Résumé
Les micro-organismes comportent des espèces qui s’adaptent aux environnements les plus rigoureux ; c’est ainsi qu’en matière de froid la plus grande partie d’entre elles résistent aux très basses températures négatives (l’azote liquide à -169° C est idéale pour conserver les agents microbiens). Par ailleurs des germes qualifiés de psychrotrophes se multiplient fort bien entre 0° C et + 10° C. L’attention est attirée, parmi ceux-ci, sur Listeria monocytogènes , contaminant fréquent des denrées alimentaires, qui est capable de provoquer des accidents graves par consommation d’aliments mal conservés (rupture de la chaîne du froid, réfrigérateurs ménagers mal utilisés). Des recommandations sont formulées pour éviter ces accidents, notamment chez des consommateurs fragiles tels que les immunodéprimés.
Summary
Some of micro-organisms are able to adapt themselves to hardest environmental conditions. So, about cold conditions, most of them can still grow at very low temperatures under 0° Celsius (nitrogen liquefied at -169° C is the best way for preserving microbes). By another way some germs, qualified psychrotophic bacteria, grow quite easily between 0° C and + 10° C. Among these bacteria the author draw the attention to Listeria monocytogenes , a germ contaminating often foodstuffs and being responsable of deep deseases by eating food preserved in bad conditions (breaking off of refrigeration chain, bad use of domestic refrigerators). Recommandations are laid down to avoid these deseases, more particularly for frail consumers as immuno compromised adults.
INTRODUCTION
Listeria monocytogenes ( L. m. ) est un contaminant fréquent des aliments capable de se multiplier à température comprise entre 0° C et +10° C (il est qualifié pour ce fait de psychrotrophe), et ce lentement mais significativement (passage de quelques unités par gramme à plusieurs milliers en 8-10 jours). Quoique non sporulé, il résiste, dans une certaine mesure, à la chaleur : une pasteurisation limite, type HTST du lait (72° C — 15 s), une cuisson ménagère classique sont insuffisantes pour le détruire. Il est également résistant au froid : il persiste pendant des mois, voire des années, dans ses repaires (sols, végétaux, matériel, …) à des températures inférieures à +5° C. Evidemment la congélation n’a aucune action sur sa vitalité. Pathogène pour les animaux et pour l’homme, il entraîne chez les malades une mortalité voisine de 30 %. Ses maléfices imposent une connaissance sérieuse des conditions de contaminations et d’infections pour préconiser une prophylaxie efficace. Un facteur essentiel de sa multiplication est lié à la conservation des aliments contaminés pendant une durée « longue » (de l’ordre de 8 jours et plus) sous un régime de réfrigération insuffisant : rupture de la chaîne du froid amenant la température au-dessus de +5° C. Ce germe est d’autant plus dangereux qu’il ne provoque pas de modifications apparentes de l’aliment comme le font les agents d’altération, de putréfaction. Véritable hypocrite sournois, il trompe son monde en n’alertant pas le consommateur trop confiant.
Ce préambule justifie l’intérêt des hygiénistes, qui doivent et peuvent participer activement à la prévention de la listériose.
HISTORIQUE — LE GENRE LISTERIA
En 1926, au Canada, Murray, Webb et Swann décrivent 6 cas de mononucléose infectieuse chez le lapin et le cobaye et en rendent responsable un germe qu’ils nomment Bacterium monocytogenes . En 1927, Pirie, en Afrique du Sud, isole chez la gerbille, atteinte de la maladie de la rivière Triger, le même germe que Murray ; il le nomme Listerella hepatolytica en l’honneur de Sir John Lister, chirurgien anglais émule de Louis Pasteur [1].
En 1918, le premier cas humain est décrit par Dumon et Cotoni chez un soldat atteint de méningite. D’autres cas suivront en pathologie animale et humaine, avec en 1951 la première infection néonatale due au germe que l’on appellera Listeria monocytogenes . Par la suite des contaminations humaines d’origine alimentaire seront observées lors de véritables épidémies.
Indiquons que le genre Listeria comporte 6 espèces :
— 4 espèces pathogènes :
L. monocytogenes (espèce la plus fréquemment observée) ;
L. welshimeri (essentiellement chez le mouton) ; L. seeligeri ; L. ivanovii ;
— 2 espèces inoffensives :
L. innocua ; L. murrayi ( L. grayi ).
De ces différentes espèces c’est
L. m. qui est de loin le plus souvent responsable des listérioses humaines, notamment par ses sérovars 4b, ½ a et ½ b.
CARACTÈRES BACTÉRIOLOGIQUES
Petit germe gram positif non sporulé, cilié, cultivant en aéro-anaérobiose, une faible quantité d’oxygène lui est nécessaire (il est qualifié de micro-aérophile). Comme tout microbe, sa multiplication passe par une première phase de latence (dite aussi lag-phase) pendant laquelle le nombre de germes reste stationnaire ; sa durée est fonction de la composition du milieu, de l’environnement, du pH, de la température, et ce de quelques heures à plusieurs jours ou semaines. Les hygiénistes cherchent à prolonger cette phase en imposant des conditions défavorables. Puis vient la phase de multiplication exponentielle qui amène le germe à des taux importants (103 à 107 par g), taux dangereux pour le consommateur. Les facteurs de la multiplication seront étudiés à propos des aliments. Cependant, dès maintenant, insistons sur le rôle de la température.
L. m. appartient au groupe des psychrotrophes [2], germes qui, bien qu’ayant un optimum de croissance au-dessus de 30° C, se multiplient encore, quoique lentement, entre +10° C et -1,5° C. Les psychrotrophes comportent, à côté de quelques espèces pathogènes provoquant des intoxications alimentaires ou des accidents pathologiques (Listériose, Yersiniose…), des espèces non pathogènes mais sources d’altération des aliments, entre autres la putréfaction des « frigos » observée sur des viandes maintenues en réfrigération pendant plusieurs jours (Pseudomonas… ).
Cinq germes psychrotrophes pathogènes sont particulièrement intéressants :
— Aeromonas hydrophila (température d’arrêt de la croissance : +4° C voire 0° C), — Bacillus cereus (type psychrotrophe) (+7,5° C voire 0° C), — Clostridium botulinum II (type E pisciaire) (+3,3° C), — Listeria monocytogenes (0° C voire -1,5° C), — Yersinia enterocolytica (-1° C).
Le Tableau 1 indique pour
L. m. les temps de génération (GT) nécessaires à une division ; il donne également la durée de la phase de latence (LT), et ce dans les viandes et à différentes températures [3].
L’isolement et le diagnostic de L. m. sont aujourd’hui rapidement effectués :
4 jours suffisent alors qu’il y a une dizaine d’années, 2 à 3 semaines étaient nécessaires.
TABLEAU 1. — Temps de génération (GT) et phase de latence (LT) de
Listeria monocytogenes dans les viandes [2]
Température
Temps de génération
Phase de latence
Aliment (°C)
GT (h.)
LT (h.)
Rôti de bœuf — 1,5 (a) 100,0 173,7 3 (a) 26,5 59,0 3 (b) 80,9 477,1 Conserve de bœuf 0 110,0 (corned beef) Viande cuite 5 44-61 Jambon 5 33,2 10 13,4 15 6,1 Bœuf cuit 5 18,6 — 22,6 80,6 — 83,4 10 8,5 — 9,0 22,6 — 30,4 Pâté 7 19,7 48 10 9,12 27,6 12,5 1,6 24 (a) Emballage sous vide.
(b) Emballage sous atmosphère modifiée (CO2).
PHYSIOPATHOLOGIE
Pouvoir pathogène chez l’homme
Le pouvoir pathogène de
L. m. produit chez l’homme des formes distinctes : une forme périnatale et une forme non périnatale (Tableau 2) [4].
La forme périnatale (ou materno-natale) correspond à un cas où L. m. est isolée d’un site normalement stérile de la femme enceinte, du nouveau-né ou du fœtus, la mère et l’enfant comptant pour un seul cas.
La forme non périnatale englobe les cas ne répondant pas à la définition précédente.
Ces formes sont épidémiques ou non épidémiques (cas sporadiques). Les formes épidémiques se caractérisent par de nombreux cas avec émergence d’une souche appartenant à un même lysovar et au même pulsovar. Les formes sporadiques sont celles qui ne sont pas épidémiques, selon la définition ci-dessus.
La forme périnatale se manifeste par des symptômes évoquant une grippe (notamment fièvre, courbature chez la femme enceinte). Elle peut, dans les cas graves, se traduire par une interruption de grossesse, le plus souvent après le 3ème mois avec
TABLEAU 2. — Listériose humaine en France [4] Nombre de cas, incidence des formes périnatales et non-périnatales Année
Nombre total
Incidence
Formes
Formes de cas (par millions périnatales (%) non-périnatales d’habitants) ( %) 1987 366 6,3 51 49 1988 397 7,1 43 57 1989 409 7,3 47 53 1990 305 5,4 36 64 1991 387 6,8 44 56 1992 457 7,9 34 66 1993 451 7,9 32 68 1994 336 5,9 22 78 1995 301 5,2 20 80 1996 220 3,8 27 73 1997 228 3,9 23 77 1998 230 3,8 20 80 mort de l’enfant. Lorsque la grossesse se poursuit, le nouveau-né présente une septicémie avec ou sans troubles méningés, une infection pulmonaire, une conjonctivite. L’enfant peut naître sain mais contaminé par la mère, succomber à 5 — 10 jours d’une méningite bactérienne.
Les formes non périnatales atteignant l’enfant ou l’adulte ont, après une incubation longue (3 à 70 jours), des manifestations neuro-méningées (avec une mortalité de 25 %) ou septicémiques (avec une mortalité de 30 à 70 %). Ce sont les personnes âgées et les immunodéprimés qui paient le plus lourd tribut à la septicémie.
Pouvoir pathogène chez l’animal
Un grand nombre d’espèces animales sont sensibles à
L. m. , que ce soit des mammifères domestiques (bovins, ovins, caprins, porcins, lapins), des oiseaux (poulets) ou des animaux sauvages (gibier). Il s’agit de septicémies, de formes nerveuses (encéphalites), d’avortements, mais aussi de symptômes bénins laissant les sujets atteints en bonne santé apparente mais porteurs et excréteurs de L. m. , notamment par les fèces. L’excrétion par le lait lors de mammites apparentes ou occultes est particulièrement dangereuse pour le consommateur.
REPAIRES DE
LISTERIA MONOCYTOGÈNES SOURCES DES BACTÉRIES
L. m. est ubiquitaire, en fait elle peut être présente dans tout l’environnement (air, eau, sol, poussières), végétaux, animaux (en particulier dans leur tube digestif, donc dans les matières fécales, le lisier, le fumier, les épandages).
L. m. contamine également l’homme sain porteur de germes chez lequel on a montré que jusqu’à 80 % des matières fécales pouvaient héberger
L. m . On retiendra ainsi que
L. m. est un hôte normal de l’intestin de l’homme et de l’animal. On conçoit l’importance de ce fait, qui rend difficile la prophylaxie.
L. m. peut contaminer les pâturages, les fourrages, les ensilages et tous les végétaux, notamment ceux qui sont en contact avec le sol (asperges, champignons, choux, salades…). Sa résistance dans le sol est considérable, il peut y subsister plusieurs années. La contamination des produits animaux est également fréquente, aussi bien celle des produits « crus » (lait, viande, poissons) que des produits cuits lorsque le procédé de cuisson a été « doux ». La recontamination des aliments assainis, notamment par la chaleur, peut s’effectuer si la protection et le conditionnement sont insuffisants (surfaces et plans de travail des ateliers de transformation ayant une hygiène défectueuse).
Citons le cas particulier d’une vache ayant une mammite à L. m. Son lait peut avoir un aspect normal et être contaminé très longtemps (plusieurs mois) sans signe apparent. La contamination peut s’étendre par dilution aux laits de mélanges, rendant la pasteurisation classique inefficace. Les L. m. étant le plus souvent intra-leucocytaires sont de ce fait protégées contre le chauffage et leur destruction nécessite une surpasteurisation (78-80°C — 1 à 2 min.). Des épidémies ont ainsi été produites par du lait entier ou écrémé, chocolaté, par des fromages frais à base de lait « cru » ou mal pasteurisé.
Si la contamination est faible dans les aliments au moment de leur production (moins de 1 ufc /g par exemple), elle peut atteindre des taux considérables au moment de la mise en consommation si la durée de conservation est longue et/ou la température trop élevée (supérieure à +5° C : le passage prolongé de +5 à +10° C multiplie par 2, voire plus, la vitesse de reproduction).
Modes de contamination
La voie directe par contact avec un animal infecté est possible mais rare, tout comme la voie interhumaine (maternités, hôpitaux). En revanche c’est la voie indirecte qui est la plus fréquente, comme nous l’avons indiqué précédemment (milieu extérieur, sécrétions, excrétions animales, membranes fœtales, fèces). Mais ce sont les aliments qui sont les transmetteurs essentiels de la bactérie, la dose infectieuse minima est mal connue, dépend de l’aliment et du consommateur (vraisemblablement supérieure à 10 ufc /g).
Listeria monocytogènes et aliments
Une suspicion générale s’impose vis-à-vis de tous les aliments non chauffés ou insuffisamment chauffés. Cependant divers facteurs peuvent s’opposer à la multiplication de L. m. , voire détruire la bactérie.
— pH : Culture arrêtée à pH inférieur à 4,5 (parfois pH 5,6 est suffisant). Les aliments conservés en milieu acide sont sans danger (vinaigre, …).
— Humidité relative, Aw : L. m. est arrêtée dans sa croissance pour une Aw inférieure ou égale à 9,3. La conservation par le sel nécessite une concentration minimale de 10 %.
— Qualité de l’atmosphère environnante : L. m. est micro-aérophile, c’est dire que les conditionnements en atmosphère modifiée sont peu efficaces ; le CO2 à plus de 20 % a cependant un rôle inhibiteur partiel.
— Substances antimicrobiennes : les molécules classiques sont efficaces : lactate, nitrate, propionate, benzoate, sorbate, formol (fumage), bactériocines naturelles…
— Associations microbiennes : les lactiques sont efficaces. Retenir que la présence de germes susceptibles de concurrencer L. m. est un facteur limitant intéressant.
L’absence de germes, l’état aseptique facilitent la croissance lors de recontamination.
— Température de stockage : nous avons bien indiqué que L. m. est un psychrotrophe, ce qui signifie que la conservation des aliments doit s’effectuer rigoureusement au froid, et plus précisément à température proche de 0° C, et de toutes façons inférieure à +5° C pendant toute la chaîne du froid. On sait que c’est le dernier maillon, celui du consommateur, qui est le plus fragile (température du réfrigérateur ménager fréquemment à +7 / +9° C). On notera qu’un stockage à +5° C ne doit pas être prolongé plus de 10 jours, alors qu’à 8-10°C on ne dépassera pas 5 jours pour avoir une certaine sécurité.
Le recours raisonné à ces divers facteurs permet de limiter la croissance de L. m.
(application du système multibarrière) et d’accroître la sécurité des aliments.
Le Tableau 2 relatif à l’épidémiologie de
L. m. montre qu’une variété très grande d’aliments a provoqué des épidémies, retenons quelques cas [1] :
— produits végétaux (choux en salade, riz en salade) ;
— viande et produits carnés : intoxications fréquentes ;
La viande crue est très souvent contaminée ; se méfier de la viande hachée mal conservée (à température trop élevée) consommée sans cuisson ou après cuisson insuffisante. Fréquemment donnée à des jeunes enfants ou à des personnes âgées, elle peut être source d’intoxication ;
— produits carnés : les produits de charcuterie à cuire ou séchés (saucissons secs) ont une faible contamination et ne présentent pas de danger réel. En revanche,
les produits de charcuterie à consommer en l’état et ceux qui peuvent être recontaminés (produits à la coupe) puis conservés à température inadéquate (+7 / +10° C) ont provoqué des listérioses souvent mortelles (pâtés, saucisses, langue en gelée, rillettes) ;
— poissons et produits de la mer : ils ont rarement été impliqués, cependant on a observé des listérioses provoquées par des moules, des truites mal salées, mal fumées ;
— lait, produits laitiers, fromages : L. m. est un contaminant fréquent du lait cru (1 à 9 % pollué). Soit par excrétion mammaire (mammite à
Listeria ), heureusement assez rare mais provoquant un contage prolongé. Soit par voie extramammaire : l’origine se trouve alors dans les poussières des aliments (surtout s’ils sont ensilés), l’eau, les fèces. La pasteurisation, pour être efficace, nécessite un barème de 73° C pendant 20 secondes. La thermisation (57° C à 62° C) est en revanche insuffisante [5] ;
— fromages : ils sont à l’origine de listérioses sévères. Heureusement L. m., contaminant fréquent du lait et pollueur non moins fréquent des ateliers, est détruit progressivement dans les fromages du fait de l’acidité ; par ailleurs les flores associées sécrétrices de bactériocines retardent ou empêchent la multiplication des L. m. des fromages au lait cru. Signalons que la thermisation qui détruit cette flore associée en respectant
L. m. , est maléfique puisqu’elle laisse L. m. se multiplier sans concurrence [6].
Les normes proposées par le Codex Alimentarius imposent l’absence de L. m. dans 25 g, mais le Conseil Supérieur d’Hygiène publique tolère une présence limitée à moins de 100 ufc/g au moment de la consommation.
Les examens microbiologiques sont absolument insuffisants pour assurer la sécurité des aliments car il serait nécessaire d’analyser un nombre considérable d’échantillons : déceler une proportion de défectueux de 0,1 % dans un lot avec 95 % de chance de réussite impose l’analyse de 2 000 échantillons… ceci est évidemment impossible, d’où les mesures impératives de prévention et l’application en particulier du système HACCP.
PATHOGÉNIE — IMMUNITÉ [7]
L’immunité est acquise par une infection clinique ou subclinique à la suite de la formation non pas d’anticorps, comme c’est le cas dans la majorité des atteintes microbiennes, mais par la création de lymphocytes T protecteurs à longue vie. Chez les immunodéprimés ces lymphocytes et les macrophages sont ou détruits ou en faible nombre d’où la sensibilité des immunodéprimés à l’agression par L. m. On comprend comment la résistance peut être acquise lentement par renforcement spécifique du système immunitaire succédant à l’introduction fréquente de L. m.
présentes à très faible dose dans les aliments et dans l’environnement. La consom-
mation d’aliments stériles, si elle évite l’infection, ne permet pas de renforcer nos défenses.
EPIDÉMIOLOGIE
La fréquence en France de la listériose humaine épidémique est aujourd’hui faible.
On peut l’apprécier par l’examen du Tableau 3. Après les flambées importantes de 1992 (276 cas) et de 1993 (38 cas) la mise en œuvre d’un réseau épidémiologique bien structuré et d’un système d’alerte efficace a permis de diminuer le nombre des sujets atteints. L’incidence par million d’habitants (3,8 — 3,9) se situe en dessous de l’incidence mondiale [4].
Depuis 1995, on observe moins de 300 cas par an, avec 1 à 2 % de mortalité. La diminution du nombre total de cas est spectaculaire : 457 cas en 1992, 230 en 1998, 36 en 1999 [3].
PROPHYLAXIE — RECHERCHES À ENTREPRENDRE [8-10]
La prophylaxie de la listériose est difficile et nécessite rigueur et volonté.
Le respect des 10 points suivants est impératif :
1. Choix de l’alimentation animale :
— la listériose est considérée comme une maladie liée à l’ensilage des aliments des animaux ;
— écarter celui-ci lorsque les matières premières (lait, viande) sont destinées à fabriquer des produits à risques.
2. Matières premières utilisées sans chauffage :
— améliorer les méthodes d’assainissement ;
— mise au point de traitement de substitution : ionisation, recours aux antimicrobiens naturels, aux acides organiques…
— lait cru : recours à la microfiltration, aux pressions ultra-hautes, aux flores barrières associées.
3. Procédé industriel de fabrication rigoureux :
— appliquer les procédés de l’HACCP ; veiller à une formation continue du personnel ; respecter les règles des guides de bonnes pratiques hygiéniques (GBPH), contrôler avec soin le nettoyage et la désinfection…
4. Maîtrise absolue de la « chaîne du froid » :
— la contamination et la multiplication peuvent se réaliser chez et par le consommateur ;
— tous ses maillons, dont celui du consommateur, doivent être solides ;
TABLEAU 3. — Epidémies de listérioses d’origine alimentaire [3].
Nombre de cas
Dont
Pays
Année
Aliments total
Epidé- décès (*) miques
France 1975 > 100 USA (Massachussets) 1979 20 5 légumes crus , lait Canada (Nouvelle Ecosse) 1981 41 18 choux en salade USA (Massachussets) 1983 49 14 lait pasteurisé USA (Californie) 1985 142 48 Fromage frais mexicain Suisse (canton de Vaud) 83-87 122 34 fromage frais Vacherin, Mont d’Or France 1987 366 Royaume Uni 88-89 > 300 Pâté France 1988 397 France 1989 409 France 1990 305 Australie 1990 6 Pâté France 1991 387 Nouvelle Zélande 1992 4 2 moules fumées France 1992 457 276 85 langue de bœuf en gelée France 1993 451 38 Rillettes Italie 1993 18 riz en salade France 1994 336 USA (Illinois) 1994 66 lait chocolaté pasteurisé Suède 1994 8 2 truite fumée France 1995 301 37 4 Fromage :
Brie de Meaux France 1996 220 10 France 1997 228 14 Fromage :
Livarot, Pont l’Evêque Italie 1997 1594 maïs France 1998 230 20 Fromage : Epoisses USA 1998 325 70 > 10 Saucisses (hot dog) France 1999 36 2 rillettes [6], charcuterie [30] (*) Nombre de cas total = cas épidémiques et sporadiques.
5. Méfiance pour les produits non stériles conservés longtemps et/ou consommés sans cuisson ;
— limiter DLC (date limite de consommation) et DLUO (date limite d’utilisation optimale) ;
— veiller à éviter les recontaminations ;
— des études de microbiologie prévisionnelle concernant l’évolution des produits sont à entreprendre.
6. Développer des recherches sur les mécanismes de virulence et d’immunité.
7. Réaliser des enquêtes épidémiologiques précises. Respecter les mesures de déclaration obligatoire (application du décret du 13 mars 1998). Organiser le réseau de surveillance.
8. Entreprendre des recherches pour formaliser des méthodes de détection et de dénombrement rapides de L. m. et d’un coût modéré.
9. Informer le consommateur « normal » et les personnes fragiles en recourant à tous les moyens.
« Interdire » la consommation de produits à risques aux « immunodéprimés » (jeunes ; personnes âgées ; femmes enceintes ; patients atteints d’hémopathies, de cancer, de diabète, malades traités en vue de transfert d’organes ; hémodialysés ; alcooliques ; malades atteints du SIDA).
Informer les consommateurs des règles à respecter en hygiène alimentaire.
Rappeler les conditions d’utilisation rationnelle des réfrigérateurs ménagers.
Lorsqu’elles sont mauvaises, ceci peut être dû à plusieurs facteurs (prendre toutes les dispositions pour y remédier) :
— l’absence de notice précise ; les niveaux de température sont souvent inconnus ; la position de la zone la plus froide, qui varie avec le type d’appareil, n’est généralement pas précisée ;
— l’absence de thermomètre est très fréquente, tandis que les indications fournies par le thermostat ont souvent peu de relation avec les températures réelles ;
— la charge abusivement élevée des appareils gène la circulation de l’air ;
— l’introduction, dans le réfrigérateur, de denrées insuffisamment refroidies voire chaudes ;
— l’ouverture des portes est trop fréquente ;
— l’entretien et l’hygiène des appareils (dégivrage, nettoyage, désinfection) sont insuffisants.
10. Impliquer tous les acteurs (dont l’Administration) et sensibiliser les hygiénistes et les professionnels de la santé (médecins en particulier) ainsi que le public.
Prendre garde à la « psychose » et aux répercussions sociales et économiques associées à une information mal contrôlée.
CONCLUSION
La température est un facteur dominant de la croissance microbienne : son abaissement en dessous de +10° C permet de prolonger la durée de conservation de tous les aliments. Cependant la réfrigération ainsi appliquée ne fait que stopper la croissance de certains germes tout en ralentissant celle d’autres qualifiés de psychrotrophes ;
parmi ceux-ci se trouvent des germes d’altération (« dangereux » pour les aliments) et des germes pathogènes (« dangereux » pour l’homme). Ces derniers sont responsables de toxi-infections alimentaires et d’accidents graves, notamment Listeria monocytogenes agent de la listériose. Pour limiter la multiplication de L. m., contaminant fréquent de nos denrées, des recommandations sont formulées. Elles concernent tout particulièrement le maintien de la « chaîne du froid » à une température voisine de 0° C, et ce jusque chez le consommateur lui-même. L’utilisation irrationnelle des réfrigérateurs domestiques étant une cause essentielle de la croissance ultime de L. m. , des conseils sont énoncés pour accroître la sécurité alimentaire.
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CEMAGREF AFF,
Guide technique , 1999 , 1 vol., 108 p.
[10] ROSSET P., ROSSET R. — La « pathologie » du réfrigérateur.
Rev. Gén. du Froid, 2000 , 1000 , 71-73.
DISCUSSION
M. Pierre DELAVEAU
La résistance au froid des bactéries est-elle liée à leur constitution génétique ? Peut-il y avoir adaptation au cours du temps ?
Toutes les bactéries sont résistantes au froid et ceci grâce au leur structure cellulaire et, en particulier, à celle de leur membrane. En revanche, leur aptitude à s’adapter à leur environnement et à se multiplier à différentes températures (élevées ou basses) dépend de leur équipement enzymatique élaboré par leur potentiel génétique, par ailleurs très hétérogène d’une souche à une autre. L. monocytogènes a ainsi des facultés d’adaptation exceptionnelles se manifestant après des séjours à différentes températures.
M. Jacques EUZÉBY
Approuvez-vous l’interdiction de l’utilisation du lait cru pour la fabrication des fromages ? Y a-t-il, dans le lait cru, une interaction entre ferments lactiques et listeria pathogènes : les ferments lactiques inhibent-ils les listeria ?
L’utilisation du lait cru pour la fabrication de certains fromages permet de bénéficier de l’élaboration de produits aromatiques très appréciés. Ces produits sont formés par une microflore qui est détruite au chauffage ; mais qu’en est-il des germes pathogènes ? leur persistance (entre autres celle de L.m ) n’est en réalité le plus souvent que très partielle, détruits qu’ils sont par les bactériacines, les systèmes lacto-peroxydases initiés par les flores persistantes. Lacto bacillus, Pédiococcus, Lactococcus… . Cependant, pour quelques fromages, la résistance de
L.m peut être manifeste (surtout si elles sont en grand nombre) et présenter un certain danger pour des immunodéprimés ; ceux-ci devraient s’abstenir de les consommer. En conclusion, les ferments lactiques ont donc un certain pouvoir inhibiteur sur L.m .
* Membre de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie Vétérinaire de France, VicePrésident de l’Association Française du Froid — 16, rue Bonaparte — 75272 Paris cedex 06. Tirés-à-part : Professeur Roland ROSSET, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 10 janvier 2001, accepté le 15 janvier 2001.
Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 2, 287-299, séance du 13 février 2001