Communication scientifique
Séance du 28 mai 2002

De la génomique à la post-génomique : un retour aux origines ?

MOTS-CLÉS : arn antisens. arn catalytique.. gène régulateur
From genomics to post-genomics : back to the origins ?
KEY-WORDS : genes, regulator. rna, antisense. rna, catalytic.

Ph. Jeanteur

Résumé

L’objectif de cette revue est de souligner la multiplicité et l’importance, physiologique et pathologique, des niveaux de régulation de l’expression des gènes qui interviennent posté- rieurement à l’étape d’initiation de la transcription. Celle-ci n’est en effet que le premier pas, certes décisif, d’une longue cascade d’évènements de régulation qui vont aboutir à la production sélective des messagers fonctionnels appropriés à la nature des cellules et à leurs besoins instantanés. Au travers de ce long parcours, dont seules quelques étapes seront étudiées ici, elle s’attachera à souligner le rôle central de l’ARN, non seulement comme substrat mais comme acteur de sa propre régulation. L’accent sera mis sur les liens très nombreux existant avec la pathologie et jusqu’aux développements thérapeutiques dont l’ARN pourrait être la cible privilégiée. Enfin, elle aura cherché à montrer la pérennité des questions fondamentales posées depuis presque un demi-siècle et pour lesquelles la génomique aura fourni, à défaut de concepts nouveaux, la base de données et les outils indispensables pour entrer dans l’immense champ de la génomique fonctionnelle, seule capable d’apporter des réponses exploitables en thérapeutique.

Summary

The purpose of this review is to emphasize the multiplicity and importance, physiological and pathological, of gene regulation levels which operate after the intiation step of transcription. Albeit crucial, this step is only the first one of a long cascade of events which eventually end up in the selection of functional messengers appropriate to the nature of the cells and to their immediate needs. Throughout this long pathway, of which only a few steps will be mentionned here, this review will attempt to address the central role played by RNA, not only as a substrate but as an actor of its own regulation. Emphasis will be put on the numerous connections with pathology up to the development of new therapeutics specifically * Lauréat de l’Académie nationale de médecine (Prix Gallet-Breton 1987).

Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier, CNRS, 1919 route de Mende — 34293 Montpellier cedex 5.

Tirés-à-part : Professeur Philippe Jeanteur, à l’adresse ci-dessus.

Article reçu le 7 février 2002, accepté le 4 mars 2002.

targeting RNA. It highlights the perennity of basic questions, nearly half a century old, for which genomics, short of new concepts, will provide the databases and tools required to access to the immense field of functional genomics, the only one likely to bring relevant answers for therapeutics.

INTRODUCTION

La nature ne connaît que deux structures chimiques capables de porter ou de transporter une information génétique. Le statut de l’ADN est à cet égard définitivement établi depuis plus d’un demi-siècle sans avoir connu la moindre remise en question. Celui de l’ARN a au contraire connu une évolution considérable dont le propos de cet article est de retracer les grandes étapes jalonnées par plusieurs prix Nobel et, beaucoup plus modestement, par quelques contributions de mon laboratoire. J’insisterai particulièrement sur le rôle de l’ARN à différents niveaux de la régulation de l’expression des gènes dans la mesure où ils désignent autant de cibles potentielles pour une intervention thérapeutique.

ET l’ARN FUT…

Ce qu’on appelait dans les années 60 le dogme central de la biologie moléculaire tenait que le flux de l’information génétique ne pouvait aller que de l’ADN vers l’ARN et ensuite aux protéines. Le premier ébranlement de ce dogme fut la découverte de la transcriptase reverse associée aux virus oncogènes à ARN que l’on appelle depuis rétrovirus. H. Temin, qui en fut l’incontestable découvreur, eut bien du mal à la faire accepter avant d’être finalement reconnu par le prix Nobel de Physiologie et Médecine avec D. Baltimore en 1975. Encore n’était-ce qu’une contestation bien modeste du dogme, puisqu’elle ne faisait qu’admettre la possibilité d’une remontée de l’information de l’ARN vers l’ADN, sans pour autant remettre en cause la suprématie du second sur le premier. Par sa rigueur et son immuabilité, cette hiérarchie n’était pas sans évoquer celle de la classification des sciences par A. Comte, dont nous avons encore bien du mal à nous affranchir.

Jusque dans les années 80, on ne reconnaissait à l’ARN que des rôles essentiels mais de second plan : un rôle structural de l’ARN ribosomal au sein du ribosome, un rôle d’adaptateur de l’ARN de transfert permettant la traduction du code nucléique en code protéique. Quant au statut certes plus noble de molécule informationnelle de l’ARN messager, il n’était que par délégation au titre d’une copie transitoire que l’on jette après usage.

La véritable révolution fut la découverte par Th. Cech et S. Altman des propriétés catalytiques de l’ARN qui fut couronnée par le prix Nobel de Chimie en 89. De substrat, l’ARN devenait enzyme (ribozyme), la molécule passive devenait acteur de
son propre métabolisme. Les spécialistes de l’origine de la vie virent immédiatement dans cette ambivalence les attributs attendus de la molécule vitale originelle puisque l’ARN combinait la double capacité à être l’information génétique elle-même et à constituer la matière première des outils primitifs nécessaires à son expression et à sa réplication. D’où le concept maintenant largement accepté d’un monde ARN à l’origine de toute forme de vie [1].

L’ARN DANS TOUS SES ÉTATS

Le statut de matériel génétique n’est pas l’apanage de l’ADN. Le monde des virus à ARN est d’une extraordinaire diversité anatomique et responsable de maladies particulièrement dévastatrices : SIDA, diarrhées infantiles, etc.

La structure en double hélice de l’ADN, continue sur toute la longueur d’un chromosome, telle que l’ont décrite Watson et Crick en 1953 [2] est une contrainte qui ne lui permet pratiquement aucune fantaisie. Par sa nature en simple chaîne qui libère toute sa créativité structurale, par sa taille éminemment variable, l’ARN recèle une diversité morphologique potentielle qui l’apparente beaucoup plus aux protéines. Ses fonctions excèdent très largement le rôle informationnel des ARNs cellulaires de type messager.

Alors que l’ADN est exclusivement localisé dans le noyau, les mitochondries et éventuellement quelques autres petits organites, où il ne semble d’ailleurs jouer aucun rôle direct, l’ARN cellulaire est présent et actif dans tous les compartiments où il se passe quelque chose en rapport avec l’expression des gènes. Déjà au moment de la réplication des télomères, la télomérase, dont l’ARN est un constituant essentiel, veille à compenser le raccourcissement que chaque cycle de réplication leur impose. À l’autre bout de la chaîne, l’ARN de la SRP (Signal Recognition Particle) participe à l’excrétion des protéines extracellulaires.

Mais c’est entre ces deux extrémités de la cascade de régulation génique que l’ARN déploie toute l’étendue de ses capacités, dont seule une petite partie nous est connue.

L’ARN AU CŒUR DE LA (DYS) RÉGULATION DE L’EXPRESSION DES GÈNES

C’est dans ce domaine que se sont situés depuis 35 ans mes travaux personnels d’abord, ceux de mon laboratoire ensuite.

Mes premiers travaux sur la biosynthèse de l’ARN ribosomal [3] m’ont permis d’établir la structure de son précurseur et de décrire le premier exemple de maturation non conservative, c’est-à-dire impliquant une importante perte (gaspillage ?) de matériel. Seule en effet la moitié environ de la séquence du précurseur se retrouve dans les ARNs ribosomaux matures.

De très nombreux cas de maturation post-transcriptionnelle des ARNs cellulaires ont été décrits depuis. En fait, le phénomène est tellement général qu’il n’existe qu’une seule exception à cette règle, tous règnes confondus. Seul en effet de toutes les catégories d’ARNs cellulaires existant dans la nature, l’ARN messager bactérien est utilisé exactement dans l’état où il a été synthétisé sans aucune modification, fût-elle mineure. Cette situation de simplicité maximum s’accommode au mieux du contexte des bactéries dont elle tire la meilleure efficacité mais elle les prive d’un immense éventail de niveaux de régulation génique.

Toute différente est la situation des ARNs messagers chez les eucaryotes supérieurs.

La transcription des gènes codant pour des protéines produit une population très hétérogène d’ARN nucléaire (hnRNA pour heterogenous nuclear RNA), dont seuls moins de 10 % se retrouvent dans le messager actif dans la synthèse des protéines [4].

Dans ce contexte, un travail tout à fait intéressant du groupe d’A. Kahn en 1989 [5] a montré que tous les gènes sont transcrits dans tous les tissus, à des taux très faibles mais cependant détectables par PCR. Ce phénomène de « transcription illégitime » est ce qui permet de faire des analyses de mutations dans les transcrits ARN à partir des tissus les plus accessibles (comme les lymphocytes) et même s’ils n’ont euxmêmes aucun phénotype pathologique (par exemple dans la myopathie).

Entre la décision d’initier la transcription d’un gène et la production d’une protéine fonctionnelle, les étapes sont très nombreuses et fournissent autant de niveaux sur lesquels peut s’exercer une régulation. Je vais essayer de les recenser en citant chaque fois que cela est possible des exemples où une régulation et une incidence pathologique ont pu être démontrées.

L’élongation, sa régulation et ses dysfonctionnements

Longtemps considérée comme une étape sans événement particulier, l’élongation de la transcription s’avère maintenant requérir de nombreux facteurs pour aboutir à des vitesses de transcription compatibles avec la taille parfois gigantesque de certains gènes. Un exemple extrême est celui du gène de la dystrophine dont la transcription des plus de 2 millions de paires de bases prend environ 15 à 20 heures à la vitesse maximum observée in vivo . Or la RNA-polymérase II purifiée avec tous ses facteurs d’initiation ne transcrit in vitro qu’à une vitesse dix fois plus faible. C’est donc aux facteurs d’élongation qu’il revient de faire franchir à la machinerie transcriptionnelle cet indispensable ordre de grandeur.

Sitôt l’événement primaire d’initiation réalisé et avant même que la polymérase ne prenne véritablement son essor pour une transcription au long cours, celle-ci peut se raviser et marquer une pause avant de prendre ses distances avec le promoteur. Une telle situation, initialement décrite notamment par notre laboratoire dans le cas des deux proto-oncogènes cellulaires c-myc et c-fos [6, 7] auxquels nous nous intéressons depuis une quinzaine d’années, semble bien maintenant être le cas général plutôt que l’exception [8].

Une fois la RNA-polymérase clairement engagée dans la synthèse du pré-messager, l’élongation de la transcription déroule son ruban d’ARN comme un long fleuve, certes, mais certainement pas tranquille. Il s’agit plutôt d’une succession de pauses, voire d’arrêts et même de reculs qui contribuent largement à la longueur du processus. C’est en supprimant les pauses, donc en accroissant la processivité, qu’agissent les facteurs qui augmentent la vitesse d’élongation.

Ces facteurs sont de plus en plus nombreux et le dysfonctionnement de la plupart d’entre eux est associé à des affections cancéreuses [9].

L’un de ces facteurs a été identifié à l’occasion d’une translocation chromosomique 11-19 dans certaines formes rares de leucémies myéloïdes aiguës (Mixed Lineage Leukemia, MLL) [10]. Le locus en question appelé ELL (Eleven-nineteen Lysin-rich Leukemia) ou encore MEN code pour une protéine qui supprime les pauses et stimule donc la vitesse d’élongation. Suite à la translocation, le gène ELL se trouve fusionné au gène MLL et la protéine de fusion MLL-ELL connaît alors une expression anarchique non régulée, qui explique son rôle oncogène.

Une situation opposée, mais qui aboutit finalement aux mêmes conséquences, est celle du produit du gène de la maladie de Von Hippel Lindau caractérisée par une pré- disposition familiale à une variété de cancers comme le cancer du rein à cellules claires, les hémangioblastomes ou les phéochromocytomes. Ce gène a donc les attributs d’un gène suppresseur de tumeur dont le premier allèle est déjà absent dans la lignée germinale et le second est perdu ou muté au niveau somatique. A l’état normal, la protéine VHL [11] est un régulateur négatif du facteur d’élongation SIII (élongine). En son absence, il y a perte de la régulation normale au niveau de l’élongation, d’où possibilité d’une expression anarchique de certains gènes. Bien que ce ne soit pas établi, il est intéressant de spéculer sur la possibilité que les oncogènes cellulaires c-myc et c-fos, dont nous avons vu qu’une régulation importante intervenait aussitôt après l’initiation [12], soient des cibles décisives de ce processus.

C’est à cette étape de la transition de l’initiation à l’élongation qu’un autre facteur pTEFb (positive Transcription Elongation Factor) joue un rôle décisif en phosphorylant une sous-unité de la RNA-polymérase. Cet événement libère la RNApolymérase des multiples interactions qui lui ont permis de reconnaître le promoteur. Ayant ainsi largué ses amarres, elle peut alors s’engager dans l’élongation. Il est intéressant de noter que l’activité kinase de pTEFb est modulée par un ARN cellulaire, le 7S K, dont on ignorait jusqu’alors complètement la fonction [13, 14].

Au-delà de ce rôle physiologique indispensable, pTEFb est impliqué dans une étape essentielle de la production de l’ARN de HIV. Le HIV recrute à son profit cette protéine cellulaire essentielle pour la forcer à produire préférentiellement l’ARN viral [9]. On trouve là un nouvel exemple de subversion de la machinerie cellulaire au profit d’un virus.

L’épissage

Un autre dogme fondamental de la biologie moléculaire, un gène-une protéine, a été définitivement détruit par la notion de gènes morcelés en exons/introns ; 1977 est la date de cette immense révolution qui valut à Sharp et Roberts le prix Nobel de Physiologie et Médecine en 1993.

L’épissage est ce processus qui permet d’exciser les séquences indésirables du pré-messager pour élaborer un messager fonctionnel. Mais cette réaction n’est pas univoque. On sait depuis longtemps qu’il peut exister plusieurs options permettant de produire plusieurs messagers, donc plusieurs protéines à partir d’un même pré-messager, donc d’une même séquence d’ADN : c’est l’épissage alternatif. Un des premiers exemples décrits est celui du gène de la calcitonine qui produit effectivement cette hormone dans la thyroïde mais aussi la CGR (Calcitonin Gene Related Peptide) dans le cerveau [15] (Figure 1). Les exemples d’épissage alternatif couvrent pratiquement tout le champ de la physiologie, de l’endocrinologie à la neurologie en passant bien sûr par l’immunologie où ce phénomène touche pratiquement tous les membres de la superfamille des immunoglobulines.

Au-delà de ces exemples nombreux, mais qui pouvaient néanmoins apparaître ponctuels, ce qu’on ne soupçonnait pas d’emblée, c’est l’ampleur quantitative du phénomène et ce fut une surprise, voire une déception, d’apprendre d’une première lecture superficielle du génome humain que le nombre de nos gènes, précédemment estimé au moins à 150 000, devait être revu à la baisse aux environs de 32 000 [16, 17].

Une exploitation plus générale de l’épissage alternatif permettrait de combler très facilement cette discordance.

Les tentatives d’évaluation globale du phénomène d’épissage alternatif sont très récentes et résultent essentiellement de la comparaison informatique des séquences exprimées à partir d’un même gène et en rapport avec la séquence du génome. Les estimations les plus récentes indiquent que 40 à 60 % des gènes humains sont l’objet d’épissage alternatif [18] suggérant que ce mécanisme est bien un élément essentiel de la diversité fonctionnelle du génome humain, d’autant que la plus grande partie (70 à 88 %) de ces variants d’épissage affecte la protéine elle-même [19]. Un exemple extrême est celui du gène DSCAM (Down Syndrome Cell Adhesion Molecule), une molécule d’adhérence cellulaire de la superfamille des immunoglobulines impliquée dans le guidage axonal, qui peut générer potentiellement près de 40 000 isoformes [20].

Reste cependant à dresser un répertoire exhaustif des isoformes d’épissage alternatif réellement exprimées. C’est ce qu’a entrepris de réaliser le groupe de J. Tazi à l’Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier, en collaboration avec ExonHit.

Ces résultats, non encore publiés, reposent sur une stratégie entièrement originale de criblage différentiel permettant de repérer, sur l’ensemble du génome et sur des critères biochimiques, les messagers issus de l’épissage alternatif.

Fig. 1. — L’épissage alternatif du gène calcitonine/CGRP. Le choix du site de coupure/ polyadénylation (pA) oriente l’épissage vers l’inclusion de l’exon 4 (qui mènera à la calcitonine) ou des exons 5 et 6 qui mènera au CGRP (Calcitonine Gene Related Peptide).

Les cas où des dysfonctionnements de la machinerie d’épissage sont à l’origine de maladies humaines sont déjà très nombreux et dépassent largement les possibilités de recensement d’une revue comme celle-ci. On évalue à environ 15 % la proportion des maladies génétiques qui résultent d’anomalies de l’épissage [21]. Pour s’en tenir au cadre du cancer, nombreux sont les exemples d’inactivation de gènes suppresseurs par modulation de l’épissage alternatif. On peut citer les quelques gènes
suivants : p16INK4A [22], p130 (de la famille du gène du rétinoblastome Rb) [23], WT (tumeur de Wilms) dont la proportion des isoformes varie dans les cancers du sein par rapport au tissu normal [24], p53 dont la protéine est inactivée par mutation d’un site d’épissage dans certains cancers des VADS [25], l’exon 18 de BRCA 1 dont le mauvais épissage est causé par le polymorphisme d’un enhancer exonique [26] ou encore HDM2 dont 5 variants d’épissage sont détectés dans les carcinomes ovariens et pancréatiques et dont les expressions évoluent avec la progression tumorale [27] d’adaptabilité et d’évolution. On sait maintenant qu’il en est aussi l’artisan grâce aux snARNs qui sont les agents catalytiques de l’épissage [28].

La stabilité du messager

La plupart des messagers eucaryotes sont très stables. Mais qu’en est-il de ceux qui interviennent à un titre quelconque dans le cycle cellulaire et qui ne doivent être exprimés que dans une très étroite fenêtre de temps ? Non seulement la décision de les fabriquer doit suivre une chronologie extrêmement précise mais encore faut-il pouvoir les éliminer sitôt qu’ils sont devenus indésirables.

Ces considérations nous ramènent à un travail fondateur de mon laboratoire dans le milieu des années 80, qui a établi l’importance du contrôle de la stabilité des messagers de certains oncogènes comme c-myc et c-fos dans la cancérogenèse [29-31]. Nous avons en effet montré pour la première fois que le messager c-myc était extrêmement instable (10-15 minutes comparées aux quelques dizaines d’heures d’un messager cellulaire de stabilité normale) dans des cellules normales [29] mais qu’il était stabilisé dans des cellules transformées [30-31]. Ces travaux établissaient qu’un événement purement post-transcriptionnel, à savoir la production inopportune d’un messager (et d’une protéine) normale, pouvait constituer une étape décisive de la cancérogenèse.

L’ARN, CIBLE OU ACTEUR DE NOUVELLES STRATÉGIES THÉRAPEUTIQUES

L’idée de bloquer sélectivement la traduction d’un messager et donc la production d’une protéine donnée date d’une vingtaine d’années. Même si les succès thérapeutiques sont à ce jour très limités, ce concept a été très fécond car il a ouvert de nombreuses pistes, de façon parfois complètement inattendue, et qui paraissent néanmoins extrêmement prometteuses à moyen terme.

Oligonucléotides antisens et RNAi

Tout a commencé avec la fabrication d’oligonucléotides ADN complémentaires des messagers dans l’idée de bloquer leur traduction, un mécanisme qui n’a d’ailleurs jamais pu être prouvé. Une quinzaine d’essais cliniques de phases I ou II sont actuellement en cours dans des cancers ou des maladies virales. Une seule appli-
cation est à ce jour approuvée pour le traitement de la rétinite à cytomégalovirus [32].

Mais c’est à l’occasion de recherches sur les mécanismes d’action d’ARN anti-sens chez les plantes que s’est développée une autre voie entièrement nouvelle fondée sur l’utilisation de courtes séquences d’ARN en double brin (RNAi pour RNA interférence), dont le mécanisme d’action vient d’être élucidé récemment. Le RNA en double chaîne est l’objet d’un phénomène d’amplification enzymatique à l’intérieur de la cellule, un peu à la manière d’une PCR, qui inonde la cellule par une grande quantité de RNA antisens avec comme conséquence la dégradation du messager par une RNAse de type III. L’effet du RNAi est donc finalement un effet antisens dont l’efficacité résulte de la quantité et de la permanence de la production de RNA antisens dans la cellule [33].

Ce phénomène, utilisé d’abord avec un succès retentissant chez les plantes, le nématode et la drosophile, vient d’être appliqué à des cellules de mammifères en culture [34, 35]. On est cependant encore loin d’une application in vivo à l’homme mais l’originalité de cette approche et surtout sa généralité, justifient l’énorme intérêt qu’elle a suscité au cours de ces derniers mois.

Ribozymes

La première activité catalytique découverte pour l’ARN fut une nucléase (voir plus haut) d’où l’espoir immédiat de pouvoir créer des molécules d’ARN artificielles capables de détruire sélectivement un messager donné. Plusieurs essais cliniques (phases I, II ou préclinique) sont en cours, principalement dans certains cancers ou infections virales comme HIV [36]. Ces ribozymes ne sont pas délivrés tels quels, ce qui poserait d’énormes problèmes pratiques, mais par des vecteurs libérant le ribozyme dans les cellules infectées. Il s’agit donc au sens strict d’une approche classique de thérapie génique avec son cortège habituel de difficultés techniques et de problèmes pour la plupart non encore résolus.

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier tous ceux, collaborateurs puis chercheurs indépendants, qui ont contribué à accumuler les résultats produits dans ce contexte depuis 1984, d’abord à l’Université de Montpellier II et au Centre anticancéreux, puis depuis 1993 à l’Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier. Une mention particulière est due aux docteurs J.M. Blanchard, M. Piechaczyk et J. Tazi.

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DISCUSSION

M. Raymond ARDAILLOU

Y a-t-il une régulation physiologique de l’activité ou de l’expression de la SR protéine kinase ?

La question est effectivement importante. Les cellules en culture peuvent pousser sans SR-PK mais pas les embryons déficients en Topoisomérase I. Ceci indique que la Topo I/SR-PK est indispensable au développement mais pas à la prolifération. À l’inverse, la surexpression forcée de la Topo I obtenue par transfection est létale, ce qui semble indiquer que l’activité de cette enzyme doive être maintenue dans une fourchette étroite.

M. Claude DREUX

Vous avez dit que 10-15 % des maladies génétiques résultent d’un épissage alternatif.

Pouvez-vous me donner quelques exemples de maladies de ce type ?

Ce sont en général des maladies très rares. On peut citer des maladies comme les amyotrophies spinales (SMA pour Spinal Muscular Atrophy ), le syndrome d’Ehlers-

Danlos, ou certains cas de mucoviscidose. On peut en trouver des listes plus exhaustives dans des revues récentes ( Trends in Genetics , 2002, 18 , 123 et 186).

M. François-Bernard MICHEL

L’intitulé de la communication (« retour aux origines ») pouvait laisser entendre que la génomique aurait été indûment considérée aux dépens de la post-génomique. Celle-ci ne procède-t-elle pas de la première ?

C’est exact. Cette formulation était celle du titre de la communication écrite dont l’exposé oral ne reprend qu’une petite partie. C’était une allusion à l’évolution actuelle de l’intérêt scientifique qui se déplace de la génomique vers la post-génomique avec la conséquence que c’est l’ARN qui prend le devant de la scène aux dépens de l’ADN. C’était également un clin d’œil au fait que l’ARN est maintenant considérée comme la molécule primordiale de l’évolution car elle seule est potentiellement capable à la fois de contenir de l’information génétique et de la répliquer.

M. Henri ROCHEFORT

Est-ce que la proportion de 40-60 % de gènes qui font l’objet d’un épissage alternatif chez l’homme représente le sommet de l’évolution ou bien cette proportion est-elle moindre chez d’autres vertébrés ?

Bien que seule la séquence complète du génome humain soit connue, tout semble indiquer que la situation soit la même pour tous les mammifères. La proportion est cependant moindre si l’on descend plus bas dans l’échelle évolutive, comme par exemple chez la drosophile ou le nématode.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 5, 895-906, séance du 28 mai 2002