Publié le 25 novembre 2004
Éloge

Jean-Paul Giroud

Discours

Éloge de Paul Lechat (1920-2003)

Jean-Paul GIROUD

Puis-je vous avouer que j’appréhendais ce jour où je me trouverais devant vous pour honorer la mémoire de mon Maître, Paul Lechat, qui m’accueillit, orienta ma carrière, la suivit avec bienveillance et me fit l’honneur d’encourager votre Compagnie à me recevoir parmi vous ? Dois-je vous dire combien il me fut agréable de partager à ses côtés les travaux de notre Académie ? Lorsque je m’asseyais dans cet hémicycle, d’un regard, je m’assurais de sa présence, savourant déjà le plaisir que me vaudrait la reprise de l’une de nos conversations sur les thèmes les plus divers qu’il abordait toujours avec cette acuité et cette pertinence qui nous séduisaient tant.

Sans doute cette complicité affectueuse, qui s’était développée entre nous, l’avait-elle incité deux ans avant sa disparition, à me demander de prononcer son éloge devant vous. Ma surprise, vous la devinez, était réelle, mais comment refuser une telle marque d’estime et d’amitié, d’autant que ce moment me semblait, heureusement, encore éloigné ! Certes, depuis quelques années, son siège, de temps à autre, restait libre. Rien pourtant ne laissait deviner une fin si soudaine. Lorsque je lui rendis visite, quatre jours avant qu’il ne nous quittât, il me fit part, tout en partageant avec Madame Lechat et moi les macarons qu’il m’avait envoyé chercher, d’une nouvelle piste de recherche qui lui semblait pleine de promesses. Je ne pouvais imaginer que ce serait là notre dernier entretien. Il devait s’éteindre sereinement quatre jours plus tard.

Paul Lechat quittait la vie avec la même discrétion qu’il avait vécu. Une vie exemplaire qui laissait derrière elle une carrière exceptionnelle prolongée en France et à l’étranger par la cohorte des élèves qu’il avait formés.

Rien ne le prédestinait à accomplir ce parcours qui devait faire de lui l’un des pharmacologues les plus éminents de son temps.

Pas de vocation enfantine : Paul Lechat était le premier à reconnaître qu’il avait depuis toujours horreur des médicaments, d’un goût désagréable pris par la bouche et quelque peu effrayants sous leurs formes injectables. Adolescent, il avait tout naturellement écarté a priori deux types d’études, la pharmacie et la médecine. A l’issue de ses études secondaires accomplies au Mans, sa ville natale, les goûts du jeune bachelier latin grec philosophie le portaient vers l’histoire, la géographie, l’économie pour lesquelles il garda toujours un intérêt prononcé. « La volonté paternelle, qu’on ne discutait guère à l’époque, devait-il expliquer plus tard, en décida autrement ».

Dès les résultats du Baccalauréat publiés, son entourage considérant la pharmacie comme « un bon métier », Paul Lechat entre, le 21 juillet 1937, ainsi le voulait le cursus de l’époque, comme stagiaire dans une officine où avait exercé Albert Buisson, futur Président-directeur général de Rhône-Poulenc et Chancelier de l’Institut de France. « La vitrine, se souvenait-il, s’ornait en tout et pour tout de deux énormes vases remplis respectivement de liquide vert et de liquide rouge ».

Là, le jeune homme s’essaie à la préparation du sirop de Gilbert, de l’emplâtre simple, de l’électuaire de Copahu recomposé, la Commission de Transparence ne donnerait peut-être pas aujourd’hui un avis favorable à leur remboursement. Alors, à défaut de poursuivre des études d’histoire et de géographie, il se passionne pour les origines de l’aloès des Barbades, de l’opium de Smyrne ou de l’éphédra de Chine.

Un an plus tard, son stage terminé et son examen réussi, l’étudiant s’inscrit à la Faculté de Pharmacie de Paris.

Survient la guerre qui renvoie les étudiants dans leur famille. Paul Lechat, qui n’est pas encore mobilisable, accomplit sa deuxième année de Pharmacie à Rennes, puis revient faire sa troisième année à Paris où il reprend la préparation de l’Internat à l’Hôtel-Dieu.

En 1941, Paul Lechat reçu au concours de l’Internat est nommé à Tenon. Le Pharmacien chef en est Denis Bach dont la barbe noire a terrorisé plus d’un étudiant. Paul Lechat n’imagine pas alors que son fils, Charles Bach, collaborera avec lui à l’établissement de la posologie infantile pour la Pharmacopée, et que son petit-fils, Jean-François Bach, sera son confrère à l’Académie nationale de médecine.

Tout en poursuivant sa scolarité à la Faculté de Pharmacie, il s’inscrit à la Sorbonne et obtient ainsi ses quatre certificats d’une licence de chimie biologie.

En février 1942, intervient à l’hôpital Tenon un changement d’importance qui devait donner un tour décisif à sa carrière : un nouveau Pharmacien chef prend ses fonctions : Jean Cheymol qui vient de l’hôpital Bretonneau. Très vite, ce nouveau patron, sous une apparence sévère, révèle un cœur d’or et montre une grande sollicitude à l’égard de ses Internes. Paul Lechat a trouvé en lui, son Maître pour lequel il gardera toute sa vie autant de respect et d’admiration que d’affection.

Comme tous les nouveaux Internes, Paul Lechat se consacre d’abord aux préparations qui sont distribuées aux malades en chaque fin de matinée et suit la visite du médecin au service duquel il est affecté. Puis il accède au laboratoire d’analyses biologiques. Une expérience qui lui sera des plus utiles lorsqu’il se trouvera affecté au laboratoire du Lazarett d’un camp de prisonniers de guerre en Poméranie.

En 1945, à son retour à Paris, Jean Cheymol le pousse à préparer les concours. Sa confiance en son élève ne sera pas déçue : Paul Lechat remporte brillamment la médaille d’or de l’Internat de Pharmacie en 1947, puis, l’année suivante, réussit le très difficile concours de Pharmacien des Hôpitaux. Il est alors affecté à la Pharmacie Centrale, quai de la Tournelle, « là où Napoléon l’avait installée en 1805 et qui ne devait guère avoir connu d’aménagements depuis cette date » comme il aimait à le souligner.

Sur les conseils de Jean Cheymol, il entame des études de médecine. Après une nomination en tant qu’Assistant en pharmacologie, il passe avec succès l’Agrégation de médecine et devient, en 1958, Maître de conférences agrégé de pharmacologie à la Faculté de médecine de Paris. Huit ans plus tard, il prend la succession de son Maître à la chaire et à l’Institut de Pharmacologie.

A partir de cette date, une nouvelle vie commence pour lui, qui va le conduire à la tête des plus illustres sociétés savantes. « J’ai une grande foi dans les sociétés savantes, disait-il. Elles existent pour susciter les recherches, les promouvoir, les encourager. A ce titre, elles font évoluer la science ». A ses yeux, un tel engagement constitue l’accompagnement naturel d’une carrière. Très tôt, dès 1961, il devient Secrétaire général de la Société Française de Thérapeutique puis, un an plus tard, est élu à l’Académie de pharmacie et en 1980, il entre à l’Académie nationale de médecine.

Voici retracée, bien trop brièvement, je le crains, la prestigieuse carrière de celui que j’ai eu l’honneur d’avoir pour Maître. Mais je voudrais évoquer maintenant le rôle essentiel qu’il joua dans le domaine hospitalier et à l’Université où il consacra tous ses travaux aux aspects pluridisciplinaires du Médicament.

PAUL LECHAT FUT UNE FIGURE EMINENTE DANS LE DOMAINE DU MEDICAMENT.

Le premier laboratoire qu’il connut fut l’antique Pharmacie Centrale des Hôpitaux du quai de la Tournelle où il fut affecté en 1948 comme Pharmacien des Hôpitaux.

Dirigée alors par Raymond Charonnat, chimiste renommé s’intéressant aussi à la biologie, lui confia l’étude des incidents et accidents médicamenteux signalés dans les services hospitaliers. A l’époque, deux d’entre eux étaient fréquents : les réactions fébriles après injection intraveineuse de gros volumes de solutions, et différents types de chocs, tel ceux observés à la suite d’injection intraveineuse de thiamine. Le laboratoire de la Pharmacie Centrale ne comptait qu’une seule pièce d’où la satisfaction de mon Maître lorsqu’il obtint par la suite l’autorisation de doubler la superficie de ses locaux, qui passèrent alors à vingt cinq mètres carrés ! Espace devant abriter une dizaine de personnes, sans compter les animaux en expérience !

On se doute que l’odorat et l’ouïe de tout ce petit monde devaient être parfois soumis à rude épreuve lorsqu’une expérience effectuée par André Boime le chimiste de l’équipe ne donnait pas les résultats escomptés ! Mais si les chercheurs n’avaient ni réel équipement, ni crédits de recherche, ils jouissaient en revanche d’une liberté totale d’investigation.

Malgré ces handicaps et peut-être grâce à cette fantaisie, le laboratoire assura la fourniture aux hôpitaux de solutions injectables apyrogènes, à repérer dans la molécule de thiamine que sa partie thiazolique possédait des propriétés anticonvulsivantes, à comparer l’efficacité et la toxicité des anesthésiques locaux et à découvrir, en partant de l’anesthésie cornéenne du lapin, des corrélations centrales dans le fonctionnement du réflexe oculo-palpébral.

Je n’ai pas connu ces conditions précaires dans lesquelles Monsieur Lechat a travaillé pendant une dizaine d’années après la guerre.

Je ne l’ai rejoint qu’à l’époque où les études se faisaient dans des conditions quasi normales. Je n’ai donc pas goûté ces fameux civets qui venaient améliorer, en cette période de rationnement, l’ordinaire des membres de son laboratoire, pour peu que les malheureux lapins aient reçu un liquide sans danger pour l’homme.

L’après-midi, il se rendait à l’Institut de Pharmacologie de la Faculté de médecine, vaste bâtiment, doté d’équipements importants et d’un personnel nombreux que dirigeait, depuis 1958, Jean Cheymol. Lorsque la direction lui en fut confiée, en 1967, il lui fallut à son tour organiser les équipes de recherche, se consacrer aux programmes à définir, rédiger les comptes rendus d’activité des équipes des diffé- rents organismes qu’il dirigeait, Laboratoire associé au CNRS, Association Claude Bernard, Ecole des hautes études, gérer les conflits de personnes, s’employer à briser les routines.

Il avait pleinement conscience de l’importance de ce que Monsieur Cheymol avait initié, c’est-à-dire les cultures cellulaires et les investigations pharmacologiques qu’elles permettent. Il allait donc s’attacher à développer ce nouveau domaine de la Pharmacologie en l’appliquant à différents types de recherche sur plusieurs modèles cellulaires mis au point par Monique Adolphe, aujourd’hui membre de notre Compagnie.

Les premiers modèles appliqués furent les cellules humaines cancéreuses et normales : Madeleine Lemeignan mit ainsi en évidence la toxicité des aminopyridines tandis que Janine Fontagné et moi, nous étudiions les effets de différents antiinflammatoires et des prostaglandines. Monsieur Lechat, jugeant important d’aborder l’inflammation sur les cellules cibles de ce système, me confia les études sur les macrophages, que je devais développer avec une équipe anglaise de renom, dirigée par le Professeur Willougby.

Monsieur Lechat étendit avec Monique Adolphe cette recherche sur les cellules de moelle osseuse, et développèrent la culture de chondrocytes articulaires, sur lesquels ils étudièrent à la fois des problèmes fondamentaux comme le vieillissement et des interactions pharmacologiques impliquant divers anti-inflammatoires et antirhumatismaux.

Paul Lechat et son équipe s’intéressa également à la toxicité cardiaque des imipraminiques, et mit en évidence sur des cultures de cellules cardiaques, le mécanisme d’action et la toxicité de ces molécules. Dans un autre domaine, ses investigations portèrent sur la jonction neuromusculaire et le mode de libération de l’acétylcholine à son niveau, grâce à l’emploi de la 4-aminopyridine et de la diamino 3,4 pyridine, ces résultats ouvrirent la voie à de nombreuses études qui aboutirent à l’introduction de molécules en clinique dans le traitement symptomatique de nombreuses myopathies. Jusqu’à sa disparition de jure , en 1969, avec celle des Instituts de Faculté, puis, de facto , avec le départ à la retraite en 1990 de Paul Lechat, l’Institut de Pharmacologie permit de former de nombreux chercheurs français et étrangers et parmi ses élèves les plus proches, je me dois de citer Pierre Allain, Fabien Calvo, O. Gulda, Yves Juillet, Georges Lagier, Jordi Molgo, Bernard Rouveix, Simon Weber, qui sont devenus des personnalités dans le domaine universitaire et celui de la recherche publique ou privée.

Pour donner une idée de l’importance des travaux qu’il mena personnellement ou qu’il dirigea tout au long de sa carrière, j’ajouterais seulement que Paul Lechat leur consacra, de 1947 à 1988, plus de 300 publications. Ce chiffre illustre à lui seul les préoccupations constantes de celui qui fut un vrai pharmacologue, c’est-à-dire un chercheur dont tous les efforts tendent à mieux comprendre les différentes proprié- tés des médicaments.

Ce souci devait profondément influencer son enseignement. Lors de la leçon inaugurale qu’il prononça le 18 avril 1967 à la Faculté de médecine de Paris, le nouveau titulaire de la chaire de Pharmacologie citait avec malice une phrase qu’il empruntait à un roman récent : « Les juges ignorent les conséquences des condamnations qu’ils prononcent, les administrateurs des réformes qu’ils appliquent, les médecins des médicaments qu’ils prescrivent, les savants des découvertes qu’ils font », pour conclure : « Certes, les médecins se consoleront en se trouvant là en bonne compagnie, mais le reproche ne les atteint pas moins ». Aussi durant toute sa carrière n’eut-il de cesse d’insuffler à ses étudiants des notions essentielles sur les propriétés des médicaments afin qu’ils puissent par la suite les prescrire à bon escient.

Tous ceux qui l’ont approché le savent bien : être Professeur pour lui, n’était pas seulement un titre, mais avant tout une fonction, et j’irai même jusqu’à dire une mission. Celle lui incombant, en tant que Pharmacologue, était de bien faire connaître les médicaments. Mission extrêmement difficile, voire impossible, puisqu’elle consiste à faire assimiler des notions de plus en plus complexes sur des produits de plus en plus nombreux à des étudiants réfractaires, bien souvent, à de telles notions. Et notre lot à nous, pharmacologues, stimulés par l’innovation est ainsi fait que nous vivons dans un bouleversement perpétuel, les nouveaux médicaments se substituant aux anciens pour se trouver eux-mêmes rapidement dépassés.

Notre cours est à peine achevé que déjà il date …

Devant cet état de fait, le Paul Lechat avait très judicieusement renoncé à développer chez ses étudiants un savoir encyclopédique. Il préférait aiguiser leur esprit critique plutôt que les écraser sous une masse de connaissances provisoirement sûres et créer chez eux des réflexes conditionnés vis-à-vis de toutes les nouveautés qui leur seraient proposées une fois devenus médecins. Il leur rappelait volontiers que le scepticisme restait le meilleur garant contre ce penchant humain naturel à tous, même aux plus instruits, qu’est la crédulité.

Cet esprit, qui était la marque de son enseignement, me séduisit dès le début de ma 4ème année et m’incita à poursuivre ma carrière dans sa discipline. Dois-je ajouter combien j’appréciais aussi la qualité de son expression, claire, synthétique qui se retrouve dans son œuvre écrite comme on peut en juger dans les nombreux livres qu’il nous a laissés et tout particulièrement dans le premier ouvrage de pharmacologie médicale, texte de référence pour des générations d’étudiants en médecine et le premier manuel de pharmacovigilance qui témoigne de son activité de pionnier dans ce domaine ?

Son enseignement comprenait alors quelque 130 heures, bien qu’un certain nombre de classes médicamenteuses n’existaient pas. Aujourd’hui, 60 heures en moyenne, soit moins de la moitié, sont consacrées à cette discipline. Ainsi, le Professeur de Pharmacologie n’a-t-il même plus la possibilité de parler de l’ensemble des médicaments dits essentiels de l’OMS. Comment s’étonner alors que des médicaments, dans certains cas, soient utilisés de façon discutable ?

PHARMACOLOGUE DE RENOM, REMARQUABLE ENSEIGNANT, PAUL LECHAT SE MONTRA AUSSI UN ORGANISATEUR DE TALENT

Ce ne fut pas par hasard qu’à l’Institut de Pharmacologie, il fut appelé à succéder, en 1967, à Jean Cheymol, qui en avait élaboré les statuts et devait en être le premier Directeur. Celui-ci avait décelé chez son élève les qualités de rigueur, l’esprit de méthode, la clairvoyance, l’autorité naturelle et le charisme qui font les organisateurs-nés. Et l’aura de cet organisme, aux destinées desquelles Paul Lechat devait présider pendant vingt-trois ans, dut beaucoup à la personnalité de son Directeur.

Paul Lechat devait également laisser son empreinte au sein de la Société Française de Thérapeutique dont il fut le secrétaire général pendant seize ans avant d’en devenir le Président en 1978. Il a fortement contribué au dynamisme de cette association.

S’intéressant également à l’enseignement post-universitaire il assura le succès des Actualités Pharmacologiques qui réunissait chaque année 8 conférenciers français ou étrangers a la pointe de la recherche internationale.

L’Union Internationale de Pharmacologie devait, elle aussi, bénéficier de ses dons d’organisateur. Elu membre du Conseil exécutif de l’IUPHAR en 1972, Paul Lechat en devint le Président de 1988 à 1991. C’est à lui que reviendra la lourde responsabilité d’organiser et de présider, en 1978, le VIIème Congrès tenu à Paris.

De la même manière, en 1992, durant l’année où il présida l’Académie de Pharmacie, Paul Lechat réussit, avec diplomatie, à réformer les statuts de cette Institution. il est significatif que, quelques mois avant sa disparition, il ait adressé au Président Pierre Joly une lettre manuscrite de sa belle écriture précise et déliée, par laquelle il lui faisait part de quelques réflexions et suggestions pour la célébration du bicentenaire de l’Académie de Pharmacie. Il y insistait sur tout ce qui pouvait concourir à renforcer le prestige de celle-ci tant auprès des Gouvernants qu’auprès du public.

Incontestablement, la présidence de Paul Lechat aura marqué dans l’histoire de l’Académie de Pharmacie.

A l’Académie de nationale de médecine, vingt ans après son Maître Jean Cheymol, et dix-sept ans après le doyen Guillaume Valette, Paul Lechat deviendra, en 1997, le troisième pharmacologue à avoir le privilège d’occuper le fauteuil de Président. Il y poursuivra les séances à thème qui venaient d’être introduites et s’attachera à développer, auprès du public, le retentissement des rapports et des vœux que notre Compagnie élabore à l’intention des autorités ministérielles.

Enfin, il s’efforça d’améliorer la présentation des comptes rendus publiés au Bulletin de l’Académie et d’en raccourcir les délais de parution qui se trouvèrent réduits en 1997 à deux mois et demi en moyenne, un rare tour de force dans l’édition médicale.

LES QUALITÉS DU CHERCHEUR ET DE L’ORGANISATEUR, TOUT IMPORTANTES QU’ELLES FURENT, NE PEUVENT FAIRE OUBLIER LES QUALITÉS DE CŒUR DE PAUL LECHAT.

C’était un homme de devoir dont le courage allait de pair avec la discrétion. J’en veux pour exemple son choix courageux et généreux pendant la guerre.

Patriote, Paul Lechat avait tenté en vain, à Saint-Malo, de s’embarquer pour l’Angleterre en juin 1940. Lorsque le Gouvernement de Vichy crée le S.T.O. et le rend obligatoire pour les classes 40, 41 et 42, Paul Lechat, directement concerné, préfère partir avec un contrat d’un an pour assurer la relève d’un pharmacien militaire dans un camp de prisonniers français. Promu pharmacien lieutenant, il rejoint, en juillet 1943, la Poméranie, permettant à un pharmacien militaire, père de deux enfants, de rentrer au pays. Paul Lechat y restera jusqu’à la libération du camp, comprenant plus de quatre mille prisonniers, par les troupes russes qui lui confieront la responsabilité d’y assurer l’ordre et la discipline, ce qui lui vaudra de ne rentrer à Paris que le 20 juin 1945.

Homme de devoir, il le sera aussi en se dépensant sans compter au service de l’Etat.

Conseiller au sein de nombreux organismes officiels, il présidera plusieurs commissions ministérielles. Il prodigua ses conseils, sans trop d’illusion sur leur portée se souvenant de la réflexion de Balzac qui reste actuelle « Hélas on n’éclaire pas un gouvernement et de tous les gouvernements le moins susceptible d’être éclairé, c’est celui qui croit répandre des lumières. » Au cours des quarante-deux années de sa carrière universitaire, il a par ailleurs brillamment contribué au renom de la France à l’étranger. Il accomplira ainsi maintes missions d’enseignement dans différents pays et participera à de très nombreux colloques et congrès.

Dès 1948, Paul Lechat, fut amené à siéger au Comité de l’OMS chargé d’établir les dénominations communes internationales des médicaments. Une mission toute d’actualité permettant, à notre époque où les échanges se font à l’échelle mondiale, que chacun trouve, dans tous les pays, le médicament identique à celui qui lui a été prescrit. Plus tard, il participera aux Comités d’experts réunis par l’OMS pour élaborer la liste des médicaments dits essentiels, une mission mal interprétée par les milieux industriels qui avait pourtant comme unique objectif d’aider les pays en voie de développement à recevoir les seuls médicaments jugés indispensables.

La notoriété qu’il s’est acquise par ses travaux lui a valu de devenir Docteur Honoris Causa de l’Université suédoise de Lund et membre de plusieurs Académies étrangères dont l’Académie Royale de Médecine de Belgique.

Je voudrais aussi dire le soutien que Paul Lechat apportait à ceux qu’il estimait.

C’était un homme de fidélité et ses collaborateurs le savaient, comme ils n’ignoraient pas que son aide et ses conseils ne leur feraient jamais défaut.

Réservé, il ne parlait pas des épreuves qu’il avait traversées. Il les supporta courageusement, avec le soutien constant, admirable de discrétion, de patience, d’efficacité et d’affection de son épouse à laquelle je veux rendre hommage. C’est auprès de vous, Madame, de vos enfants et de vos petits-enfants, dans cette vie familiale dont vous avez su préserver l’harmonie, qu’il puisait son équilibre. Tout particulièrement dans votre maison de Saint-Cast que vous aviez choisi de faire construire face à la mer et où vous aimiez, durant vos courts séjours, faire de longues promenades le long de la côte bretonne, quand vous ne poursuiviez pas à l’échelle d’un véritable jardin les expériences que vous cultiviez, avec bonheur, sur votre terrasse de la rue Saint-Didier. A moins que vous n’écoutiez ces musiciens que vous aimiez tant et sur lesquels votre mari écrivit un essai remarquable où il montrait que les connaissances pharmacologiques actuelles auraient pu sauver ces artistes disparus prématuré- ment.

La foi chrétienne de Paul Lechat était profonde. Il en parlait peu, mais il émanait de lui une sérénité qui ne pouvait provenir que de cette certitude et de celle d’avoir rempli honorablement une vie d’homme.

Il a été pour moi un patron qui m’a toujours montré une sollicitude quasi paternelle.

Il savait mettre à l’aise et aimait rendre service. Il avait l’esprit large et accueillait volontiers des opinions différentes des siennes, je peux en témoigner. « Le conformisme, voilà l’ennemi ! » aimait-il dire. Mais il défendait avec conviction les valeurs essentielles auxquelles il croyait et savait argumenter avec habileté et vigueur ses prises de position. Dans ses activités d’enseignant, de chercheur ou d’organisateur, Paul Lechat témoignait de la même passion. Et il appréhendait sa discipline dans toute sa dimension de santé publique.

Paul Lechat était officier dans l’ordre de la Légion d’honneur et dans l’ordre national du Mérite.

Mon souhait le plus cher est d’être parvenu à lui rendre aujourd’hui l’hommage qu’il méritait. Je sais que l’Académie nationale de médecine, qu’il a servie pendant vingt-trois ans, lui gardera une reconnaissance profonde.

Votre famille, Madame, cher Philippe, peut en être assurée : ses élèves et ses collaborateurs seront toujours fidèles à sa mémoire.