Publié le 14 juin 2005
Éloge

Maurice Tubiana*

Éloge

Éloge de André Bonnin (1937-2004)

Tout éloge funèbre est empreint de tristesse. La mienne, aujourd’hui, est particuliè- rement vive car André Bonnin est mort avant d’avoir atteint ses objectifs et alors qu’il était sur le point d’y parvenir.

Modeste, réservé, André Bonnin était l’antithèse de ces personnages qui désirent attirer sur eux l’attention des médias. En ce siècle où beaucoup se préoccupent davantage du faire-savoir que du faire, il ne s’intéressait qu’au faire. Il était non pas antimédiatique mais sincèrement indifférent à la célébrité éphémère, au clinquant, au faux semblant. Par contre, il désirait ardemment être utile, agir pour le bien des autres.

Comme toujours, pour comprendre un destin, un itinéraire, il faut chercher dans l’enfance. Celle d’André Bonnin s’est déroulée dans une famille où la valeur essentielle était « le travail ». Son père, mais sa mère surtout, l’ont profondément influencé. Elle était directrice d’école à Parthenay dans le nord des Deux-Sèvres. Elle lui a inculqué le sens de l’ordre, le goût de la discipline librement consentie qui grandit à la fois celui qui guide et celui qui est guidé car elle les unit et en fait deux partenaires.

À une époque où il est bien vu de dire « non » et où l’on fait des héros de ceux qui s’opposent ou se rebellent, il était de ceux qui disent « oui », sans emphase mais résolument pour bâtir ensemble une œuvre commune.

* Président honoraire de l’Académie nationale de médecine.

 

Il a été pensionnaire au Lycée de Niort, Michel Bellet qui fut son condisciple pendant quatre ans, nous le décrit comme un très bon élève, sérieux, toujours prêt à écouter ses camarades, à les aider ; d’ailleurs il était régulièrement élu chef de classe.

On disait alors de lui qu’il était simple et gentil. Ce ne sont pas les mots qui conviennent, il était tout simplement bon, qualité devenue si rare qu’on n’ose plus l’évoquer, qui faisait qu’on l’aimait mais qui le laissait désarmé face aux méchants.

Le jeudi, le dimanche, en rang par deux, les pensionnaires se promenaient sans bavarder. Michel Bellet cite à ce propos René Char : « nous avons cessé de parler mais ce n’est pas le silence ». André Bonnin n’aimait pas dire des banalités mais il était présent et sa seule présence réconfortait.

Le baccalauréat passé, André Bonnin vient à Paris pour faire ses études de médecine ; il est très vite reçu à l’internat, choisit l’imagerie médicale, discipline qui connaît, alors, des progrès fulgurant avec l’échographie, dont il est, dès 1968, l’un des pionniers, puis le scanner, et l’IRM. Il participe dès le début de sa carrière hospitalière aux recherches sur ces nouvelles technologies. Plus tard, il fait des travaux très remarqués sur l’utilisation du scanner en 3D pour mesurer les volumes du poumon et du foie et en radiologie interventionnelle sur les dilatations endoluminales vasculaires et les techniques de dérivation biliaire. L’œuvre scientifique d’André Bonnin est exprimée dans plus de deux cents articles dans les journaux les plus prestigieux, Lancet, New-England J. Med, Radiology, etc. Il a écrit sept traités sur l’échographie dont plusieurs ont été traduits en italien et en espagnol et un ouvrage dont le seul titre montre la hauteur de vue « Éthique et imagerie ».

Il est l’élève puis l’agrégé de Guy Ledoux-Lebard à Cochin dont il prendra la succession. Ledoux-Lebard a deux passions, la radiologie et les meubles du premier Empire dont il est un des experts reconnus et sollicité par tous les musées. À sa suite, André, partagera ces deux intérêts en y ajoutant l’art contemporain. Avec une fidélité exemplaire, il restera très attaché à Guy Ledoux-Lebard et s’occupera de lui comme un fils jusqu’à sa fin qui n’a précédé que de quelques mois celle d’André lui-même.

J’ai connu André Bonnin à la fin de son internat. Je présidais le Centre Antoine Béclère qui avait été créé par Antoinette Béclère. Celle-ci vivait pour célébrer la mémoire de son père. Elle voulait que le centre se consacre aux relations internationales en Radiologie avec deux aspects : d’une part, l’accueil des radiologues étrangers désireux de se former en France et d’autre part la bibliographie pour faire connaître à l’étranger les œuvres des radiologistes français et inversement faire connaître à ceux-ci les résultats publiés dans les journaux internationaux. Dans les années 1960, il n’y avait pas d’informatique et seuls les fichiers pouvaient assurer la dissémination rapide des nouvelles publications, mais remplir ceux-ci nécessitaient beaucoup de temps et il fallait faire appel aux bonnes volontés. Très vite, je remarquais André Bonnin parmi ces bénévoles. Il venait presque tous les soirs de la semaine de 18 à 20 heures, remplir des fiches pour enrichir un gigantesque fichier où les étudiants venaient puiser les références pour rédiger thèses, mémoires et articles.

 

Ce dévouement me sembla exemplaire et je conversais souvent avec lui. J’admirais son ardent désir de bien faire, non pour en tirer une quelconque vanité, ni pour être reconnu, mais simplement pour accomplir sa tâche.

Plus tard, beaucoup plus tard quand la retraite commença à se profiler à l’horizon, il me confia sa volonté de trouver des activités en lesquelles il pourrait s’investir après la retraite. Je l’encourageais à se présenter à l’Académie nationale de médecine pensant qu’elle pourrait l’aider à réaliser ses projets et pensant aussi que l’Académie pourrait bénéficier de sa droiture, de sa bonne volonté et de ses connaissances. Il concentrait ses efforts sur trois projets que je voudrais vous faire connaître parce qu’ils aident à comprendre la personnalité d’André Bonnin.

La radioprotection des malades.

La radioprotection est depuis une dizaine d’années au cœur des préoccupations de la communauté radiologique mais la plupart des spécialistes s’intéressent surtout aux doses reçues par les travailleurs et par le grand public. Dans ces deux domaines, tout, ou presque, ce qui pouvait être fait l’a été et pour progresser encore, c’est-à-dire réduire des doses déjà très faibles, il faudrait y consacrer des sommes très élevées donc avec un mauvais rapport coût/efficacité.

André Bonnin s’intéressait à une autre voie, à laquelle, en 1995 bien peu se consacraient en France, malgré son grand intérêt : la mesure des doses reçues par les patients au cours des examens radiologiques et la façon de les réduire. André Bonnin organisa en 1996, un colloque sur ce thème qui eut un vif succès et fut publié dans un numéro spécial du Concours Médical « Les avancées de la radiologie médicale et ses contraintes en dosimétrie et radioprotection ». Ce numéro de 65 pages est à la fois une excellente revue générale, un manifeste et un programme. Il attira l’attention sur ce domaine. Parallèlement, il monta un laboratoire pour mesurer les doses délivrées notamment au cours des scanners, en particulier chez les enfants. Quelques physiciens acceptèrent de venir y travailler bénévolement. André Bonnin compara les résultats avec les données publiées à l’étranger, ce qui montra qu’il était possible de réduire ces doses. Cette activité fut remarquée par le Ministère de la Santé et André Bonnin reçut officiellement la mission d’agir en ce domaine, pour les différents types d’examens à la fois par le Ministre de la Santé et par le Directeur de l’AP-HP. Très vite, cette mission apparut d’autant plus importante qu’une directive européenne imposa aux radiologues, avant tout examen utilisant des rayons X, de mettre en balance le risque éventuel induit par ces examens qui dépend de la dose reçue et les avantages, c’est-à-dire l’information apportée par l’examen. Dans son rapport de mission, André Bonnin indique les niveaux dosimétriques de référence qu’il avait calculés et au-dessous desquels on doit se situer en pratique courante. Ceux-ci ont été diffusés dans les services de radiologie et les cabinets privés français.

En ce qui concerne la réduction des doses, son rapport préconise un contrôle de qualité de l’appareillage, une optimisation des actes et un contrôle de la pertinence clinique et radiologique (rapport coût radique / bénéfice pour le patient). L’efficacité du contrôle de l’appareillage fut prouvée par les études effectuées à l’occasion du dépistage du cancer du sein par mammographie. Grâce à celui-ci, les doses furent considérablement réduites et on évita d’avoir à refaire des clichés.

En juillet 2001, le Ministre de la santé lui confie une mission complémentaire précisant « il me paraît nécessaire de porter une attention particulière aux pratiques spécifiques effectuées, soit dans le cadre de programmes de dépistage médical, qui nécessitent parfois des examens relativement irradiants dont la fréquence doit être adaptée au bénéfice attendu, soit lors de programmes de recherche, sur ces deux points ». Cette phrase illustre l’intérêt que le Ministre portait aux travaux d’André Bonnin André Bonnin se passionna pour cette mission et pour l’alliance radioprotectionradiobiologie. Il mit sur pied un site informatique destiné à la radiobiologie et à la radioprotection et orienta, avec beaucoup de pertinence, les activités du Centre Antoine Béclère dans cette direction qui intéressait à la fois l’imagerie, la médecine nucléaire et la radiothérapie.

Je regrette beaucoup qu’André Bonnin n’ait pas assisté à l’exposé de Charpak et Kalifa sur ce sujet, il en aurait été très heureux. Je regrette aussi qu’il n’ait pas pu participer jusqu’à la fin à la rédaction du rapport sur la relation dose-effet en radio-cancérogenèse car il avait joué un rôle notable dans la phase initiale de ce rapport.

La télémédecine et le télé-enseignement.

André Bonnin avait compris très tôt l’intérêt de la télématique en médecine, il s’est engagé résolument dans cette voie et a acquis une double expérience en télémédecine depuis 1992 et en téléenseignement depuis 1999.

Il a réalisé le premier examen par scanner à distance, en partenariat avec l’Université de Montréal, : des scanners étaient effectués à Montréal et à Paris et les images transmises de scanner à scanner, étaient interprétées simultanément dans les deux villes. Ces expériences ont prouvé la fiabilité de cette pratique, riche de possibilités, pour la constitution de réseaux radiologiques.

André Bonnin s’appliqua aussi à développer les méthodes de télé-enseignement.

Nommé directeur de l’Université virtuelle de Paris 5 en 1998, il a été chargé d’une mission sur ce thème et a été le coordinateur du comité de pilotage de la fédération inter-universitaire de l’Université virtuelle médicale nationale francophone.

André Bonnin a eu l’idée originale d’appliquer le télé-enseignement et la télématique à deux objectifs jusque là peu explorés, d’abord une contribution à la formation des manipulateurs de radiologie et des infirmières. Dans ce but, il a élaboré divers modules en particulier sur l’hygiène hospitalière et les accidents des anti-coagulants.

D’autre part, il s’est intéressé à l’information des malades et a monté un télé- enseignement sur les différents types d’examens et de traitements destiné à rassurer les malades, un autre document leur apprend le respect des règles d’hygiène. Afin de familiariser, dès leur entrée à l’hôpital, les malades avec l’univers hospitalier, il a réalisé des télé-vidéos fondées sur des interviews de malades.

La prise en charge des personnes âgées en leur procurant, grâce à la télématique, un environnement favorable.

André Bonnin, en collaboration avec Marie Madeleine Bernard, d’Ottawa, a mis au point un projet fondé sur l’utilisation d’un système de surveillance et de télé- communication permettant aux personnes âgées vivant seules de rester en contact permanent avec leur réseau de soin et avec leur famille, en utilisant le réseau internet, en s’inspirant d’un modèle déjà opérationnel à Ottawa et à Montréal, au Canada.

Leur projet a obtenu, en 2003, le prix Gérontechnologie décerné par la Fédération hospitalière de France et la Fondation Nationale de Gérontologie.

André Bonnin se dévouait sans compter à ce projet fort complexe qui était devenu l’axe principal de ses activités et l’épisode tragique de la canicule pendant l’été 2003 l’avait convaincu du bien-fondé de cette méthodologie qui aurait pu sauver des milliers de vie. Quand l’Académie a créé en 2004, un groupe de travail sur la réinsertion sociale des personnes âgées, André Bonnin avait, avec enthousiasme, voulu participer à ce groupe et en avait été nommé le secrétaire. Il désirait explorer les possibilités de cette méthodologie en la mettant en place dans quelques services de gériatrie notamment à Charles Foix à Ivry et à Grenoble. Malheureusement la maladie puis la mort l’en ont empêché.

Ces trois projets, apparemment très disparates, ont un point commun : l’imagerie au service de la médecine en utilisant des technologies de pointe pour répondre à des besoins humanistes. Ils illustrent les aspirations d’André Bonnin, médecin passionné, désireux de se vouer à des causes utiles en mettant les technologies les plus récentes au service des malades. Généreux au point parfois de sous-estimer les difficultés, il alliait l’enthousiasme et la méthode et avait forgé, avec quelques collaborateurs dévoués, à l’intérieur du Centre Antoine Béclère, une cellule opérationnelle de grande efficacité. Quand il y a quelques années, après avoir dirigé le Centre pendant plusieurs décennies, je décidais de céder à un plus jeune les responsabilités, c’est vers lui que tous les regards se tournèrent et pendant deux ans, il fit la preuve de son efficacité à ce poste, et a tourné résolument le Centre vers l’avenir, en recherchant constamment la contribution que le centre pouvait apporter à l’imagerie médicale au sens le plus large de ce terme.

Je n’ai parlé, jusqu’ici, que de la vie professionnelle d’André Bonnin, en terminant, je voudrais dire un mot de sa vie familiale. André Bonnin était profondément attaché à sa famille. D’abord, à son épouse qu’il entourait d’une vigilante et attentive affection puis à sa fille dont il était fier et il se réjouissait qu’elle soit devenue, comme lui, une radiologiste de talent. Je voudrais les saluer toutes deux en leur disant notre émotion et notre attachement.

Le mort de son frère, après une horrible et longue maladie, avait profondément meurtri André, la fin difficile de Ledoux-Lebard l’avait aussi beaucoup affecté. Sa générosité, sa sensibilité, le rendait très vulnérable et sans aucun doute toutes les émotions qu’il avait subies pendant cette dernière année l’avait beaucoup fragilisé, mais sans l’abattre car il voulait continuer à œuvrer pour aider les malades et les personnes âgées. La maladie ne l’a pas permis. Nous conserverons précieusement le souvenir de sa bonté active et de son engagement infatigable au bénéfice de ceux qui en ont le plus besoin.