Published 25 January 2005
Éloge

Cyr Voisin*


Éloge de Jacques Charpin (1921-2003)

Cyr VOISIN*

En commençant cet éloge de Jacques Charpin, mon regard se tourne vers la place qu’il a occupée dans cette enceinte pendant 18 ans, de 1981, date de son élection dans notre Compagnie, à son accession à l’Éméritat en 1999. Ceux qui l’ont côtoyé se souviennent de son visage à la fois réservé et réfléchi, de sa silhouette élégante, de sa courtoisie naturelle, mais aussi de la chaleur de l’accueil qu’il réservait à ses amis.

Ils se rappellent ses interventions, sa voix calme et posée, la concision et la clarté de ses propos. S’il fallait le décrire d’un mot : c’était un aristocrate de la médecine.

Jacques Charpin est né le 2 Mars 1921 à Aix-en-Provence, où il coule une enfance heureuse, entouré de ses quatre sœurs, dans une famille marquée par une longue tradition médicale. Son grand-père maternel, ancien Interne des Hôpitaux de Paris, était médecin à Aix. Son père, lui aussi ancien Interne des Hôpitaux de Paris et élève de Sergent, lui a succédé. Deux de ses oncles sont également médecins, et si l’on remonte plus loin dans le temps, son trisaïeul le Docteur Jean Gaspard Goyrand, élève de Dupuytren, s’est illustré par des travaux de chirurgie osseuse et viscérale qui lui ont valu d’être élu en 1862 Membre associé national de notre Académie, titre alors donné aux académiciens non résidants. Rien de surprenant qu’avec une telle ascendance, Jacques Charpin n’ait opté pour une carrière médicale.

En 1938, il entre à la Faculté de Médecine de Marseille, où il rencontre dès le début de ses études David Olmer, dont la personnalité l’impressionne et le marque. C’est à son intention qu’il écrira, 25 ans plus tard, « lorsque l’on pense à tel ou tel de ses Maîtres disparus, on s’aperçoit que ce ne sont pas leurs écrits, leurs travaux scientifiques qui reviennent à l’esprit…. ce sont leurs qualités humaines, les exemples qu’ils nous ont donnés, leur bonté, leur courage ».

En ces temps difficiles de la Seconde Guerre Mondiale, ses débuts dans la carrière hospitalière ne sont pas faciles. Il est admis à l’Internat en Octobre 1942, mais ne prend ses fonctions qu’en Novembre 1943, après avoir rempli ses obligations dans les « Chantiers de jeunesse », une année passée à courir les Alpes, dont il a gardé un excellent souvenir et le goût des courses en montagne. Nouvelle interruption de l’internat en Décembre 1944, cette fois pour mobilisation dans une unité des Forces Françaises de l’Intérieur, ce qui lui vaudra la Croix de Guerre 39-45. Il revient à la médecine en Décembre 1945, dans les services de phtisiologie de Joseph Berthier et Charles Mattei, et termine son internat dans le service de médecine générale de Robert Poinso, dont il sera désormais l’élève.

1948 est une année importante : il est nommé Chef de clinique, mais surtout il épouse une jeune pharmacienne, mademoiselle Cavaglione, celle qui sera la compagne de sa vie. Tout s’accélère alors. Il prépare intensivement le médicat des Hôpitaux, auquel il accède en Juin 1950. Quelques mois plus tard, il bénéficie d’une bourse Fullbright, et part pour les États-Unis. C’est à l’Université Columbia de New York qu’il s’initiera à la pneumologie américaine, à l’hôpital Bellevue, auprès de James Burns Amberson et du physiologiste André Cournand, qui n’avait pas encore reçu le Prix Nobel, mais dont le rayonnement était déjà très grand. Après quelques mois, nouvel intermède dans sa carrière : il développe une tuberculose pulmonaire, cette rançon que beaucoup de jeunes phtisiologues payaient alors à la maladie. Il aura la chance d’être parmi les premiers bénéficiaires de l’Isoniazide mais devra rentrer en France pour un séjour sanatorial d’un an au Plateau d’Assy où il remplit les fonctions d’Interne, s’adonne à la lecture…. et rédige son premier ouvrage, le « Cathétérisme bronchique » sous la direction du chirurgien Henri Metras.

Il retrouve en 1953 le service de son Maître Robert Poinso et prépare l’agrégation de médecine générale. Le concours se déroule en Juin 1955 : c’est alors que nous faisons connaissance, provinciaux parcourant les hôpitaux parisiens dans l’intervalle des épreuves d’un concours qui s’étalait sur des semaines. C’est là qu’est née entre nous, lui le Méditerranéen et moi l’homme du Nord, une amitié qui ne s’est jamais démentie.

Le cap de l’agrégation franchi, Jacques Charpin reprend ses fonctions hospitalières auprès de son maître Poinso, jusqu’en 1963, date de la création de la Chaire de Clinique pneumo-phtisiologique de la Faculté de Médecine de Marseille. Il en devient le premier titulaire. Il a 42 ans, et peut désormais donner toute sa mesure.

 

Dans sa leçon inaugurale, il définit trois objectifs : en finir avec la tuberculose, assurer le développement de la pneumologie, définir un secteur privilégié où il s’efforcera de faire progresser la connaissance médicale.

D’abord en finir avec la tuberculose, à qui il avait payé son tribut. En 1963, le problème n’est plus celui du traitement de la maladie, parfaitement codifié et d’une efficacité indiscutable, mais le recul trop lent de la maladie en France par rapport aux autres pays industrialisés. Nommé Consultant régional de Phtisiologie, il analyse les causes de ce retard en Provence-Côte d’Azur, souligne la négligence de la prévention par la vaccination BCG, le dépistage précoce insuffisant, les traitements mal surveillés dans les milieux sociaux défavorisés, source de résistances aux antibiotiques…. Ces problèmes retiendront son attention jusqu’à la fin de sa carrière, et l’une de ses dernières lectures à l’Académie, en 1986, présentée avec son fils Denis, est consacrée à l’épidémiologie de la tuberculose en France : il y déplore le désintérêt des pouvoirs publics et demande une amélioration du dépistage et du traitement de la maladie dans les milieux à haut risque, particulièrement chez les immigrés.

Son second objectif est d’assurer le développement de la pneumologie, discipline alors en plein essor. La pathologie tumorale est en extension, les bronchopathies chroniques se multiplient, les progrès des investigations paracliniques révèlent la diversité de la pathologie respiratoire, la réanimation respiratoire se développe et entraîne l’apparition d’une nouvelle cohorte de malades, les handicapés respiratoires chroniques nécessitant assistance respiratoire à domicile. Jacques Charpin s’entoure de collaborateurs, Max Lallemand, Christian Boutin, Philippe Ohresser, Alain Arnaud, Jean Orehek, Daniel Vervloet, et son fils Denis Charpin. Il les oriente soit vers la maîtrise d’une technique d’exploration ou vers un problème pathologique particulier, politique qui débouchera rapidement sur la réalisation de travaux remarqués sur la pathologie interstitielle, l’endoscopie pleurale, la pathologie de l’amiante, l’exploration et le traitement par embolisation des hémoptysies d’origine artérielle bronchique et la liste serait encore longue si je la voulais complète.

Lui-même s’intéresse aux bronchites chroniques, sous l’angle de leur étiologie, leur sensibilité aux variations de la pollution atmosphérique, leur traitement et leur rééducation fonctionnelle et il crée l’Association Provençale de traitement à domicile des insuffisants respiratoires chroniques. La clinique pneumo-phtisiologique de Marseille compte très vite parmi les plus brillantes en France, à la fois pour la qualité de ses travaux et celle de son enseignement.

Son troisième objectif est le choix d’un secteur privilégié où il pourra développer une recherche efficace. Il explique les raisons qui l’animent dans cette voie : « la difficulté de la position des cliniciens hospitalo-universitaires, écrit-il, vient de cette contradiction inévitable : ils doivent rester des généralistes dans leur spécialité, mais ils ne peuvent mener de recherche que s’ils se consacrent à un domaine limité ».

Pour lui, le choix de ce domaine est fait : ce sera l’allergologie. Ce choix remonte à 1950. Il aimait raconter les deux évènements qui l’avaient amené à cette décision. Le premier est que la jeune pharmacienne qu’il avait épousée en 1948 — vous Madame — souffrait d’une vive allergie à la poussière, et qu’il se sentait naturellement concerné par ce problème médical conjugal. Le second est que Lucien Cornil, dont il avait été l’assistant en anatomo-pathologie durant son internat, lui avait confié la préparation d’un rapport sur l’anatomo-pathologie de l’asthme, à présenter au 2ème Congrès International de l’Asthme, en Juin 1950 au Mont Dore. C’est là qu’il rencontre le Gotha de l’Allergologie de l’époque, l’école de Pasteur Vallery-Radot, Bernard Halpern auréolé de ses recherches sur les antihistaminiques et de sa récente découverte du Phénergan, Pierre Blamoutier responsable de la Consultation d’Allergologie à l’Hôpital Broussais et René Wolfrom, et c’est là aussi qu’il fait la connaissance de Jude Turiaf. Des amitiés se nouent, des projets s’élaborent, et comme il écrira plus tard « je suis arrivé au Mont Dore jeune interniste… j’en suis ressorti une semaine plus tard voué à l’Allergologie ». Et dès qu’il rentre à Marseille, il ouvre une Consultation d’Allergologie.

Son voyage aux États-Unis et le séjour sanatorial qui avait suivi retardent un moment son engagement dans cette voie, mais à partir de 1953, les initiatives vont se multiplier. Tout de suite, son attention se concentre sur l’asthme. Il en étudie avec les conseils de Jude Turiaf les caractéristiques cliniques, l’évolution, le pronostic, et s’intéresse particulièrement aux asthmes de type réaginique. Cela le mène au problème de la détection des facteurs responsables des crises, c’est-à-dire à l’inventaire des allergènes présents dans l’atmosphère marseillaise.

Sa première préoccupation est d’identification des pollens de la région provençale.

Pour mener à bien cette entreprise, bien éloignée des compétences d’un Service de Clinique, il bénéficie d’une alliée précieuse, son épouse, que ses études en Pharmacie avaient formée à la palynologie. Autour d’elle, une petite équipe s’organise, avec l’aide d’un ami fidèle, Jean Aubert. Le calendrier pollinique de Provence est établi en 1955. Il sera suivi des calendriers polliniques de Paris, de Lyon, de Strasbourg, de Clermont Ferrand, de Nice, et au-delà de nos frontières, de Tunis et du Portugal.

Bien plus, rassemblant les informations venues des pays d’Europe de l’Est et de l’Ouest, l’équipe marseillaise de palynologie devient maître d’œuvre d’un « Atlas européen des pollens allergisants », qui sera publié en 1975, avec la collaboration de R. Surinyack et A.W. Frankland.

L’activité de ce qui est devenue l’Unité INSERM de « Physiopathologie de l’Asthme et des syndromes obstructifs », s’étend à l’étude des calendriers des moisissures atmosphériques, aux acariens, aux allergènes d’origine animale, professionnels ou industriels : c’est dans le cadre de ces recherches que s’inscrit la découverte de l’allergie aux daphnies nourriture des poissons rouges et de l’allergie aux poussières de ricin, responsables de véritables épidémies d’asthme quand le vent les pousse vers les lieux habités, deux faits cliniques qui frappent les imaginations et servent utilement la cause de l’Allergologie. D’autant qu’à partir des allergènes identifiés, Louis Guibert prépare, dans son laboratoire de l’Institut Pasteur, des extraits utilisables en pratique quotidienne dans des bilans allergiques de plus en plus complets.

Jacques Charpin ne limite pas son intérêt pour l’asthme au seul problème du diagnostic allergologique. Il s’attache, avec son collaborateur Jean Orehek à préciser les désordres physiopathologiques qui participent à l’obstruction bronchique, notamment l’influence vagale au cours et au décours des conflits d’allergie immé- diate, et recherche les mécanismes de l’hyper réactivité bronchique. Il est aussi le premier à étudier expérimentalement les effets des polluants atmosphériques, particulièrement du NO2, sur la réactivité des asthmatiques aux allergènes, travail qui connaîtra une audience internationale. D’autres types d’allergie sont abordés :

allergies aux piqûres d’hyménoptères, allergies professionnelles, allergies médicamenteuses, à l’aspirine, aux antibiotiques, aux myorelaxants…

Les progrès de l’immunologie fondamentale dans la connaissance des désordres biologiques impliqués dans les conflits allergiques de type immédiat le passionnent.

En liaison avec ses collègues immunologistes Pierre Bongrand et Raymond Despieds, il étudie l’apport diagnostique des tests in vitro qui en découlent et suit l’évolution des perturbations biologiques en fonction des traitements appliqués et de leur efficacité, à la recherche de guides objectifs pour la conduite thérapeutique.

Car toutes ces investigations allergologiques, physiopathologiques ou immunologiques, visent à une meilleure évaluation des médications nouvelles qui se succèdent :

l’utilisation des corticoïdes, broncho-dilatateurs-adrénergiques, atropiniques de synthèse, cromoglycate disodique sont expérimentés avec une rigueur exemplaire.

Les résultats de la désensibilisation, et ceux de la climatothérapie chez l’enfant, sont analysés en fonction de l’évolution des données cliniques et biologiques, en faisant appel dès 1971 pour la première fois aux ressources de l’informatique.

L’école marseillaise est devenue, au fil des années, la référence en matière de prise en charge de l’asthme allergique et l’une des premières sur le plan international.

Les publications se multiplient en France et dans les revues internationales d’Allergologie. La diffusion de ces travaux, son souci de suivre de très près l’évolution des recherches internationales amène Jacques Charpin à beaucoup voyager. Les missions se succèdent, en Russie, Colombie, Burundi, Chine, Afrique du Sud, les voyages d’étude au Japon, au Canada, en Argentine, à Cuba, et les contacts avec les Universités américaines se multiplient.

Il acquiert très vite une notoriété internationale, figure parmi les membres fondateurs de l’Académie européenne d’Allergologie et d’Immunologie Clinique qu’il présidera en 1985, puis prendra la Présidence prestigieuse de l’Association Internationale de l’Allergie en 1990-1991.

 

Parallèlement à la part qu’il prend à l’essor scientifique de l’Allergologie, Jacques Charpin se préoccupe de l’organisation en France de ce domaine de la pathologie en plein essor. Lorsqu’il a ouvert sa consultation marseillaise en 1950, les médecins généralistes portaient peu d’attention aux méthodes d’investigation allergologique.

Il n’existait alors que de rares centres spécialisés, tous hospitaliers, auxquels ils pouvaient avoir recours. Très vite dans les années qui ont suivi, les pneumologues vont s’intéresser de plus en plus à l’exploration allergologique de l’asthme : la publication de calendriers polliniques, la mise à leur disposition d’allergènes variés ouvrent de nouvelles perspectives diagnostiques et thérapeutiques. Mais l’allergologie n’a pas de statut. La première étape de sa reconnaissance officielle sera la prise en compte des bilans allergologiques par la Sécurité Sociale en 1959. En 1961, la création de la Société française d’Allergologie, dont Jacques Charpin est l’un des fondateurs, donne à ses nouveaux adeptes l’occasion d’échanger leurs expériences, puis viendra la création d’une qualification par l’Ordre National des Médecins en 1975 et l’officialisation d’une compétence en 1978. Jacques Charpin joue un rôle décisif à toutes les étapes de cette évolution. Dans une lecture qu’il donne en 1973 à l’Académie sous le titre « Essor et problèmes de l’allergologie », il prend acte de ce mouvement et déplore l’absence d’un enseignement spécialisé de cette nouvelle discipline. Il plaide pour un enseignement officiel comportant une large information en Immunologie fondamentale et un enseignement clinique adapté aux diverses pathologies d’organe concernées. Il crée en outre en 1975, des journées d’Enseignement post-universitaire d’Allergologie et d’Immunologie clinique dans son Service de l’Hôpital Sainte Marguerite qui connaissent tout de suite un large succès, et fêteront leur 30ème Anniversaire cette année.

Dans le même esprit de formation des allergologues, il participe dès 1963, sous la direction de Pasteur Vallery-Radot et en collaboration avec Pierre Blamoutier et Bernard Halpern, à la rédaction d’un traité d’Allergologie, le premier à paraître en langue française. Les rapides progrès de l’immunologie fondamentale rendent rapidement obsolète cet ouvrage, Jacques Charpin décide de coordonner un nouveau traité d’Allergologie, qui fait le point des connaissances nouvelles en Immunologie et en Allergologie Clinique. C’est le livre dont l’allergologue francophone ne peut se passer. La première édition en 1980 connaît un remarquable succès. Elle sera suivie d’une deuxième et d’une troisième édition, en 1986 et 1992, et d’une quatrième en 2003 sous la direction de son élève Daniel Vervloet.

 

Jacques Charpin a véritablement été, sinon le fondateur, tout au moins le moteur indiscutable du développement de l’Allergologie clinique en France. Sans doute est-ce là le principal de ses mérites, mais sa personnalité offre bien d’autres facettes.

L’hospitalo-universitaire marseillais d’abord : il est arrivé à la responsabilité d’un Service au moment où la réforme des études médicales et de l’organisation hospitalière se mettait en place. Dans les années qui suivent, il reste attentif à l’évolution du Centre hospitalier et Universitaire de Marseille, et dans cet esprit devient assesseur du Doyen Henri Gastaut en 1967, et il vit à ce poste d’observation privilégiée les évènements de Juin 1968. Il quittera cependant un peu plus tard cette responsabilité administrative qu’il juge difficilement compatible avec une carrière scientifique internationale. Il sera aussi Membre de la Commission Médicale Consultative dès 1958, jusqu’à en assurer la Présidence en 1972-1974, veillant à la modernisation de services trop souvent installés dans des locaux vétustes et au développement de structures nouvelles.

Le Chef de Service hospitalier, et l’enseignant qu’il est à la fois, assume ces deux fonctions inséparables dans sa vie quotidienne. Il a la responsabilité d’un grand service très actif, marqué par la présence quasi permanente de nombreux stagiaires français ou étrangers, aux côtés des cadres hospitaliers traditionnels, internes, chefs de cliniques et assistants. Le « Patron » dirige d’une main ferme dans un climat de familiarité respectueuse. Les consultations d’asthmatiques qu’il donne sont un moment privilégié et recherché que Jean-Pierre Orlando décrit comme « un spectacle pendant lequel une leçon médicale est donnée ». L’ambiance de ce grand service, la richesse de son enseignement attirent les jeunes pneumologues voulant s’initier à l’asthmologie. Bientôt « passer chez Charpin » devient une étape obligée de leur formation.

L’Académicien : Jacques Charpin a très tôt été attiré par l’Académie, où il trouve à la fois un accueil intéressé à ses travaux et un soutien à ses efforts d’organisation de l’Allergologie. Sa première lecture date de 1971, consacrée à l’évolution de l’asthme infantile, abordée par l’informatique. Il présentera cinq lectures avant son élection comme Membre correspondant national en 1975. Il en totalisera dix-neuf au moment de son accession à l’Éméritat, auxquelles s’ajoutent une vingtaine de rapports, réponses à des questions posées à l’Académie. Ce dernier rôle d’expert en Allergologie lui tenait beaucoup à cœur. Lors d’une de ces dernières venues à l’Académie, il me fit part de son inquiétude de savoir qui lui succèderait dans cette mission, lorsqu’il ne pourrait plus la remplir. L’élection de François-Bernard Michel en 1998 le rassura pleinement sur ce point.

La vie familiale : la personnalité de Jacques Charpin ne saurait se résumer à celle d’un Médecin passionné par son métier et uniquement préoccupé de son service hospitalier, d’enseignement et de recherche, activités exigeantes qui s’accordent parfois difficilement avec une vie familiale harmonieuse. Malgré ses charges, malgré ses nombreux voyages, il était aussi un mari et un père attentif. Sans doute ce bonheur conjugal a-t-il bénéficié de l’heureuse influence de l’intérêt partagé que lui et son épouse portaient à la palynologie, au point de les amener à herboriser le dimanche dans la campagne provençale, avec leurs enfants, qui m’a-t-on dit, n’avaient pas toujours le même enthousiasme pour les pollens. Ce qui n’empêchera pas ces quatre enfants de combler leurs parents par la réussite qu’ils ont connue dans leurs études et plus tard dans leur vie : deux polytechniciens, qui mènent une remarquable carrière, l’un comme économiste, l’autre comme ingénieur du génie rural et des eaux et forêts, et deux pneumologues et allergologues, dont l’un a donné il y a 15 jours une lecture devant notre Compagnie. Treize petits enfants sont venus compléter la famille pour le plus grand bonheur des grands parents.

 

Ces dernières années, la santé de Jacques Charpin s’altère, ses déplacements deviennent difficiles, ses venues à l’Académie s’espacent pour s’interrompre en 1998-1999.

Sans illusion sur les possibilités de guérison, il sollicite son passage à l’Éméritat et se retire chez lui, entouré de l’affection des siens.

Dans cette retraite imposée, peut-être lui est-il arrivé dans les heures passées face au Vieux Port de Marseille, d’évoquer le bilan des objectifs qu’il s’était fixés en 1963 :

— certes, la tuberculose n’est pas éradiquée, mais au moins est-elle maîtrisée malgré les obstacles qui empêchent son recul définitif, la pauvreté, l’ignorance, l’immigration clandestine, et ce nouvel allié qu’est le SIDA ;

— la pneumologie marseillaise s’est remarquablement développée : au moment de sa retraite, le Service de Pneumologie-Allergologie qu’il avait créé donne naissance à trois services regroupés en un Département des maladies respiratoires, qui prend en charge tous les aspects de la Pneumologie moderne ;

— enfin, son troisième objectif, faire progresser la connaissance médicale dans un domaine privilégié, a été magnifiquement rempli. On lui doit le développement de l’Allergologie Clinique, à la fois dans son approche scientifique et dans son organisation. Son élève Daniel Vervloet, ce « brillant pneumologue et allergoimmunologiste qui est le meilleur successeur dont j’aurais pu rêver » écrivait-il, prolonge la tradition marseillaise de recherche allergologique d’audience internationale. Bien plus, l’élan donné à cette discipline nouvelle en France depuis le début des années 1950 s’est traduit par l’apparition en dehors de Paris et Marseille de centres de recherches allergologiques à Bordeaux, Montpellier, Lille, Strasbourg, Nancy, Clermont-Ferrand… L’allergologie a maintenant rang de discipline incontournable, et l’allergologie française est certainement l’une des plus brillantes au monde.

Jacques Charpin a aussi eu la satisfaction de voir son action officiellement reconnue par l’accession aux grades d’Officier de la Légion d’Honneur, d’Officier du Mérite national et de Commandeur des Palmes Académiques.

Il a accompli son programme, et peut reposer en paix.

Madame, et vous ses enfants, pouvez être assurés que le souvenir de Jacques Charpin restera dans nos mémoires, celui d’un des meilleurs d’entre nous, et que l’Académie n’oubliera pas celui qui a été l’un de ses plus fidèles serviteurs.

* Membre de l’Académie nationale de médecine.