Résumé
Les principales données permettant de dresser un inventaire sur le phénomène des drogues illicites proviennent de trois sources : les enquêtes en population générale, les statistiques administratives et les dispositifs de surveillance ad hoc . Cette communication décrit brièvement celles-ci et dégage les principales tendances qui peuvent ressortir de ces données en matière de consommation de drogues illicites, de conséquences sanitaires de ces consommations, de disponibilité et de qualité des produits consommés.
Summary
The main data allowing to draw up a global overview on the phenomenon of illicit drugs come from three main categories of sources : general population survey, institutional statistics and ad hoc monitoring systems. This article briefly describes those sources and identifies the main trends which can come out from these data as regards consumption of illicit drugs, health consequences of this consumption, availability and quality of consumed products.
Données épidémiologiques récentes sur les drogues illicites en France :
prévalence et conséquences sanitaires des consommations, disponibilité et qualité des produits
New epidemiological data on illicit drugs in France :
prevalence and health consequences of the consumptions, availability and quality of consumed products
Jean-Michel COSTES *
INTRODUCTION
Depuis 1995, l’Observatoire Français des drogues et des toxicomanies, groupement d’intérêt public, s’est vu confier la mission de publier régulièrement un rapport sur l’état du phénomène des drogues et des dépendances. Cet article s’appuie sur la quatrième édition (2002) de son rapport « Drogues et Dépendances : indicateurs et tendances », qui dresse un inventaire permettant de mieux appréhender l’étendue et la complexité du phénomène et son évolution au cours des années passées [1].
LES PRINCIPAUX OUTILS DE SUIVI DU PHÉNOMÈNE DES DROGUES ILLICITES
Pour dégager les principales tendances sur le phénomène de l’usage de drogues illicites, de nombreuses sources d’information sont utilisables. Elles peuvent être regroupées en grandes catégories dont il convient de décrire les caractéristiques principales et les limites.
Enquêtes en population générale
Ce type d’investigation vise à mesurer les comportements, les attitudes ou les opinions de la population globale, ou d’une partie d’entre elle, vis-à-vis de l’usage des produits. La méthode utilisée consiste à interroger un échantillon représentatif de ces groupes. Les enquêtes présentent l’avantage de donner une mesure directe du phénomène, et notamment de son ampleur, dans l’ensemble de la population, ainsi qu’une mesure assez fiable de son évolution. Il est cependant parfois difficile de déceler par ces enquêtes des comportements relativement rares. Les résultats fournissent une image de la consommation déclarée qui n’est pas forcément identique à la consommation réelle.
Les trois principales enquêtes dont les résultats sont utilisés dans cet article peuvent être rapidement décrites.
Le Baromètre Santé 2000 est une enquête téléphonique en population générale reposant sur un échantillon aléatoire représentatif au niveau national (N=13 685), réalisée entre octobre et décembre 1999 et coordonnée par le Comité français d’éducation pour la santé. Cette enquête multithématique porte sur les comportements et les opinions des Français en matière de santé [2].
Une enquête, European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs (ESPAD), réalisée en milieu scolaire par questionnaire auto-administré, s’est déroulée en 1999 dans une trentaine de pays européens. Le volet français de cette enquête a été mené par l’INSERM en partenariat avec l’OFDT et le ministère de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie. L’échantillon français atteint 11 870 élèves d’établissements publics et privés [3, 4].
L’
Enquête sur la santé et les comportements lors de la journée d’appel et de préparation à la Défense (ESCAPAD) est réalisée tous les ans par L’OFDT. Les jeunes
Français répondent à un questionnaire auto-administré portant sur la santé, le mode de vie et les consommations de substances psychoactives. L’échantillon 2000 (N= 13 957) comprend des garçons de 17 à 19 ans et des filles de 17 ans (il n’y a pas de filles âgées de plus de 17 ans en raison de l’extension récente de la JAPD aux jeunes filles) [5].
Registres, statistiques administratives
Les statistiques nationales issues de déclarations obligatoires (décès, Sida, etc.) permettent d’estimer une partie des conséquences sanitaires des usages de drogues :
Registre national des causes de décès , INSERM-SC8 ; Système de surveillance du
Sida en France , Institut de veille sanitaire [6].
Les statistiques administratives et certaines études, ciblant une clientèle particulière définie par l’institution qui intervient dans le champ (par exemple : santé/personnes ayant recours aux soins, justice/personnes incarcérées), offrent une vision partielle du phénomène d’usage de drogues, appréhendé sous un angle particulier. La population cachée, non vue par l’institution, est, par définition, non estimable par ces statistiques.
Une des principales sources d’information de cette catégorie est l’ Enquête sur la prise en charge des toxicomanes dans le système sanitaire et social de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et de la Direction générale de la santé (DGS) au ministère de la Santé. Cette enquête, créée à la fin des années 1980, a pour objectif de suivre le nombre et les caractéristiques des usagers de drogues pris en charge dans les structures de soins spécialisées en toxicomanie, les établissements sanitaires et un certain nombre de structures intervenant dans le domaine social. Cette enquête a été menée au mois de novembre chaque année jusqu’en 1997, puis en 1999 [7].
L’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS) recense l’ensemble des décès par surdose portés à la connaissance des services de police. Il s’agit de cas de surdosage stricto sensu ainsi que des accidents mortels divers directement et immédiatement liés aux conditions d’administration de la substance [8].
Dispositif de surveillance ad hoc
Depuis 1999, l’OFDT a mis en place un dispositif spécifique de surveillance des phénomènes émergents : Tendances récentes et nouvelles drogues (TREND) . Ce dispositif s’efforce de détecter les phénomènes émergents (produits, usages), de comprendre les contextes, les modalités d’usage et les implications diverses de la consommation des substances, et de suivre leur évolution. Ce dispositif comprend des partenariats institutionnels et des systèmes de collecte spécifiques (Réseau de
sites, SINTES, veille média). Le réseau de sites (10 en métropole et 3 dans les DOM) dispose d’observateurs spécifiques [9].
Le Système d’identification national des toxiques et des substances (SINTES) contient la description physique et chimique, d’une part des échantillons de substances synthétiques saisis par les services répressifs et analysés par leurs laboratoires et, d’autre part, d’échantillons collectés dans divers milieux (milieux festifs, soirées privées, établissements de nuit), par des acteurs de prévention, de soins ou des chercheurs et analysés par deux laboratoires hospitaliers de toxicologie. Les partenaires engagés dans une démarche de soins ou de prévention recueillent également des données épidémiologiques relatives aux contextes de consommation et au profil des consommateurs des échantillons collectés.
PRÉVALENCE DE LA CONSOMMATION DE DROGUES ILLICITES
Consommations en population générale adulte
En population générale adulte, les drogues licites ont été expérimentées par une très large majorité de Français. Consommées de façon répétée ou régulière par de larges fractions de la population, elles représentent une part importante des consommations problématiques de drogues. L’expérimentation, et plus encore la consommation actuelle de drogues illicites, est plus marginale. En dehors du cannabis, déjà expérimenté par un Français sur cinq, les autres produits ne concernent qu’une faible part de la population.
Fréquence de l’expérimentation de drogues illicites chez les 18-75 ans, les 18-25 ans et les 26-44 ans en 2000, par âge (en %).
18-75 ans 18-25 ans 26-44 ans Cannabis 21,6 46,8 31,7 Colles et solvants volatils 2,7 5,7 4,0 Cocaïne 1,5 2,2 2,5 LSD 1,5 2,9 2,3 Amphétamines 1,4 1,6 1,8 Ecstasy 0,8 2,8 0,9 Héroïne 0,7 0,9 1,2 Médicaments « pour se droguer » (1) 0,7 0,9 1,1 Champignons hallucinogènes 0,4 0,6 0,5 Opium, morphine 0,3 0,1 0,3 Poppers 0,1 0,1 0,2 (1) Termes employés lors de l’enquête.
Source : Baromètre Santé 2000, CFES, exploitation OFDT.
La consommation de drogues illicites touche avant tout les jeunes. Ainsi, plus d’un tiers des 18-44 ans a déjà consommé du cannabis au cours de sa vie. Cette proportion d’expérimentateurs décroît avec l’âge ; elle n’atteint plus que 2,5 % des 55-75 ans.
L’expérimentation de drogues illicites est un comportement nettement masculin. À l’exception des amphétamines, pour lesquelles la différence selon le sexe n’est pas significative, les hommes sont, pour toutes les drogues illicites, deux à trois fois plus nombreux que les femmes à en avoir déjà consommé au cours de leur vie. Il y a environ deux fois plus d’expérimentateurs de cannabis chez les hommes (29 %) que chez les femmes (15 %).
Concernant l’évolution au cours des années 1990, le cannabis s’est largement diffusé. Les faibles prévalences obtenues pour les autres produits rendent délicate toute extrapolation. Il semble toutefois que la tendance générale soit à la hausse (en particulier pour la cocaïne et le couple amphétamines-ecstasy), à l’exception notable de l’héroïne et des médicaments « pour se droguer ».
Consommations à l’adolescence
À la fin de l’adolescence, après le tabac, l’alcool, le cannabis et les médicaments psychotropes, les produits les plus expérimentés sont les champignons hallucinogè- nes, les poppers , l’ecstasy et les produits à inhaler et, dans une moindre mesure, le
LSD, les amphétamines et la cocaïne. À 17 ans, ces expérimentations sont toujours plus fréquentes pour les garçons que pour les filles, excepté pour le tabac et les médicaments psychotropes.
Fréquence de l’expérimentation de produits psychoactifs chez les jeunes à la fin de l’adolescence, en 2000, par sexe et âge (en %).
Filles, 17 ans Garçons, 17 ans Garçons, 18 ans Garçons, 19 ans Alcool (1) 77,3 80,8 79,3 82,7 Tabac 79,4 76,0 78,4 84,0 Cannabis 40,9 50,1 54,9 60,3 Médicaments psychotropes (2) 29,0 10,6 12,7 13,6 Champignons hallucinogènes 1,6 4,5 6,9 8,7 Poppers 1,3 3,4 4,8 8,3 Ecstasy 1,4 2,8 4,7 6,7 Produits à inhaler 3,3 4,9 6,6 6,3 LSD 0,8 1,6 2,8 4,8 Amphétamines 0,6 1,4 2,4 3,7 Cocaïne 0,6 1,3 2,7 3,3 Héroïne 0,4 0,9 1,4 1,3 (1) Consommation au cours des trente derniers jours.
(2) Intitulé utilisé dans le questionnaire : « médicaments pour les nerfs, pour dormir ».
Source : ESCAPAD 2000, OFDT.
À 17 ans, 76 % des filles et 75 % des garçons ont expérimenté au moins deux produits parmi le tabac, l’alcool et le cannabis. La poly-expérimentation augmente avec l’âge, pour atteindre 83 % à 19 ans chez les garçons (et 57 % pour la combinaison tabac, alcool et cannabis). Il est très rare d’avoir déjà consommé du cannabis sans avoir expérimenté le tabac et l’alcool. Quels que soient l’âge et le sexe, l’expérimentation des trois produits est plus fréquente que celle de deux d’entre eux seulement : ces expérimentations sont donc étroitement associées.
L’initiation aux trois principales drogues consommées par les jeunes se fait, en moyenne, dans l’ordre suivant : l’alcool (13 ans), le tabac (14 ans), puis le cannabis (15 ans).
Sans atteindre l’ampleur relevée pour le cannabis, les consommations d’autres substances se développent, amenant le constat d’une diversification des produits expérimentés et consommés, notamment dans des contextes festifs, par certains jeunes : champignons hallucinogènes, drogues de synthèse et, dans une moindre mesure, cocaïne.
Banalisation de l’usage de cannabis
La consommation du cannabis s’est nettement étendue au cours des dernières années, particulièrement chez les jeunes. En 2000, un Français sur cinq a déjà consommé du cannabis. Chez les jeunes, à la fin de l’adolescence, ce fait est observé chez plus de la moitié d’entre eux.
Chez ces jeunes, la consommation est le plus souvent occasionnelle mais devient avec l’âge de plus en plus régulière et intense. Ainsi, parmi les garçons âgés de 19 ans ayant expérimenté le cannabis (60 %), plus d’un sur trois en fait une consommation régulière ou intensive.
Fréquence de la consommation de cannabis chez les jeunes à la fin de l’adolescence en 2000, par sexe, âge et type de consommation (en %).
Type de Filles, Garçons, Garçons, Garçons, Définition consommation 17 ans 17 ans 18 ans 19 ans Abstinent Jamais 59,2 49,9 45,1 39,8 ExpérimentaDéjà consommé, mais pas 5,0 5,4 6,5 8,2 teur au cours de l’année Occasionnel Entre 1 et 9 fois par an 23,3 20,9 19,9 19,4 Répété Plus de 9 fois par an et 7,4 9,3 9,9 10,1 moins de 10 fois par mois Régulier Entre 10 et 19 fois par 2,6 6,4 6,2 6,8 mois Intensif 20 fois par mois et plus 2,6 8,0 12,4 15,8 Source : ESCAPAD 2000, OFDT.
La consommation de cannabis se retrouve dans tous les milieux sociaux. Elle est encore très fortement liée à l’âge et, dans une moindre mesure, au sexe : forte consommation chez les adolescents et les jeunes adultes, qui décroît ensuite et devient marginale après 50 ans, usage plus important pour les hommes. Toutefois, la différence entre les sexes est moins marquée pour les jeunes générations de consommateurs.
La consommation de cannabis est très fréquemment associée à celle du tabac et de l’alcool. Dans les contextes festifs, le cannabis est très présent, accompagnant souvent, lorsqu’elles sont rencontrées, les prises de produits stimulants et de produits hallucinogènes.
Les constats faits en France sont proches des tendances plus globales relevées en Europe. Le cannabis est de loin la substance illicite la plus consommée dans les pays de l’Union européenne. Au sein de la population adulte, l’expérimentation concerne entre 10 et 30 % des individus. Chez les 16-34 ans, ce taux avoisine les 40 % dans les pays les plus consommateurs (Danemark, Royaume-Uni et France) [10].
Les chiffres des différents pays de l’Union européenne indiquent une hausse du taux d’expérimentation au cours des années 1990, avec une stabilisation récente dans la plupart des pays. Globalement, la consommation de cannabis est plus souvent une expérience qu’une habitude.
Au sein de la population scolaire et parmi les trente pays interrogés dans l’enquête ESPAD, l’usage de cannabis des élèves français de 16 ans (expérimentation comme usage répété) arrive en tête, pour les garçons comme pour les filles. Seuls le Royaume-Uni et la République tchèque se situent au même niveau [11].
Usage d’opiacés et de cocaïne à problèmes
Avant d’aborder les dommages sanitaires que peut entraîner l’usage de drogues illicites, il faut définir la population concernée et en estimer l’importance. Pour cela, il est nécessaire de clairement différencier les « consommateurs de drogues illicites », principalement concernés par une consommation de type récréatif, et les « consommateurs de drogues illicites à problèmes », susceptibles de subir des dommages importants sur le plan sanitaire, social ou pénal.
Cette estimation peut être approchée par celle, plus restreinte, portant sur le nombre d’usagers d’opiacés ou de cocaïne à problèmes. En effet, les opiacés et la cocaïne sont les principaux produits consommés par ces usagers.
Les consommations de drogues telles que l’héroïne et la cocaïne sont difficilement détectables par les enquêtes en population générale, surtout lorsqu’elles sont de type abusif ou impliquant une dépendance. L’observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) a élaboré un protocole méthodologique visant à estimer la population concernée. La définition pragmatique retenue dans le protocole est la suivante : usagers de drogues par voie intraveineuse ou consommateurs réguliers d’opiacés ou de cocaïne . Le terme « à problèmes » fait référence à une consommation qui peut induire un recours au système sanitaire et social et/ou une visibilité par le
système répressif. Différentes méthodes d’estimation sont proposées, mais aucune d’entre elles ne peut être considérée comme la meilleure. Pour cette raison, l’application concomitante de différentes méthodes et leur confrontation sont conseillées.
L’application à la France du protocole européen effectuée par l’OFDT donne, pour l’année 1999, une fourchette d’estimations de 150 000 à 180 000 usagers d’opiacés ou de cocaïne à problèmes. Les quatre méthodes utilisées comportent des biais possibles liés aux hypothèses et aux sources de données utilisées. L’intérêt principal de cet exercice est l’application de méthodes différentes et leur validation croisée.
Ainsi, la convergence de leurs résultats rassure sur la fiabilité d’une telle estimation [12].
L’estimation précédemment établie par l’OFDT était de 142 000 à 176 000 usagers d’opiacés à problèmes pour l’année 1995. La comparaison des estimations de 1999 et 1995 tendrait à montrer une stabilisation du nombre d’usagers qui est toutefois à analyser avec une extrême prudence en raison, notamment, de la différence des méthodes appliquées pour les deux estimations.
CONSÉQUENCES SANITAIRES DE LA CONSOMMATION DE DROGUES ILLICITES
Les consommations de drogues licites sont celles qui ont les conséquences les plus graves en matière de santé. Le nombre de décès annuels attribuables à l’alcool en France est évalué à 45 000 et à 60 000 pour le tabac. Même s’il est difficile à estimer, le nombre actuel de décès dus aux drogues illicites est de l’ordre de quelques centaines par an (décès par surdoses constatés par la police, pharmacodépendance constatée par le médecin ou Sida).
L’impact sur la mortalité des différentes drogues ne peut pas être totalement comparé en raison du caractère partiel des données sur les drogues illicites et parce que les décès estimés ne concernent pas la même population. En effet, les décès concernent surtout une population âgée de plus de 50 ans dans le cas de l’alcool et du tabac alors qu’ils touchent une population plus jeune, âgée en moyenne de 30 ans, dans le cas des drogues illicites.
Les conséquences de l’usage de drogues illicites restent largement dominées par la consommation d’héroïne, qui demeure le principal produit à l’origine des prises en charge sanitaires et sociales d’usagers de drogues illicites, même si les usagers concernés sont très souvent polyconsommateurs, associant notamment la cocaïne, les benzodiazépines et l’alcool.
Prises en charge pour usage de drogues illicites
Les prises en charge pour usage de drogues illicites sont très majoritairement (70 %) liées à l’abus ou à la dépendance aux opiacés. Entre 1997 et 1999, le nombre de prises en charge liées aux opiacés est resté à peu près stable alors que leur part
relative diminue, en raison principalement de la progression des recours liés au cannabis (15 %) et à la cocaïne (5 %).
La population des usagers d’opiacés pris en charge continue de vieillir. L’âge moyen de ceux-ci augmente à peu près au rythme d’une année tous les deux ans : en novembre 1999, ils ont en moyenne 31 ans et seule une petite minorité d’entre eux (13 %) a moins de 25 ans. Ce sont principalement des hommes (3 cas sur 4), majoritairement sans activité rémunérée (plus de 60 %) mais la proportion de personnes exerçant une activité rémunérée a augmenté au cours des dernières années. La plupart de ces personnes (plus de 70 %) ont déjà eu un contact avec des structures de soins pour leur usage d’opiacés.
Un produit secondaire apparaît dans 57 % des recours pour usage d’opiacés, la cocaïne étant alors la substance la plus souvent mentionnée (18 % des cas) suivie par le cannabis, l’alcool et les médicaments (7 à 10 % des cas chacun).
La très grande majorité des usagers d’opiacés pris en charge a déjà utilisé la voie intraveineuse (73 %). L’utilisation de ce mode d’administration est néanmoins en régression.
La mise en place des traitements de substitution et leur rapide développement, au milieu des années 1990, ont profondément modifié la prise en charge des usagers d’opiacés. Aujourd’hui, ceux-ci suivent, pour beaucoup d’entre eux, des traitements de substitution. Début 2001, on estime à 84 000 le nombre d’usagers d’opiacés sous traitement de substitution, la buprénorphine (74 000) étant plus souvent prescrite que la méthadone (10 000).
Estimation du nombre de patients sous traitement de substitution (à posologie moyenne constante) {373c}.
Source : SIAMOIS, In VS ; DGS/SD6B.
Morbidité et mortalité
En l’état actuel des connaissances, il n’est pas possible d’avoir un inventaire complet sur ces points. Si, la mortalité liée à l’usage des drogues illicites et l’infection par le VIH et les hépatites sont bien documentés, les autres domaines ne sont actuellement pas décrits. Ainsi, il est impossible de déterminer une tendance sur l’évolution de la comorbidité psychiatrique des toxicomanes alors que l’on peut en supposer l’importance.
La prévalence déclarée du VIH pour les usagers injecteurs poursuit la baisse entamée au début des années 1990 : 16 % en 1999 contre 23 % en 1994. En revanche, la prévalence déclarée du VHC pour les usagers injecteurs augmente et atteint un niveau très élevé : 63 % en 1999 contre 51 % en 1994.
Prévalence déclarée du VIH et du VHC chez les usagers injecteurs fréquentant les établissements spécialisés.
Source : Enquête sur la prise en charge des toxicomanes en novembre, DREES/DGS.
Le nombre de décès liés à l’usage de drogues, repérés par le système sanitaire ou par les services de police, a fortement diminué depuis 1994. Ainsi, le nombre de décès par surdose constatés par la police a été divisé par près de cinq entre 1994 (564 décès) et 2000 (120 décès). La part de ces décès liée à l’héroïne diminue mais reste encore majoritaire (6 sur 10).
Les évolutions positives constatées dans la seconde moitié des années 1990 sont à mettre en rapport avec la forte augmentation du nombre d’usagers sous traitement de substitution, l’amélioration de l’accessibilité du matériel d’injection et la diminution des pratiques d’injection intraveineuse durant la même période [13].
DISPONIBILITÉ ET QUALITÉ DE L’OFFRE DE DROGUES ILLICITES
Offre de drogues illicites
L’offre de drogues illicites, telle qu’elle est perçue par l’activité des services répressifs, est dominée par le cannabis dont les quantités saisies ont triplé au cours des dix dernières années. Son prix modéré et sa grande disponibilité font du cannabis un produit très accessible.
Le nombre de saisies et les quantités saisies de cocaïne sont en augmentation, mais les variations sont fortes d’une année à l’autre ; elles dépendent de la réalisation ou non d’importantes opérations ponctuelles. Le marché clandestin des drogues de synthèse est en extension. Celui de l’héroïne semble stagner.
Qualité
L’analyse en laboratoire des saisies policières et douanières révèle qu’un échantillon sur cinq (21 %) d’herbe de cannabis contient un taux en THC supérieur à 8 %. Cette proportion est double pour la résine de cannabis dans la mesure où deux échantillons sur cinq (41 %) se révèlent fortement concentrés en THC.
Concentration en THC des échantillons de cannabis saisis en France par la Police nationale et la Douane en 1999.
Concentration Herbe Résine en THC Nombre % Nombre % 0-4 % 122 46 % 60 16 % 4-8 % 88 33 % 162 43 % 8-12 % 39 15 % 69 18 % 12-20 % 15 5,5 % 63 17 % + 20 % 1 0,5 % 19 6 % Total 265 100 % 373 100 % Source : TREND, OFDT (données fournies par le Laboratoire scientifique de la police de Lyon et le laboratoire interrégional de la douane de Paris).
Le taux de concentration en principe actif du chlorhydrate et de la base de l’héroïne est en moyenne assez bas : près des trois quart des échantillons d’héroïne saisis et analysés en 2000 par les services de douanes et de police ont une concentration inférieure ou égale à 20 %. Cette proportion a augmenté entre 1999 et 2000, pouvant indiquer une dégradation de la qualité du produit.
La cocaïne présente sur le marché français semble de meilleure qualité que l’héroïne.
Le taux de pureté de la cocaïne (chlorhydrate et base) saisie et analysée par les services de la Police nationale et de la Douane est supérieur à 50 % dans sept cas sur dix en 2000. Ce taux enregistre une baisse entre 1998 et 2000.
Ces résultats sont à interpréter avec précaution dans la mesure où ils dépendent des saisies effectuées et donc des pratiques policières.
Dans le domaine des drogues de synthèse, sur les 3 491 échantillons collectés dans le cadre du Système d’identification national des toxiques et des substances (SINTES), la MDMA est la molécule la plus souvent détectée. On la retrouve dans 74 % des échantillons sous forme de comprimés. L’analyse des résultats montre aussi que les substances réellement consommées ne correspondent pas à ce que laisserait entendre la dénomination des produits. Ainsi, si la MDMA est très majoritaire dans les échantillons achetés sous le label ecstasy, ceux-ci comportent fréquemment d’autres produits actifs, notamment des molécules médicamenteuses qui peuvent induire des conséquences sanitaires problématiques. Les dosages en produit actif sont aussi extrêmement disparates d’un comprimé à l’autre : parmi les échantillons contenant de la MDMA les doses vont de 1 mg par comprimé jusqu’à 427 mg. La plupart présente un dosage inférieur à 100 mg de MDMA.
Contenu des échantillons supposés être de l’ecstasy (n=1272) Source : SINTES, OFDT.
CONCLUSION
Actuellement, l’inventaire qu’il est possible d’effectuer sur le phénomène d’usage de drogues illicites est loin d’être exhaustif. Néanmoins, au cours des trois dernières
années, notre connaissance épidémiologique de la consommation de drogues illicites a sensiblement progressé, notamment par la mise en place d’un dispositif pérenne d’enquêtes en population générale.
Malgré ces avancées récentes, il reste beaucoup de lacunes à combler pour mieux décrire et analyser les usages les plus problématiques, l’ensemble des conséquences sanitaires que peuvent induire de telles consommations et la nature des produits consommés. Il y a pour les années à venir un véritable défi à relever : consolider et étendre nos connaissances en ces trois domaines afin d’être en mesure de mieux estimer l’enjeu de santé publique que représente ce phénomène.
REMERCIEMENTS
Aux membres de l’équipe qui se sont particulièrement impliqués dans la rédaction du rapport « Drogues et Dépendances : indicateurs et tendances » : François Beck, Pierre-Yves Bello, Cristina Diaz-Gomez, Alain Labrousse, Stéphane Legleye, Hélène Martineau, Carine Mutatayi, Christophe Palle, Abdalla Toufik, Patrick Peretti-Watel ; au président du collège scientifique de l’observatoire : Claude Got.
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[2] Guilbert P., Baudier F. —
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[5] Beck F., Legleye S., Peretti-Watel P. — Regards sur la fin de l’adolescence : consommations de produits psychoactifs dans l’enquête ESCAPAD 2000. Paris : OFDT, 2001, 220 p.
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[8] OCRTIS Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants. Usage et trafic de stupéfiants. Statistiques 2000 , Nanterre, ministère de l’Intérieur, OCRTIS, 2001 (à paraître).
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[12] Costes J.-M. — « Country report : France »,
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[13] Emmanuelli J. — Contribution à l’évaluation de la politique de réduction des risques SIAMOIS : description, analyse et mise en perspective des données de ventes officinales de seringues et de produits de substitution en France de 1996 à 1999 (2 tomes). Saint-Maurice : InVS (Institut de veille sanitaire), 2000, 55 + 93 p.
DISCUSSION
M. Claude JAFFIOL
Quelles données sociologiques sont disponibles chez les consommateurs de cannabis ?
Avez-vous des informations précises sur l’incidence des rechutes après sevrage ? Quels sont les liens entre consommation de cannabis et criminalité ?
Sur le premier point, il y aurait beaucoup à dire mais nous n’en n’avons pas le temps. On peut néanmoins globalement constater que la consommation de cannabis concerne tous les milieux sociaux. Il n’existe pas d’étude, en France, sur l’incidence des rechutes après sevrage de drogues illicites. Si l’on s’en tient à l’usage (et non pas aux questions liées au trafic), il n’existe pas de lien documenté entre la consommation de cannabis et la criminalité. Le seul domaine où cette question reste ouverte est celui de la sécurité routière. Actuellement (voir expertise collective de l’Inserm) la littérature internationale sur ce sujet ne permet pas de conclure à une relation causale entre consommation de cannabis et risque de survenue d’accidents de la route.
* Directeur de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 105 rue Lafayette — 75010 Paris. Tirés-à-part : Monsieur Jean-Michel Costes, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 28 décembre 2001, accepté le 14 janvier 2002.
Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 2, 281-294, séance du 19 février 2002