Éloge
Session of 26 janvier 2010

Éloge de Michel Bourel (1920-2008)

Jacques-Louis Binet*

Summary

Éloge de Michel Bourel (1920-2008)

Jacques-Louis BINET*

Il y aura deux ans, le 21 février prochain, je perdais, nous perdions, toute notre Compagnie perdait Michel Bourel, c’est-à-dire un grand ami, qui fut, tout à la fois, un grand médecin, un grand académicien, un grand humaniste, et un chef de famille exemplaire qui, avec sa femme Madeleine, a su élever les siens dans un climat de fervente et active spiritualité culturelle. Médecine, Académie, famille, culture, quatre passions de Michel Bourel : ces passions n’ont cessé de l’inspirer.

Grand médecin, il l’aura été pendant toute sa carrière.

Venu de Bretagne pour faire ses études médicales à Paris, il est reçu major à l’internat en 1946. Chef de clinique de 1950 à 1953, il associe ses activités hospitalières à la recherche et restera, en même temps stagiaire de recherche à l’Institut National d’Hygiène de 1950 à 1953. Alors que la direction d’un grand service de gastroentérologie lui est proposée à l’hôpital Saint-Antoine, et avant même que soit créé le système de temps plein, il préfère retourner à Rennes pour regrouper une double structure hospitalo-universitaire. Il y devient professeur titulaire, occupant la chaire de thérapeutique puis de clinique médicale en 1958, tout en restant chercheur, faisant créer l’unité de recherches hépatologiques de l’INSERM U 49, qu’il dirige de 1968 à 1986.

Son activité médicale peut se résumer en trois chapitres.

Michel Bourel est resté un généraliste et a d’abord participé à l’étude de nombreux chapitres de médecine interne, pneumologie, rhumatologie, cardiologie, neurologie, hématologie, maladie métaboliques et de la nutrition.

Il s’est aussi beaucoup attaché à l’application de l’informatique en particulier dans l’aide au diagnostic.

Il crée, dès 1950, une consultation d’alcoologie pluridisciplinaire.

Il est aussi et surtout devenu le médecin de l’hémochromatose primitive , groupant de nombreuses séries de patients et pouvant ainsi analyser, dans cette maladie alors mal connue, la sémiologie (perturbations surrénaliennes, hypophysaires, pancréatiques externes et internes, parahormonales, cutanées et myocardiques), mettre en évidence le rôle pathogène du fer et ouvrir le chapitre de la génétique, c’est-à-dire découvrir la liaison avec le système HLA, analyser l’allèle responsable, et l’hérédité selon le mode de transmission autosomique récessive.

Ainsi, grâce à l’équipe qu’il a su former, Michel Bourel a fait de Rennes le meilleur centre pour le diagnostic, le traitement et la prévention de l’hémochromatose primitive et secondaire.

Clinicien, généticien, il restera toujours un chercheur . Son unité s’attachera à la culture des hépatocytes du rat, de l’homme à l’état normal et pathologique, de l’effet des médicaments sur ces cultures cellulaires.

Avec toute cette œuvre Michel Bourel rentre à l’Académie en 1985, d’abord comme correspondant puis, quatre ans plus tard comme membre, et c’est cet Académicien modèle, resté pendant vingt-trois ans parmi nous, sur lequel je voudrais m’arrêter.

Vous vous souvenez, assis au fond à droite, à coté de Claude Sureau, devant Roger Henrion et pas très loin au centre de Georges David. Il avait toujours lu les rapports communiqués, préparé ses interventions, les exposait avec brièveté, précision, bienveillance sans l’ombre d’une critique personnelle mais, prouvait par la qualité de ses questions l’étendue de sa culture médicale. Il ne craindra pas de communiquer lui-même et montera dix fois à la tribune. Surtout il aimait participer aux commissions, groupes de travail et par exemple, donner à la commission de biologie, lui médecin, une nouvelle dimension, que Raymond Ardaillou, qui fut son secrétaire, a su maintenir. Sel et hypertension artérielle, dépistage du cancer de la prostate par le PSA, dépistage, prévention de l’insuffisance rénale chronique, banques autologues du cordon, pharmacogénétique et génomique, dépistage du cancer du colon : tous ces sujets, il les a fait traiter. Il a, aussi, participé activement au comité biacadémique, Médecine-Sciences ou il avait retrouvé Nicole Le Douarin, qu’il avait connue en Bretagne, et la femme de son ancien complice d’internat Bonfils. Il a aussi écrit le rapport avec l’Académie de pharmacie « pour une reconnaissance de la biologie interventionnelle ».

Il suscitait et acceptait facilement l’amitié et j’ai très vite connu le privilège de déjeuner le mardi matin avec lui, Claude Sureau puis René Mornex, Raymond Ardaillou, Jean-Daniel Sraer ou, entre nous, tout pouvait être dit.

Mais il faut chercher ailleurs pour retrouver Michel Bourel, retrouver ce qui anime, diversifie et en même temps réunit les multiples facettes de son talent, et cet ailleurs, ou plutôt le centre du personnage, c’est sa famille et sa culture.

C’est surtout Madeleine, sa femme, sans elle, répétait-il, rien n’aurait pu être pensé, réalisé, suivi. Ensuite les quatre enfants et les quinze petits enfants. Benoît, chirurgien, Dominique, pharmacien et biologiste, dont nous avons écouté les travaux à la transfusion sanguine, lors du colloque commun avec l’Académie des sciences sur les anticorps monoclonaux, Maryline, la rebelle, notre consœur, ma complice, qui a bien voulu m’aider dans la préparation de cet éloge, et enfin Anne, pharmacienne.

Toute cette famille a été élevée à Rennes, dans la maison du 4 rue de la Borderie, dans la propriété familiale en fin de semaine à quelques kilomètres de là et l’été à Saint-Lunaire, avec un rythme parfaitement réglé, lever à sept heures et quart pour une petite course d’entraînement ou la pose de filets, petit déjeuner copieux, mais du jus d’orange pour seulement ceux qui avaient suivi Michel dans sa course et le reste de la journée, selon la météo, pêche en apnée ou travaux de culture.

Mais Michel et Madeleine avaient surtout réuni leur famille autour de l’active, spirituelle culture de Michel.

D’abord la Grèce, non pas celle des romantiques ou de Jean d’Ormesson, mais celle des archéologues et Michel a travaillé plusieurs étés, avec l’École française d’Athènes.

La religion et comme beaucoup de vrais chrétiens, Michel connaissait des périodes de doute. Puis les livres des écrivains français du xixe et xxe siècle. Les cantates de Bach ; mais surtout le théâtre. Tous les lundis il sortait du TGV qui arrivait à Montparnasse à 19 heures 15, pour être à 19 heures 45 au théâtre du Nord-Ouest, faubourg Montmartre, son théâtre favori, ou son vieil ami, Jean-Luc Jeener mettait en scène le répertoire classique et contemporain. Le mardi soir après nos séances, il préférait la Comédie française, le Vieux Colombier, le Lucernaire, où il a invité tous ses petits enfants à voir Lucchini.

Pour terminer, alors qu’aujourd’hui l’hiver est placé sous le signe du souvenir, de la mort, alors qu’au Louvre on célèbre les funérailles de Mona Lisa, au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris une exposition est intitulée Dead Line, c’est-à-dire, comme pour les envois de nos communications, date limite, que le Grand Palais est transformé par Christian Boltanski en une sorte de lieu d’attente de la shoa, qu’un des meilleurs films de l’année sera Irène, c’est-à-dire l’évocation par Alain Cavalier de sa femme aimée et disparue sans jamais montrer son visage mais seulement ses objets comme une succession d’autant de natures mortes, de véritables reliquaires, autant de témoignages que la curiosité de Michel aurait été amené à voir.

Nous ne pouvons nous adresser une dernière fois, à Michel Bourel que par l’intermédiaire du théâtre, son théâtre, le théâtre de son époque faisant autant appel à la culture classique qu’à celle de l’après-guerre, par exemple Giraudoux inspiré autant par la Grèce que par le Limousin. Michel connaissait, par cœur, ce lamento du jardinier, que le jardinier venait dire, devant le rideau, à l’entracte d’Electre, et

Michel le récitait souvent rue Visconti, lorsque nous revenions de l’Alcazar, pour la séance de l’Académie.

« LE JARDINIER. Moi je ne suis plus dans le jeu. C’est pour cela que je suis libre de venir vous dire ce que la pièce ne pourra vous dire. L’inconvénient est que je dis toujours un peu le contraire de ce que je veux dire ; mais ce serait vraiment à désespérer aujourd’hui, avec un cœur aussi serré et cette amertume dans la bouche, si je parvenais à oublier une minute que j’ai à vous parler de la joie. Joie et Amour, oui. C’est préférable à Aigreur et Haine. Comme devise à graver sur un porche, sur un foulard, ou en bégonias nains dans un massif. Évidemment, la vie est ratée, mais c’est très, très bien, la vie. Évidemment, rien ne va jamais, rien ne s’arrange jamais, mais parfois avouez que cela va admirablement, que cela s’arrange admirablement…

LA FEMME NARSÈS. Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?

ÉLECTRE. Demande au mendiant. Il le sait.

LE MENDIANT. Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore. » Merci, Michel, de nous avoir permis, avec toute ta famille d’écouter encore Jean Giraudoux.

<p>* Secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine .</p>