Éloge de Paul Maillet (1913-2006)
Louis F. HOLLENDER*
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire perpétuel, Mesdames et Messieurs les Académiciens, Mesdames et Messieurs, Chère Famille, Le 3 février 2006, Paul Maillet s’en est allé vers la grande Espérance, avec la discrétion dont il était coutumier ; il avait 92 ans. Lié à lui depuis des décennies par des souvenirs communs, tant sur le plan professionnel, que personnel et familial, qu’il me soit permis de faire revivre un court instant une personnalité qui laisse derrière elle une riche carrière remplie d’inédits, et dans laquelle la vie n’a pas manqué d’inscrire ses meurtrissures.
Dernier d’une famille de cinq enfants, Paul Maillet est né à Mâcon en Saône-etLoire où son père était pharmacien. Il y accomplit ses études secondaires au lycée Lamartine, avec cette particularité qui sera la sienne sa vie durant, d’être de classe en classe, toujours premier. Après une année de mathématiques supérieures et une année de mathématiques spéciales au lycée Louis le Grand à Paris, Paul Maillet se destine à entrer à l’Ecole Polytechnique, mais un problème de santé l’en empêchera.
Il décide alors de faire ses études de médecine. Externe lauréat des hôpitaux de Lyon en 1936, Interne lauréat en 1938, il interrompt son Internat un an plus tard, pour rejoindre, en septembre 1939, le 187ème régiment d’artillerie légère, qu’il quittera avec le grade de lieutenant. De retour à Lyon, il est médaille d’or en 1943, aide d’anatomie et prosecteur, puis chef de clinique, en 1945. Trois éminents Maîtres lyonnais marqueront sa formation, les Professeurs Paul Santy, Pierre Wertheimer et Pierre Mallet-Guy. Admissible au chirurgicat des hôpitaux, il passe avec succès, en 1949, le concours d’agrégation de chirurgie générale. Mais aucun poste d’agrégé n’étant libre à Lyon, Paul Maillet est mis à la disposition du Ministère des Affaires Etrangères, pour remplir les fonctions de chef de service à l’hôpital français du Caire.
Ses débuts dans cette position-phare ne sont pas faciles, mais Paul Maillet parvient à surmonter toutes les difficultés qu’il rencontre dans un pays gouverné en sousmain par l’Angleterre. En peu de temps, il devient le premier chirurgien du Caire et sera très vite un opérateur, reconnu, respecté et admiré, auquel fait appel toute l’Egypte. Il réussit à créer, avec le Ministre de la Santé égyptienne de l’époque, l’Association des médecins de langue française d’Egypte, un indéniable prestige pour notre pays, et dont il était, à juste titre, très fier. Tout continue à évoluer pour le mieux, jusqu’au 26 juillet 1956. C’est à cette date que le Président Nasser nationalise le canal maritime de Suez alors que trois mois plus tard, Français et Anglais lancent des raids contre l’Égypte. Cet ensemble d’évènements politicomilitaires entraîneront un violent ostracisme anti-français, qui oblige Paul Maillet à quitter précipitamment l’Egypte, expulsé du jour au lendemain et tous ses biens confisqués. Il en restera très marqué d’autant plus que tous ses dossiers médicaux furent détruits sur la place publique.
De retour à Lyon, Paul Maillet, avec l’accord du Doyen Hermann, est réintégré à la Faculté de médecine comme professeur agrégé. Puis il fait preuve d’un courage et d’une ténacité exemplaires, pour préparer le chirurgicat. Le succès ne se fait pas attendre et, en 1958, Paul Maillet est nommé chirurgien des hôpitaux de Lyon.
Affecté au pavillon « M » de l’hôpital Edouard Herriot, comme chef de service, adjoint du Professeur Mallet-Guy, il saura s’adapter aux exigences de ce patron, pas toujours facile, mais qui, bien vite, reconnaîtra les qualités de son nouvel adjoint.
Après six ans d’une cohabitation devenue harmonieuse, Paul Maillet est nommé en 1964, à la chefferie de service de l’hôpital de Sainte-Foy-lès-Lyon. Une fois encore, les difficultés ne lui seront pas épargnées. L’hôpital étant modeste tant en équipements qu’en moyens financiers, l’activité de chirurgie lourde de Paul Maillet dépassera très vite les possibilités de ce petit établissement. La grande presse s’empare du conflit, et des campagnes d’affichage menées avec une passion toute estudiantine par ses collaborateurs, vont créer autour de Paul Maillet une véritable légende. En 1970, il devient chef du service de chirurgie de l’hôpital de la Croix-Rousse, où il succède au Professeur Bertrand. Pendant onze ans, il y consacre toute son énergie et tout son savoir. Très vite, son service sera un des plus prisés. Jacques Baulieux, son élève favori, qui sera plus tard son successeur, le décrit comme un « patron exigeant et acharné au travail. Je découvris, me confie-t-il, les longues journées de travail qui commençaient à 7 h 15 à la clinique ou au laboratoire de chirurgie expérimentale, se continuaient à la Croix-Rousse, puis à la Faculté, et se terminaient le soir très tard lorsque nous quittions le bloc opératoire. Je découvris également sa table de travail, Rue de Bonnel, où il corrigeait nos articles avec une rigueur et une exigence impressionnantes ».
Parallèlement à sa carrière hospitalière, Paul Maillet est nommé, en 1973, professeur de pathologie chirurgicale, et, en 1978, professeur de clinique chirurgicale.
Admis à la retraite en 1981, il abandonne du jour au lendemain toute activité hospitalo-universitaire à Lyon. Mais toujours plein de dynamisme, il nous offre alors une belle leçon d’humanisme en participant avec « Médecins sans frontières » à des missions chirurgicales en Afghanistan, au Zaïre, au Liban où il restera enfermé un mois et demi dans les sous-sols de l’Hôtel Dieu de Beyrouth. Sa mission au Soudan, dans la région du Darfour, sera la dernière.
Complètement retiré de la scène publique, Paul Maillet va dès lors mener une nouvelle vie avec Monique Boullet, qu’il avait épousée en 1946 et qui sera, sans faillir, sa plus proche collaboratrice, et cet indéfectible soutien qui lui a permis de réaliser la brillante carrière qui fut la sienne. Il retrouve à ce moment ses meilleurs amis, nos collègues le Doyen Cier et Paul Guinet, avec lesquels il évoque de merveilleux souvenirs qui n’étaient pas que professionnels, puisque, ensemble, ils avaient accompli de beaux voyages. Ce fut également pour lui un très grand plaisir d’intégrer sa belle propriété du Midi à Cabris, près de Mougins, où il s’adonne à la peinture, tout en se réjouissant de voir grandir les deux filles de son fils Pierre.
Victime d’un accident de voiture en 1940, dû à la collision avec un camion à l’arrêt, Paul Maillet en gardera de très graves séquelles au genou, lesquelles demanderont de nombreuses interventions, et nécessiteront finalement la mise en place d’une prothèse dont l’infection secondaire entraînera de nouvelles complications. J’ai alors partagé, mois après mois, le cœur serré, ses longues et douloureuses souffrances supportées avec un grand stoïcisme. Ces lourdes épreuves furent tempérées par le réconfort des visites de ses nombreux amis, de ses fidèles élèves, par la venue régulière combien appréciée de Jacques Baulieux, et surtout par la tendre affection et la profonde sollicitude dont l’entouraient sa famille et son épouse. Hélas, victime de son inlassable dévouement, Madame Monique Maillet succombera peu de semaines avant lui.
Paul Maillet était chirurgien dans le sens le plus noble et le plus complet du terme. Il pratiquait son métier avec la modestie d’un artisan, l’orgueil d’un artiste et le savoir-faire d’un remarquable opérateur. Issu de la prestigieuse école lyonnaise, il en avait conservé le sens de la rigueur et le goût de la perfection. D’une remarquable habileté, douceur et intelligence faisant cortège à son courage, Paul Maillet savait aller droit au but avec détermination, retrouvant à chaque intervention le même bonheur d’opérer. La précision du trait de son bistouri, dont la lame brillait avec élégance, n’avait d’égal que la dextérité de la main qui le conduisait. Chaque geste était mûrement réfléchi et soupesé. Sachant faire face à la difficulté sans jamais devoir la subir, il agissait toujours en tenant compte du possible. Si inspiration il y avait, il la puisait au plus près de la réalité. Après une opération difficile, techniquement risquée, il commentait laconique « c’est un miracle si je m’en suis sorti ». Mais tout le monde savait bien que l’artisan de ce miracle c’était lui. Sa passion de la chirurgie faisait qu’il en parlait avec la flamme d’un amoureux et avec les mots d’un très grand expert. Subordonnant son intérêt personnel à celui des autres, il ne calculait pas le résultat de ses efforts. Jamais il ne cédait sur la grandeur de la profession de chirurgien, ni sur le profond libéralisme qui l’animait. Sa volonté constante de préserver son indépendance n’excluait ni la fraternité ni la compassion.
C’est ainsi qu’à la sortie du bloc opératoire, il savait parler aux familles et trouver les mots justes pour les réconforter, même si la situation de l’opéré ne laissait que peu d’espoir. Paul Maillet est ainsi resté l’incarnation même de la chirurgie humaniste et universitaire.
Il fera preuve de cette même rigueur dans la gestion de son service qu’il dirigeait avec autorité et compétence. Toujours réfléchir et sans cesse remettre en cause les idées reçues, étaient les principes forts de sa gouvernance. Exigeant tout autant avec lui-même, qu’avec ses collaborateurs, sa dynamique était régulièrement accentuée par une conduite précise et brillante. Tout en impulsant à son équipe des responsabilités, il savait également déléguer. C’est ainsi que dans son service en 1976, Jacques Baulieux et Philippe Bérard réaliseront les premières transplantations hépatiques pratiquées à Lyon.
Avec une délicatesse que seul peut inspirer la noblesse du cœur, il écoutait et corrigeait également les faux pas. Sans familiarité, ni camaraderie, l’esprit bien éveillé et l’oreille aux aguets, il savait dialoguer, échanger, persuader, toujours à sa façon, avec une amabilité simple.
Dans un monde qui à l’époque déjà commençait à être moralement anesthésié et politiquement asservi, un monde qui renonçait à son passé et à ses références, Paul Maillet, refusait de se réfugier dans des protestations et des professions de foi hypocrites et confortables. Il était de ceux qui savent se tenir aux valeurs essentielles, de correction, de sincérité, de respect de soi et de respect d’autrui. Une certaine France à la Peguy était son affaire et il n’abandonnait jamais une idée quand il y croyait. Empreint de spiritualité et de dépouillement, sa générosité et sa grande culture lui conféraient une place de choix parmi tous ceux qui rêvent de concilier science et conscience.
Tout jeune il avait appris qu’au jeu de la vie, tricher n’est pas la bonne méthode pour gagner. Il cultivait le goût et la volonté d’apprendre, la passion d’enrichir chaque jour son savoir. Réhabiliter le travail, la compétition, toutes vertus aujourd’hui en passe d’oubli, faisaient partie de son quotidien, car il savait que la réussite est le fruit du mérite et de l’effort. Il se dégageait de sa personnalité un sentiment de maturité dense, qui confirmait et le talent et les bienfaits d’années d’expérience et de labeur.
Combien de fois ses élèves seuls ou à plusieurs, se sont-ils invités le soir chez leur patron pour boire un whisky, en parlant d’une idée innovante, d’un projet, de l’avenir ou de n’importe quel sujet qui leur tenait à cœur, poursuivant ainsi le compagnonnage de la journée de travail.
D’une cordialité vigilante, d’une solidité distinguée, d’une fidélité sans phrases mais sans démenti, il éprouvait parfois un sentiment d’exaspération face à la dérive des temps modernes, mais sa volonté de résister au nom des valeurs qu’il tenait à reconnaître et à préserver reprenait rapidement le dessus.
D’une aristocratique élégance, il joignait la magie de son comportement au naturel de son esprit, alors même qu’il était plutôt circonspect sur la nature humaine. Et si son style de pensée était classique, rien ne l’empêchait pourtant d’envisager les voies les plus originales pour innover et avancer.
Ayant souvent eu le privilège, lors de nos fréquents entretiens, de l’approcher, j’ai pu mieux connaître la personnalité et apprécier en lui l’artisan scrupuleux de la vaste chirurgie générale, mêlant réalisme, dynamisme et qualités de cœur. C’est lors de ces réunions intimes qu’il se confiait à ses amis, les régalant de son humour tout en finesse, en leur offrant le plaisir d’apprécier son goût prononcé pour l’alpinisme qui dans sa jeunesse l’avait conduit à une ascension solitaire du Mont Blanc, et aussi d’être mis dans le secret de ses longs entretiens avec Couve de Murville, lorsqu’il était ambassadeur de France au Caire, ou encore avec Michel Caplain, Président du groupe Indosuez.
Même si Paul Maillet n’était pas homme à écrire ses Mémoires, nous n’éprouvons guère de difficulté à retrouver sa trace. Elle s’inscrit dans le remarquable sillon de la belle tradition chirurgicale lyonnaise. C’est ainsi qu’il en reprit quelques-unes des marques, courage, détermination, lucidité. L’œuvre de Paul Maillet est assez fortement présente, pour lui offrir ce supplément de vie, qui est le testament d’un grand chirurgien. Ses travaux portent sur tous les domaines de la pathologie oesophagienne, sa spécialité, dont il a présenté en 1981 à cette tribune même, une importante série de cas opérés. Quelques années plus tard, il soulignait avec Jacques Baulieux, la place de l’écho-endoscopie dans le bilan du cancer oesophagien. Parallèlement, ses travaux ont porté sur le méga œsophage, les hernies hiatales où il fait part de son expérience des trois procédés essentiels fundoplicature de Nissen, fundoplastie postérieure de Toupet et gastropexie postérieure de Hill, et le reflux gastrooesophagien. Il a également rapporté ses travaux de chirurgie endocrinienne, plus particulièrement de la thyroïde, et des tumeurs langerhansiennes hypoglycémiantes du pancréas. Les vagotomies entraient aussi dans le domaine de son intérêt. Et comment ne pas rappeler le rapport qu’il a présenté en 1975 au Congrès Français de Chirurgie avec Gilles Edelman et Jean Tremolières, sur les fistules de l’intestin grêle.
Les honneurs ont accompagné le Professeur Maillet tout au long de sa carrière. Il était Membre de l’Académie de Chirurgie, de la Société Internationale de Chirurgie, du Collège International des Chirurgiens, du Collège International de Chirurgie Digestive. En 1984, il fut Président du Congrès Français de Chirurgie, puis pour deux ans, Président de l’Association Française de Chirurgie. Elu correspondant de notre Compagnie en 1983, il en devint titulaire en 1992. Malheureusement, par la suite, son état de santé le tient, à son grand regret, éloigné de la Rue Bonaparte et, en 2005, il demande son passage à l’éméritat. Paul Maillet était officier de la Légion d’honneur et officier des Palmes académiques.
Paul Maillet trouve à présent le repos qu’il n’avait que rarement connu. Sachant, sans faux-semblants, surmonter toutes les adversités, il incarnait le talent, l’érudition, la courtoisie. Ceux qui le connaissaient, étaient séduits par le brillant chirurgien, mais aussi par la richesse du jardin intérieur de l’homme qui nous laisse à tous un message d’une grande exigence et d’une indéniable force morale. Avec son fils Pierre — ancien Chef de clinique de Lyon, radiologue à Nice —, et son épouse, ainsi que leurs deux filles Jade et Fanny, avec son fils spirituel, notre Confrère Jacques Baulieux, et tous les élèves qu’il a formés et qui l’ont aimé, avec l’ensemble de l’Ecole lyonnaise, nous sommes nombreux à le garder dans nos mémoires et dans nos cœurs.
Au-delà de l’éloge, son souvenir ne nous quittera pas. Quant à moi, je suis orphelin de son amitié.
ANNEXE À L’ÉLOGE PRONONCÉ PAR LOUIS F. HOLLENDER
Une technique chirurgicale En hommage au Professeur Paul Maillet
Jacques BAULIEUX *
Rapporter un point de technique chirurgicale où l’influence du Professeur Paul MAILLET a été déterminante, ne m’a pas demandé un effort de réflexion très prolongé. Il est clair que son activité en chirurgie oesophagienne a été si importante, qu’il est facile d’illustrer son apport, en particulier en ce qui concerne le traitement chirurgical du cancer de l’œsophage.
Très jeune, Paul Maillet, sous l’influence de son maître, Paul Santy, décida de s’attaquer au traitement de cette affection au pronostic redoutable, traitement qui n’en était alors qu’à ses balbutiements et dont les résultats étaient très décevants, marqués par un taux de complications post opératoires, et une mortalité prohibitives.
Après un voyage aux Etats-Unis où il rendit visite notamment à Ivor Lewis, il revint en France plein d’idées novatrices, auxquelles il allait apporter son empreinte personnelle, son acharnement au travail et sa rigueur déjà très affirmée.
D’emblée, il choisit d’aborder l’œsophage par voie thoracique droite , alors qu’à cette époque la plupart des chirurgiens réalisaient (et réalisent encore parfois dans certains pays, en Chine notamment) l’abord par voie thoracique gauche. L’abord thoracique droit permet une exposition complète de l’œsophage thoracique sur toute sa hauteur, permet une excellente exposition des rapports de cet organe, notamment avec la membraneuse trachéo-bronchique. Il permet aussi un repérage aisé du canal thoracique, et une lymphadénectomie extensive. Il permet d’ascensionner le transplant de remplacement digestif jusqu’au sommet du thorax, sans avoir à réaliser la redoutable maneuvre du décroisement de l’œsophage, par rapport à la crosse aortique , manœuvre dont on sait qu’elle expose à un risque hémorragique certain.
L’originalité de l’innovation technique consista alors à tubuliser le transplant gastrique . Cette tubulisation permet d’améliorer la vascularisation du transplant, en concentrant tout l’apport sanguin sur un lit vasculaire réduit. Il permet aussi d’allonger le transplant par un effet de déplissement de la grande courbure gastrique. Il diminue le risque de dilatation du transplant que l’on observait parfois avec la technique originale de Yvor Lewis, où la totalité de l’estomac était ascensionnée dans le thorax, conduisant parfois à une gêne à l’expansion pulmonaire et à un syndrome restrictif aigu, sources de complications respiratoires, souvent létales. Et enfin, et là n’est pas le moindre avantage de cette technique de tubulisation, celle-ci a un intérêt carcinologique probable, en supprimant la tunique gastrique de la petite courbure, possiblement atteinte par une expansion lymphatique sous muqueuse à partir des ganglions de la région coronaire.
L’intervention se termine par une anastomose oesogastrique , termino-terminale, réalisée en deux plans de suture manuelle, au sommet du thorax. Cette technique très rigoureuse de la suture à points séparés en deux plans, parfois longue, voire fastidieuse, correspondait parfaitement à la patience et aux soucis du détail qui caractérisaient la technique chirurgicale de Paul Maillet. Il insistait sur les détails d’espacement des points de suture, sur le plan d’adossement par des points en U de Résano, sur la nécessité d’une congruence parfaite des zones anastomotiques, et sur la nécessité absolue d’une absence de tension au niveau de la zone de suture (Figures 1, 2, 3, 4). Il était capable de réaliser cette longue intervention, sans dire un mot, fixant seulement notre attention sur quelques détails techniques essentiels. Il n’hésitait pas parfois à refaire complètement une anastomose qu’il jugeait imparfaite.
Mais quelle que soit la perfection technique, la qualité des résultats dépend grandement de la surveillance de la période post-opératoire. Paul Maillet attachait un soin attentif et permanent aux suites opératoires du patient, au détriment des weeks-ends et des jours fériés. Il n’est pas possible de ne pas rappeler l’aide que lui apportait son épouse, Madame Monique Maillet, elle-même médecin anesthésiste-réanimateur, qui régnait sur le déroulement des interventions et qui surveillait aussi les opérés avec un dévouement et une attention tout à fait remarquables.
C’est cette approche thérapeutique nouvelle qui fit progresser les résultats du traitement chirurgical et permit le développement de cette chirurgie dont la pratique a perduré au fil du temps et que ses élèves réalisent encore selon des gestes pratiquement identiques.
En 1979, dans la thèse de Richard Benhaim étaient exposées les différents temps de « l’oesogastrectomie par voie abdominale et thoracique droite dans le traitement du cancer de l’œsophage thoracique [1] » En 1982, dans un article publié dans l’American Journal of Surgery, Paul Maillet rapportait « Les résultats de la chirurgie en un temps du cancer de l’œsophage thoracique ». La mortalité globale était alors de 16,6 %, avec un taux de fistule anastomotique de 6 % et une survie à cinq ans, pour les patients ayant bénéficié d’une exérèse complète de type RO de 29 % [2].
Nous-mêmes, avons poursuivi ce type de chirurgie, l’améliorant de quelques détails grâce aux progrès des matériaux chirurgicaux et de l’anesthésie-réanimation. Ces progrès nous permettaient de rapporter en 1998, pour le même type d’intervention, une mortalité post opératoire de 5 % et un taux de fistule de 3 %, dont aucune n’avait conduit au décès du patient.
Paul Maillet était un chirurgien et un homme d’exception. Il a marqué l’École chirurgicale lyonnaise. Ses élèves se plaisent à répéter ses gestes qui étaient didactiques et faciles à reproduire.
Ils sauront transmettre son enseignement et son exemple aux jeunes générations.
Schémas techniques dessinés par P. MAILLET, lui-même.
Schémas techniques dessinés par P. MAILLET, lui-même.
BIBLIOGRAPHIE [1] BENHAIM R. — L’oesogastrectomie par voie abdominale et thoracique droite dans le traitement du cancer de l’œsophage thoracique. A propos de 271 observations. Thèse Lyon 1979.
[2] MAILLET P., BAULIEUX J., BOULEZ J., BENHAIM R. — Carcinoma of the thoracic oesophagus.
Results of one stage surgery (271 cases). Am. J. Surg ., 1982, 182 , 629-634.
[3] BAULIEUX J., ADHAM A., DE LA ROCHE E., MEZIAT-BURDIN A. — Anastomotic leaks after manual sutures. Incidence and treatment. Int. Surg ., 1998, 83 , 277-279.
* Membre de l’Académie nationale de médecine