Communication scientifique
Session of 3 novembre 2009

Des fièvres récurrentes héréditaires aux syndromes auto-inflammatoires : les apports de la génétique

MOTS-CLÉS : fièvre méditerranéenne familiale. maladies génétiques congénitales.
From hereditary recurrent fevers to autoinflammatory syndromes : the contribution of genetics
KEY-WORDS : autoimmune diseases. cloning, molecular. familial mediterranean fever. genetic diseases, inborn. genetic screening

Marc Delpech

Résumé

Les fièvres héréditaires récurrentes sont des maladies génétiques rares principalement caractérisées par des épisodes fébriles de durée variable. Classiquement on en distinguait quatre formes : la fièvre méditerranéenne familiale, en France antérieurement appelée maladie périodique, le syndrome de Muckle-Wells, la fièvre hibernienne et le syndrome de fièvre avec hyper IgD. La découverte des gènes impliqués a conduit à une modification de la nosologie et on sait aussi maintenant qu’il en existe d’autres formes. Elle a aussi permis de proposer un diagnostic génétique de ces maladies difficiles à diagnostiquer avec les seules données cliniques. Le diagnostic est d’autant plus important qu’en absence de traitement il existe un risque, élevé dans certaines populations, de développer une amylose secondaire de type AA dont l’issue est fatale en cinq à dix ans. La découverte des gènes dont les mutations sont responsables de ces maladies a aussi permis de proposer de nouveaux traitements et les premiers essais cliniques sont en cours.

Summary

Hereditary recurrent fevers are rare genetic diseases characterized by febrile periods of variable duration. Classically, four such diseases were recognized, namely familial Mediterranean fever (previously called periodic disease in France), the Muckle-Wells syndrome, Hibernian fever, and hyper IgD with recurrent fever. The discovery of culprit genes has led to an overhaul of this classification. Molecular diagnosis of these diseases, that are difficult to identify on clinical grounds alone, is now possible. Timely diagnosis is particularly important as, in the absence of treatment, there is a risk of secondary AA amyloidosis, which is fatal within 5 to 10 years. The discovery of underlying genetic mechanisms has also led to the development of new therapeutic approaches, which are currently being tested in clinical trials.

LES FIÈVRES RÉCURRENTES HÉRÉDITAIRES

Ce sont des maladies génétiques rares principalement caractérisées par des épisodes fébriles dont la durée varie de quelques jours à quelques semaines et qui sont séparés par des intervalles apyrétiques, eux aussi de durée variable. Avant la découverte des gènes responsables il était classique d’en distinguer quatre formes en fonction du tableau clinique et du mode de transmission récessif ou dominant de la maladie.

Après la découverte des gènes dont les mutations sont impliquées dans ces maladies et la recherche des mutations chez les malades, la nosologie s’est avérée plus complexe qu’on ne le croyait et elle a dû être largement revue. D’une part des maladies cliniquement distinctes, même pour certaines dont le tableau clinique n’inclut pas de fièvre récurrente, peuvent être dues à des mutations d’un même gène, voire même à une mutation identique dans un même gène (du fait de l’existence de gènes modificateurs), d’autre part il existe des fièvres récurrentes où d’autres gènes que ceux connus actuellement sont impliqués. Ils restent à découvrir. Enfin de nombreux cas sont sporadiques et non familiaux. Les fièvres récurrentes héréditaires représentent un modèle de ce que la génétique peut maintenant apporter aux cliniciens, tant au niveau de la connaissance des maladies qu’au niveau de l’aide au diagnostic ou de la thérapeutique. Classiquement, avant la découverte des gènes impliqués, il existait quatre groupes de fièvres héréditaires récurrentes.

La maladie périodique ou fièvre méditerranéenne familiale (FMF)

La première description clinique de la maladie est due à S. Segal en 1945 [1] qui a décrit un cas de péritonite bénigne paroxystique. Trois ans plus tard HA. Reinmann [2] décrit un cas similaire où la place prédominante d’une fièvre récurrente le conduit à appeler le syndrome : maladie périodique. C’est en 1951 que la maladie sera complètement caractérisée par R. Cattan et H. Mamou qui en décrivent 14 cas [3].

Dans leur article ils indiquent que 8 d’entre eux présentent une néphropathie, mettant par là en lumière la complication majeure de la maladie qu’est l’amylose, dont l’issue est fatale en quelques années. Les critères cliniques, qui font maintenant référence, sont proposés par H. Heller et al en 1958 [4]. Ils appellent la maladie :

fièvre méditerranéenne familiale (FMF), qui est le nom maintenant utilisé pour la désigner.

La FMF est une maladie héréditaire qui se transmet suivant un mode récessif. Elle est extrêmement rare sauf dans quelques populations du pourtour méditerranéen où elle est très fréquente, puisque la fréquence des hétérozygotes est proche de un sur cinq chez les Juifs Sépharades ou les Arméniens. L’âge de début de la maladie est variable, avant cinq ans dans les deux-tiers des cas et avant vingt ans dans 90 % des cas. Elle est caractérisée par des épisodes aigus de fièvre (38,5 à 39° C). La durée des épisodes fébriles varie de quelques heures à quelques jours. Leur fréquence est variable, de plus d’un par semaine, dans les formes les plus sévères, à quelques-uns par an pour les formes les plus légères. Il n’existe apparemment pas de facteur déclenchant, mais les épisodes sont souvent (environ la moitié des cas) précédés de prodromes de nature variable. Les épisodes fébriles s’accompagnent d’inflammation d’une ou plusieurs séreuses à l’origine de fortes douleurs. Les séreuses les plus fréquemment touchées sont : le péritoine (90 % des cas), la plèvre (50 %), la synoviale (30 %). La méconnaissance de la maladie, du fait de sa rareté, la difficulté du diagnostic et l’intensité des douleurs font qu’en Europe et aux USA près d’un malade sur deux subit au cours de sa vie une intervention chirurgicale injustifiée à la suite d’un diagnostic erroné de péritonite. Une possible complication de la maladie, qui en fait toute sa gravité, est l’amylose de type AA.

Le traitement de la maladie repose sur la colchicine à la dose de 1 à 2 mg par jour.

Dans la très grande majorité des cas elle permet d’éviter les crises et dans tous les cas elle permet d’éviter la complication qu’est l’amylose. L’effet de la colchicine a été décrit en 1972 part Goldfinger [5] qui avait observé que ses malades atteints de FMF, et qu’il traitait par la colchicine pour un épisode de goutte, n’avaient aucune crise de FMF pendant tout le temps que durait le traitement.

Les syndromes auto-inflammatoires liés au gène CIAS 1

En 1962 T.J. Muckle et J. Wells [6] ont décrit en Angleterre une famille présentant une fièvre récurrente héréditaire qui, contrairement à la FMF, avait une transmission familiale suivant un mode dominant. Dans ce syndrome les épisodes de fièvre sont accompagnés d’arthralgies et d’une urticaire. À long terme il apparaît fréquemment une surdité neurosensorielle. Les signes sont inconstants, le tableau clinique n’est en général pas complet et la fièvre vient au second plan. La variabilité de la symptomatologie s’observe même chez les différents membres d’une même famille.

Après la localisation du gène dont les mutations sont responsables de la maladie sur le chromosome 1 par notre équipe [7] il fut montré que le gène dont les mutations sont responsables d’un autre syndrome héréditaire cliniquement proche, l’urticaire au froid ou FCU ( Familial Cold-induced Urticaria ), est localisé au même endroit sur le chromosome 1. Le gène impliqué, le gène

CIAS1 s’est avéré être identique dans les deux maladies et de manière surprenante, dans quelques rares cas, une même mutation peut conduire à l’un ou l’autre des deux syndromes [8], ce qui montre qu’il existe très vraisemblablement des gènes modificateurs. Le caractère inflammatoire du syndrome FCU a conduit récemment à en modifier le nom qui est devenu : Familial Cold-induced Auto-inflammatory Syndrome (FCAS) et qui est maintenant l’appellation consacrée. En 2002 il fut montré qu’un troisième syndrome résulte de mutations (cette fois différentes) du même gène CIAS1 , il s’agit du syndrome CINCA ( Chronic

Infantile Neurological Cutaneous Articular ) encore appelé NOMID (Neonatal Onset

Multisystemic Inflammatory Disease ) [9]. Ce syndrome pédiatrique se caractérise cliniquement par un érythème diffus non prurigineux, une atteinte neurologique constituée d’une méningite chronique aseptique conduisant progressivement à un retard mental et enfin des arthrites avec atteinte du cartilage de conjugaison. Il s’y ajoute parfois d’autres symptômes neurologiques susceptibles de conduire à une cécité ou une surdité, parfois on trouve aussi une dysmorphie faciale ou une hépatosplénomégalie. Le pronostic est sombre avec possibilité de décès prématuré.

Le syndrome TRAPS ( Tumor Necrosis Factor (TNF) receptor periodic syndrome )

En 1982 Williamson et al [10] ont décrit dans une grande famille une nouvelle forme de fièvre héréditaire, à transmission autosomique dominante. Elle a alors été appelée fièvre hibernienne du fait de l’origine irlandaise de la famille. Cette appellation a été remplacée par l’acronyme TRAPS après la découverte du gène impliqué. Le terme de syndrome auto-inflammatoire, qui regroupe l’ensemble des fièvres récurrentes et l’ensemble des syndromes inflammatoires sans facteur déclenchant caractéristique, a été proposé pour la première fois dans l’article qui rapportait la découverte du gène [11]. Il est maintenant consacré. Chez les sujets atteints les premiers signes apparaissent durant l’enfance ou le début de l’adolescence. Les épisodes de fièvre sont plus prolongés que dans la FMF, ils durent de plusieurs jours à plusieurs semaines et sont le plus souvent accompagnés de douleurs abdominales intenses qui, comme dans la FMF, peuvent conduire à des interventions chirurgicales pour une suspicion de péritonite. Ces douleurs abdominales sont le plus souvent accompagnées de douleurs musculo-articulaires et dans près de la moitié des cas de troubles oculaires. A la différence de la FMF, la colchicine n’a aucun effet et jusqu’à la découverte du gène le seul traitement était la corticothérapie qui était le plus souvent efficace au cours des crises, mais qui ne prévenait pas les rechutes. En 1999 il a été montré que la maladie résulte de mutations dans le domaine extracellulaire du récepteur 1 du TNFα [11]. Les molécules capables de piéger le TNFα, comme l’etanercept (Enbrel®), qui est une protéine recombinante associant le récepteur soluble du TNFα et le fragment Fc d’une immunoglobuline (IgG-1), devenaient alors de bons candidats pour la thérapeutique. Des résultats encourageants ont été obtenus lors d’un premier essai clinique de l’etanercept chez sept malades dont l’état a été très largement amélioré et chez qui il a été possible de fortement diminuer les doses de la corticothérapie [12]. Il est encore trop tôt pour évaluer l’efficacité du médicament, notamment à long terme.

 

Le syndrome de fièvre avec hyper IgD (HIDS, Hyper IgD Syndrome)

En 1984, il a été décrit par van der Meer et al . une famille hollandaise qui présentait à la fois une fièvre récurrente et une très forte augmentation des IgD circulantes [13].

Deux cas avaient été antérieurement décrits par AM. Prieur et C. Griscelli dans un article consacré à la nosologie des arthrites juvéniles en s’appuyant sur dix-sept cas [14]. Ces auteurs avaient parfaitement décrit la symptomatologie mais sans l’associer à un nouveau syndrome. L’âge du début de la maladie dans le HIDS est plus faible que dans les autres fièvres. Comme en plus la fréquence des crises diminue très fortement avec l’âge, il s’agit principalement d’une maladie pédiatrique. Les épisodes de fièvre durent environ une semaine. L’intervalle entre deux crises étant de un à deux mois. La fièvre est en général supérieure à 39° C et elle est associée, dans plus de 60 % des cas, à des douleurs abdominales, des céphalées, des manifestations cutanées de type maculopapules érythémateuses, pétéchies ou purpura. À la palpation on retrouve de manière presque constante des adénopathies cervicales, et dans la moitié des cas une hépatomégalie. Sur le plan de l’exploration biologique la caractéristique majeure de la maladie est la présence d’une élévation considérable des IgD sériques (>100 U/mL) et aussi très souvent des IgA. Cependant on sait maintenant que ces signes biologiques ne sont pas entièrement spécifiques puisque l’on observe aussi une élévation de ces immunoglobulines dans la FMF et dans le TRAPS, cependant les concentrations sont en général plus faibles. Les traitements anti-inflammatoires habituels ne sont en général pas efficaces, que les antiinflammatoires utilisés soient stéroïdiens ou pas. Les essais cliniques avec les nouvelles molécules recombinantes destinées à neutraliser le TNFα ou l’IL1 (etanercept, anakynra,…) ont donné des résultats contradictoires, mais les effectifs étaient très limités. Il faudra attendre pour connaître l’éventuel intérêt thérapeutique de ce type de molécules.

Une complication redoutable des fièvres récurrentes : l’amylose

L’amylose est la complication la plus grave des fièvres héréditaires. Le dépôt est constitué du peptide AA qui dérive d’une protéine sérique : la SAA. Elle touche principalement le rein, mais d’autres organes peuvent être touchés. Son issue est en général fatale, même si une transplantation rénale est pratiquée. L’amylose est complètement évitée par le traitement par la colchicine chez les malades atteints de FMF. La fréquence de l’amylose est variable suivant les populations (par exemple pour la FMF : 60 % chez les Turcs, 25 %, chez les Juifs Sépharades, et 2 % chez les Arméniens) et suivant le type de fièvre récurrente (elle est par exemple rarissime dans le HIDS). La recherche des mutations responsables de fièvres héréditaires a montré que certaines, comme la mutation M694V de la FMF, conduisent à un risque plus élevé d’amylose. Les polymorphismes de la SAA peuvent aussi moduler le risque d’amylose. La forme SAA-1α/α est par exemple un facteur de prédisposition.

 

LA DÉCOUVERTE DES GÈNES

La fièvre méditerranéenne familiale : le premier gène à l’origine de fièvres récurrentes héréditaires qui a été caractérisé est le gène

MEFV dont certaines mutations sont à l’origine de la FMF. Le gène a été isolé en utilisant la stratégie du clonage positionnel. Cette stratégie consiste d’abord à localiser le gène. Pour cela il convient de récolter les ADN d’un maximum de sujets, malades ou pas, appartenant à des familles atteintes. Plus les familles sont grandes et plus le nombre de familles est important, plus les chances de localiser le gène sont élevées. La ségrégation d’un ou plusieurs marqueurs génétiques (parmi plusieurs centaines qui sont testés) avec la maladie est alors recherchée. En effet, l’observation d’une co-transmission d’un allèle d’un marqueur génétique et une maladie héréditaire indique que le gène responsable de la maladie et le marqueur sont proches sur le même segment d’ADN.

La région du chromosome 16 où se trouve le gène MEFV , dont les mutations sont responsables de la FMF, a été identifiée par une équipe israélo-américaine en 1992 [15]. Lorsque la région où se trouve le gène est repérée, l’analyse de la ségrégation de l’ensemble des marqueurs de la région permet d’affiner la localisation. Il ne reste plus ensuite qu’à rechercher des mutations qui co-ségrégent avec la maladie dans les gènes de la région dont la fonction avérée ou théorique est compatible avec la symptomatologie (ces gènes sont appelés gènes candidats). Les équipes françaises intéressées au clonage du gène, dont la nôtre, se sont regroupées en un consortium auquel s’est associé le Généthon, ce qui nous a permis d’isoler le gène en 1997 [16].

L’équipe concurrente israélo-américaine, qui avait refusé de collaborer avec le consortium français, a trouvé le même gène au même moment, leur article ayant été envoyé à la revue Cell 48 heures après le nôtre [17]. L’isolement du gène a été difficile et a nécessité plus de quatre ans. Il a été nécessaire de déterminer la séquence de l’ADN de la région incriminée qui s’étendait sur un peu plus de 250 000 paires de bases, ce qui représentait un exploit à l’époque et qui n’a été possible que grâce à l’aide du Généthon. Aucun gène candidat n’a pu être caractérisé au sein de cette longue séquence. Les programmes bioinformatiques de prévision de séquence codante ont suggéré la présence de trois gènes dans la région. Le séquençage de 60 000 paires de bases au niveau de ces gènes potentiels chez dix sujets sains et dix malades a permis de montrer la transmission de variations de séquence exclusivement chez les malades dans l’une des trois sous-régions considérées comme gènes potentiels par les logiciels de prédiction. Des analyses par RT-PCR ont montré que la région où étaient localisées les modifications de séquence est effectivement transcrite. Il a été ensuite possible d’analyser complètement la structure du gène et du messager. Le gène, appelé MEFV, comporte 10 exons, et il est exprimé exclusivement dans les monocytes et les polynucléaires. La protéine a été appelée marenostrine par le consortium français et pyrine par le consortium israélo-américain.

Comme nous le discuterons plus loin, sa fonction n’est toujours pas réellement connue. Dans les années qui ont suivi l’isolement du gène, des milliers de malades ont été analysés dans le cadre d’un diagnostic génotypique, et la palette des muta- tions possibles a été progressivement enrichie. Les mutations sont pour la plupart situées dans le 10e et dernier exon.

Le syndrome TRAPS : Les gènes responsables des trois autres fièvres récurrentes ont été isolés eux aussi par clonage positionnel. Le gène dont les mutations sont responsables du syndrome TRAPS, le gène TNFR1 , code pour le récepteur 1 du

TNFα [11]. Les mutations sont toutes, sauf une, localisées dans le domaine extracellulaire du récepteur et sont situées au niveau (ou immédiatement à côté) de cystéines impliquées dans des ponts disulfures. Il est facile ici de comprendre à la fois l’implication du produit du gène muté dans l’inflammation et aussi que la profonde altération de la structure secondo-tertiaire qui résulte des mutations puisse conduire à des modifications importantes des fonctions du récepteur.

Le syndrome HIDS : notre équipe a isolé en 1999 le gène dont les mutations sont responsables du syndrome HIDS, il s’agit du gène

MVK qui code la mévalonate kinase, une enzyme centrale dans le métabolisme du cholestérol [18]. Rien ne permet d’expliquer aujourd’hui pourquoi il en résulte une inflammation. En fait le gène était déjà connu car certaines de ses mutations sont aussi responsables de l’acidurie mévalonique. Dans cette maladie, qui est gravissime et dont l’issue est très tôt fatale mais qui présente des signes communs avec le HIDS, l’activité de l’enzyme est totalement abolie, alors que dans le HIDS il persiste une activité, en général proche de 10 %. De même dans l’acidurie mévalonique les urines des enfants atteints contiennent de grandes quantités d’acide mévalonique (d’où le nom de la maladie), alors que l’on n’en retrouve pas dans les urines d’enfants atteints de HIDS, sauf durant les crises.

Le syndrome de Muckle-Wells : le dernier gène à avoir été cloné, en 2001, est celui dont les mutations sont responsables du syndrome de Muckle-Wells/FCAS/CINCA [19]. Il s’agit du gène CIAS1. Ce gène possède un motif PYRIN dans sa partie NH2 terminale. Il présente une homologie de séquence avec la pyrin/marenostrine, la protéine codée par le gène MEFV . On trouve au niveau de son extrémité COOH terminale un motif LRR qui est présent dans de nombreuses protéines impliquées dans l’immunité innée et dans son centre, où sont localisées la plupart des mutations, un motif NACHT retrouvé dans de nombreuses protéines qui sont impliquées dans des maladies inflammatoires comme la maladie de Crohn ou le syndrome de Blau.

LES MÉCANISMES PHYSIOPATHOLOGIQUES HYPOTHÉTIQUES

Bien que le gène

MEFV , dont les mutations sont responsables de la FMF, ait été découvert il y a plus de dix ans, les mécanismes impliqués dans la physiopathologie ne sont toujours pas complètement connus, il n’existe que des hypothèses (dont certaines sont contradictoires). La situation est similaire pour les autres gènes responsables de fièvres héréditaires. Lors du clonage du gène MEFV , l’analyse bioinformatique avait détecté la présence d’une séquence dite de « translocation nucléaire » qui en principe signe une localisation nucléaire de la protéine et quelques motifs qui suggéraient que la protéine était un facteur transcriptionnel. Cependant, peu de temps après, les analyses de la distribution sub-cellulaire de la protéine avaient conduit à des résultats (différents suivant la technique d’analyse utilisée), excluant une localisation nucléaire (la protéine étant retrouvée suivant les équipes et les modèles cellulaires utilisés au niveau de l’appareil de Golgi, du réseau de tubuline,…). Il avait été cependant montré que lorsque le messager subissait un épissage alternatif qui excluait l’exon 2, la protéine était alors retrouvée dans le noyau [20]. Au cours des années, les bases de données de séquences nucléiques et de motifs protéiques se sont enrichies et cela a permis de montrer que la marenostrine/pyrin, codée par le gène MEFV, possède près de son extrémité NH2 terminale une séquence qui a été appelée PYRIN, qui est retrouvée dans d’autres protéines, et qui est un domaine qui permet une interaction avec des protéines possédant un domaine identique ou très proche. Il a été ensuite été montré que la marenostrine/pyrin est associée à une protéine appelée ASC ( Apoptotic Speck-like protein with Caspase recruitmment domain ). Les complexes des deux protéines s’accumulent dans le cytoplasme en formant des micro-taches, appelées « speck ».

Cette protéine ASC est constituée de deux domaines : un domaine PYRIN et un domaine de recrutement des caspases appelé CARD. Après ces résultats, sur un plan théorique, le mécanisme d’action de la marenostrine/pyrin apparaît plus clair. La protéine se complexe avec la protéine ASC qui elle-même se complexe à (et active) la caspase 1, cette dernière transforme la pro-IL-1β en IL-1β dont le rôle majeur dans la réaction inflammatoire est bien connu (sa description sort du cadre de cet article).

Le complexe de l’ensemble des protéines impliquées dans l’induction de l’inflammation a été appelé inflammasome. Le problème est qu’aucune des mutations du gène MEFV responsables de FMF ne se trouve dans le domaine PYRIN. L’immense majorité d’entre elles se trouvent à l’autre extrémité de la protéine au niveau du 10e et dernier exon qui code pour un domaine B30-2 dont la fonction n’est pas encore connue. Un nouvel élément a cependant renforcé le modèle. En effet le gène CIAS1 , dont les mutations sont responsables du syndrome de Muckle-Wells/FCU/CINCA, comme indiqué plus haut, contient à son extrémité 5’ une séquence qui code pour un domaine PYRIN situé à une position à peu près identique à celui de la marenostrin/pyrin. Il est donc vraisemblable que cette protéine induit une inflammation suivant le même mécanisme. Mais là encore l’ensemble des mutations sont situées largement en dehors de cette région. On pense donc aujourd’hui que l’inflammation observée résulte de l’activation de l’IL-1β par la caspase-1 qui interagit avec la protéine ASC associée soit à la marenostrin/pyrin soit à la protéine CIAS1. Il reste à expliquer pourquoi les mutations des deux gènes conduisent à une activation périodique du complexe.

Pour le syndrome TRAPS, la physiopathologie est un peu plus claire. Le rôle du TNFα dans l’inflammation est bien connu. L’ensemble des mutations (sauf une) sont localisées dans la partie extracellulaire du récepteur 1 du TNFα. La plupart sont situées au niveau (ou à côté) de cystéines impliquées dans des ponts disulfures.

 

Il est évident que ces mutations induisent de profondes modifications de la structure dans l’espace du récepteur. Il reste cependant à expliquer comment cela induit périodiquement des épisodes d’inflammation. Il semble que le mécanisme n’est pas le même pour toutes les mutations. Certaines semblent associées à un défaut de trafic du récepteur, d’autres semblent liées à un défaut de clivage du récepteur. En effet, lors de la réaction inflammatoire la partie extra-cellulaire de nombreux récepteurs du TNF est clivée. La fraction libérée, qui est alors circulante, s’associe au TNFα circulant en le neutralisant. Ceci conduit à un contrôle négatif qui diminue la quantité de TNFα disponible et donc la réaction inflammatoire. On comprend bien que l’absence de clivage entraîne une absence de rétro-contrôle de l’inflammation et donc à la symptomatologie observée.

Si pour les trois premières fièvres récurrentes les mécanismes physiopathologiques commencent à être éclaircis, comme nous venons de le voir, il est aujourd’hui impossible d’expliquer comment un déficit partiel d’une enzyme du métabolisme du cholestérol peut conduire à une inflammation cyclique. Par élimination la piste la plus vraisemblable est une baisse de synthèse de farnesyl et/ou de gérényl-géranyl (des produits d’aval du mévalonate dans le métabolisme du cholestérol). Ces molécules sont aussi utilisées pour modifier post-traductionnellement quelques protéines. Certaines (non connues actuellement) pourraient être impliquées dans l’inflammation. Les premiers essais de traitement de cultures de cellules par des inhibiteurs de prénylation semblent effectivement montrer une induction de la production de l’IL1β. Ces résultats très préliminaires restent à être confirmés et il conviendra aussi de caractériser les protéines dont la non prénylation a un effet inducteur de l’inflammation.

DE LA RECHERCHE FONDAMENTALE AUX APPLICATIONS MÉDICALES .

La découverte des gènes dont les mutations sont responsables de maladies héréditaires permet dans tous les cas d’offrir un nouveau moyen puissant de diagnostic.

Cette possibilité revêtait un caractère particulièrement important dans le cadre des fièvres récurrentes. En effet il s’agit de maladies rares, donc mal connues en général par les médecins, d’autre part les signes cliniques ne présentent aucune spécificité.

Enfin les examens biologiques ne permettent que de mettre en évidence une inflammation, aucun ne peut mettre spécifiquement en évidence l’une quelconque des fièvres. Le diagnostic était donc particulièrement difficile, pourtant l’enjeu est majeur puisque le pronostic vital peut être en jeu si une thérapeutique n’est pas mise en place à temps. En effet, comme indiqué plus haut, l’amylose est une complication des fièvres récurrentes particulièrement fréquente dans certaines populations. Il est clair maintenant que la mise en place du traitement, non seulement fait disparaître le plus souvent les symptômes, mais surtout prévient la complication redoutable qu’est l’amylose. Établir le diagnostic à temps représente un enjeu majeur. Une fois l’amylose déclarée, aucun traitement n’est aujourd’hui réellement efficace et l’espé- rance de vie ne dépasse pas quelques années. La découverte des gènes responsables a conduit dans les semaines qui ont suivi à la mise en place d’une possibilité de diagnostic génétique, cette fois-ci hautement spécifique, dans quelques laboratoires spécialisés, dont le nôtre à Cochin.

Il est rare, malheureusement, que la découverte d’un gène responsable d’une maladie héréditaire permette de développer une nouvelle approche thérapeutique. Les fièvres récurrentes représentent cependant une des exceptions. En effet, même si aujourd’hui on ne comprend toujours pas pourquoi la colchicine supprime tous les symptômes chez la majorité des malades atteints de FMF, la découverte des gènes impliqués dans les autres fièvres récurrentes a permis de proposer de nouvelles approches thérapeutiques prometteuses. Pour le syndrome TRAPS qui implique le récepteur du TNFα, les inhibiteurs recombinants du TNF, comme l’etanercept (Enbrel®), qui est une association d’un fragment Fc d’immunoglobuline IgG-1 avec la partie extracellulaire du récepteur du TNF (dont on retrouve une fraction circulante), étaient des candidats évidents. Les premiers essais cliniques ont démontré un effet de ces molécules chez certains patients, mais pas tous. Le nombre de malades traités est encore trop faible pour estimer de manière fiable l’intérêt réel de ces molécules. De même la caractérisation d’au moins une partie des mécanismes physiopathologiques impliqués a largement démontré, le rôle délétère joué par une augmentation de la production d’une cytokine, l’interleukine 1β (IL1-β). Compte tenu de cette donnée, les molécules recombinantes ayant un effet inhibiteur sur l’IL1-β, comme l’anakynra (Kinerel®) étaient des candidates pour traiter les fièvres récurrentes. Les premiers résultats, notamment dans le HIDS, sont encourageants.

Là encore le nombre de malades traités et le recul sont trop faibles pour pouvoir tirer des conclusions.

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[18] Drenth J.P.H., Cuisset L., Grateau G., Vasseur C., Van De Velde-Visser S. D., de Jong J.G.N. et al . — International Hyper-IgD Study Group : Mutations in the gene encoding mevalonate kinase cause hyper-IgD and periodic fever syndrome.

Nature Genet., 1999, 22 , 178-181.

[19] Hoffman H.M., Mueller J.L., Broide D.H., Wanderer A.A., Kolodner R. D. — Mutation of a new gene encoding a putative pyrin-like protein causes familial cold autoinflammatory syndrome and Muckle-Wells syndrome. Nature Genet., 2001 , 29 , 301-305.

[20] Papin S., Duquesnoy P., Cazeneuve C., Pantel J., Coppey-Moisan M., Dargemont C., et al. — Alternative splicing at the MEFV locus involved in familial Mediterranean fever regulates translocation of the marenostrin/pyrin protein to the nucleus.,

Hum. Mol. Genet. , 2000, 9 , 3001-3009.

DISCUSSION

M. Jean-Yves LE GALL

Quelles sont les fréquences de ces maladies dans les populations arméniennes et juives ?

Il est difficile de répondre avec précision car il n’y a jamais eu d’enquête épidémiologique sérieuse. Les données reposent sur quelques publications, principalement cliniques, et les biais sont nombreux. Il s’agit donc d’estimations. La fréquence de la maladie est à peu près la même dans les deux populations. La fréquence des hétérozygotes est de 1/5 à 1/8.

La fréquence de la maladie dans ces populations est comprise entre 1/100 et 1/250.

M. Jean-Jacques HAUW

A-t-on, aujourd’hui, des hypothèses sur le mécanisme de formation des dépôts amyloïdes si fréquents au cours de fièvres récurrentes héréditaires ?

La réponse est hélas négative. Des centaines de travaux et des milliers de publications ont été consacrés à l’amylose sans qu’un modèle unique en soit sorti. Nous ne comprenons toujours pas pourquoi une protéine soluble, le plus souvent plasmatique, devient insoluble et constitue des fibrilles qui détruisent les organes. La protéine prion est un exemple très étudié, mais là encore les questions sans réponse sont nombreuses et les hypothèses avancées ne font pas l’unanimité. Les modèles animaux ont induit plus de questions qu’ils n’ont apporté de réponses.

M. Raymond ARDAILLOU

Quelles sont les conséquences sur l’expression du récepteur du TNF alpha des mutations de son gêne ? Les anti TNF alpha (anticorps ou récepteurs solubles) sont-ils actifs dans le TRAPS ?

L’effet des mutations du récepteur du TNF est variable suivant le type de mutation.

Certaines conduisent à un défaut de trafic intracellulaire du récepteur avec une activation de la voie NFkB. D’autres ont pour effet d’empêcher le clivage d’une partie des récepteurs à la surface de la cellule. Physiologiquement la libération de la portion extracellulaire du récepteur dans le sang circulant est un mécanisme régulateur (négatif) de la réaction inflammatoire et qui permet d’éviter un emballement. En effet ces fractions solubles du récepteur du TNF sont capables de fixer le TNF alpha et donc de le piéger.

Les anti TNF alpha utilisés dans certaines maladies inflammatoires sont le plus souvent efficaces, mais pas toujours. Des protocoles de recherche clinique destinés à évaluer l’effet des anti TNF alpha dans le TRAPS sont en cours. Il faut attendre les résultats pour se prononcer.

 

<p>* Laboratoire de biochimie et génétique moléculaire, APHP Hôpital Cochin, 123 bd de Port Royal, 75014 Paris, Institut Cochin INSERM U567 CNRS UMR8104. Université Paris Descartes, e-mail : marc.delpech@inserm.fr Tirés-à-part : Professeur Marc Delpech, même adresse Article reçu le 30 janvier 2009, accepté le 16 mars 2009</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 8, 1873-1884, séance du 3 novembre 2009