Résumé
MAREY a décomposé le mouvement en photos successives. Nous le faisons également, mais les progrès techniques, notamment ceux liés aux progrès de l’informatique, nous permettent d’enregistrer dans le même temps la cinématique, la cinétique et l’activité électrique musculaire. Nous avons maintenant les moyens de comprendre les anomalies de la marche chez l’enfant handicapé moteur. Ceci nous a conduit à modifier totalement nos indications chirurgicales pour aboutir au concept de la chirurgie « multisite » en un temps qui a amélioré la qualité des résultats de façon spectaculaire.
Summary
Marey broke movement down into a series of stills. We still use this approach but technical advances, especially in computing, allow us to record cinematics, kinetics and electrical muscular activity simultaneously. We now have a better understanding of gait disorders in children with motor disabilities, challenging previous surgical indications and leading to the concept of single-procedure « multisite » surgery with spectacular improvements in outcome.
MAREY a décomposé le mouvement en photos successives qui ne permettaient qu’une étude dans un seul plan. Ce fut un apport considérable dans l’étude de la décomposition du mouvement. Cependant cette technique ne permettait pas de décrire de façon précise et simultanée le mouvement dans les trois plans de l’espace.
Le temps a passé, Ce n’est pas tant l’amélioration des techniques de photographies ou de vidéo qui nous a permis de progresser, ce sont les moyens informatiques qui sont à la source des progrès actuels.
Le but de l’exposé sera simplement de montrer les progrès spectaculaires que cette nouvelle méthode d’analyse a permis dans le cadre de la chirurgie orthopédique du handicap moteur de l’enfant.
L’analyse de la marche telle que nous la pratiquons associe à la vidéo, des données cinématiques, cinétiques et électromyographiques.
L’enregistrement cinématique n’est en fait qu’une description des mouvements articulaires dans les trois plans de l’espace. Ainsi à un instant donné il nous est possible de connaître la position respective de chaque segment de membre. Les données numériques sont traduites par des courbes de mobilité. L’analyse des différentes courbes au cours d’un même cycle de marche nous permet d’individualiser chacune des anomalies à chaque temps du cycle de marche.
Ayant répertorié chaque anomalie, il nous faut en comprendre la cause. Cela est possible en associant les données de l’examen clinique, aux données cinétiques et électromyographiques. L’examen clinique reste un essentiel, il met en évidence rétractions et vices architecturaux ainsi que l’importance de la spasticité, de la faiblesse musculaire et des troubles éventuels de l’équilibre. Mais cet examen est insuffisant. L’enregistrement des forces sur une plate forme de force nous permet de connaître les forces et les moments s’appliquant à chaque articulation. Par exemple dans le plan sagittal suivant que le vecteur force se situe en avant ou en arrière du genou, l’articulation du genou est soumise à des contraintes d’extension ou de flexion. De façon simplifiée, les données de l’enregistrement cinétique quantifient les contraintes liées à la pesanteur trop souvent oubliées.
L’enregistrement simultané de l’activité électrique musculaire est très important car il est ainsi possible de connaître à un instant donné quels sont les muscles actifs ou inactifs. Ces données électromyographiques corrélées avec les données cinématiques indiquant le sens du mouvement articulaire précisent si le muscle travaille de façon concentrique ou excentrique (s’il produit ou absorbe de la puissance).
La cause de chacune des anomalies rencontrées, au cours d’un cycle de marche, peut alors être reconnue. Ces causes peuvent se classer en trois catégories :
— les anomalies primaires qui ne sont que la traduction clinique des lésions cérébrales. Elles correspondent à différents tableaux associant à titre variable spasticité, trouble de l’équilibre, anomalie de la commande motrice, faiblesse musculaire…
— les anomalies secondaires (rétractions et vices architecturaux) qui surviennent tout au long de la croissance sont la conséquence des précédentes. C’est le déséquilibre musculaire et les anomalies de stimulations mécaniques qui aboutissent à des modifications de croissance des corps musculaires et à des modifications de l’architecture osseuse. Les rétractions empêchent les amplitudes articulaires normales, les vices architecturaux modifient la longueur des bras de levier musculaire.
— Les anomalies tertiaires sont des mécanismes volontaires de compensation pour faciliter la marche.
La compréhension des différents phénomènes responsables des anomalies survenant au cours d’un cycle de marche, nous a conduits à une conception très différente de la prise en charge chirurgicale de ces enfants.
L’enfant IMC marchant ou déambulant a acquis une marche certes anormale mais préservant un équilibre. Toute modification isolée risque d’aboutir à une perturbation profonde de l’équilibre dynamique existant. Si nous voulons modifier de façon durable la marche de l’enfant il faut modifier l’ensemble et donc corriger dans la mesure du possible l’ensemble des anomalies tout au long du cycle de marche. La correction d’une seule anomalie revient en fait à déséquilibrer cet enfant, il n’a d’autre possibilité que d’essayer de revenir à la situation précédente pour retrouver un équilibre. Par contre si nous modifions dans le même temps l’ensemble des anomalies nous pouvons créer une nouvelle situation d’équilibre. Il faut de plus essayer de traiter l’origine de ces anomalies. C’est ce qui nous a conduits au concept de chirurgie « multisite » en un temps. Nous corrigeons l’ensemble des anomalies secondaires (rétractions et vices architecturaux), nous rééquilibrons par transfert tendino musculaire, nous diminuons la spasticité par allongement musculaire ou par neurectomie hypersélective. Dans notre expérience de près de 250 enfants opérés, en moyenne chaque enfant a subi 11 interventions différentes dans le même temps opératoire. De plus nous avons modifié la prise en charge postopératoire en débutant mobilisations et postures dès le deuxième jour et en remettant en charge ces enfants même après ostéotomie fémorale et tibiale dès la troisième semaine. Cette nouvelle approche nous a permis d’améliorer considérablement les résultats. Celui-ci dépend bien sûr de l’état clinique initial, mais nous avons réussi à rendre à tous ces enfants des possibilités de déambulation ou de marche bien supérieures à leur état initial. Ils marchent mieux, plus longtemps, et de façon plus esthétique.
Ces résultats n’ont été rendus possible que par une compréhension précise des phénomènes responsables. Ce que Marey a initié, nous a permis avec les moyens actuels d’aboutir à des résultats thérapeutiques spectaculaires.
DISCUSSION
M. René MORNEX
Ne craignez-vous pas que les résultats de ces actions multiples très subtiles ne soient altérés par la croissance qui intervient ensuite et qui ne touche pas obligatoirement les différents segments osseux dans des proportions identiques ?
Nous le craignons, mais comme je l’ai dit, le geste chirurgical ne se contente pas de traiter les anomalies secondaires. S’il se limitait à ces gestes il aboutirait à un certain degré de récidive en fonction du temps de croissance résiduel. C’est pourquoi à ces gestes sur les anomalies secondaires nous associons toujours une chirurgie visant à rééquilibrer les muscles agonistes et antagonistes, visant à diminuer la spasticité, et à supprimer les effets d’une activité musculaire anormale. Il nous est arrivé d’être dans l’obligation de faire un geste chirugical complémentaire à distance du premier temps opératoire, mais celui-ci a toujours été minime. De nombreux enfants sont arrivés à maturité sans qu’il soit nécessaire d’effectuer un geste complémentaire.
M. Michel ARTHUIS
Les renseignements obtenus par des électrodes de surface sont-ils fiables pour décider d’une intervention « multisite » ? Avez-vous des contrôles de vos résultats ? Qui décide d’opérer avec l’accord des parents ? Je pense que tous les spastiques ne pourront pas bénéficier de ce type d’intervention, en particulier les quadriplégiques spastiques.
Il peut y avoir des artéfacts, de la diaphonie. Mais l’habitude de la lecture de ces examens minimise les interprétations erronées. Tous nos résultats sont évalués par comparaison de plusieurs examens : l’examen clinique, l’examen cinématique comparant articulation par articulation et dans les trois plans de l’espace, la fonction par l’EMFG, la consommation énergétique, la qualité de vie par des tests validés. La décision opératoire est une décision prise en accord avec l’ensemble des intervenants médicaux et paramédicaux. L’accord des parents est bien sûr indispensable tout comme celle de l’enfant. Il est indispensable que l’enfant coopère dans les suites. Cette chirurgie s’adresse aux marchants et aux déambulants. Le problème des non marchants est très différent car les objectifs ne sont pas les mêmes. Certains enfants vivant en fauteuil mais préalablement déambulants ont pu être opérés et ont gagné en indépendance et en possibilité fonctionnelle. Par contre un quadriplègique spastique sévèrement atteint ne pourra pas bénéficier de ce type de chirurgie. Dans ce cas l’importance des anomalies primaires est incompatible avec un espoir de marche.
M. Pierre RONDOT
L’inondation du marché neurologique par la toxine botulique a-t-elle une application au cours de vos indications chirurgicales ?
La toxine botulique peut être employée dans le même temps. Elle a aussi pour nous valeur de test thérapeutique avant une neurectomie hypersélective ou une indication de rhizotomie postérieure.
M. Claude KENESI
Je pense comme vous qu’il faut, avant tout geste chirurgical, faire un planning complet de la totalité des corrections à envisager. Cependant ces nombreuses interventions simultanées me font un peu peur. N’est-il pas moins choquant de réaliser le programme en deux temps séparés par un intervalle bref ?
Dans notre expérience la chirurgie rapprochée en deux temps n’offre aucun avantage par rapport à une chirurgie en un temps. Rappelons que pour les patients opérés en un temps (11 interventions en moyenne dans le même temps) ont eu une durée de séjour à l’hôpital de 7 jours.
M. Michel BOUREL
Quelle est la place de l’informatique dans l’analyse des multiples paramètres recueillis par les enregistrements et l’analyse clinique ? Et quelle est la démarche vers une modélisation informatisée ?
L’informatique est essentielle, ce sont ces progrès qui nous ont permis d’accéder aux différentes données pratiquement en temps réel. Elle ne permettra jamais de déduire automatiquement les gestes à pratiquer. Les données enregistrées sont insuffisantes et les données cliniques restent un élément majeur de notre réflexion.
M. Jean NATALI
Vous nous avez parlé de 14 ou 16 interventions. Pouvez-vous nous indiquer de quelles sortes d’interventions il s’agit ?
Les interventions les plus souvent pratiquées sont : les ostéotomies de rotation fémorale, les ostéotomies de rotation tibiale basse, les ostéotomies du calcaneum, les ténotomies hautes du muscle gracilis, les aponévrotomies des muscles semi tendinosus et semi membranosus, les ténotomies basses ou transferts du muscle rectus femoris, les aponé- vrotomies des muscles jumeaux, l’hémi transfert en dehors du tendon du muscle tibialis antérior, l’allongement à la jonction muscle tendon du muscle tibialis posterior.
* Chirurgie à Orientation Orthopédique de l’Enfant et de l’Adolescent, Hôpital Robert Debré, 48 bld sérurier, 75019 PARIS Tirés à part : Professeur Georges F. PENNEÇOT, même adresse Article reçu et accepté le 15 novembre 2004
Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 8, 1423-1427, séance du 23 novembre 2004