Résumé
Nous décrivons notre expérience de l’utilisation quasi exclusive d’endoprothèses confectionnées sur mesure par le chirurgien et le radiologue à partir de composants disponibles dans le commerce, pour le traitement endovasculaire (TE) des anévrysmes aorto-iliaques (AAI). De janvier 1996 à décembre 1999, 188 AAI ont été traités. La confection sur mesure et l’utilisation d’endoprothèses tubulaires, bifurquées, dégressives et/ou occlusives, éventuellement associées à des revascularisations extra-anatomiques, a augmenté le taux de traitement endovasculaire (TE) des AAI dans cette série. Ce taux a encore été augmenté d’une part en utilisant des stents proximaux ou distaux non couverts, lorsque les collets anévrysmaux étaient courts ou sinueux à proximité de branches collatérales majeures et d’autre part en utilisant des endoprothèses hybrides, c’est-à-dire munies d’une extrémité dépourvue de stents et permettant une anastomose chirurgicale classique. La confection sur mesure des endoprothèses augmente considérablement la faisabilité du TE des AAI dans une population de patients non sélectionnés tout en offrant une efficacité et une sécurité suffisantes pour autoriser la poursuite de cette expérience.
Summary
We describe here our preliminary experience with the almost exclusive use of a range of made to measure stent-grafts home-made from commercially available components. From January 1996 to December 1999, 188 aortoiliac aneurysms (AIA) were treated with stent-grafts that were home-made to measure using Z autoexpandable stainless steel stents connected with polyester sutures and covered with commercially available polyester vascular prostheses. These stent-grafts were implanted through 18 to 24 (typically 20) Fr. commercially available introducers via a surgical remote access. Made to measure tubular, bifurcated, tapered, and/or blind stents combined with extra-anatomic bypass designs increased the rate of endovascular treatment (ET) of AIA in this series. This rate was further increased through the use of uncovered proximal or distal stents when dealing with short or tortuous necks near major side branches and through use of hybrid, partly surgical designs, one with stented and the other with stentless ends, the latter allowing for a surgically made anastomosis. The results of our experience with these techniques show that use of home-made to measure stent-grafts greatly increases the feasibility of the ET of AIA among unselected patients while offering enough efficiency and safety to deserve further investigation. Future perspectives are discussed.
Endoprothèses artisanales sur mesure pour le traitement endovasculaire des anévrysmes aorto-iliaques :
aspects actuels et perspectives
Current and Future Role of Home-Made Devices for Endoluminal Treatment of AAA
Fabien KOSKAS *, Philippe CLUZEL*, Edouard KIEFFER, Christophe CAMIADE, Jean Dominique SINGLAND, Michèle BERTRAND**, Amélie LIOU***, Marie-Hélène FIÉVET***
Stent. Acier inoxydable. Conception prothèse.
Lauréat du Prix Delannoy Robbe 2000.
Services de chirurgie vasculaire, * Radiologie, **Anesthésie et *** Pharmacie, CHU Pitié-
Salpêtrière, 47 Bld de l’Hôpital — 75651 Paris cedex 13, France. Tél. 01 42 17 81 30 — Fax 01 42 17 82 12 — Email fabien.koskas@psl.ap-hop-paris.fr Tirés à part : Professeur Fabien Koskas, à l’adresse ci-dessus.
Article reçu le 1er août 2001, accepté le 14 janvier 2002.
INTRODUCTION
Depuis son introduction par Parodi et al . [1], le traitement endovasculaire (TE) des anévrysmes aorto-iliaques (AAI) a largement suscité l’intérêt des praticiens [2-5].
De nombreuses questions demeurent cependant, quant à l’efficacité à long terme de ce traitement, sa disponibilité en pratique clinique et sa faisabilité pour les patients non sélectionnés. Avec les endoprothèses toutes faites de production industrielle, le taux de faisabilité n’a pas dépassé 30 % chez les patients non sélectionnés porteurs d’un anévrysme [6], cette faisabilité dépendant largement de la morphologie de l’anévrysme [7]. Les dimensions de l’anévrysme correspondent rarement aux dimensions standard des implants disponibles. Avec les endoprothèses toutes faites, il n’est pas possible de modifier la morphologie de l’implant pour l’adapter à l’anévrysme traité. La seule alternative est d’emboîter plusieurs endoprothèses jusqu’à obtenir la forme recherchée. Cette solution est complexe et coûteuse et peut être source de complications comme les endofuites précoces ou tardives entre les endoprothèses.
En utilisant des composants simples, commercialisés, nous avons développé une méthode destinée à fabriquer une gamme (Fig. 1 et 2) d’endoprothèses sur mesure, de façon à traiter la plupart des AAI non sélectionnés qui nous étaient adressés pour être opérés [8].
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Malades et critères d’inclusion
De janvier 1996 à juin 1999, chacun des 472 cas d’AAI non sélectionnés qui nous ont été adressés a été évalué par angioscanner et aortographie graduée, afin de déterminer si le TE était possible. Lorsque c’était le cas, un choix parfaitement éclairé entre chirurgie conventionnelle et TE a toujours été proposé au patient. Dans quatre cas seulement, le patient a refusé le TE ; dans les 188 cas qui constituent la population de cette étude, le TE a été préféré par le patient.
Dans le tableau 1 figurent les critères d’inclusion.
Méthodes utilisées pour la fabrication des endoprothèses
Les endoprothèses étaient constituées d’un squelette métallique recouvert d’une enveloppe de polyester standard commercialisé pour utilisation en chirurgie vasculaire ouverte. Le squelette métallique était obtenu en assemblant des stents cylindriques en Z autoexpansibles en acier inoxydable. La longueur et la forme de l’endoprothèse ont été soigneusement adaptées à la morphologie de l’anévrysme traité, afin d’assurer une stabilité longitudinale au système après implantation. Selon les cas, il nous a fallu de 1 à 4 heures pour fabriquer une endoprothèse. Les endoprothèses étaient stérilisées extemporanément, selon la norme EN 554 avec un cycle validé puis elles étaient chargées dans l’introducteur lors de l’implantation, par traction dans un entonnoir puis poussées dans l’introducteur.
Adaptation de l’endoprothèse à chaque cas
C’est l’angioscanner qui nous a permis de mesurer précisément les diamètres aorto-iliaques. Au minimum, le diamètre externe du vaisseau au niveau des collets proximal et distal était pris comme référence pour définir le diamètre de l’endoprothèse à construire. Dans la plupart des cas, les diamètres intermédiaires ont également été pris en compte pour que l’endoprothèse s’adapte parfaitement à la cavité à combler, augmentant ainsi sa stabilité longitudinale et de façon à réduire l’espace mort entre l’endoprothèse et les parois de l’anévrysme.
Indications et techniques d’implantation
Tout a été mis en œuvre pour que la procédure d’implantation reste simple. C’est pourquoi, nous avons préféré l’association d’une endoprothèse aorto-iliaque dégressive à un pontage fémoral croisé à l’endoprothèse bifurquée.
Fig. 1. — Types d’endoprothèses : voir le texte pour les détails.
Fig. 2. — Types d’endoprothèses : voir le texte pour les détails.
Tableau 1. — Critères d’inclusion actuels Critères d’inclusion Collet proximal (pour tous types d’endoprothèses) Longueur > 15 mm Collet aortique distal (endoprothèses tubulaires) Longueur > 15 mm Collet de l’iliaque primitive (endoprothèses aortomonoiliaques et bifurquées) Longueur > 5 mm Artère iliaque primitive (endoprothèses hybrides) Longueur de l’iliaque commune > 30 mm Iliaque commune non calcifiée Absence de réaction inflammatoire sur l’iliaque commune Artère iliaque primitive (tous types d’endoprothèses sauf hybrides) Diamètre interne >5.5 mm Angulation < 100° Critères généraux Suivi possible Consentement éclairé Endoprothèses tubulaires (Fig. 1A)
Les indications d’endoprothèses tubulaires ont été assez rares dans cette série, car nous avons réservé cette technique aux seuls patients dont les collets aortiques distal et proximal étaient suffisamment longs. Cependant, malgré cela, les endoprothèses tubulaires représentent la technique la moins vulnérante pour les patients à haut risque. La réalisation sur mesure permet de disposer d’implants parfaitement adaptés en longueur et en diamètre, ce qui est très rarement possible avec les endoprothèses tubulaires industrielles.
Endoprothèses avec un stent non couvert dans la partie viscérale de l’aorte (Fig. 1B)
Nous avons constaté que les patients porteurs d’un anévrysme sous-rénal mais avec un collet proximal court, sinueux ou en goulot de bouteille, avaient un risque de glissement distal de l’endoprothèse lors de son déploiement. Ce risque était d’autant plus élevé qu’il existait une angulation importante associée. Dans ces cas précis, nous avons fixé un stent non couvert à l’extrémité proximale de l’endoprothèse. Ce stent non couvert était déployé dans le segment aortique donnant naissance aux artères viscérales, ancrant ainsi longitudinalement le reste de l’endoprothèse.
Endoprothèses bifurquées (Fig. 1C)
Bien que réalisables avec cette technique, les endoprothèses bifurquées ont été rarement utilisées dans cette série afin de privilégier la simplicité du système et sa robustesse à long terme. Nous avons donc plus souvent opté pour des prothèses aortomonoiliaques dégressives lorsque nous nous adressions à des anévrysmes aortiques dont le collet distal n’était pas suffisamment long.
Endoprothèses aortomonoiliaques dégressives (Fig. 2A)
Elles ont été complétées par un pontage croisé fémoral ou iliaque, ce qui est souvent plus facile que la mise en œuvre de techniques endoluminales complexes pour confectionner une bifurcation.
Endoprothèses hybrides (Fig. 2B)
Chez beaucoup de malades le collet proximal est suffisamment long pour retenir la partie aortique d’une endoprothèse mais des lésions iliaques anévrysmales ou occlusives sont trop sévères pour une endoprothèse. C’est pour ces situations que nous avons conçu les endoprothèses hybrides. Les parties aortique et iliaque proximale de la prothèse étaient soutenues avec des stents tandis que la partie distale ne l’était pas, consistant en une simple prothèse vasculaire de polyester disponible pour une anastomose chirurgicale.
Endoprothèses occlusives et obturateurs (Fig. 2C)
Selon les mêmes techniques, des endoprothèses occlusives de toutes formes peuvent être faites par fermeture de l’une ou des deux de leurs extrémités. L’objectif de ce type d’endoprothèses occlusives a été d’empêcher la revascularisation de l’ané- vrysme par le pontage fémoral croisé lors de l’utilisation d’endoprothèses aortomonoiliaques dégressives. Dans un petit groupe de patients constituant un risque trop élevé pour la chirurgie ouverte conventionnelle, l’endoprothèse occlusive s’est révé- lée utile lorsque le collet proximal de l’anévrysme était trop court ou anguleux ou trop altéré pour que l’on puisse espérer que l’endoprothèse reste perméable, sans toutefois empêcher un bon contact de l’endoprothèse avec ce collet. Dans ces cas, l’anévrysme était exclu par une endoprothèse occlusive après revascularisation par un pontage axillobifémoral.
Suivi et surveillance
Beaucoup de nos patients auraient pu sortir de l’hôpital le lendemain ou le surlendemain de l’intervention, mais par principe nous les avons hospitalisés au moins 24 heures aux soins intensifs et jusqu’au 5e jour postopératoire. Tous les malades ont
Fig. 3. — Évolution du diamètre maximum transversal de l’anévrysme traité selon notre méthode en comparaison à sa valeur préopératoire chez les 63 patients de la série qui ont eu un angioscanner avec la même machine pour toutes les mesures. Il est à noter que seulement dans quatre cas (6,3 %) la valeur postopératoire n’est pas réduite par rapport à la référence préopératoire. Ces quatre cas ne présentaient pas d’endofuite visible et leur valeur a diminué par la suite après la première évaluation postopératoire.
Tableau 2. — Types d’endoprothèses utilisées au cours de la première partie de l’étude (janvier 1996 à juin 1997) Type d’endoprothèse N Tubulaire 5 Bifurquée 5 Aortomonoiliaque + pontage interfémoral croisé 2 Idem hybride 1 Occlusive + pontage axillobifémoral 1 Total 14 été contrôlés avant la sortie par angioscanner et écho-doppler. Ces examens ont été répétés après 6 mois, puis chaque année. Un bon résultat correspondait à une évolution sans complication majeure, avec exclusion complète de l’anévrysme, bonne perméabilité du montage, absence d’endofuite, absence d’accroissement du sac anévrysmal et bonne perfusion distale.
RÉSULTATS
Premiers mois de l’étude (courbe d’apprentissage)
Nos résultats témoignent typiquement du phénomène d’apprentissage. Au cours de la première partie de l’étude, de janvier 1996 à juin 1997, le nombre des TE effectués (14 cas [8,6 %]) était restreint en comparaison de celui des interventions conventionnelles (148 cas [91,4 %]). Le tableau 2 donne une description des types d’endoprothèses utilisées au cours de cette période.
Plusieurs facteurs ont fait que les résultats de cette première série ont été décevants.
Le tissu de polyester était trop épais, ce qui obligeait à utiliser un introducteur de 24 Fr. Les étapes techniques de la construction des endoprothèses avaient besoin d’être améliorées. La plupart d’entre nous, chirurgiens et radiologues interventionnels, devait apprendre à maîtriser la technique d’implantation et à sélectionner les indications.
De ces 14 cas, seulement 7 (50 %) ont gardé un bon résultat jusqu’à présent. Le tableau 3 énumère les causes d’échec durant cette phase d’apprentissage.
Partie actuelle de l’étude
A partir de juin 1997, nous avons utilisé un polyester non crêpé plus fin, ce qui nous a permis de réduire le calibre de l’introducteur. Nous avons privilégié les procédés les plus simples, préférant notamment les endoprothèses aortomonoiliaques dégressives aux endoprothèses bifurquées. De même, le savoir-faire technique était acquis par l’ensemble de l’équipe. Les indications étaient mieux posées et la proportion de malades « compassionnels » a diminué pour devenir homogène à celle de notre population habituelle d’opérés.
Le recours au TE a progressivement augmenté comme l’indique le tableau 4. Le tableau 5 résume notre expérience du TE de juillet 1997 à décembre 1999, tandis que les tableaux 6, 7, 8 et 9 donnent respectivement nos résultats immédiats, précoces et tardifs de juillet 1997 à décembre 1999, avec un suivi moyen de 21 mois.
DISCUSSION
Notre taux actuel de bons résultats immédiats et à distance après endoprothèse artisanale sur mesure est au moins comparable à celui obtenu avec les endoprothèses industrielles de dernière génération dans une population sélectionnée [9]. Le taux de conversion chirurgicale, d’endofuite et des autres complications est suffisamment bas pour mériter la poursuite de l’évaluation. Le taux de faisabilité au sein d’une population non sélectionnée de plus de 75 %, est à notre connaissance le plus élevé de la littérature. Même les cas dont les collets sont non cylindriques deviennent
Tableau 3.— Résumé des résultats de la première partie de l’étude (janvier 1996 à juin 1997) Résultats N Bons à ce jour 7 Conversion chirurgicale 4 Endofuite 1 Complication majeure 2 Total 14 Tableau 4. — Taux de TE au cours de l’étude.
Période d’étude Nombre d’AAA Traitement endovasculaire N N % Janvier à juin 96 64 3 4,7 Juillet à décembre 96 46 9 19,6 1996 110 12 10,9 Janvier à juin 97 52 2 3,8 Juillet à décembre 97 51 25 49,0 1997 103 27 26,2 Janvier à juin 98 72 55 76,4 Juillet à décembre 98 70 34 48,6 1998 142 89 62,7 Janvier à juin 99 51 38 74,5 Juillet à décembre 99 66 22 33,3 1999 117 60 51,3 Tableau 5. — Résumé des TE de la partie actuelle de l’étude (juillet 1997 à décembre 1999).
Type d’endoprothèse N % Tubulaire 29 16,7 Aortomonoiliaque + pontage fémoral croisé 108 62,1 Idem hybride 36 20,7 Occlusive + pontage axillobifémoral 1 0,6 Total 174 100
Tableau 6. — Données techniques et résultats immédiats pour la partie actuelle de l’étude (juillet 1997 à décembre 1999).
N % Données techniques
Forme ou taille non standard 140 80,5 Stent proximal non couvert 45 25,9 Résultat immédiat
Conversion chirurgicale complète 5 2,9 Conversion partielle 3 1,7 Total 174 100 Tableau 7. — Résultats précoces du TE pour la partie actuelle de l’étude (juillet 1997 à décembre 1999).
Résultats précoces N % Décès 4 2,3 Cardiaque 3 1,7 Pulmonaire 1 0,6 Complications non mortelles 9 5,2 Thrombose de l’endoprothèse 3 1,7 Thrombose d’une collatérale majeure 4 2,3 Hématome pelvien 1 0,6 Phlébite iliaque 1 0,6 Endofuites primaires 20 11,5 Périprothétique 7 4,0 A partir d’une collatérale 13 7,5 Total 174 100 Tableau 8. — Résultats tardifs (suivi moyen = 21 mois) du TE pour la partie actuelle de l’étude (juillet 1997 à décembre 1999).
Résultats tardifs N % Décès 7 4,0 Fistule aorto-duodénale 1 0,6 Cardiaque 2 1,1 Cancer 3 1,7 Autre 1 0,6 Autres complications 6 3,4 Claudication 4 2,3 Compression urétérale 1 0,6 Plicature de l’endoprothèse 1 0,6 Total 174 100
Tableau 9. — Endofuites (suivi moyen = 21 mois) après TE pour la partie actuelle de l’étude (juillet 1997 à décembre 1999). Le résumé des endofuites précoces est donné tableau 7.
Endofuites N % Endofuites tardives 5 2,9 Périprothétique 2 1,1 A partir d’une collatérale 2 1,1 Recanalisation de ligature iliaque 1 0,6 Devenir des endofuites*
25 14,4 Thrombose spontanée 7 4,0 Embolisation percutanée 6 3,4 Deuxième endoprothèse sur mesure 2 1,1 Toujours présente 7 4,0 Conversion chirurgicale partielle 1 0,6 Conversion chirurgicale totale 2 1,1 Total 174 100 * y compris les endofuites précoces accessibles au TE. La méthode permet de mieux combler l’espace mort anévrysmal périendoprothétique. De plus, les anévrysmes aortoiliaques peuvent bénéficier du TE, même sans sacrifice des hypogastriques grâce aux endoprothèses hybrides. Nos résultats ont été obtenus en utilisant des composants simples, disponibles sur le marché français. Une endoprothèse parfaitement adaptée peut être disponible en deux à cinq heures même en utilisant des composants non conçus pour une telle utilisation. Il nous a fallu modifier les stents et les réassembler selon un procédé non spécifique du cas traité. Cette étape non spécifique d’un malade donné, prenait d’une demi-heure à deux heures. Les industriels auraient pu mettre à notre disposition des chaînes endosquelettiques de stents, ce qui aurait permis de diminuer les temps de fabrication spécifique par le chirurgien. Un pas, limité mais significatif, a récemment été fait dans cette direction avec le marquage CE d’une version spécifiquement aortique du composant principal des endoprothèses, à savoir le stent en Z de Gianturco.
La pratique des endoprothèses fabriquées de façon artisanale est celle qui s’apparente le plus aux habitudes des chirurgiens vasculaires qui taillent les prothèses vasculaires pour les adapter à leurs malades. En chirurgie classique, la prothèse est presque toujours adaptée par le chirurgien, pour convenir à un cas donné. L’industrie devrait fournir un moyen de faire de même pour les endoprothèses. A ce jour, la fabrication artisanale est la seule façon pour le chirurgien de parfaitement adapter une endoprothèse à un cas donné. Les solutions alternatives comme l’intubation de plusieurs modules endoprothétiques l’un dans l’autre sont coûteuses, complexes et présentent un risque réel de fuite immédiate ou retardée entre les différents modules,
Tableau 10. — Contribution technique à la faisabilité du TE dans la partie actuelle de l’étude (juillet 1997 à décembre 1999).
Contribution technique N % Endoprothèses de forme et taille standards 33 18,9 Adjonction d’un stent proximal non couvert 45 25,9 Endoprothèses de taille et/ou forme non standards 141 81,0 Endoprothèses hybrides 36 20,7 Total 174 146,6*
* Dans plusieurs cas, la faisabilité a été assurée en utilisant plusieurs techniques associées.
surtout si l’on tient compte de l’évolution morphologique du complexe endoprothèse-anévrysme avec le temps.
Les questions qui restent posées pour le TE des AAI ne concernent plus sa faisabilité dans des cas bien sélectionnés ni ses résultats à court terme, mais sa faisabilité chez les patients non sélectionnés, surtout s’ils sont à haut risque chirurgical, et la durabilité des résultats. Selon nous, la fabrication artisanale sur mesure est la meilleure réponse à la question de la faisabilité chez les patients non sélectionnés. Le tableau 10 quantifie l’impact des artifices techniques qui ont contribué à élever notre taux de faisabilité. Bien que l’adjonction d’un stent proximal non couvert (25,9 %) ou l’utilisation d’endoprothèses hybrides (20,7 %) ait été utile, c’est la possibilité d’adapter la taille et la forme des endoprothèses qui a le plus augmenté notre taux de faisabilité, puisque seulement 19 % de nos cas nécessitaient un implant de forme et de taille disponibles dans les gammes d’endoprothèses industrielles commercialisées dans notre pays. Ce taux de 19 % concorde avec ce qui est donné par les études objectives citées plus haut. Dans tous les autres cas, la forme et la taille de l’implant étaient absentes des gammes d’endoprothèses industrielles commercialisées dans notre pays.
Le TE des anévrysmes comporte avant tout deux catégories de risques d’échec à long terme. Dans la première catégorie, entrent les risques qui ne dépendent pas du dispositif utilisé, comme les endofuites provenant des branches collatérales. La Figure 3 montre l’évolution du diamètre maximum de l’anévrysme traité après TE selon notre méthode, comparé à la dimension préopératoire pour les 63 patients de la série qui ont été évalués par angioscanner. Dans quatre cas seulement (6,3 %), les mesures postopératoires n’étaient pas inférieures aux mesures préopératoires. Ces quatre patients ne présentaient pas d’endofuite visible et leurs dimensions ont commencé à diminuer après le premier contrôle postopératoire. Un AAI exclu par endoprothèse devrait guérir par rétraction de la paroi anévrysmale autour de l’implant. Un tel résultat est évidemment plus facile à obtenir en l’absence d’endofuite. Il est possible que l’adaptation très précise de l’endoprothèse sur mesure à la cavité anévrysmale, aide à diminuer l’espace mort autour de l’endopro-
thèse et contribue à prévenir les endofuites. La majorité des endofuites de notre série provenait de branches collatérales. Même dans les quelques cas d’endofuites périprothétiques, le défaut de contact entre le collet de l’anévrysme et celui de l’endoprothèse était dû à des difficultés d’ordre géométrique comme celles liées à des calcifications et il s’est colmaté par thrombose dans la plupart des cas. La réalisation artisanale permet une adaptation optimale du collet de l’endoprothèse à celui de l’anévrysme, non seulement si ce dernier est cylindrique mais également s’il est conique, en forme de goulot de bouteille ou en forme de tonneau.
Dans la seconde catégorie des risques d’échec à long terme, entrent ceux qui sont spécifiques du dispositif utilisé. Ces risques dispositifs-dépendants comme la déconnexion des éléments modulaires et le déchirement ou l’usure de l’étoffe ont nourri la discussion du TE des anévrysmes depuis le début [9]. Nos résultats ont été obtenus avec des matériaux conventionnels qui ont largement fait leurs preuves en chirurgie ouverte. L’enveloppe de polyester de 0,3 mm des endoprothèses est, à l’absence de cosselage près, celle que nous utilisons en chirurgie conventionnelle ouverte. Aucune concession sur les matériaux n’a été faite pour diminuer la taille des introducteurs.
Ce choix s’oppose à l’utilisation répandue de tissus plus fins pour la construction d’endoprothèses industrielles de dernière génération. Bien que les caractéristiques biomécaniques des endoprothèses restent à décrire, nous savons que ces dispositifs sont soumis à des contraintes plus importantes que celles subies par les prothèses utilisées en chirurgie ouverte. Opter pour des tissus plus fins nous semble être une aventure périlleuse [10]. En suivant le même raisonnement conservateur, nous avons choisi des stents en acier inoxydable plutôt qu’en nitinol, nous avons utilisé des fils de gros calibre, nous avons diminué le nombre d’agressions envers le tissu lors de la fixation des stents et nous avons exclu l’utilisation d’une machine à coudre pour la confection de l’implant. Tous ces choix nous ont permis d’obtenir un dispositif parfaitement ajustable au cas traité et une prothèse que l’on peut, si nécessaire, clamper, tailler et suturer après mise en place, comme cela a été démontré dans quelques cas de conversion chirurgicale partielle. De telles conversions chirurgicales partielles sont inenvisageables avec le fin tissu des endoprothèses industrielles de dernière génération. Même avec ces choix techniques conservateurs, le calibre des introducteurs utilisés est resté compétitif avec celui des dispositifs de dernière génération. Notre choix des endoprothèses aortomonoiliaques plutôt que bifurquées est plus important encore. En pratique, les endoprothèses bifurquées, qu’elles soient modulaires ou mono-corps, sont assez faciles à fabriquer alors que les dimensions nécessaires correspondent rarement à la gamme de prothèses bifurquées disponibles sur le marché. Les raisons de notre choix sont les suivantes : les gestes nécessaires au déploiement d’une endoprothèse aortomonoiliaque sont plus simples que pour un implant bifurqué ; les endoprothèses bifurquées peuvent s’avérer difficiles à déployer dans des dispositions anatomiques asymétriques qui sont le cas le plus fréquent en pratique ; dans ces cas, il est souvent difficile d’éviter des plicatures d’un jambage, immédiates ou à distance ; le pontage fémoral croisé est facile et rapide à réaliser ; il est fiable et donne d’excellents résultats à long terme en
pathologie anévrysmale ; si l’on veut garder un introducteur de calibre raisonnable, les endoprothèses bifurquées présentent des jambages fins et longs, ce qui augmente l’espace mort autour de la prothèse ; les points de jonction sont susceptibles de se disjoindre non seulement immédiatement mais aussi plus tard, quand l’anatomie de l’anévrysme évolue.
La fabrication sur site a été critiquée car elle demande que la stérilisation du dispositif soit réalisée à l’hôpital. Notre réponse est que si la stérilisation est conforme aux normes en vigueur (EN554 dans notre cas) et aux instructions des fournisseurs des différents composants, elle est d’efficacité équivalente à celle des systèmes industriels. Le fait que nous n’ayons enregistré aucun cas d’infection de l’implant malgré l’inclusion de nombreux malades à risque d’infection et malgré l’utilisation très fréquente d’un abord fémoral valide notre choix. La fabrication artisanale a été critiquée car elle pourrait entraîner des dégradations invisibles responsables d’une fatigue du système à long terme mais cela est vrai pour les prothèses de chirurgie classique. Nous avons demandé à nos fournisseurs de tester les composants qui avaient été utilisés pour fabrication artisanale, stérilisés et déployés plusieurs fois in vitro . L’ensemble du processus n’a modifié ni la structure microscopique ni les caractéristiques mécaniques des composants.
Depuis le début, le TE des anévrysmes a eu comme objectif de diminuer la morbidité et la mortalité. Cela est d’autant plus important chez les patients à haut risque.
Jusqu’à présent, le bénéfice du TE n’a jamais été démontré de façon formelle, que ce soit en général ou surtout chez les patients à haut risque chirurgical [11]. En l’absence d’études randomisées, nous ne pouvons pas apporter la preuve que le TE à l’aide d’endoprothèses artisanales sur mesure est moins vulnérant que la chirurgie classique. Cependant un travail indépendant provenant de notre service d’anesthé- sie, résumé dans le Tableau 11, montre une tendance significative : 94 de nos endoprothèses consécutives ont été comparées à 104 interventions classiques consé- cutives avec une diminution significative de la morbidité après utilisation de ces endoprothèses. Nos résultats rendent pertinente la réalisation d’une étude randomisée prospective, au moins chez les patients à haut risque.
La méthode encore primitive utilisée au cours de la présente étude pour la fabrication des endoprothèses a rendu cette tâche fastidieuse. Il y a deux directions possibles pour garder les avantages de la fabrication artisanale tout en diminuant la surcharge de travail qu’elle entraîne pour le praticien. La première est une fabrication extemporanée des endoprothèses par les industriels selon des plans et instructions donnés par le praticien pour chaque cas traité. Cette solution est idéale mais vraisemblablement peu profitable pour l’industriel si le coût de l’implant reste raisonnable. Dans notre expérience, le coût moyen d’une endoprothèse artisanale était en moyenne inférieur de 50 % à celui de l’endoprothèse industrielle la moins chère du marché français. L’autre solution est la commercialisation de kits faciles à utiliser, qui pourraient réduire le temps de fabrication à moins d’une heure. Cette réduction pourrait permettre de traiter de nombreuses urgences. De même, certaines équipes pourraient décider d’une construction stérile extemporanée de l’implant et
Tableau 11. — Comparaison de la morbidité précoce après 94 endoprothèses sur mesure consécutives et de celle après 104 interventions chirurgicales conventionnelles consécutives avec une morbidité significativement moins élevée après traitement endoprothétique.
Comparaison des morbidités précoces Chirurgie p< TE N 104 96 Saignement (ml) 1900 fi 1900 0,05 795 fi 1400 Durée d’intervention (h) 3.1 fi 1.3 0,05 2,6 fi 1.1 Culots globulaires (U) 6.3 fi 6.9 0,05 2,6 fi 4.4 Délai d’extubation (h) 3.5 fi 5,8 2,8 fi 3.6 Séjour en USI (h) 40 fi 27 0,05 25 fi 18 Durée d’hospitalisation (j) 14 fi 11 0,05 10 fi 16 Complications pulmonaires (n / %) 18 (17) 0,01 3 (3) Insuffisance respiratoire aiguë (n / %) 8 (8) 0,05 0 Complications cardiaques (n / %) 2 (2) 3 (3) Insuffisance rénale (n / %) 13 (13) 0,05 4 (4) Réintervention (n/ %) 13 (13) 0,05 4 (4) Décès (n/ %) 4 (4) 1 (1) s’affranchir ainsi de la phase de stérilisation par l’établissement. Nous sommes convaincus que la fabrication sur mesure ne représente pas le passé mais bien l’avenir du traitement endoprothétique des AAI.
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DISCUSSION
M. Jean NATALI
Quelle est la réglementation actuelle pour l’utilisation de ces dispositifs composites ?
Notre travail s’inscrit dans le cadre fixé par le guide d’application du 17 novembre 1998 des textes réglementaires relatifs au marquage CE pour la mise sur le marché et la mise en service des dispositifs médicaux fabriqués sur mesure. Cependant, même dans le domaine d’une étude clinique qui relève de la loi Huriet, l’avis favorable de l’Agence française pour la sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) est indispensable. Pour des raisons d’équité vis-à-vis des producteurs d’implants, l’AFSSAPS impose aux praticiens constructeurs un règlement équivalent à celui qu’elle impose aux constructeurs industriels.
M. Claude-Henri CHOUARD
Dans le faible coût de votre prothèse, au regard de celui des prothèses industrielles, vous ne faites pas entrer le coût des salariés, de votre équipe par exemple. Lorsque d’autres équipes mettront en place votre appareillage, il faudra financer les laboratoires qui, dans chaque service, permettront de façonner à la demande vos stents. Quel en sera le financement ?
Pour l’instant, le service rendu au malade doit être démontré aux autorités de tutelle. Une telle démonstration faite, il ne devrait pas y avoir d’obstacle, au moins théorique, à valoriser ce service médical rendu dans le cadre de la nomenclature, pour la construction par le praticien lui même et par attribution de tarifs pour la construction par des auxiliaires prothésistes travaillant sous responsabilité médicale, comme dans d’autres domaines de l’implantologie.
Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 2, 393-408, séance du 12 février 2002