Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Perpétuel, les membres du bureau, Mes chers confrères, Madame, Mesdames et Messieurs de la famille du Professeur CyrVoisin, Mesdames et Messieurs,
Nous voici réunis pour une cérémonie traditionnelle de notre Académie, par laquelle sa communauté réunie, rend hommage à l’un des siens disparu.
Un hommage, qui pourrait paraître à certains suranné, voire inutile, alors qu’il pérennise un rituel de grande importance.
Il constitue d’abord un légitime devoir de reconnaissance envers un confrère qui, des années durant, a œuvré bénévolement pour l’entreprise collective que sont les travaux de notre Académie.
Il rappelle ensuite la trame d’une vie, avant que son souvenir, comme il en ira pour nous tous, ne s’enfonce dans la nuit de l’oubli. Cet oubli qui nous suit, écrit Chateaubriand, cet invincible silence qui s’empare de notre tombe. Nous nous rencontrons ici le mardi, nous échangeons des propos, mais nous ignorons souvent le long cheminement individuel d’un confrère, qui l’a édifié tel qu’il fut.
Ce rituel, enfin satisfait un devoir de mémoire pour les chercheurs, de plus en plus nombreux, qui font et feront appel à nos archives. Quelle que soit leur approche de l’Histoire de la Médecine, ils trouvent dans notre bibliothèque les documents nécessaires à leur recherche.
Vous présenter cet hommage à Cyr Voisin m’honore, car derrière sa modestie et sa discrétion proches de l’humilité, il fut un très grand de la médecine française et de notre Compagnie. Il fut aussi un pionnier de la médecine médico-sociale telle que nous la concevons aujourd’hui.
Autant qu’il m’honore, cet hommage m’émeut. Cyr Voisin fut successivement mon enseignant, mon juge de jury d’agrégation, mon collègue du Conseil National des Universités, mon confrère et voisin dans notre Académie, mon ami enfin, que je tenais en haute estime et admiration.
Ainsi, ne limiterai-je pas mon propos à ses six cent publications scientifiques, un exercice souvent fastidieux qui ne reflète pas toujours la personnalité et la carrière d’un confrère décédé. Il m’a semblé au contraire, que pénétrer au profond de la vie et de l’œuvre de Cyr Voisin, nécessitait de considérer d’où il était issu et vers quoi il est allé, c’est à dire se situer à deux périodes clés de sa vie.
Cyr Voisin est né le 1er mai 1926 à Barlin dans le Pas de Calais. Il a cinq ans lorsque son père Augustin, boiseur dans les avancées de taille minière, décède d’une pneumonie, laissant son épouse Maria, institutrice puis directrice d’école, seule avec quatre enfants. Cyr est le troisième d’une fratrie, dont les trois sœurs, empêchées de venir de Rouen et nous priant d’excuser leur absence aujourd’hui, ont tenu à me préciser qu’ils formaient ensemble une famille très unie.
Maria Voisin est une mère-courage, qui malgré les grandes difficultés matérielles de son temps, élève remarquablement ses enfants, dans un quartier de mineurs de charbon du Bassin Nord-Pas de Calais. Ce sont pour beaucoup des immigrés polonais et Cyr à la sortie de l’école joue familièrement avec leurs enfants. Au moment de l’entrée en sixième, il est admis au collège d’Arras et poursuivra en qualité d’interne au lycée de Béthune.
Mais voici juin 1940. L’invasion allemande chasse la famille Voisin à bicyclette, sur les routes de la débâcle, avant qu’elle ne s’installe à Mesnil les Ruiz puis à Sains-en-Gohelle. C’est la guerre, les lycéens sont mal nourris, souffrent du froid, la toilette du matin est difficile. Dans de telles conditions matérielles et psychologiques, on imagine aisément comment la jeunesse de guerre d’un orphelin de père, sera pour la vie de notre confrère, une école de sublimation des vertus de courage et de rigueur.
Le jour du baccalauréat, les allemands alarmés par l’attroupement de jeunes candidats pourtant inoffensifs, empêchent le début des épreuves, elles commenceront le surlendemain.
Le baccalauréat acquis, Cyr s’inscrit à la Faculté de médecine de Lille, réussit le concours de l’internat des hôpitaux en 1951.Carrière brillante ensuite, médicat des hôpitaux en 1960, chaire de pneumo-phtisiologie en 1968, chefferie de laboratoire à l’Institut Pasteur de Lille en 1974.
Mille neuf cent quarante-cinq. La seconde date-clé pour comprendre la vie et l’œuvre de Cyr Voisin se situe au lendemain de la seconde guerre mondiale.
L’Allemagne nazie est vaincue. La France est victorieuse certes, mais en piètre état. En beaucoup de domaines et particulièrement celui de l’industrie, elle est exsangue. Tout est à reconstruire, particulièrement dans le Nord-Pas de Calais qui, géographiquement, a beaucoup souffert de la guerre. Tout est à relancer, mais où puiser l’énergie qui manque ? On est loin du nucléaire, l’hydraulique est insuffisante et aux mineurs de charbon, les gouvernants de l’époque adressent une nouvelle fois ce message : « La France a besoin de vous, c’est votre travail qui va la ressusciter ! ».
Les mineurs du Nord-Pas de Calais, le plus important bassin de Frances répondent présents. Les « gueules noires » gagnent la bataille du charbon. Cela ne les préservera pas, en 1948, d’être chargés sévèrement par les gardes mobiles lorsqu’ils demanderont une augmentation de salaire (9000 licenciements et des peines de prison fermes). Du charbon, ils en extraient, toujours plus, mais pour nombre d’entre eux, au détriment de leur santé. Ils paieront un lourd tribut aux maladies professionnelles, silicose, silico-tuberculose, insuffisance respiratoire. Personnellement, petit-fils, comme Gilles Crépin, de mineur de charbon, j’ai voulu voir leurs conditions de travail et je suis descendu à 1500 mètres, au fond d’un puits par la benne métallique branlante et bruyante.
Et j’ai vu. J’ai vu les causes de ces handicaps du souffle et des radiographies thoraciques parsemées de micro, macro nodules et pseudo-tumeurs.
Ici, je rends justice à un modeste médecin du dispensaire d’Alès, le Dr Jean Magnin qu’a ignoré l’Histoire de la Médecine. Informé par la conférence d’un médecin des mines d’Afrique du Sud, il ferrailla longuement, malgré les sarcasmes, avec le Pr Noël Rist, pour faire admettre, le premier en France, que ces masses pulmonaires n’étaient pas tuberculeuses, mais imputables à la profession et donc indemnisables.
Comment Cyr Voisin, dont le père était mort mineur de charbon et qui, enfant, avait joué dans les corons avec des amis, aurait-il pu, devenu professeur de pneumologie, ignorer ces amis devenus malades des poumons ? Il sera le grand patron de médecine, qui veille sur eux et met à leur service ses qualités de générosité.
Médecin parfaitement médecin, il s’adonnera à sa triple responsabilité de soignant, de chercheur des causes des maladies et leader de médecine sociale, prévention et prise en charge.
Soignant ? Son quartier général c’est l’hôpital Albert Calmette de Lille inauguré en 1936. On y soigne la tuberculose qui est alors l’ennemi numéro 1 et étend ses ravages. Durant mon internat, j’ai vu encore des malheureux mourir au décours d’hémoptysie foudroyante. Durant ce même internat, j’ai côtoyé Cyr Voisin lors d’un stage à l’hôpital Calmette, sous l’égide du Pr Charles Gernez-Rieux. Cet homme qui présida notre Académie en 1971, en imposait par sa prestance, son intelligence et son autorité. C’était un grand mandarin. Les mandarins ont valu par ce qu’ils ont fait de leurs qualités. Celles du Pr Gernez-Rieux qui étaient multiples, le portèrent à mettre en place avant sa retraite des équipes prestigieuses. Visionnaire, il avait déjà segmenté les disciplines qu’il réunissait, en une dizaine de spécialités (hématologie, bactériologie, épidémiologie, notre confrère Gérard Dubois y fit ses débuts, et, évidemment, pneumologie), qu’il autonomisa pour confier chacune d’elles à chacun de ses élèves. Cyr Voisin, ne vécut pas dans l’ombre du mandarin mais dans la lumière de son charisme. Il fut son élève préféré, son fils spirituel, son diplomate pour toutes négociations. Aussi excellent pédagogue que peut l’être un fils d’enseignante, admiré et estimé de tous ses collègues lillois, m’a dit notre confrère Gilles Crépin qui fut son élève, il fit de Lille un haut-lieu national et international de la pneumo-phtisiologie. Il eut lui-même un fils spirituel en la personne d’André-Bernard Tonnel, son successeur, qui m’a dit son regret de ne pouvoir être ici aujourd’hui. Je mentionne les autres élèves importants de Cyr Voisin, notre confrère Francis Wattel, Benoit Wallaert, Charles-Hugo Marquette, Jean-Jacques Lafitte, Philippe Ramon qui nous a priés de l’excuser.
Au-delà des soins, Cyr Voisin s’est posé ces questions fondamentales : comment les pneumoconioses ? Pourquoi se compliquent-elles aussi fréquemment de tuberculose et/ou d’aspergillose broncho-pulmonaire, ces surinfections bactérienne ou mycosique dont il fut un expert mondial ? Serait-ce une défaillance de leurs défenses immunitaires ?
Notre confrère se fait chercheur à l’Institut Pasteur de Lille, l’un des plus prestigieux par les qualités de ses équipes et de ses publications (parmi nous André et Monique Capron). L’Institut Pasteur ! Voilà un repère essentiel dans la vie et l’œuvre de Cyr Voisin. Tous les après-midis à 14 h il est dans son laboratoire et les résultats de ses travaux de recherche vont faire de lui un pionnier mondial de l’immunité locale des bronches et des poumons.
Il devient le spécialiste de la cellule-clé de la défense locale de ces territoires, le macrophage alvéolaire. La technique du lavage bronchiolo-alvéolaire, dernière et magnifique application des endoscopes souples, permet de la prélever dans les territoires distaux des poumons. Cliniquement sure et éthiquement acceptable, elle recueille cette cellule-éboueur qui, asphyxiée après avoir phagocyté les particules de silice et de charbon, est devenue non seulement inopérante, mais génératrice de remaniements pulmonaires.
La pratique de ce lavage et les études cellulaires in vitro et in vivo, fonderont des centaines de publications de Cyr Voisin, attachées aux moyens d’inhiber ou de stimuler le macrophage et auxquelles a beaucoup participé Colette Aerts. Ses travaux, présentés dans les congrès internationaux lui valent deux distinctions de notre Académie, le prix Joseph Audiffred en 1958, et le prix André Batel-Rouvier en 1967. Je mentionne ici l’Atlas en deux volumes réalisé avec notre confrère Jacques Chrétien, « La tuberculose, parcours imagé », déposé à notre bibliothèque, irremplaçable ouvrage de référence, sur cette maladie qui hélas sévit encore.
Après l’immunité broncho-pulmonaire, Cyr Voisin s’attellera aux effets des autres facteurs d’agression pulmonaire, amiante et pollution atmosphérique, les dangers qui nous menacent aujourd’hui. Il prendra ainsi la présidence de la Commission « Recherches fondamentales » de la C.E.C.A, et la Commission « Air » du Ministère de la Santé.
Conscient de l’évolution de la pneumologie, il sera l’un des créateurs de la Société de Pneumologie de Langue Française, qui fédérera les pneumologues de tous les pays francophones (Algérie, Belgique, Canada, Maroc, Suisse, Tunisie, Pays d’Afrique Noire) et qu’il présidera, organisant à Lille en 1983, son Congrès National.
Voici enfin le troisième volet du triptyque médical de Cyr Voisin qui ne pouvait pas ne pas s’investir dans le domaine médico-social. Ces insuffisants respiratoires, anciens mineurs de charbon souvent, devaient être soignés, mais ne pouvaient passer leur vie à l’hôpital. Il fallait les prendre en charge à domicile. Notre confrère prend une initiative qui va changer la vie de milliers d’entre eux et fonder avec Paul Sadoul et Maurice Goulon, l’Association Nationale pour le Traitement à Domicile de l’Insuffisance Respiratoire l’ANTADIR, devenue APARD.
Il assura ensuite la présidence d’une Institution certes ancienne mais sans cesse adaptée à l’actualité, le Comité National de lutte contre la tuberculose et les maladies respiratoires, en son siège du 66 Bd Saint Michel devenu aujourd’hui la Maison du Souffle, d’où il anima et visita la soixantaine de Comités Départementaux. Dans ces deux fonctions, il fut aidé par le Professeur Jean-Louis Racineux.
Dans notre Académie, il fut élu Correspondant en 1984 dans la 4ème division, section de Médecine Sociale et devint titulaire … quatorze ans plus tard ! J’ai partagé ce temps, où les candidats dits « provinciaux », attendaient longuement la vacance de l’un des seuls quatorze fauteuils, destinés aux « non résidents ». De 1984 à 1999, Cyr Voisin a présenté à notre tribune huit lectures et en mai 2012, a demandé son passage à l’éméritat. Il était chevalier de la Légion d’Honneur et commandeur dans l’Ordre des Palmes Académiques.
Une vie aussi active sous le sceau de la générosité, ne permettait pas de consacrer à la vie familiale tout le temps qu’un père aurait voulu. Il n’en fut pas moins un père et grand-père attentionné, aimant et aimé. Ses charges ne l’empêchèrent jamais de suivre la scolarité de ses enfants, tout en leur laissant la liberté de choisir leur avenir.
Cyr Voisin aura vécu deux épreuves douloureuses. La fin de vie de son épouse Michèle, handicapée par une maladie neuro-dégénérative et décédée prématurément à 59 ans. Ils avaient eu ensemble quatre enfants, ici présents, Denis Voisin, médecin généraliste, Anne Malart-Voisin, praticienne hospitalière responsable de l’Unité des troubles du sommeil au C.H.U. de Lille (qui a choisi la pneumologie sans l’incitation de son père), Pierre Voisin, médecin généraliste à Lorient et son épouse Irène ; Marie Voisin enfin investie dans les addictions au tabagisme et son époux Frédéric Masure. Ces enfants ont ensemble treize petits enfants dont un pneumologue, nous les saluons toutes et tous très cordialement.
Notre confrère subit ensuite la perte d’une amie très chère, décédée dramatiquement dans un accident d’automobile.
Une clarté vint heureusement éclairer les dernières années de sa vie lorsqu’il épousa en secondes noces, Mme Chantal Vandeghen, elle-même veuve, que notre Compagnie et moi-même assurons ici de nos cordiales pensées. Elle l’aida dans ses travaux, l’accompagna dans ses missions, l’entourant de son affection avec ses deux fils, Jérôme et Antoine Dazin, respectivement directeur d’entreprise médico-sociale et professeur des Universités. Nous les saluons ici vivement ainsi que leurs épouses Delphine et Laurence.
Cyr Voisin ne prit jamais sa retraite intellectuelle, continuant ses actions de prévention et de santé publique, telles que nous le voyons ici à la tête d’une délégation à Tchernobyl. Questionnée à propos de cette période, Mme Chantal Voisin répond que le statut numéro 1 de notre confrère était médecin, statut numéro 2 médecin, statut numéro 3 médecin.
Vint enfin l’heure de la recherche spirituelle personnelle. Ayant longuement côtoyé en sa qualité de chef de service de réanimation, des malades en fin de vie, Cyr Voisin fut probablement amené, estime sa fille Anne Malart-Voisin, à affronter, après la mort du père dans son enfance les énigmes de l’au-delà. Toute longue fréquentation de la mort, écrit Albert Camus, «étourdit ceux qui ont trop regardé dans une crevasse sans fond ». Élevé chrétiennement et après avoir transmis ses valeurs à ses enfants, peut-être a-t-il renoué en ces années-là avec une foi jamais éteinte.
Fidèle à notre Compagnie, Cyr Voisin venait là, tous les mardis, au deuxième rang des fauteuils de notre amphithéâtre et il serait vertigineux de calculer le total de ses trajets Lille-Paris-Gare-du-Nord-métro Saint-Germain-des-Prés et retour, engagés pour participer à nos séances bien avant les débuts du T.G.V. Un total que nos confrères parisiens -je le dis sans malice-, n’imaginent pas constamment ! Un mardi, venu soutenir la candidature de son élève, notre confrère Francis Wattel, il m’a dit, sur son ton de discrétion habituel : « c’est la dernière fois, je ne viendrai plus ».
Ainsi va la vie. Le jour viendra pour nous tous, de notre dernière séance académique.
Cyr Voisin est décédé à Marcq-en-Barœul le 13 décembre 2015, à l’âge de 89 ans, au terme d’une vie exceptionnellement fructueuse. Ses obsèques ont été célébrées en sa paroisse, l’église Saint-Calixte de Lambersart.
Pour un ultime hommage à ce médecin du Souffle, comment conclure mieux qu’avec Paul Valéry « Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! L’air immense ouvre et referme mon livre. La vague en poudre ose jaillir des rocs. Envolez-vous, pages tout éblouies ! »
Bull. Acad. Natle Méd., 2017, 201, nos 1-2-3, 495-500, séance du 31 janvier 2017