Résumé
La prévention des risques pour la santé publique nécessite une détection précoce que la maladie émergente soit consécutive à un évènement naturel ou terroriste. Une surveillance permanente et une architecture des réseaux de laboratoires sont les deux piliers essentiels d’une organisation efficace. La coordination de l’information, de l’entraînement et des procédures à mettre en œuvre a été confiée à l’Institut de veille sanitaire et à un Conseil scientifique du réseau des laboratoires « Biotox-Piratox ». Les capacités de protection contre un acte bioterroriste sont en amélioration, mais cela nécessite un effort constant.
Summary
Public health prevention requires early detection of disease outbreaks, whether naturally occurring or due to bioterrorism. Permanent surveillance and a network of laboratories are the two main pillars of effective outbreak management. Coordination of information, training, and procedures are under the responsibility of the French public health watch institute and the scientific advisory board for the Biotox-Piratox laboratory network. Protective capacities against bioterrorism are improving but efforts must continue.
CONTEXTE DE L’ACTION DE SURVEILLANCE ET D’IDENTIFICATION DES MENACES BIOLOGIQUES PROVOQUÉES
Attentats terroristes chimiques et biologiques : alerte et contrôle.
Le terrorisme Nucléaire Radiologique Biologique ou Chimique (NRBC) , notamment le bioterrorisme , cherche à altérer la santé des populations, et l’économie des sociétés qui en sont les cibles. En situation de crise, cette menace entretient un climat d’insécurité qui peut dégénérer rapidement en panique. Ce terrorisme est donc une « arme de désorganisation massive » avant d’être une « arme de destruction massive ». Ce constat, formulé initialement par des experts militaires, a été repris dans de nombreux rapports français et étranger [1-3]. La possibilité d’utilisation à des fins terroristes des agents infectieux ou des toxines, des substances chimiques ou même radioactives pour détruire ou rendre malades des hommes, des animaux ou des plantes, est une menace qui ne peut être ignorée, même s’il s’agit le plus souvent « d’actes isolés de portée limitée ou d’allégations non fondées [chantage] » [4]. Le terrorisme NRBC est encore en mesure d’attirer les extrémismes religieux, nihilistes, millénaristes : Al Quaida a manifesté un intérêt pour ce mode d’action. La médiatisation de ces menaces renvoie à des peurs ancestrales, parfois irraisonnées.
La liste d’actes avérés impliquant de vrais moyens non conventionnels entre 1970 et 2000 est extrêmement courte : moins de dix. Depuis 2001 le nombre de saisine de la Cellule Nationale de Conseil (CNC) du Centre Opérationnel de Gestion Interministérielle des Crises (COGIC) décroît régulièrement. Chargée de procéder à la « levée de doute » la CNC procède encore à des demandes d’analyse car il reste toujours un fond récurent de cas nécessitant, par précaution une analyse chimique ou biologique approfondie. La probabilité d’actes terroriste NRBC est donc faible mais elle reste possible et la vulnérabilité des populations est considérable.
Concernant les agents de la menace bioterroriste, ils ont été classés en trois groupes [5] :
— Le groupe A comprend les micro-organismes les plus dangereux, ils peuvent être disséminés facilement ou transmis par contagion ;
— Le groupe B inclut des micro-organismes et des toxines qui sont, soit à l’origine de maladies de gravité moindre ou moins médiatisées ;
— Le groupe C concerne entre autres des maladies émergentes ; des microorganismes génétiquement modifiés pourraient appartenir à cette dernière caté- gorie.
Le processus d’alerte et de contrôle porte sur d’abord sur les agents des listes A et B pour lesquels des capacités et un savoir faire doit être disponible. Il concerne aussi les
agents de la liste C et plus généralement les agents inconnus et ceux qui n’ont tout simplement pas encore focalisé l’attention. La réactivité des organisations et la capacité de mobilisation des acteurs clés prime pour ces derniers. Cela va de la recherche et développement, à la production et l’acheminement des moyens destinés, d’une part, à la détection et au diagnostic et, d’autre part, à la prévention et au traitement des victimes.
Une doctrine s’appuyant sur une stratégie de décision simple, efficace et validée, et des acteurs informés et entraînés, sont les bases d’une montée en puissance adaptée des capacités destinées à faire face aux menaces d’actes terroristes notamment biologiques.
Biosécurité et biosûreté dans le contexte d’une crise sanitaire naturelle ou intentionnelle.
La permanence de la surveillance sanitaire destinée à alerter les pouvoirs publics et le dispositif sanitaire de manière précoce en cas d’émergence ou de réémergence d’une maladie, notamment contagieuse et la structuration d’un réseau de compé- tences analytique capable d’identifier et d’authentifier un agent font partie du dispositif contribuant à la biosécurité [6]. Ce concept s’adresse aux moyens de préparation des réponses propres à assurer une protection des populations face à un risque biologique naturel, accidentel ou provoqué. Une stratégie efficace de biosé- curité inclue donc des processus de surveillance épidémiologique et d’alerte, ainsi que ceux permettant une détection et une identification précoce d’agents biologiques. Cette stratégie nécessite également des processus de contrôle rigoureux et validés, s’appuyant sur des procédures et des « bonnes pratiques », mettant en œuvre des équipements conformes aux normes de protection des utilisateurs. Ces procédures et ces équipements contribuent à la sûreté biologique. Ils concernent particulièrement les mesures de confinement, de circulation et de manipulation des agents. Ils s’adressent aussi aux matériels de laboratoires et à la formation des opérateurs. Ils doivent obéir à des standards approuvés.
Les plans d’urgence gouvernementaux « Vigipirates » et leur déclinaison, notamment les plans « Piratox » et « Biotox », ne peuvent se contenter de décrire les responsabilités des différents échelons d’acteurs et la manière dont ils interagissent.
Ils doivent également être des référentiels techniques pour les opérateurs. Une bonne préparation nécessite des capacités et une organisation technique et managériale propre. Elle doit s’appuyer sur le métier d’un certain nombre d’acteurs qui entretiennent quotidiennement leurs compétences et leur savoir faire dans des activités de routine : faire face à un risque intentionnel ou accidentel passe par le « savoir faire face » à un risque naturel. Ce principe de continuité permet d’entretenir à moindre coût un socle de moyens et de compétences de base facilement mobilisables en cas de crise sanitaire majeure [7].
En somme, deux des principaux objectifs à atteindre sont :
— la disponibilité d’un système de surveillance et de veille épidémiologique performant ;
— l’articulation de ce système avec un réseau de laboratoires associant des unités spécialisés en biologie ou en toxicologie médicale, environnementale, vétérinaire et légale.
LE SYSTÈME DE SURVEILLANCE ET DE VEILLE ÉPIDÉMIOLOGIQUE
Les principes du système de veille et d’alerte sanitaire français Ce système doit répondre à plusieurs exigences :
— repérer un phénomène « anormal », potentiellement grave au sein d’une population. Ce caractère anormal pouvant relever de la spécificité du signal (agent infectieux ou toxique) de l’ampleur ou de la sévérité d’un syndrome sans étiologie immédiatement identifiable (troubles neurologiques, digestifs, cardiopulmonaires).
— valider la réalité de l’émergence d’un risque par la confirmation et la caractérisation du signal : rôle essentiel de l’expertise et des laboratoires — signaler sans délai à l’autorité sanitaire cette alerte et participer à la mise en œuvre des plans d’actions : prévention et prise en charge.
Dans le contexte de la veille sanitaire, il doit fonctionner 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 avec une exigence de réactivité.
Les principes de cette alerte sanitaire, fiable et adaptée, c’est-à-dire déclenchée à bon escient et de façon précise, reposent sur l’organisation d’un système de veille sanitaire structuré susceptible d’identifier tout type de phénomène de santé anormale sur tout le territoire national.
Cette surveillance, déclinée dans le contexte du bioterrorisme, s’appuie sur un triptyque :
— Le premier volet, le plus spécifique, décrit l’organisation de la surveillance des maladies à déclaration obligatoire qui constitue le fondement de la surveillance sanitaire en France. Il s’agit d’une liste de trente pathologies que tout médecin en exercice ou laboratoire d’analyses médicales qui en fait le diagnostic à obligation de déclarer à la DDASS de son département par tout moyen [8, 9]. Ces déclarations sont ensuite transmises à l’Institut de Veille Sanitaire (InVS) qui analyse les données. Cette liste intègre depuis, septembre 2001 les principales pathologies pouvant être utilisées dans un contexte de bioterrorisme et qui font l’objet d’une procédure de signalement. L’importance du signalement sans délai à l’autorité sanitaire est essentielle en matière de lutte contre toute menace émergente, a fortiori dans le cadre d’une malveillance quand le choix de l’agent biologique vise à une diffusion rapide et grave.
Bioterrorisme : Liste des pathologies ou agents biologiques les plus souvent cités.
— Peste (MDO + Sig) Toxines :
— Charbon (MDO + Sig) — Toxine botulinique (MDO + Sig) — Brucellose (MDO + Sig) — Entérotoxine B du staphylocoque (MDO + Sig) — Variole et pox virus (MDO + Sig) — Saxitoxine — Agents des fièvres hémorragiques (MDO + Sig) — Toxine diphtérique (MDO + Sig) — Tularémie (MDO + Sig) — Ricine MDO : Maladie à Déclaration Obligatoire — Sig : pathologie faisant l’objet d’une procédure de signalement — Le second volet concerne le développement des systèmes d’information que propose l’InVS depuis 2004, en particulier la surveillance dite syndromique ou non spécifique. L’objectif de la surveillance syndromique est de pouvoir identifier un phénomène sanitaire en ayant le recours au système de soins avant même son diagnostic étiologique. Son principe repose sur l’enregistrement et l’analyse en continue des données d’activité de soins en milieu hospitalier ou libéral. Dans le cas présent, sont prises en compte des données enregistrées dans les services d’urgences et sur les standards téléphoniques de SOS Médecins. Ces données de morbidité sont complétées par l’analyse des données de mortalité brute enregistrées par l’Insee et transmises à l’InVS [10]. La mise en œuvre prochaine de la certification électronique des décès viendra compléter ce dispositif.
Ces données sont adressées quotidiennement à l’InVS par voie électronique afin d’être traitées. Les qualités principales d’un tel système sont la rapidité du recueil d’information et sa sensibilité lui permettant d’identifier toute évolution anormale dans la fréquence de survenue de syndromes, ou plus largement du recours aux structures de soins.
Dans un contexte de bioterrorisme sont ainsi surveillés des syndromes qui correspondent aux phases prodromiques des pathologies du bioterrorisme [11] :
Syndromes digestifs à type de vomissements et diarrhées Syndromes neurologiques à type de convulsions, pertes de connaissances et coma Syndromes cutanés à type de rash Syndromes respiratoires à type de toux ou dyspnée.
— Le dernier volet de cette surveillance porte sur « l’auto signalement » par le professionnel de santé qui doit signaler à l’InVS tout incident, pathologie ou syndrome qui lui parait suspect. Cette mission, prévue dans le plan Biotox, est essentielle. Elle nécessite l’expertise du médecin qui doit identifier une situation présentant à ses yeux une menace pour la santé publique. L’InVS dispose d’une astreinte qui lui permet de recevoir ces messages 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, de les valider, de les analyser et d’alerter si besoin les pouvoirs publics. Cette veille permanente est assurée au niveau national ; elle a vocation à se mettre en place au niveau régional avec l’appui des CIRE (Cellule interrégionale d’épidé- miologie) qui, placées au sein des DRASS, constituent les équipes régionales de
veille sanitaire sous l’autorité scientifique de l’InVS. Ce canal d’information direct reste encore peu utilisé par les professionnels de santé. Trois raisons peuvent être évoquées :
— une perception insuffisante de l’intérêt que peuvent représenter pour la veille sanitaire ces informations transmises en urgence ;
— la fréquente méconnaissance des circuits d’information — la charge de travail supplémentaire induite par cette responsabilité.
Le développement complet d’un système d’information simple et accessible, ancré au plus près du milieu de soins, apte à identifier un signal local, voire unique, est une capacité à détenir. Les CIRE représentent un premier niveau régional d’expertise et dévaluation des signaux au niveau local et en appui au DDASS. Ce point est important car jusqu’à présent les actes de bioterrorisme « réussis » se sont déroulés sur des zones limitées et n’ont concerné qu’une population ciblée [12, 13].
Les qualités d’un système pour l’alerte
Une des qualités principales d’un système d’alerte adapté au bioterrorisme doit être sa capacité à identifier précocement un signal, en dehors de toute revendication. A cet objectif simple correspond une double nécessité : capter le signal sanitaire et l’expertiser au plus tôt pour le transformer, sans délai, en alerte.
Le repérage du signal sanitaire impose l’utilisation quasi exclusive du transfert télématique de l’information : il n’est plus envisageable d’utiliser le papier comme support pour assurer leur remontée. Seuls les nouveaux moyens de communication (Internet, messagerie, fax dématérialisé) assurent la quasi instantanéité des transferts mais également le partage, l’organisation, et le stockage données. Cet aspect est crucial car différentes crises ont montré la difficulté, voir l’impossibilité, de gérer en temps réel des informations « papier » produites en grand volume.
La validation d’un signal en alerte (à caractère bioterroriste ou non) est une décision aux conséquences parfois lourdes. L’expertise épidémiologique qui authentifie le signal doit reposer sur des fondements scientifiques validés. L’organisation de la surveillance sanitaire en France est structurée afin de rassembler l’expertise au sein d’un seul et même point focal : l’InVS. Le caractère malveillant du signal ne pouvant être reconnu a priori, les procédures de remontées d’information pour la surveillance doivent être communes pour tout signal sanitaire. Cela est également vrai dans le cadre des maladies à déclaration obligatoire, où le médecin doit informer la DDASS. Ce circuit pose cependant la question des capacités de toutes les DDASS à assurer une veille sanitaire permanente (7 jours sur 7 et 24 heures sur 24).
L’expertise du signal repose sur l’expérience clinique des praticiens qui doivent savoir évoquer des diagnostics de pathologies peu fréquentes, ou peu probables, et sur l’analyse biologique qui doit être en mesure d’identifier au plus vite la nature de l’évènement signalé. L’articulation entre l’InVS et les sociétés scientifiques est indispensable pour maintenir la capacité des médecins à penser ou à reconnaître ces
diagnostics. Sa responsabilité, depuis 2005, dans l’animation du réseau des Centres Nationaux de Références (CNR) ainsi que la sélection sur appel d’offre de ces différents centres est déterminante. Son action s’inscrit donc dans une logique de réseau de réseau, en amont du réseau des laboratoires Biotox/Piratox qui constitue l’élément clé de la caractérisation de la menace.
Recommandations
Sensibiliser les médecins et les informer dans le cadres d’enseignements post universitaires sur leur rôle dans les plans d’urgence « Vigipirates » est une mesure à préconiser. Disposer d’un plan d’action et d’un programme pédagogique à cet effet contribuerait à la réactivité du système de veille sanitaire français face au risque NRBC.
Veiller à l’efficience du système par la mise en place impérative de circuits d’information télématiques « temps réel » d’accès simples.
RÉSEAU DES LABORATOIRES BIOTOX-PIRATOX
Origine du réseau des laboratoires
Le réseau des laboratoires « Biotox-Piratox » a été mis en place en 2003 pour répondre aux besoins d’analyse de plis, colis et substances suspectés de contenir des agents biologiques, chimiques ou radioactifs dangereux. Il peut être actionné par la cellule nationale de conseil (CNC) du Centre opérationnel de gestion interministé- riel des crises (COGIC). Il a été organisé autour de quatre sous-réseaux :
— Le sous-réseau du dispositif plis, colis et substances suspectés de contenir des agents…dangereux qui repose sur sept laboratoires, — Le sous-réseau des laboratoires d’analyse d’eau potable dont cinq sont à même d’assurer une permanence H24, et cinq d’apporter une expertise généraliste.
— Le sous-réseau des laboratoires spécialisés : trois peuvent faire face à la plupart des situations d’urgence, y compris en cas d’implication d’un agent chimique de guerre ; cinq ne peuvent prendre en charge que des prélèvements d’origine environnementale. La plupart des laboratoires de biologie clinique des centres hospitalo-universitaires (CHU) des grands centres urbains et ceux des hôpitaux d’instruction des armées (HIA) y participent.
— Enfin, le sous-réseau des centres nationaux de référence (CNR) pour les principaux agents de la menace. Il n’entre pas dans le dispositif de réponse précoce à une alerte, mais il est mobilisable pour la confirmation et l’authentification d’un agent suspect.
Ce dispositif est vite apparu limité pour les raisons suivantes :
— couverture nationale insuffisante ;
— absence de cohérence technique, incompatible avec des critères de qualité ;
— nécessité de coordination de l’information et de la formation des responsables ;
— définition des processus de fonctionnement du réseau et d’une doctrine d’emploi ;
— qualification et harmonisation des procédures analytiques allant du lieu de prélèvement d’un échantillon à la transmission des résultats, dans le respect de « bonnes pratiques ».
Un réseau de réseaux : les propositions et les actions du conseil scientifique du réseau des laboratoires Biotox Piratox
Le conseil scientifique du réseau des laboratoires « Biotox-Piratox »
Pour structurer et animer ce réseau et le rendre réellement opérationnel, le secrétariat général à la défense nationale (SGDN) a proposé en 2004 de mettre en place un conseil scientifique avec le mandat suivant :
— établir une cartographie de capacités et de compétences des laboratoires du réseau — approuver les procédures de prélèvement, d’analyse (phases pré-analytique analytique et post analytique), ainsi que leurs évolutions en fonction de l’état de l’art, dans une logique d’assurance qualité ;
— établir un projet pédagogique et un programme de travail destiné à l’information des responsables des différents laboratoires, à la formation aux procédures des intervenants, — élaborer et programmer des exercices inter-laboratoires, — proposer des thèmes d’études et de recherches qui s’avèreraient important pour l’amélioration des techniques destinées aux analyses.
Bilan de l’action de structuration et de cartographie du réseau des laboratoires.
Une architecture a été proposée et validée. Elle prend exemple sur l’organisation mise en place dans les pays anglo-saxons, en l’adaptant à la spécificité de l’approche française qui associe, dans un même réseau, des compétences biomédicales, environnementales, vétérinaires et toxicologiques. Il s’agit d’un « réseau de réseaux » qui répond à la pluridisciplinarité et aux fonctionnalités complémentaires de ses membres. Ce « réseau de réseaux » repose sur trois niveaux de responsabilités, et s’appuie sur l’organisation territoriale de la défense civile : chacune des sept « zones de défense » dispose donc de laboratoires identifiés qu’il peux solliciter en cas de besoin. Restent au niveau national des laboratoires de référence et des laboratoires à compétence particulière. Les départements et territoires d’Outre-Mer s’inscrivent aussi dans ce dispositif.
Niveau 1 : Laboratoires sentinelles n’assurant pas de permanence et n’ayant comme contrainte que celles faisant partie de leur mission habituelle. Ces laboratoires sont répertoriés par zone de défense. Ils sont informés des dispositions à prendre en cas de collecte d’un échantillon suspect, soit pour effectuer un dépistage, soit pour les acheminer vers le laboratoire de référence concerné de la zone de défense.
Niveau 2 : ces laboratoires constituent le cœur opérationnel du dispositif. Chaque zone de défense dispose d’au moins un laboratoire référent « santé humaine » et d’un laboratoire référent « environnement et chimie-toxicologie ». Des laboratoires associés complètent le dispositif. Les dix laboratoires du « réseau eau » et dix laboratoires du « réseau des HIAs et instituts militaires » y figurent. Au total plus de cent laboratoires sont appelés à participer au réseau des laboratoires Biotox-Piratox à ce
niveau. Ces laboratoires ont été sélectionnés à partir des résultats d’une enquête effectuée en 2005 par le Conseil scientifique. Outre le secteur d’activité, ont été pris en considération des critères de localisation géographique, de capacité technique, d’équipements et de possibilité d’assurer une permanence H24. Pour les laboratoires « santé humaine », les référents appartiennent à un CHU de la Zone de défense.
Pour les laboratoires « environnement — toxicologie », les laboratoires du réseau « biotox eau » et certains laboratoires de l’Agence française de la sécurité des aliments (AFSAA) et le Laboratoire central de la préfecture de police (LCCP) ont été retenus. Les Centres anti-poisons sont également recensés en tant que laboratoires associés.
Niveau 3 : à vocation nationale, ces laboratoires sont destinés à être sollicités pour effectuer des contrôles et des confirmations d’identification. En microbiologie, ils appartiennent au réseau des CNRs. Le centre d’étude du Bouchet (CEB), pour les agents chimiques de guerre, le centre de recherche du service de santé des armées (CRSSA) et le Laboratoires P4 « Jean Mérieux » de Lyon ont également une compétence nationale. Pour les toxiques industriels enfin, le LCPP et l’Institut national d’études et de recherche industrielles de sécurité (INERIS) ont aussi une vocation de d’expertise nationale.
Les laboratoires de niveau 2 et 3 doivent disposer d’un certain nombre d’équipements en conformité avec la réglementation, notamment pour ceux qui ont à manipuler des agents pathogènes. Les agents de la menace bioterroriste étant tous des agents de Classe 3 ou plus, chacun de ces laboratoires doit disposer d’une enceinte ou d’un espace capable d’assurer une biosûreté de niveau 3. Ainsi tous les laboratoires de CHU disposent de LSB3 (laboratoires de sécurité biologique de classe 3). Le service de santé des armée a également équipé chacun de ses hôpitaux d’instruction de modules BSL3 et il dispose également, pour des besoins de projection de deux « modules spécialisés », capables de traiter des échantillons suspects nécessitant un niveau 2 de biosûreté. Tous ces laboratoires disposent des équipements de biologie moléculaire pour le diagnostic et la détection rapide semiquantitative par amplification de séquence génique et hybridation. A côté de ces équipements techniques, si la disponibilité de portiques ou de moyens de contrôle d’un risque explosif n’est pas indispensable, la levée de doute ayant en pratique été effectuée en amont de l’arrivée au laboratoire, ces laboratoires doivent disposer de moyens de prévention et de contrôle spécifique NRBC et d’équipements de protection adaptés ; peu en disposent encore.
Dans ses missions, le conseil scientifique doit veiller à la formation technique et générale des personnels des laboratoires participant au réseau, en particulier des personnels des niveaux 2 et 3. A cet effet il a été organisé un séminaire en 2006 et un second en 2007. Devant l’intérêt suscité par ces rencontres il a été décidé de poursuivre sur un rythme annuel en privilégiant, pour ces réunions, la formule d’ateliers de travail thématique. Dès à présent ces séminaires sont ouverts à la participation de correspondants étrangers, en particulier européen. Le second
séminaire qui s’est tenu à l’Ecole du Val de Grâce, a été axé sur les « bonnes pratiques » ainsi que sur les processus décisionnels des plans d’urgence sanitaire et des plans Biotox et Piratox. La nécessité d’améliorer les circuits d’information entre les membres du réseau et la formation technique et générale des participants ont été particulièrement soulignés. A cet effet des actions sont en cours :
— une base de données des laboratoires et un forum sont en cours de mise en place sur internet. Ces outils très sécurisés, permettront à chaque membre du réseau de mettre à jour les informations le concernant et d’avoir accès à tout ou partie de l’information sur les autres membres du réseau en fonction de ses responsabilités.
— Un programme et un projet pédagogique pour la formation de formateur et la formation de technicien a été mis en chantier, — Le conseil scientifique a demandé au haut comité français de défense civile de pouvoir intégrer à leurs sessions de formation généralistes sur les risques NRBC, environ dix à quinze responsables de laboratoire du réseau.
— Un exercice faisant intervenir environ trente à quarante laboratoires du réseau sera réalisé en 2007. Cet exercice, qui consistera à faire identifier une séquence génique d’un pathogène de la liste A, vise plus à permettre d’identifier les « point durs » du dispositif que de tester les performances du réseau. Dès l’organisation, des difficultés d’ordre règlementaire, sont apparue, notamment pour la circulation des et l’adressage des échantillons.
Un exemple de réseau fonctionnel : le sous-réseau « eau potable »
Le réseau des laboratoires « Biotox-eau » est un réseau de dix laboratoires couvrant les sept zones de défenses de la métropole et les DOM-TOM. Il est animé par le laboratoire d’études et de recherches en hydrologie de l’AFSSA et rend compte de son activité au bureau de l’eau de la Direction Générale de la Santé (DGS) et aux différentes Directions Régionale de l’Action Sanitaire et Sociale (DRASS).
Ce réseau peux intervenir 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sur les réseaux d’eau destinée à l’alimentation en cas d’acte malveillant ou accidentel, grâce à un service d’astreintes. Cette astreinte assure aussi bien le déplacement du laboratoire sur le terrain, avec réalisation directe de prélèvements, d’analyses in situ puis d’analyses de laboratoire, que l’analyse au laboratoire d’échantillons prélevés par d’autres laboratoires agréés ou des entités de la sécurité civile.
Les laboratoires appliquent des protocoles adaptés au niveau de la menace pour rechercher des agents biologiques et/ou doser des paramètres physico-chimiques.
En 2005 les laboratoires de ce réseau ont procédé à trente-sept interventions sur l’ensemble du territoire, dont la moitié relève d’actes de petite délinquance. Les autres interventions concernent des pollutions accidentelles. Le retour d’expérience du fonctionnement de ce dispositif est particulièrement instructif.
Recommandations
En 2001, les conséquences en France de la crise des « enveloppes à l’anthrax » se sont traduites par plus de 4 500 fausses alertes… et la mobilisation de plusieurs laboratoires, principalement du ministère de la défense, qui ont du cesser leur activité normale. La rapidité de la propagation médiatique de la crise, favorisée par le traumatisme du 11 septembre, la difficulté de trier et de hiérarchiser l’afflux des plaintes, ont conduit les pouvoirs publics à créer la CNC chargée de cribler et de réguler les flux d’analyse vers les laboratoires compétents. L’organisation d’un réseau national de laboratoire a été le deuxième temps du processus. Le travail accompli depuis trois ans par le conseil scientifique chargé de l’animer est loin d’être achevé. Il doit être poursuivi :
Au profit du réseau des laboratoires — permettre aux laboratoires participant au réseau, notamment les laboratoires de niveau 2, de disposer des installations et des équipements conformes à la réglementation et aux techniques qu’ils doivent mettre en œuvre (LSB 3, maté- riels d’analyse, lot de protection NRBC ; les tutelles de ces laboratoires doivent leur consentir les moyens nécessaires pour assumer cette mission de protection civile ;
— améliorer l’information et la formation générale sur les risques NRBC des principaux responsables scientifiques et techniques des laboratoires du réseau ;
— mettre en place un plan de formation spécifique aux techniques des laboratoires et aux méthodes et moyens définis pour la mission du réseau ; un projet pédagogique, une organisation sont nécessaire à cet effet ;
— valoriser les initiatives du conseil scientifique du réseau, notamment celles permettant d’améliorer le « retour d’expérience » et la capitalisation du savoir et du savoir faire ;
Au profit de la collectivité nationale — promouvoir une doctrine de souveraineté et de « défense globale » notamment, pour :
* disposer des outils nécessaires à la détection, au diagnostic et à l’identification rapide, d’une part, des « agents de la menace » répertoriés et, d’autre part, pour la mise à disposition des moyens adaptés de faire face à un risque émergent ; la création d’un fond industriel destiné au financement d’entreprises s’engageant à assurer, de manière pérenne, cette mission est une des voies possible, * définir et soutenir une stratégie de coordination des recherches et développements afin d’anticiper les risques et menaces et de potentialiser, de manière cohé- rente et efficiente, les initiatives multiples, privées ou publiques, qui y contribuent ;
sur ce point, l’organisation périodique d’un colloque « biodéfense » et de « revue de
programmes », parrainés au meilleur niveau, la dotation d’un fond pour des bourses et/ou des prix « biodéfense » font parties des actions imaginables, — accompagner de manière soutenue les initiatives internationales et surtout européenne en matière de bio-défense et de biosécurité, notamment celles visant à disposer de moyens et de capacités stratégiques.
CONCLUSION
La « biosécurité » des populations est une question de « défense globale » qui concerne l’ensemble de la collectivité nationale : les secteurs public, privé, militaires ou civils doivent coordonner leurs actions. Par ailleurs, la vulnérabilité des populations, face aux risques NRBC, n’est pas limitée aux frontières des Etats ; l’espace européen est celui qu’il faut, privilégier dans ce contexte. Les stratégies d’action doivent exploiter l’expérience acquise pour prendre en compte des risques naturels, et la faire partager, pour mieux se préparer aux mesures à prendre face à une menace intentionnelle.
Demain les contraintes technologiques et techniques vont s’amenuiser. Les biotechnologies évoluent rapidement dans des secteurs clés tels que l’agro-alimentaire et la santé, secteurs pour lesquels la restriction des échanges est souvent difficile à justifier. Ce sont des technologies duales dont la dissémination est source d’une prolifération potentielle à ne pas méconnaître. La presse scientifique se fait réguliè- rement l’écho de synthèse, par génétique inverse, de virus, y compris ancestraux, les publications récentes sur le virus grippal H1N1 sont à cet égard éloquentes. Le défi est donc d’anticiper les menaces futures alors que chacun connaît les délais de mise au point de méthodes de diagnostic et surtout de prévention ou de traitement adapté. Cette anticipation passe par d’abord par la validation opérationnelle des processus et des capacités disponibles. Elle passe également par l’adaptation constante de ces capacités à l’état de l’art. Enfin elle nécessite une politique d’information du public, de formation et de responsabilisation des professionnels de santé et des scientifiques à laquelle les instances académiques doivent contribuer par leur autorité morale et leur potentiel de réflexion et de proposition.
REMERCIEMENTS
À Monsieur François Munoz, directeur Laboratoire d’études et de recherche en Hydrologie de l’AFSAA, 40, rue Lionnois, 54000 NANCY.
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* Institut de médecine aérospatiale du service de santé des armées (IMASSA), BP23, 91723 Brétigny sur Orge ** Institut de veille sanitaire, 12 rue du Val d’Osne, 94415 Saint-Maurice Cedex France Tirés à part : Médecin général Patrice BINDER, même adresse. Article reçu et accepté le 4 juin 2007
Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 6, 1005-1018, séance du 12 juin 2007