Communication scientifique
Séance du 22 juin 2004

Dopage et compléments alimentaires

MOTS-CLÉS : compléments alimentaires. dopage sportif. ephédrine. hormones/ métabolisme.
Doping and dietary supplements
KEY-WORDS : dietary supplements. doping in sports. ephedrine. hormones/metabolism

Jean-Pierre Fouillot *

Résumé

Les compléments alimentaires sont l’objet d’une promotion et d’une large utilisation partout dans le monde pour des motifs de perte de poids, d’amélioration de la dépense d’énergie et des performances, ou de compensation de déficits réels ou supposés. Les compléments alimentaires comprennent des nutriments essentiels, vitamines, minéraux, protéines. Cependant, en 1994, le congrès américain, par le vote du DSHEA en a élargi la définition à tout produit susceptible d’être ingéré dans le but de compléter le régime alimentaire. Ceci étend la définition au-delà des vitamines et des minéraux, à l’herboristerie et aux substances extraites de ces plantes, acides aminés, enzymes, hormones et métabolites. Plusieurs de ces produits contiennent des produits interdits au regard de la législation contre le dopage ou peuvent poser de graves problèmes de santé pour certaines personnes. Des cas de contrôle anti-dopage positif ont été relevés dans trois cas : stimulant de type amphétaminique à conséquences cardiovasculaire et nerveuse, hormones et pro-hormones, contamination de compléments alimentaires par des hormones, essentiellement des stéroïdes anabolisants. Les lois françaises et européennes protègent le consommateur français des dangers de l’utilisation de ces produits. Cependant l’insuffisance des contrôles au sein de certains pays européens, les ventes par Internet et la connaissance insuffisante du problème par certains professionnels de santé rendent possible la consommation de produits falsifiés.

Summary

Dietary supplements are widely promoted and used all over the world as a means of losing weight, increasing energy and athletic performance, or for compensating for true or supposed deficits. Traditionally, dietary supplements have been defined as products composed of one or more essential nutrients such as vitamins, minerals, and protein. But, in 1994, the US Congress broadened the definition to include (albeit with some exceptions) any product intended for ingestion as a supplement to the diet. This includes vitamins, minerals, herbs, botanicals, and other plant-derived substances ; amino acids and substances such as enzymes, hormones, and metabolites. Some dietary supplements contains substances prohibited by anti-doping rules or may pose a health risk to some persons. Positive cases of doping can be found in three cases : amphetamine-like compounds that have potentially powerful stimulant effects on the nervous system and heart ; hormones and pro-hormones ; and intentional contamination of dietary supplements with hormones (mainly anabolic steroids). French and EU laws protect French consumers from adverse events related to the use of these products. Nevertheless, lack of controls in some European countries, Internet sales, and poor knowledge among some health care professionals create a persistent risk of use of fake products.

QU’EST-CE QU’UN COMPLEMENT ALIMENTAIRE ?

Si l’on s’en tient à la définition donnée dans le Journal Officiel du 12 avril 1996, les compléments alimentaires sont les produits destinés à être ingérés en complément de l’alimentation courante, afin de pallier l’insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers.

Les compléments alimentaires ne comprennent donc que les nutriments essentiels comme les vitamines, les minéraux, les protéines, les glucides, les lipides, ou des plantes, que l’on trouve normalement dans l’alimentation humaine.

La directive européenne 2002/46/CE sur les compléments alimentaires confirme cette définition.

Les compléments alimentaires sont considérés sur le plan juridique comme des denrées alimentaires. Ils sont dès lors soumis à ce titre à l’ensemble des prescriptions concernant les denrées alimentaires :

• Obligation de sécurité • Obligation de conformité aux prescriptions en vigueur • Obligation d’information loyale du consommateur Toutes les prescriptions en matière d’hygiène, d’emplois d’additifs et de nouveaux ingrédients sont applicables. Elle précise les modes de conditionnement et interdit en particulier la vente en vrac.

Elle introduit en plus la notion d’effet physiologique, ainsi toute allégation d’un effet physiologique doit être démontré au préalable Malheureusement cette directive ne concerne que les vitamines et minéraux, dont la liste est spécifiée et qui doivent se conformer aux spécifications d’apport quotidien recommandé. Les dispositions relatives aux autres nutriments seront arrêtées ulté- rieurement lorsque des données scientifiques suffisantes et appropriées seront disponibles. Pendant cette période transitoire, les réglementations propres à chaque
état restent applicables, ce qui explique que certains produits autorisés dans d’autres pays de la communauté européenne soient interdits à la vente en France en raison de la présence de certains acides aminés non autorisés comme la créatine ou la taurine.

La mise sur le marché des compléments alimentaires est placée sous l’autorité de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) qui a pour mission d’assurer la sécurité sanitaire dans le domaine de l’alimentation, depuis la production des matières premières jusqu’à la distribution au consommateur final. Elle évalue les risques sanitaires et nutritionnels que peuvent présenter les aliments, y compris ceux des eaux destinées à la consommation, des produits phytosanitaires, des médicaments vétérinaires, des produits antiparasitaires à usage agricole, des matières fertilisantes et supports de culture.

La Direction Générale du Commerce, de la Concurrence et de la répression des Fraudes (DGCCRF) en assure le contrôle. Au cas où une substance absente de l’alimentation humaine serait proposée à la vente, elle serait interdite à moins que des propriétés thérapeutiques démontrées lui permettent d’accéder au statut de médicament. Un médicament désigne « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ‘‘ ou ’’ tout produit contenant une substance ayant une action thérapeutique ». Dans ce cas, elle devrait obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) et pourrait être prescrite selon des modalités dépendant de l’inscription ou non sur la liste des substances vénéneuses. Ainsi, la vitamine C, la carnitine, substances non inscrites peuvent être délivrées sans ordonnance, par contre les substances vénéneuses (Liste I, liste II, stupéfiants), comme la vitamine D, la testostérone, la DHEA ne peuvent être délivrées sans ordonnance pour un usage thérapeutique et à une posologie conforme aux règles de bonne pratique médicale.

Certaines substances comme l’hormone de croissance il y a quelques années et l’érythropoïétine actuellement sont l’objet d’une prescription restreinte à usage hospitalier.

L’ECONOMIE DE L’INDUSTRIE DES COMPLEMENTS ALIMENTAIRES

En 1993, la Food and Drug Administration (FDA) propose d’imposer à l’industrie des compléments alimentaires de faire la preuve de l’efficacité et de la sécurité de leurs produits. Devant le coût élevé des protocoles expérimentaux menaçant la rentabilité des produits, cette industrie lance une campagne de pétitions auprès des candidats aux élections sénatoriales, exigeant le libre accès à l’herboristerie traditionnelle et la liberté d’utilisation des vitamines et sels minéraux. A la suite d’un « lobbying » efficace, le Sénat des Etats-Unis vote en 1994, le Dietetary Supplement Health and Education Act (DSHEA) qui conduit à une dérégulation des supplé- ments alimentaires. Ce texte ouvre ainsi la porte à la commercialisation sous la dénomination de complément alimentaire, de toute substance naturelle (hormones
comme la DHEA, la mélatonine, l’hormone de croissance, des pro-hormones de la nandrolone, la carnitine, la créatine, etc.) même si ces substances ne sont pas présentes dans l’alimentation, sans nécessiter l’agrément de la FDA. Les additifs alimentaires sont par contre soumis à l’autorisation de la FDA. L’industriel doit simplement s’engager à ce que le produit ne soit pas dangereux, et la FDA doit prouver son éventuelle toxicité pour le retirer du marché. Le marché américain des compléments alimentaires était de 8,6 milliards de dollars en 1994. Il augmente progressivement jusqu’à 18,07 en 2001.

Depuis 1996, la FDA mène une lutte permanente pour limiter la posologie ou interdire certains produits comme les préparations contenant de l’éphédrine sous le nom de Ma-Huang.

En Septembre 2001, le Public Citizen Health Research Group dépose une plainte auprès de la FDA, alléguant de la survenue de 20 décès et 800 cas de complications depuis 1994. La puissance économique de l’industrie des compléments alimentaires aux Etats-Unis rend difficile de telles démarches, et comme nous le verrons plus loin, il a fallu 8 ans pour que la FDA réussisse à faire interdire cette classe de produits.

Ceci a eu pour effet de ralentir la croissance de cette industrie, dont le chiffre d’affaires a augmenté seulement à 18,8 milliards de dollars en 2003 (Source Nutrition Business Journal 2001, 2003) . Selon le journal de l’industrie des compléments alimentaires, 50 % de la population américaine utilisent des compléments alimentaires, 100,4 millions d’américains utilisent vitamines et minéraux chaque jour et 37,2 millions ont recours à la phytothérapie régulièrement.

Selon le Syndicat National des Fabricants en Produits Diététiques, Naturels et Compléments Alimentaires (Synadiet), le marché mondial des compléments alimentaires représente 45 milliards d’Euros, le marché des USA, 15,8 milliards d’Euros, le marché européen, 15 milliards d’Euros, le marché français ne représentant que 600 millions d’Euros.

LES COMPLEMENTS ALIMENTAIRES, VECTEURS DE DOPAGE ?

Une grande partie des compléments alimentaires disponibles sur le marché français respecte la législation française. Cependant, l’extension de la mode des compléments alimentaires et des produits diététiques, l’absence de normes européennes en dehors des vitamines et des minéraux, la libéralisation extrême de ce marché aux Etats-Unis, facilitent le contournement de la réglementation par la vente sur Internet et le démarchage à domicile dans les clubs sportifs et les centres de remise en forme par des réseaux nationaux ou transfrontaliers, organisés et structurés.

Le marché des compléments alimentaires et des produits diététiques est devenu ainsi un secteur gangrené par une économie souterraine dont une frange incontrôlée constitue un vecteur de dopage.

Ce dopage peut revêtir trois formes :

• Les hormones et pro-hormones, • La contamination de compléments alimentaires par des produits interdits, • L’introduction de stimulants dans les produits qualifiés de « dynamogènes » ou « dynamisants », « ergogènes » ou « énergisants », « brûleurs de graisse » ou « fat burners ».

Les pro-hormones

Il s’agit le plus souvent de stéroïdes anabolisants précurseurs pouvant être convertis par l’organisme humain en stéroïdes plus actifs et commercialisés dans certains pays sous l’étiquette de compléments alimentaires. Les plus connus sont les précurseurs de la testostérone et de la nandrolone.

Peu d’études scientifiques ont été effectuées sur leurs effets et leurs risques.

Broeder [3] n’observe pas d’effet significatif sur la force, avec une prise de 200 mg/j, d’androstènediol ou androstènedione, pendant 12 semaines, par rapport au placebo.

Par contre le risque de contrôle anti-dopage est réel bien que pendant une période limitée.

Oestrone et oestradiol sont augmentés mais l’élévation de la testostérone reste faible et le catabolisme protidique musculaire supérieur à l’anabolisme. Pour Broeder, les effets restent modestes par contre le profil lipidique est perturbé et le risque cardiovasculaire reste augmenté. Si les doses recommandées dans les milieux de la musculation sont appliquées à long terme, c’est-à-dire 2 à 3 fois 100mg par jour d’androstènedione pendant plusieurs semaines jusqu’à 1000 mg par jour, les conséquences médicales seront comparables à celles des stéroïdes classiques.

Les contaminations des suppléments alimentaires

A la demande du Comité International Olympique, le laboratoires de Köln a procédé à une analyse de compléments alimentaires (vitamines, sels minéraux, créatine, carnitine, acides aminés branchés, glutamine, guarana,…). Sur 153 produits analysés de différentes origines (USA, GB, DK, S, N, B), 18 compléments se révélaient contaminés dont 15 par des prohormones de la nandrolone. Un échantillon de créatine se révélait contaminé par 7 pro-hormones différentes [5].

L’étude se poursuivait et confirmait les résultats préliminaires. Sur 634 complé- ments nutritionnels achetés dans 13 pays, 15 % contenaient des produits interdits.

Ce taux était variable selon les pays (origine USA : 20 %, Pays-bas : 26 %, France :

7 %) Trois types de contamination par les stéroïdes anabolisants sont possibles :

• Intentionnelle et déclarée sur l’étiquetage • Intentionnelle et masquée, à l’insu ou non de l’utilisateur
• « accidentelle » : en effet Geyer relève que 80 % des concentrations sont inférieures à 100 µg /comprimé, soit 250 fois plus faible que le plus faible dosage (25 mg).

Il constate également des variations de concentration entre lots voire entre boites.

Il est possible la fabrication de compléments alimentaires en dehors des normes de qualité et de traçabilité de l’industrie pharmaceutique donne lieu à des contaminations croisées avec la fabrication d’autres produits.

Compléments alimentaires et stimulants

Le stimulant le plus utilisé est un alcaloïde sympathomimétique, l’éphédrine, extraite d’une plante asiatique, l’ephedra sinica ou « Ma-huang ».

L’ephedra est un arbrisseau à port grêle dont les feuilles sont réduites à des écailles membraneuses. Les variétés asiatiques contiennent une plus grande quantité d’éphédrine et de pseudoéphédrine, de 1 à 2,8 % selon les espèces.

L’ephedra est un fleuron de la pharmacopée chinoise depuis plus de 5000 ans, dont les indications traditionnelles sont constituées par ses propriétés anti-asthmatique, diurétique, sudorifique.

Complètement résorbée dans le tractus gastro-intestinal, elle est peu métabolisée par le foie et excrétée dans les urines, d’où sa détection facile lors des contrôles anti-dopage. Elle présente un pic plasmatique 1 heure après son absorption. Sa ½ vie est comprise entre 3 et 6 heures et dépend du pH urinaire.

En 1999, sur 29 contrôles positifs à cette classe de produits, le laboratoire de contrôle anti-dopage de Köln a relevé 6 cas de contrôles positifs à la pseudoéphédrine, 5 à la phényléphrine, 3 à l’éphédrine et 15 à un mélange signant la prise d’extraits végétaux de Ma-huang, ce qui met en évidence l’importance de ces produits vendus comme compléments alimentaires [5].

Les indications de l’éphédrine et de la pseudoéphédrine dans la pharmacopée française sont réduites et sont essentiellement des indications ORL comme décongestionnant nasal, en gouttes nasales uniquement. Les alcaloïdes de l’ephedra présentent l’inconvénient d’un effet rebond avec congestion nasale accrue.

L’éphédrine n’est plus prescrite dans des indications de stimulant ou d’anorexigène.

Cependant, de nombreux compléments alimentaires produits hors de France sont vendus sur Internet ou par des circuits parallèles pour ces indications, sans que les consommateurs soient toujours informés de la composition réelle des produits.

Jusqu’à une date récente, l’étiquetage indiquait généralement la présence d’extrait de « Ma-huang », en omettant de mentionner la présence d’éphédrine ainsi que la quantité.

L’éphédrine a les mêmes effets pharmacologiques que les amphétamines, augmentation de la fréquence cardiaque, vasoconstriction, d’où hypertension artérielle, bronchodilatation, diminution du tonus intestinal, mydriase.

Les risques médicaux de l’éphédrine concernent le système nerveux central (tremblements, insomnie, anorexie d’où amaigrissement, psychose paranoïde), le système cardiovasculaire (hypertension artérielle, cardiomyopathie, myocardite [13] arythmie, risque de mort subite [1]). Des troubles de la coagulation associés à l’hypertension artérielle font courir un risque hémorragique et particulièrement un risque d’accidents vasculaires cérébraux. Un dérèglement de la thermorégulation à l’exercice fait courir le risque de coup de chaleur et de collapsus cardiovasculaire.

Certaines études de cas ont soulevé le risque d’hépatotoxicité [5].

L’administration chronique d’éphédrine entraîne une tolérance et une dépendance physique et psychique analogue à celle des amphétamines.

La concentration d’éphédrine et de pseudoéphédrine par gélule, commercialisée dans le cadre des compléments alimentaires est variable selon les produits. Ainsi, Gurley, [6] analysant la composition de 20 suppléments nutritionnels commercialisés a trouvé de 1,1 à 15,3 mg d’éphédrine, et de 0.2 à 9.5 mg de pseudoéphé- drine. La variabilité des concentrations entre les lots d’un même produit est également importante et différe souvent de l’étiquetage. Deux produits contenaient de fortes quantités faisant suspecter un ajout volontaire d’éphédrine de synthèse.

Quelques années après la libéralisation de la production et de la commercialisation des compléments alimentaires en raison de l’application du vote du DSHEA, des plaintes avaient été déposées par des organisations de consommateurs à la suite d’accidents pouvant être reliés à la prise de produits contenant du Ma-huang ou éphédrine.

La FDA avait entrepris de rassembler ces plaintes avec pour objectif de limiter la posologie et la durée d’utilisation de ces produits. 140 de ces dossiers ont été analysés par Haller et Benowitz [7] Trente et un pour cent des cas ont pu être reliés avec certitude ou une bonne probabilité à l’usage de suppléments contenant de l’éphédrine, et une relation était envisageable dans 31 % des cas. Parmi les accidents qui pouvaient être liés avec certitude, probablement ou éventuellement à la prise de ces produits, 47 % concernaient la sphère cardiovasculaire, 17 % le système nerveux central. L’hypertension artérielle était la cause la plus fréquente (17 cas, suivie par les troubles du rythme et la tachycardie (13 cas), accident vasculaire cérébral (10 cas) et convulsions (7 cas).

L’évolution médicale a été fatale dans 10 cas, a conduit à une invalidité dans 13 cas et un traitement médical dans 8 cas, soit 35 % des cas pouvant être reliés à la prise d’éphédrine.

L’alerte sanitaire initiée par cette enquête n’est pas la première car des accidents comparables avaient conduit plusieurs auteurs à mettre en question l’innocuité des compléments alimentaires contenant du Ma-huang et nous ne citerons pas tous les cas décrits de myocardiopathie, myocardite, hypertension, accident vasculaire céré- bral, hépatite, décrits chez des sujets jeunes, souvent sportifs ou militaires.

Samenuk et al [12] analysant 926 cas d’accidents pouvant être liés à la prise d’éphédrine entre 1995 et 1997 pouvait établir une relation indiscutable chez 37 patients (16 accidents vasculaires cérébraux, 11 infarctus, 11 morts subites). Chez 36 sujets sur 37, la posologie restait dans les limites conseillées par les fabricants.

Dans une méta-analyse portant sur 530 articles, 52 études avec groupe contrôle, 65 études de cas, et les plaintes déposées auprès de la FDA, Shekelle [11] passait en revue plus de 18 000 cas dont il extrayait 284 cas pour une analyse approfondie. Ce rapport de la Rand Corporation concluait à une absence d’effet sur la performance et un effet très modeste sur la perte de poids (0.9 kg/mois de plus que le placebo).

L’analyse des incidents a posteriori peut difficilement déterminer avec certitude absolue l’augmentation de la morbidité liée à la prise d’éphédrine. Aussi, dans cette étude très rigoureuse, l’implication certaine de l’ephedra n’était retenue que pour 2 décès, 4 accidents cardiaques, 9 accidents vasculaires cérébraux, et 8 cas psychiatriques.

Cependant, les cas « sentinelle » décrits permettaient aux auteurs de conclure à une augmentation du risque psychiatrique, sur le système nerveux autonome, de symptômes gastro-intestinaux et de palpitations cardiaques. Dans le même temps, Morgenstern [8] concluait à une augmentation significative du risque d’hémorragie cérébrale pour des consommations supérieures à 32 mg/jour, or la consommation recommandée par les vendeurs est souvent de 100 mg/jour.

Bent [2] observait par ailleurs que les plaintes à caractère médical concernant les produits contenant de l’éphédrine représentaient 64 % de l’ensemble des incidents liés à l’herboristerie alors que les ventes de produits contenant de l’éphédrine ne se montaient qu’à 0.82 % de l’ensemble des produits d’herboristerie.

Au début de l’année 2003, la FDA s’appuyait sur les expertises médicales pour tenter de réglementer plus sévèrement ce type de produits. Or Steve Bechler un joueur de base-ball connu décédait à 23 ans d’un coup de chaleur après avoir perdu connaissance à l’entraînement. La présence d’éphédrine était retrouvée à l’autopsie et un flacon de Xenadrine RFA-1 retrouvé dans son vestiaire. Les avocats de la jeune femme de Steve Bechler (enceinte de 7 mois), demandaient 600 millions $ à la firme produisant la Xenadrine. La FDA ordonne d’apposer sur les produits contenant de l’éphédrine, un avertissement du risque d’accident cardiaque, vasculaire cérébral ou de décès et réexamine la possibilité d’une interdiction. Un grand distributeur de compléments alimentaires annonce l’arrêt de la commercialisation des produits contenant de l’éphédrine. Deux compagnies produisant de tels compléments alimentaires sont accusées de publicité mensongère.

L’administration Bush annonce l’interdiction et le retrait du marché des complé- ments alimentaires contenant de l’éphédrine en raison des effets dangereux pour la santé. L’interdiction est devenue effective le 12 avril 2004.

L’industrie des compléments alimentaires estime que 12 à 17 millions d’Américains consomment des produits contenant de l’éphédrine chaque année. Un certain nombre d’entre eux ayant une consommation régulière ont développé une certaine
addiction à ce produit et soit chercheront à s’en procurer par Internet dans des pays voisins, soit se tourneront vers les nouveaux substituts proposés par l’industrie des compléments alimentaires. Parmi ces substituts, le Citrus aurentium ou orange amère fait déjà l’objet de plusieurs publications sur ses effets toxiques liés à la présence de synéphrine [9,10].

La France est apparemment protégée par une législation très restrictive, mais celle-ci n’a pas empêché le développement d’une économie souterraine conduisant à la vente de ces produits parfois au grand jour.

La production reste possible dans d’autres pays européens, d’autant plus que la directive 2002/46/CE ne concerne que les vitamines et les minéraux.

La légèreté des peines encourues, la faible perception du risque sanitaire par les professionnels de santé et par les utilisateurs, sportifs ou non, conduisent à la banalisation d’une utilisation des compléments alimentaires sans la moindre interrogation sur leur efficacité réelle ou leurs dangers potentiels.

Les sportifs et les cadres sportifs doivent savoir qu’en dehors des vitamines et des minéraux bénéficiant de la garantie de traçabilité apportée par l’industrie pharmaceutique, une partie de la production des compléments alimentaires constitue un secteur à risque d’autant plus grand que leur fabrication est effectuée en dehors de tout contrôle français ou européen.

C’est pourquoi le Conseil de Prévention et de Lutte contre le Dopage (CPLD) a créé un groupe de travail sur les compléments alimentaires, composé de médecins des Antennes Médicales de Prévention et de Lutte contre le Dopage (AMPLD). Ce groupe de travail a pour mission de rédiger un rapport sur les risques de dopage et sur les risques pour la santé des sportifs, qui résultent de l’utilisation de certains compléments alimentaires ainsi que de proposer des recommandations sur la fabrication, la distribution et l’utilisation de ces produits.

L’utilisation des compléments alimentaires comporte un risque, l’athlète doit savoir qu’il les utilise sous sa propre responsabilité.

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DISCUSSION

M. Pierre GODEAU

Où en est la technique d’utilisation de chambres hypoxiques ou de chambres d’altitude dans l’entraînement ? Efficacité ? Légalité ? Nocivité ?

Les effets de l’entraînement en altitude sur l’amélioration des performances en plaine divergent selon les auteurs. Ces différences peuvent tenir à différents facteurs comme l’altitude et la durée du séjour, le type d’entraînement effectué, le niveau sportif, haut niveau ou pratiquant sportif moyen, le délai entre le retour au niveau de la mer et l’accomplissement de la performance. De plus la preuve d’un effet de l’entraînement en altitude ne peut être apportée que par la comparaison avec un groupe témoin effectuant le même entraînement au niveau de la mer. A la suite des travaux de Levine, de nouveaux protocoles d’entraînement sont apparus combinant le séjour en altitude destiné à stimuler l’érythropoïèse et l’ensemble de la filière aérobie, et l’entraînement à une altitude inférieure de façon à éviter la diminution de l’intensité des entraînements en raison de l’hypoxie hypobare. Le relief et le réseau routier de l’Etat du Colorado permettent naturellement de tels protocoles, mais l’absence de ces conditions idéales ont conduit des sportifs scandinaves, australiens, américains ou d’autres nationalités à utiliser des chambres hypoxiques ou des tentes hypoxiques normobares dans lesquelles la pression partielle d’oxygène est diminuée par extraction d’oxygène. Les études menées en Australie, aux Etats-Unis par l’équipe de B. Levine et en France lors de l’étude multicentrique
dirigée par J-P Richalet et soutenue par le CIO et le Ministère de la Jeunesse et des Sports, ont montré une amélioration des performances et du transport de l’oxygène des groupes séjournant en chambre hypoxique et s’entraînant en plaine par rapport aux groupes témoins. Cet effet ne semble pas observé si l’altitude simulée est supérieure à 3000 mètres et si l’entraînement n’est pas diminué en intensité et en quantité. De plus certains sportifs ne réagissent pas à un tel protocole d’entraînement et n’en tireront aucun bénéfice.

L’utilisation de tels procédés que ce soit dans des conditions naturelles ou au moyen de chambres hypoxiques devrait comporter un contrôle médical de façon à prévenir toute surcharge d’entraînement ou exposition à une altitude excessive dont les effets sont alors négatifs sur la performance. Dans ces conditions le séjour à moins de 3000 mètres d’altitude réelle ou simulée ne présente pas d’effet nocif d’autant plus que l’entraînement physique est effectué à moins de 1000 mètres. Séjourner la nuit dans une chambre dont la pression partielle d’oxygène est artificiellement diminuée peut paraître « contre nature » mais rien ne peut différencier les effets de ceux d’un séjour en montagne à une altitude équivalente. Le développement de dérives sauvages et incontrôlables si elles ont lieu dans des domiciles privés peut conduire à des expositions hypoxiques excessive et inefficaces. Il peut être préférable dans ces conditions, de contrôler médicalement, sur des sites d’entraînement officiels, de tels procédés, qu’ils soient naturels en milieu montagnard ou artificiels en chambre hypoxique. Le séjour en chambre hypoxique pose donc un problème éthique complexe. La légalité de tels procédés est actuellement examinée par l’Agence Mondiale Anti-dopage, à la demande du Comité International Olympique.

M. Roger HENRION

Vous avez insisté sur la consommation de guarana et plus particulièrement d’éphédrine.

Qu’en est-il de la créatine ? Sa consommation est-elle dangereuse ?

La créatine ne permet pas d’améliorer les performances des sports d’endurance. Au cours des exercices brefs et intenses, l’augmentation des performances est modeste et concerne des protocoles expérimentaux qui ne sont pas fréquents au cours de compétitions. La créatine, sans efficacité réelle, n’est donc pas sur la liste des produits dopants. Par contre elle est interdite à la vente en France car elle n’est pas normalement présente dans l’alimentation humaine aux quantités proposées et conseillées par les vendeurs de ce produit. En effet, un apport de 20 g par jour de créatine par la seule alimentation nécessiterait d’après J. Poortmans, 4,4 kg de viande de bœuf ou 200 l de lait. La consommation de créatine ne présente pas de danger par elle-même. Le danger de la consommation de créatine tient au fait qu’une partie de la production ne répond pas aux bonnes pratiques de fabrication de l’industrie pharmaceutique. Certains produits contiennent des impuretés, et peuvent être l’objet de contaminations accidentelles ou volontaires par des produits interdits, essentiellement des stéroïdes anabolisants. De telles contaminations peuvent être à l’origine d’augmentations bien réelles de la performance et constituent le véritable danger de la créatine importée illégalement.

* Laboratoire de Physiologie, UFR SMBH, 79 av. Marcel Cachin, 93000 Bobigny. Tirés à part : Docteur J-P FOUILLOT, même adresse. Article reçu le 10 mai 2004, accepté le 17 mai 2004.

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 6, 933-943, séance du 22 juin 2004