiles et une exposition plus importante dans l’enfance aux antibiotiques chez les patients atteints de MICI. Le rôle de l’allaitement est controversé : protecteur, sans effet ou même facteur de risque dans une étude française récente [31].
Le rôle du virus de la rougeole dans la MC a été suggéré par une étude Suédoise montrant un parallèle entre l’augmentation de l’incidence de la MC dans ce pays dans les années 50 et la survenue d’épidémies de rougeole [32]. Cette hypothèse a été renforcée par la description par les mêmes auteurs de cas de MC sévère chez des enfants dont la mère avait eu la rougeole pendant la grossesse [33]. Secondairement,
un risque accru de MC a été attribué au vaccin vivant atténué contre la rougeole. À l’origine de nombreux débats, cette hypothèse est à ce jour totalement infirmée.
FACTEURS DE RISQUE GÉNÉTIQUES
L’importance des facteurs de risque génétiques dans les MICI a été suggérée par la prédisposition élevé pour ces maladies observé dans certaines ethnies comme les Juifs Ashkénazes, les associations rares avec certaines maladies génétiques comme le syndrome de Turner et d’Hermansky-Pudlak et surtout par les observations concernant la concordance pour ces maladies dans des couples de jumeaux et la survenue de cas familiaux [34].
Chez des vrais jumeaux (monozygotes génétiquement identiques) le taux de concordance est de 50-60 % pour la MC et de 5-15 % pour la RCH. Ces pourcentages sont beaucoup plus faibles chez des faux jumeaux (dizygotes et génétiquement semiidentiques) : 0-6 % et 0-3 % respectivement [3,35]. Cette différence témoigne d’une prédisposition génétique, plus importante dans la MC que dans la RCH.
Le pourcentage de formes familiales de MICI varie dans la littérature de 5 à 20 % [34]. Au sein d’une famille la concordance pour une maladie est la règle mais des formes mixtes (MC et RCH au sein d’une même famille) ne sont pas rares, traduisant l’existence de facteurs de risque communs aux deux maladies. Les risques relatifs de MC et de RCH pour les apparentés sont donnés dans le Tableau 2. Les valeurs sont du même ordre que celles observées dans le diabète de type 1. En tenant compte de la fréquence des maladies, le risque absolu pour les apparentés au premier degré (père, mère, frère-sœur, enfant) d’un malade atteint de MC est de l’ordre de 1 à 3 %. Pour la RCH, le risque est de l’ordre de 1 %. Ces risques décroissent très vite pour les apparentés au deuxième degré (oncle, neveu). Quand les deux parents sont atteints, le risque s’élève à un tiers après vingt ans. Au sein d’une famille où plusieurs sujets sont atteints, on observe souvent une similitude dans la présentation de la maladie (localisation, complications…) mais les formes familiales ne sont pas plus graves que les formes sporadiques.
TABLEAU 2 : Risque relatif de maladies inflammatoires chroniques intestinales chez des parents de malades atteints de maladie de Crohn et de rectocolite hémorragique.
( D’après référence 38)
Jumeau
Jumeau
Frère-
Parents 1erdegré
Parents Enfants 2nd degré 3e degré monozygote dizygote sœur
MC :
Risque 667 ?
5-35 25-42 12-16 2-30 ?
?
relatif
RCH :
Risque 71 22 10-15 8-15 8-19 2-15 ?
?
Relatif
La confirmation d’une origine génétique de la MC a été apportée par la découverte en 2001 du premier gène de susceptibilité à la maladie : NOD2/CARD15 situé sur le chromosome 16 [4, 5]. Un variant de ce gène est présent chez un malade sur deux et 15 % de sujets sains. Le gène n’est donc ni nécessaire ni suffisant pour que la maladie survienne. Il n’intervient pas dans la RCH. L’importance de ce gène varie selon les populations. Ainsi la MC ne semble pas associée au gène NOD2/CARD15 en Asie.
Les patients atteints de MC sont souvent porteurs d’une mutation sur chacun de leurs chromosomes avec un effet dose des mutations : le risque relatif de MC est de 2 à 3 pour les sujets porteurs d’une seule mutation alors qu’il est de 20 à 40 pour les sujets ayant deux mutations. NOD2/CARD15 est associé à la MC de l’intestin grêle et non du colon et l’effet dose des mutations est aussi constaté dans l’expression clinique de la maladie : les patients avec deux mutations ont un age de début plus jeune et une évolution plus fréquente vers les sténoses [36]. Le gène NOD2/ CARD15 code pour une protéine qui intervient dans la reconnaissance de composants bactériens (peptidoglycane) par les macrophages, les entérocytes et probablement d’autres cellules. Le mécanisme physiopathologique par lequel les mutations du gène prédisposent à la MC reste discuté.
Trois autres gènes de susceptibilité à la MC ont été identifiés DLG5 sur le chromosome 10, OCTN sur le chromosome 5 et récemment IL23R sur le chromosome 1[37].
D’autres gènes de susceptibilité aux MICI ont été localisés mais non identifiés (Figure 4). Le rôle respectif de ces gènes, leurs interactions et les conséquences fonctionnelles de leurs mutations font l’objet d’intenses recherches. D’autres gènes, non impliqués dans la susceptibilité aux MICI, pourraient moduler leur expression clinique. Ainsi certains allèles HLA de classe II ont été associés à des formes plus sévères de RCH et d’autres à la survenue de manifestations extra-intestinales.
En pratique clinique, il n’y a actuellement aucune indication à rechercher la pré- sence des mutations du gène NOD2/CARD15 ou d’autres gènes ni chez les malades ou leurs parents ni en cas de suspicion de MC. Les parents de sujets atteints de MC peuvent être prévenus du (léger) sur risque qu’ils courent afin d’éviter de fumer et de consulter précocement en cas de symptômes digestifs évocateurs.
CONCLUSION
La MC et la RCH sont des maladies chroniques invalidantes dont le poids va croissant dans le monde occidental et en émergence rapide dans les pays en voie de développement. Les études épidémiologiques mettant en évidence des variations importantes de leur incidence en fonction du temps, des pays et du mode de vie, suggèrent l’intervention de facteurs environnementaux émergents depuis la fin de la seconde guerre mondiale. À ce jour une histoire familiale de MICI, le tabac et l’appendicectomie sont les seuls facteurs de risque indiscutables de ces maladies. De nouvelles hypothèses doivent maintenant être explorées. La découverte des gènes de susceptibilité à la MC constitue une étape charnière dans la compréhension de la physiopathologie des MICI.
FIG. 4 : Gènes de susceptibilité aux MICI. (D’après référence 34).
Le gène NOD2/CARD15 localisé sur le chromosome 16 est le premier gène de susceptibilité identifié dans la MC. Trois nouveaux gènes ont été récemment identifiés sur les chromosomes 1, 5 et 10.
D’autres régions du génome contiennent des gènes non encore identifiés.
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DISCUSSION
M. Daniel COUTURIER
Vous avez bien montré la dualité des facteurs étiologiques : l’environnement, la prédisposition génétique. Existe-t-il un phénotype relativement spécifique en rapport avec le mécanisme physiopathologique principal génétique ou environnemental ?
Plusieurs associations ont été décrites entre certains génotypes et phénotypes des MICI.
La plus reproductible est l’association entre les mutations du gène NOD2 et la MC iléale.
M. Alain LARCAN
Quelles sont la prévalence et la signification de l’association d’une maladie de Crohn à des manifestations cutanées en particulier la pyoderma gangrenosum ? A-t-on étudié les populations lymphocytaires et l’équilibre des lymphocytes B et T, T1 et T2 ?
Les MICI peuvent être associées à des manifestations inflammatoires extra-intestinales notamment articulaires, oculaires et cutanées. Ainsi la prévalence du pyoderma gangrenosum est d’environ 1 % au cours des MICI. Ces manifestations extra-intestinales sont parfois inaugurales, précédant l’apparition des signes digestifs.
M. Émile ARON
En 1963, nous avons exposé à la société de gastro-entérologie, à l’occasion d’une observation de diarrhées (5 à 12 selles par jour) chez une jeune femme de 22 ans, la cause de son état. Il s’agissait d’une entérite agammaglobulinémique, absence totale de gammaglobuline décelée par l’électrophorèse et la fiche réticulo-endothéliale ; au point de vue clinique, une splénomégalie. La malade a guéri avec une couverture antibiotique (Salazopyrine et auréomycine) et perfusions de plasma. Nous avions imaginé la cause de cette agammaglobulinémie, traduite par un catabolisme de la gammaglobuline d’origine vraisemblablement infectieuse. Mon ami Cattan avait étudié cet aspect clinique en 1925.
Il s’agit d’une observation très intéressante mais qui ne rentre pas dans le cadre des MICI.
Des cas d’association entre MC et hypogammaglobulinémie ont été cependant décrits.
M. Patrice QUENEAU
Vous avez cité les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) parmi les paramètres susceptibles d’influencer les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, qu’en est-il exactement ? Les AINS, pris au long cours notamment, sont-il en cause dans la prévalence de ces maladies ou de leurs récidives ? Vous avez indiqué que l’appendicectomie pouvait être un facteur préventif de ces maladies, qu’en est-il exactement ?
Aucune étude n’a montré que la prise d’AINS était impliquée dans l’origine des MICI.
Cependant les AINS eux même peuvent être cause d’entéropathies dont les aspects endoscopiques sont parfois difficiles à distinguer d’une MICI. Enfin la prise d’AINS peut déclencher des poussées de MICI. Leur usage doit donc être limité au cours de ces pathologies.
Mme Jeanne BRUGÈRE-PICOUX
En raison des analogies existant entre la maladie de Crohn et la paratuberculose des ruminants, l’hypothèse d’une zoonose potentielle demeure pour ces deux maladies. On peut d’ailleurs remarquer que l’apparition progressive de la maladie de Crohn en France après la guerre coïncide avec l’augmentation des échanges commerciaux de bovins sur notre territoire, à l’origine de la diffusion de la paratuberculose dans le cheptel bovin français. Qu’en est-il de l’étude australienne de large ampleur qui doit permettre de trancher sur ce risque de zoonose potentielle dans le cas de la maladie de Crohn avec mycobacterium avium mbsp paratuberculosis ?
Cette hypothèse, récurrente depuis de nombreuses années, tend à être actuellement abandonnée ce, d’autant que l’essai thérapeutique australien auquel vous faîtes allusion et qui utilisait une triple antibiothérapie active contre M.paratuberculosis a donné des résultats négatifs.
M. Alain SAFAVIAN
Sur l’épidémiologie des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin : il se trouve qu’à la fin des années 60, nous avons fait, avec mon maître Marcel Cachin, une étude comportant la revue de la littérature mondiale, dont les résultats ont été largement publiés dans la presse spécialisée et fait l’objet d’une séance thématique à la société médicale des hôpitaux de Paris. Cette étude montrait de façon très nette que cette pathologie était fréquente dans les pays anglosaxons et scandinaves et très rare en France et en Europe du sud. Puis au cours de ma carrière iranienne (les années 70), j’ai remarqué une relative fréquence de ces maladies en Iran, presque autant qu’en France d’alors. Et actuellement, où depuis presque 30 ans je suis un clinicien parisien (et amiénois) je reçois fréquemment des malades iraniens atteints de cette pathologie et j’ai l’impression qu’elle est devenue très fréquente dans ce pays (plus qu’en France). Or, ce qui a changé depuis 40 ans, ce n’est pas seulement l’environnement mais aussi les brassages de population et surtout des facteurs de stress, d’anxiété et de conflits psycho-socio-affectifs… Concernant le tabac, je croyais que le tabac jouait un rôle néfaste certain dans l’étiologie de la maladie de Crohn, alors qu’il a un rôle ‘‘ protecteur ’’ dans la rectocolite hémorragique. Qu’en pensez-vous et pourquoi ?
L’épidémiologie des MICI s’est modifiée ces dernière années. Ainsi en Europe, le gradient Nord-Sud bien établi dans les années 60-80 tend à faire place à un gradient Ouest-Est.
L’incidence des MICI est en augmentation dans des pays jusqu’à maintenant relativement épargnés notamment en Asie et en Afrique du Nord. Il n’y a pas à ma connaissance de données épidémiologiques disponibles en Iran mais il est probable que l’incidence augmente également dans ce pays. Il est très difficile de savoir quel facteur environnemental est impliqué. L’une des hypothèses les plus fréquentes est celle de l’hygiène : une hygiène accrue dans l’enfance protégerait des maladies infectieuses mais exposerait en retour à une fréquence accrue de maladies allergiques et dysimmunitaires. Le rôle du stress n’a jamais été établi.Le tabac est effectivement un facteur de risque de MC mais protège de la RCH. Cette dichotomie n’a pas encore reçu d’explication satisfaisante.
M. François LEGENT
Vous avez évoqué l’amygdalectomie : serait-elle un facteur de risque ou de protection ?
L’amygdalectomie et/ou l’adenoidectomie ne sont pas des facteurs de risque ou de protection des MICI.
M. Roger NORDMANN
Vous nous avez exposé l’effet protecteur du tabac dans la recto-colite hémorragique (alors qu’il est aggravant dans la maladie de Crohn). Comment expliquer cet effet protecteur ?
L’équipe de gastro-entérologie d’Helmut Seitz à Heidelberg a montré que la consommation à risque d’alcool modifié profondément la flore et la muqueuse recto-colique (notamment
par une hyperproduction locale d’acétaldéhyde qui altère la muqueuse), d’où les relations consommation d’alcool (cancers recto-coliques). Quelles sont les données sur l’influence éventuelle de la consommation d’alcool sur l’évolution des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ?
Comme mentionné plus haut cet effet du tabac n’est pas expliqué à ce jour. La consommation d’alcool n’est pas un facteur de risque des MICI et n’augmente pas leur évolutivité.
M. Bernard SWYNGHEDAUW
Connaît-on le microbiome et le métagénome des Crohn ? Le métagénome est le génome de notre flore intestinale. La colite fonctionnelle rentre-t-elle dans ce cadre nosologique ?
De nombreuses études ont été réalisées et sont en cours concernant les modifications de la flore intestinale. Les techniques auxquelles vous faîtes allusion sont relativement récentes et n’ont pas encore donné de résultats significatifs. L’hypothèse actuelle est celle d’une « dysbiose » au cours des MICI avec augmentation de certaines espèces pouvant jouer un rôle pro-inflammatoire comme certaines souches originales d’Escherchia coli récemment identifiées et diminution d’espéces « protectrices » comme les Bifidobacté- ries.
M. Pierre BÉGUÉ
Avez-vous connaissance de travaux de suivi de la flore intestinale dans certaines régions soutenant l’hypothèse d’une modification de flore ? Que pensez-vous du rôle de l’antibiothé- rapie sur l’évolution des maladies intestinales inflammatoires, qui ont progressé depuis 60 ans, en même temps que les antibiotiques ?
En liaison avec l’hypothèse de « dysbiose » mentionnée ci-dessus, il est possible qu’une modification de la flore intestinale intervenue sous la pression de l’environnement dans les 50 dernières années explique l’augmentation de l’incidence des MICI. La prise accrue d’antibiotiques notamment dans l’enfance peut participer à ce phénomène.
M. Yves BUISSON
A-t-on cherché à savoir si la substitution de l’allaitement maternel par l’allaitement artificiel avait un impact sur la prévalence de la MICI ? Cela pourrait apporter une explication, au moins partielle, à l’existence d’un gradient nord-sud de la maladie que vous nous avez montrée.
C’est une hypothèse attrayante mais le rôle de l’allaitement maternel au cours des MICI reste controversé. Une méta-analyse a suggéré un rôle protecteur mais dans une étude cas-contrôle pédiatrique récemment réalisée dans notre région, l’allaitement maternel était un facteur de risque de MC !
M. Bernard HILLEMAND
La progression nord sud de la maladie de Crohn avait, il y a une quarantaine d’années, soulevé deux hypothèses pathogéniques. L’allure générale de la progression nord sud avait soulevé le problème des rapports avec le BBS en dehors même de données histologiques.
L’arrêt curieux et prolongé de la progression à la frontière belge avait soulevé le rôle d’un mode de couverture spécial du blé en Belgique (CRISMER). Où en est-on actuellement de ces deux hypothèses ?
Un gardient Nord-Sud a été constaté en Europe pour d’autres maladies comme la sarcoidose. Ceci suggère simplement que des facteurs environnementaux communs pourraient exister au cours de ces maladies. Il est exact (bien que non formellement rapporté) que dans les années 60-70 la MC était beaucoup plus fréquente en Belgique que dans le Nord de la France séparés par quelques kilomètres. Il faut se souvenir qu’après guerre et jusque dans les années 70, il existait certaines différences de mode de vie (qui ont ensuite disparu) entre la Belgique et la France comme par exemple l’utilisation de différents types de blé mais aussi un accès plus fréquent aux réfrigérateurs. Malheureusement aucune hypothèse solide n’a pu naître de ces observations.
M. Guy BLAUDIN de THÉ
Pourriez-vous évoquer les relations éventuelles d’un syndrome immunologiques d’intolé- rance au gluten ou maladie coeliaque, avec les deux maladies présentées cette après-midi ?
Il s’agit de maladies totalement différentes. La physiopathologie de la maladie coeliaque est connue : il s’agit d’une intolérance génétiquement déterminée au gluten contenu dans les céréales qui entraîne par des mécanismes immunologiques une destruction des villosités de l’intestin grêle. On peut juste signaler que l’association MICI-maladie coeliaque est plus fréquente qu’attendue par le simple hasard.
M. Jean-Claude PETITHORY
Quel est le rôle de l’allergie intestinale dans la maladie de Crohn, en tenant compte des nombreuses modifications alimentaires actuelles ?
Aucun aliment n’a été directement incriminé dans la physiopathologie des MICI. On pense plutôt que les modifications alimentaires pourraient jouer un rôle en étant cause de variations de flore intestinale.
M. Jean-François DUHAMEL
La fréquence des maladies inflammatoires du tube digestif est plus élevée dans les pays du nord de l’Europe où l’allaitement maternel prolongé est exclusif et dépasse 80 % à l’âge de un an. Ceci ne doit pas déranger pour autant les femmes d’allaiter leur nouveau-né.
Comme mentionné ci-dessus, il est possible que l’allaitement maternel soit un facteur de risque de MC. Si ce risque existe il est dans tous les cas faible et ne doit sûrement pas décourager les femmes d’allaiter compte-tenu des nombreux autres bénéfices bien établis de l’allaitement.
M. Bernard NORDLINGER
Y-a-t-il une interrelation entre les facteurs génétiques et les facteurs environnementaux dans la genèse de la maladie de Crohn et de la rectocolite hémorragique ? En pratique, faut-il informer les patients porteurs d’une mutation d’un des gènes de susceptibilité que le risque de développer la maladie est extrêmement élevé s’ils deviennent fumeurs ?
Les MICI sont des maladies complexes qui résultent de l’interaction de facteurs génétiques et environnementaux. Plusieurs mutations génétiques ont été associées aux MICI.
Leur recherche ne présente à ce jour aucun intérêt clinique. L’arrêt du tabac (ou sa non consommation) est une mesure de santé générale qu’il faut préconiser dans toutes les familles d’autant plus qu’il existe un patient atteint de MC dans la famille.
* Registre des Maladies Inflammatoires Chroniques de l’Intestin (EPIMAD), service d’épidémiologie et de santé publique, Hôpital Calmette et service d’hépato-gastroentérologie, Hôpital Huriez, CH et U Lille, France. Tirés-à-part : Professeur Jean-Frédéric COLOMBEL, même adresse. Article reçu le 1er décembe 2006, accepté le 22 janvier 2007.
Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 6, 1105-1123, séance du 26 juin 2007