Résumé
Le législateur a souhaité la création d’un grand établissement dénommé Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique afin de donner une plus grande efficacité et une meilleure visibilité à l’enseignement de la santé publique. La mise en œuvre de cette volonté pose la question de l’articulation des formations professionnelles et académiques dans ce champ particulier.
Summary
The legislator wished the creation of an important establishment named ‘‘ School of High Studies in Public health ’’ to give a greater efficiency and a better visibility to public health education. The implementation of this will raises the question of the structuring of the vocational and academic trainings in this particular field.
La création de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP) est prévue par les articles 84 et suivants de la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 :
«
L’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, établissement public de l’Etat à caractère scientifique, culturel et professionnel, est placée sous la tutelle des ministres chargés de la santé, des affaires sociales, de l’éducation et de la recherche.
Elle a pour mission :
— d’assurer la formation des personnes ayant à exercer des fonctions de direction, de gestion, d’inspection ou de contrôle dans les domaines sanitaires, sociaux ou médico-sociaux et notamment de celles relevant du ministre chargé de la santé et du ministre chargé des affaires sociales ;
— d’assurer un enseignement supérieur en matière de santé publique ; à cette fin, elle anime un réseau national favorisant la mise en commun des ressources et des activités des différents organismes publics et privés compétents ;
— de contribuer aux activités de recherche en santé publique ;
— de développer des relations internationales dans les domaines cités précédem- ment, notamment par des échanges avec les établissements dispensant des enseignements comparables.
Les modalités d’exercice de ses missions par l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et ses règles particulières d’organisation et de fonctionnement sont fixées par décret en Conseil d’Etat dans les conditions prévues à l’article L. 717-1 ». Ces dispositions ont été codifiées à l’article L. 756-2 du code de l’éducation et à l’article L. 1415-1 du code de la santé publique.
En même temps qu’un véritable intérêt, voire un certain désir, l’annonce de la création de l’EHESP a suscité de l’inquiétude chez tous ceux qui sont potentiellement concernés par cette réforme. Cela est assez normal dès lors qu’elle ne se fait pas ex nihilo. Le dispositif français d’enseignement et de recherche en santé publique est en effet plutôt pléthorique si l’on s’en tient à l’existence de plus de cent cinquante diplômes de masters dans ce champ et à la diversité des acteurs de la formation (départements de santé publique dans les facultés de médecine, ENSP, CNAM, écoles d’ingénieurs et de commerce) et de la recherche qu’il s’agisse de l’université ou des grands organismes que sont l’INSERM, le CNRS, ou l’IRD.
Les réactions enregistrées à l’annonce de la réforme montre que chacun pouvait (peut ?) continuer à vivre dans son coin sans ressentir de façon trop incommodante les conséquences de l’atomisation constatée, déplorée, par le législateur et qui est, sans doute une des contreparties de l’autonomie. Chaque université et, en son sein, chaque faculté de médecine ou presque a son département de santé publique qui, lui-même, propose un master et souhaite inscrire ses enseignements et ses recherches au sein de l’école doctorale. En même temps et de façon assez récente la place occupée dans la hiérarchie des préoccupations collectives par les questions sanitaires (et sociales) a trouvé son écho dans l’enseignement supérieur avec une floraison de diplômes de troisième cycle (notamment des DESS et aujourd’hui des masters professionnels) dans des disciplines diverses : le droit, l’économie, la sociologie, la
géographie. Bien avant cela, la partition historique entre l’université et les écoles d’application des fonctions publiques avait conduit à la création de l’ENSP. En France, il faut attendre une ordonnance du 19 octobre 1945 portant réorganisation du ministère de la santé publique (art. 13) pour qu’une Ecole Nationale de la Santé Publique soit instituée comme département de l’Institut National d’Hygiène. Un arrêté du 9 mai 1949 lui permettra d’accueillir des boursiers étrangers mais, faute de pouvoir y obtenir un diplôme de santé publique (ils se voient délivrer une simple attestation d’assiduité) ceux-ci préfèrent s’inscrire dans les écoles étrangères et, pour les francophones, au Canada. Pour pallier ce handicap, un arrêté interministériel du 26 février 1958 crée un diplôme conjoint du ministère de la santé et du ministère de l’éducation nationale dénommé « diplôme d’Etat en santé publique » et destiné à des médecins ayant suivi l’enseignement de l’Ecole et satisfait aux épreuves de contrôle des connaissances. La loi du 21 juillet 1960 érige cette école sans personnalité morale en établissement public administratif et le décret du 13 avril 1962 l’organise et prévoit sa localisation à Rennes. Cette réforme est notamment motivée par la volonté d’offrir un enseignement de santé publique en langue française à une époque où cette « discipline » est fort peu présente dans les facultés de médecine.
Elle devait selon ses créateurs être le lieu de formation de tous les personnels de santé publique (y compris les personnels de la sécurité sociale) et devait, pour ce faire, être dotée d’un corps enseignant en statistiques et épidémiologie, administration hospitalière, affaires sociales, architecture, urbanisme, génie sanitaire, éducation sanitaire, nutrition. Le premier directeur de la nouvelle école, le professeur Jean Sénécal, souhaitait même que les assistants des facultés de médecine enseignant la santé publique passent par l’ENSP. De plus, la nouvelle institution devait être dotée de deux équipes INSERM, l’une en sciences sociales, l’autre en santé publique. Elles furent finalement créées ailleurs. Ces difficultés n’ont pas empêché l’école de rechercher des collaborations avec le monde de l’enseignement supérieur. Le 13 février 1973 le diplôme d’ingénieur du génie sanitaire entre dans la liste des titres d’ingé- nieur comme diplôme de spécialisation. La même année, le conseil de l’Université de Rennes 1 se déclare favorable à ce que des doctorats (de troisième cycle probablement) soient préparés au sein de l’ENSP. Le ministre des affaires sociales s’y est opposé.
Dans un contexte aujourd’hui marqué par la diversité des acteurs concernés et des intérêts en jeu, l’exposé des motifs de la loi de santé publique évoquant l’insuffisante coordination de l’offre pédagogique a spontanément reçu l’approbation des intéressés en même temps qu’il a éveillé leur crainte d’avoir à entrer dans un processus de rationalisation de l’offre de formation synonyme d’atteinte à l’autonomie.
A l’évidence, la réforme ne saurait, sans risque majeur d’échec, être porteuse d’une telle conséquence. Elle doit offrir à ceux qui accepteront d’y entrer, puisque le choix de la contrainte ou de l’incitation forte ne sont pas à l’ordre du jour, plus que ce dont ils disposent aujourd’hui en termes de moyens matériels et humains, de capacité d’initiative, de visibilité nationale et internationale.
Même si la première est tenue d’entrer dans la nouvelle organisation, alors que la seconde est appelée au volontariat ceci vaut aussi bien pour l’ENSP que pour l’Université.
Ecole d’application et Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique
La question de la place de l’ENSP dans la réforme semble être sans objet puisque la loi du 9 août 2004 prévoit son intégration pure et simple dans le futur établissement puisque l’article 86 de la loi est ainsi rédigé « L’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique assume en lieu et place de l’Ecole Nationale de la Santé Publique les droits et obligations de l’employeur vis-à-vis de ses personnels. Ceux-ci conservent les mêmes conditions d’emploi. Les biens, droits et obligations de l’Ecole Nationale de la Santé Publique sont transférés à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique. Ce transfert est exonéré de tous droits ou taxes et ne donne pas lieu à rémunération ». Le projet de décret constitutif pris en application de la loi va évidemment dans ce sens et fixe un terme à l’existence de l’établissement public administratif qu’est l’ENSP dès lors que l’EHESP sera effectivement créée.
Or, comme en atteste l’exposé des motifs de la loi précitée, la réforme n’a pas pour but de transformer l’ENSP en EHESP en changeant le nom, le statut et en étendant les missions de l’actuel établissement. Elle poursuit, en même temps que le maintien et le développement des formations destinées aux élèves fonctionnaires formés à Rennes, l’objectif de construction d’un réseau « national favorisant la mise en commun des ressources et des activités des différents organismes publics et privés compétents » (Art. 84 et 85 de la loi précitée). C’est dire que l’EHESP sera composée, à terme, de plus d’éléments que la seule ENSP. Le projet de décret constitutif ne dit pas autre chose lorsqu’il prévoit, en empruntant au droit commun des établissements d’enseignement supérieur et en ses articles 15, 16 et 17, les différentes catégories de « composantes » qui pourront être créées au sein de la nouvelle école.
L’EHESP sera organisée en « départements » qui pourront se consacrer à la formation, à la recherche ou aux deux activités. Des « instituts » pourront être créés en son sein et elle pourra se doter de « services communs ».
Les différences entre ces trois catégories tiennent :
— aux modalités de création et d’organisation, — au degré d’autonomie par rapport à l’EHESP.
Les départements et les services communs, quelles que soient leurs fonctions, sont créés par le conseil d’administration de l’EHESP. Les instituts sont crées par arrêté conjoint des ministres exerçant la tutelle sur l’école.
Leurs modalités d’organisation sont différentes. Les départements et les instituts sont forcément dotés d’un conseil alors que l’existence de celui-ci est facultative pour les services communs. Tous sont dirigés par un directeur qui est élu par le conseil dans les départements, désigné dans des conditions fixées par l’arrêté de
création pour les instituts et nommé par le directeur de l’école pour trois ans s’agissant des services communs.
Telles sont les données permettant de se prononcer sur la forme la mieux adaptée à l’actuelle ENSP au sein de l’EHESP. Mais, bien évidemment, la réponse à la question posée, ne saurait se réduire à une approche juridique. En pratique, il faut s’interroger sur les missions qui doivent être imparties à la future composante et sur les projets de développements qu’elle peut légitimement nourrir pour choisir la forme juridique la plus adéquate.
Les missions actuelles de l’ENSP sont définies par le décret no 93-703 du 27 mars 1993 qui lui confie le soin :
— de participer à la formation professionnelle initiale et continue des personnels chargés des affaires sociales et de la santé, d’assurer plus particulièrement celles des cadres supérieurs des services extérieurs de ces ministères et des établissements publics de santé et des établissements ou organismes publics sociaux et médicosociaux ;
— d’apporter son concours aux autres départements ministériels, aux collectivités territoriales, aux institutions publiques et privées, aux organisations syndicales et aux associations, pour la formation de leurs cadres responsables d’activités sanitaires, sociales, médico-sociales ou concernant l’environnement ;
— de concourir à l’approfondissement des connaissances dans les domaines de sa compétence par des programmes de recherche et d’études établis soit à son initiative, soit à la demande des pouvoirs publics, en collaboration, le cas échéant, avec des universités et des organismes nationaux ou internationaux ;
— d’entreprendre des actions de coopération à caractère international en matière d’enseignement et de recherche à la demande des pouvoirs publics ou d’Etats et d’organisme de recherche ou de formation étrangers.
Pour mener à bien ces missions l’école s’est dotée d’une organisation en trois départements pédagogiques, en une dizaine de filières professionnelles et en services supports. Pourvue d’un corps enseignant permanent (70 personnes) elle fait appel à de très nombreux chargés de cours (1 600 par an) et dispose d’un budget annuel de 50 millions d’euros.
La création de l’EHESP pose le problème de l’articulation entre la structure actuelle et la future institution.
Il est possible, c’était le scénario, retenu par le rapport IGAS/IGAENR du mois de juin 2004, d’imaginer une pure et simple insertion de l’ENSP dans l’EHESP.
Gardant ses missions, son organisation, ses financements, l’actuelle école devient une composante autonome du nouvel EPSCP sur le modèle de certains instituts universitaires qui peuvent, par convention passée entre eux et l’université à laquelle ils sont administrativement rattachés, mettre à disposition ou bénéficier de la mise à disposition de certaines fonctionnalités (scolarité, service des affaires internationales, accès des étudiants aux centres de documentation, échanges de services ensei-
gnants, mise à disposition de personnels non enseignants). Un tel scénario serait sans doute très apprécié de certains milieux professionnels qui militent pour le statu quo en plaidant la « spécificité » de leur formation par rapport aux enseignements universitaires. Elle recueillerait aussi, peut-être, le soutien de certains personnels de l’ENSP, inquiets de se retrouver placés sous la tutelle de l’administration de l’éducation nationale. Elle pourrait même convenir à certains universitaires soucieux de ne pas voir le niveau de la future EHESP « abaissé » par la présence, en son sein, d’une école d’application.
Pour autant on mesure bien les inconvénients d’un tel dispositif.
Ils se résument en une question : « Faut-il, pour cela, créer une EHESP ? ». L’insertion de l’ENSP dans une autre structure est en effet, dans ce cas, une source de difficultés sans aucun avantage en rapport. L’école actuelle fonctionne à la satisfaction des élèves, des employeurs et des financeurs. S’il s’agit de la conserver à l’identique au sein de l’EHESP, il vaut mieux l’en extraire d’emblée et modifier, sur ce point, la loi de santé publique. Ce retour en arrière n’empêchera nullement de poursuivre l’objectif de construction d’un réseau d’enseignements académiques en santé publique (le seul stricto sensu envisagé par la loi) par la mise en commun de l’offre de formation universitaire. Peut-être même qu’il en facilitera la réalisation puisque, dans cette hypothèse, la construction de l’EHESP deviendrait l’affaire du seul ministère de l’éducation nationale au lieu d’être, comme aujourd’hui, un dossier interministériel.
A cette lecture de la loi caricaturée en un « collage » entre l’existant qu’est l’ENSP et le virtuel qu’est le réseau des enseignements universitaires de santé publique, il est permis d’opposer une autre vision qui se fonde sur la notion même de santé publique.
« La santé publique est un système d’actions qui intervient sur les conditions collectives de la santé et utilise des disciplines scientifiques comme la sociologie, l’épidémiologie, l’économie, le droit, les savoirs de l’ingénieur, l’ensemble des disciplines de la biomédecine, etc. Il s’agit pour l’ensemble des acteurs de ce système de promouvoir les conditions d’un meilleur état de santé des populations, par des interventions touchant peu ou prou à l’ensemble des secteurs de l’activité humaine.
Les problèmes rencontrés, que ce soit du côté de l’environnement (l’amiante, la pollution, les éthers de glycol), que de celui du développement social (misère, exclusion) nécessitent pour être pris en compte, des études très pointues des experts de ces champs, épidémiologistes, physiciens, biologistes, sociologues, économistes, etc. Pour autant, ces problèmes ne pourront se traiter sans une mise sur agenda politique qui nécessite des études de sociologie et de psychologie appliquée, une capacité de mobilisation des populations concernées, l’organisation de campagnes de lobbying suffisamment convaincantes, une bonne connaissance du droit et de la science politique en général.
Tenir compte de ces exigences appelle plusieurs transformations. Les cursus proposés doivent s’ouvrir sur des métiers diversifiés : des scientifiques adonnés à la recherche fondamentale ou appliquée dans les diverses disciplines du champ de la
santé publique ; des administrateurs capables de mettre en œuvre des programmes d’action ; des lobbyistes capables de faire le siège des décideurs politiques ; des éducateurs capables de mobiliser la population dans l’analyse des problèmes et la recherche de solutions ; des ingénieurs capables d’identifier les problèmes et d’inventer les traitements nécessaires, etc. ».
Il est très facile de vérifier la pertinence des ces propositions en examinant l’organisation des grandes écoles de santé publique à travers le monde et les missions qu’elles assument qu’il s’agisse, par exemple, de Harvard ou de la London School of Public Health and Tropical Médicine. On peut aussi, pour ce faire, se référer aux grandes fonctions de la santé publique admises au niveau international.
Dès lors, il paraît judicieux de penser qu’il y a place, au sein de l’EHESP, école de santé publique, pour une composante chargée de former ceux que, dans d’autres systèmes, on appellerait des « administrateurs de santé » et qui sont en France, pour l’essentiel, les fonctionnaires œuvrant dans le champ sanitaire et social dans le cadre de l’une des trois fonctions publiques.
Ce « cœur de métier » correspond à la première mission assignée par la loi du 9 août 2004 à l’EHESP. Dans notre système français d’enseignement supérieur il s’exerce à l’extérieur des institutions universitaires et ne donne pas systématiquement lieu à l’obtention d’un diplôme dans le contexte du LMD. La pression de certains milieux professionnels, le niveau réel d’entrée de l’immense majorité des élèves fonctionnaires, la densité et la diversité de l’offre de diplômes en santé publique sur l’ensemble du territoire national, poussent d’ailleurs, pour le moment, à pérenniser cette situation et à dissocier formation professionnelle et formation académique. Les premières pourraient, ce qui, sauf exception, n’est pas le cas aujourd’hui, déboucher sur des diplômes professionnels authentifiés par un arrêté conjoint des ministres exerçant la tutelle sur l’école. Les secondes ont a priori vocation à se développer dans d’autres composantes de l’EHESP et, à être ouvertes, aux élèves fonctionnaires qui souhaiteraient s’y inscrire. Dans ce contexte, la composante formation professionnelle n’a pas vocation (même si elle peut choisir de le faire) à développer un effort particulier dans le champ de la recherche académique. Elle a plutôt vocation à développer des activités d’expertise au service des mondes professionnels qu’elle contribue à former de façons initiale et continue. Rien cependant ne s’oppose à ce que la composante chargée, dans la situation qui vient d’être sommairement rappelée, des formations professionnelles soient également porteuses d’une offre de formation académique diplômante dans un champ proche des préoccupations des élèves qu’elle scolarise. On peut ainsi imaginer qu’elle soit l’organisatrice d’un diplôme de master pour lequel l’EHESP serait habilité dans le champ des sciences humaines et sociales mention santé publique et intitulé « politique et gestion en santé publique » s’inspirant de ce qui se pratique dans les écoles anglo-saxonnes de santé publique sous la bannière « Health Policy and Management ».
Conformément à la politique d’habilitation promue par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, la localisation de ce master dans la composante
« formation professionnelle » ne peut s’envisager sans un fort adossement à la recherche c’est-à-dire à une équipe propre à l’institut ou à une équipe de l’EHESP.
Ces hypothèses invitent donc à penser deux possibilités :
— une composante uniquement dédiée aux formations professionnelles de fonctionnaires pouvant délivrer des diplômes propres et poursuivant des activités qui tiennent plus de l’expertise que de la recherche au sens académique du terme ;
— une composante d’enseignement et de recherche ajoutant à la compétence décrite ci-dessus la capacité d’offrir un master de santé publique dans un domaine proche de son « cœur de métier ».
Dans le premier cas, la spécificité de la mission unique conduit à préconiser la création d’un institut très autonome par rapport à l’EHESP et bénéficiant de financements ad hoc , d’institutions propres dérogeant aux principes de gouvernement des EPSCP au profit d’une représentation privilégiée des donneurs d’ordre (les employeurs) et des milieux professionnels.
Dans le second scénario il est possible d’hésiter entre un institut et un département d’enseignement et de recherche. L’absence totale d’autonomie du second par rapport à l’EHESP n’est pas un problème si les organes de l’école font une place suffisante aux donneurs d’ordre et aux milieux professionnels. L’intégrité des financements dédiés aux formations professionnelles n’est pas non plus un problème à l’ère de la LOLF et de la comptabilité analytique. L’élection du directeur de département par le conseil lui-même composé des trois tiers habituels dans les EPSCP constituerait un « choc culturel » pour les ministères de la santé et des affaires sociales et pour les milieux professionnels. Elle n’est pas en elle-même un élément suffisant pour écarter l’hypothèse de formations professionnelles organisées dans le cadre d’un département d’enseignement et de recherche de l’EHESP surtout si l’on se rappelle qu’un contrat d’objectifs et de moyens conclu entre l’école et les ministères de tutelle permettra, en plus des arrêtés de formation organisant les dispositifs pédagogiques destinés aux fonctionnaires, de rassurer les donneurs d’ordre et les milieux professionnels sur l’adaptation des formations aux exigences des employeurs.
Reste la question des services communs et de la logistique permettant de faire vivre concrètement l’EHESP.
Aujourd’hui l’ENSP est dotée d’une direction des affaires internationales, d’un service de la formation continue et d’un centre de documentation et de ressources pédagogiques, qui, dans un EPSCP, pourraient être érigés en services communs.
Quel que soit le périmètre de ses missions, la composante qui prendra la suite de l’ENSP continuera à avoir besoin des services fournis par ces entités. Il est donc concevable de les y maintenir et de considérer que l’EHESP doit, par ses propres moyens, se donner les moyens de constituer progressivement des services communs.
Il y a là un risque non négligeable de pénaliser durablement le développement de la future institution. La décision appartiendra aux organes de la future EHESP
puisque la loi du 9 août a prévu que l’intégralité du patrimoine de l’ENSP serait dévolue à l’EHESP. Ceci limite les possibilités d’autonomie d’un éventuel institut des formations destinées aux élèves fonctionnaires.
On peut, à l’opposé, plaider pour que ces entités soient effectivement apportées au capital de départ de l’EHESP sous réserve que leur financement soit, dès la première année de fonctionnement de la nouvelle école, équitablement partagées entre les ministères de tutelle au lieu d’être, comme aujourd’hui dans l’ENSP, à la charge des seuls ministères chargés de la santé et des affaires sociales. Fortes de leur expérience elles offrent un socle permettant d’envisager des actions au nom de l’EHESP permettant de la rendre visible dans le concert international des écoles de santé publique.
Il en va de même pour les services « supports » organisés au sein de l’actuelle ENSP :
direction des systèmes d’information, service communication, contrôle de gestion, direction des finances, direction des ressources humaines, direction de la logistique et de la clientèle. Ils peuvent apporter leur expérience de gestion d’une grande école à l’EHESP pour lui permettre d’être immédiatement opérationnelle sous réserve, là encore, d’abonder leur financement au-delà des ressources actuelles de l’école et de renforcer leurs effectifs tant il est vrai que leur charge de travail excède déjà, souvent, leur capacité de faire.
Une telle démarche permet de construire le « pilier » des formations professionnelles destinées — lorsqu’elles sont initiales — tant que la construction statutaire n’aura pas évolué, aux fonctionnaires œuvrant dans le champ sanitaire et social. Elle ne dit rien évidemment de la construction de l’autre « pilier » voulu par le législateur qui doit permettre « d’assurer un enseignement supérieur en matière de santé publique ; à cette fin, elle (l’EHESP) anime un réseau national favorisant la mise en commun des ressources et des activités des différents organismes publics et privés compétents » et « de contribuer aux activités de recherche en santé publique » .
Un réseau délivrant des enseignements en santé publique
L’enseignement supérieur et la recherche en matière de santé publique ne sont pas à construire, ils existent de façon plutôt pléthorique. Il s’agit donc moins de créer que d’organiser autrement pour « mettre en commun » comme le dit la loi précitée. C’est un exercice difficile dès lors que la contrainte est exclue et que la forte incitation assortie de moyens substantiels n’a jamais été explicitement évoquée comme une méthode possible pour construire l’EHESP.
A la différence de ce qui va arriver pour les formations professionnelles, il paraît donc prudent de penser l’élaboration de ce pilier dans la longue durée sans que l’on puisse pour autant s’en remettre aux vertus du temps qui passe pour convaincre les universitaires de s’engager dans cette construction qui ne saurait être uniquement juridique et financière mais doit, avant tout, reposer sur un projet pédagogique et scientifique.
Ici, la question n’est pas tant « que faut-il enseigner dans une école de santé publique ? » car, le corpus mis en œuvre dans les grandes écoles existant à l’étranger tempéré d’une once de « génie français » permet de répondre sans difficulté à cette question, mais plutôt : « comment constituer le socle de l’enseignement et de la recherche de l’EHESP ? ». Il faut en effet donner, le plus rapidement, possible un corps à ce réseau d’enseignement en respectant deux contraintes :
— l’autonomie des universités que l’on ne peut contraindre à collaborer avec la nouvelle école ;
— la rareté des moyens financiers, humains et matériels susceptibles d’être affectés d’emblée à l’EHESP.
On peut y ajouter la volonté affichée par la direction de l’enseignement supérieur de réduire le nombre de masters offerts pour garantir la qualité du dispositif de formation.
Pour autant il ne paraît pas raisonnable d’ouvrir une école des hautes études qui ne serait pas immédiatement capable d’inscrire des étudiants dans ses formations. Pour ce faire il est possible d’imaginer des co-habilitations entre l’EHESP et des universités sur la base de diplômes existants.
Cette proposition présente plusieurs avantages en rapport avec le souci de rendre effective la création du « pilier » universitaire de l’EHESP :
— Elle permet de couvrir d’emblée une large partie des fonctions ordinairement dévolue aux écoles de santé publique. Ainsi la future école n’est pas « réduite » à la formation des « administrateurs de santé ». Elle offre des formations dans trois champs qui figurent au programme de toutes les grandes institutions comparables dans le monde. Par contre elle ne propose rien en épidémiologie. Il convient bien entendu d’examiner au plus vite la possibilité de remédier à un état de fait qui prive la nouvelle école d’une offre dans un domaine fondamentale en matière d’enseignement et de recherche en santé publique.
— Elle jette les bases « physiques » du réseau voulu par le législateur sur le fondement de pôles géographiques spécialisés qui peuvent attirer à eux des collaborations et donner ainsi envie à d’autres partenaires universitaires de s’inscrire dans le nouveau dispositif.
— L’opération se fait sur la base de diplômes existant c’est à dire à coût constant et créé immédiatement une offre pédagogique de la future école.
Il s’agit de créer un socle pour permettre le développement de l’EHESP qui sera poursuivi simultanément dans deux directions :
— diversifier l’offre au niveau master ;
— créer et faire fonctionner une école doctorale en santé publique.
Diversifier l’offre au niveau master c’est, on l’a dit plus haut, inclure au plus vite une offre en épidémiologie et en bio statistique. C’est aussi couvrir le champ de la santé
au travail, de la médecine internationale et/ou du développement et, progressivement, tous ceux qui doivent figurer dans l’offre pédagogique d’une école des hautes études dévolue à la santé publique. C’est également se préoccuper de rayonnement et de coopération internationale. L’EHESP ne partira pas de rien puisque, prenant la suite de l’ENSP, elle coordonne un consortium international de formation avec cinq autres établissements : l’École de santé publique de Copenhague, l’École andalouse de santé publique de Grenade, l’Institut de santé publique de Cracovie, le département de santé publique de l’Université de Sheffield et l’université de Rennes I. La formation en santé publique « Europubhealth » développée par ce consortium a obtenu le label Erasmus Mundus décerné par la commission européenne en 2005 et ouvrira à la rentrée universitaire 2006. Elle pourra également bénéficier de l’expé- rience internationale des partenaires universitaires précités et sera membre d’un certain nombre d’associations internationales de santé publique au nombre desquelles figurent l’« Association of Schools of Public Health in the European Region » (ASPHER), et « European Health Management Association » (EHMA).
Créer et faire fonctionner une école doctorale en santé publique est évidemment indispensable dans le cadre du grand établissement voulu par le législateur. Il est sans doute possible d’imaginer pour ce faire un mode de fonctionnement inspiré de celui de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales avec des « directeurs d’études » qui seront des universitaires venus organiser des séminaires doctoraux et diriger des thèses dans leur spécialité. Le plus difficile ici n’est sans doute pas l’organisation concrète (qui refusera d’être élu comme directeur d’études au sein de la future école ?) mais le statut du doctorat en santé publique. Essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, poursuivi aujourd’hui par des médecins il devrait, pour être en phase avec la logique de construction de l’EHESP, s’ouvrir significativement à des non médecins. Dès lors, comme cela s’est produit pour les sciences politiques ou les sciences de l’information et de la communication il sera nécessaire, un jour, de s’interroger sur la possibilité de créer, sinon une discipline, au moins une section de CNU non spécifiquement médicale consacrée à la santé publique. Pour l’heure en effet,, la section 46 du conseil national des universités (CNU) intitulée « Santé publique, environnement et société » comporte quatre sections : épidémiologie, économie de la santé et prévention ; médecine et santé au travail ; médecine légale et droit de la santé ; bio statistiques, informatique médicale et technologies de communication. ».
Il va sans dire que ce projet doit être pensé dans la durée. L’ENSP va immédiatement rejoindre l’EHESP, l’université y viendra sans doute de façon plus lente. La vie de la future école sera, comme pour tous les établissements d’enseignement supérieur, rythmée par les contrats quadriennaux. Le premier devra être conclu au plus vite car sa signature et son contenu constitueront les éléments d’un message fort adressé à tous ceux qui doutent encore de l’intérêt de la réforme et hésitent à y prendre leur place.
DISCUSSION
M. René MORNEX
J’ai découvert dans les présentations que l’école de Rennes n’était pas, comme on le croyait autrefois et dans le milieu médical hospitalier, l’école des seuls directeurs d’hôpitaux avec une connotation un peu négative. Ayant pris des responsabilités au sein de la FHF, j’ai découvert que la réalité était autre. Pour l’avenir, ne pensez-vous pas que la solution est de former une filière professionnelle au sein d’universités au contact avec des facultés de médecine, comme c’est souvent le cas pour les écoles d’ingénieurs insérées dans les universités ?
L’ENSP ne forme pas seulement les directeurs d’hôpitaux. Sa mission telle qu’elle est fixée par un décret de 1993, lui confie la charge de former les fonctionnaires des services déconcentrés de l’Etat (médecins et pharmaciens inspecteurs de santé publique, ingé- nieurs du génie sanitaire, inspecteurs des affaires sanitaires et sociales) et les cadres de direction des établissements de santé (directeurs d’hôpitaux, directeurs des soins) des établissements sociaux et médico-sociaux (directeurs). L’école est non seulement chargée de leur formation initiale mais elle contribue également de manière très significative à leur formation professionnelle continue. Cette diversité des publics est une source d’enrichissement mutuel. Elle permet de développer des réflexes interprofessionnels qui se révèlent très utiles sur le terrain au moment où se développent les réseaux de soins et la territorialisation des politiques sanitaires et sociales. Ce « modèle » de formation très largement dominé par la professionnalisation (enseignement par les pairs, stages longs, immersion dans la pratique professionnelle avec tutorat) a montré ses avantages et les employeurs (Etat, établissements) en sont globalement très satisfaits. Pour autant, ce « modèle » est très français et n’a pas véritablement d’équivalent. Partout ailleurs, dans les Etats ayant atteint des niveaux de développement comparables à la France, la formation des « administrateurs de santé » est l’affaire de l’université. L’inconvénient redouté d’un manque de professionnalisation des études y étant, sans doute, compensé par la proximité intellectuelle avec la recherche qui nourrit, par définition, un enseignement supérieur. C’est l’une des raisons qui a poussé le législateur à créer l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique : conserver à la formation des cadres publics sanitaires et sociaux son caractère très opérationnel tout en leur permettant de se « frotter » à la recherche en bénéficiant d’un « environnement » plus académique, plus universitaire en s’inspirant de ce qui se fait à l’étranger dans les « grandes » écoles de santé publique où la formation des « managers » bénéficie de la proximité des formations médicales.
M. Jacques-Louis BINET
Pour améliorer les relations entre les administrateurs et les médecins, ne faudrait-il pas dès leur formation enseigner aux administrateurs des éléments de médecine ? Vous avez cité un département d’architecture. Qu’a-t-il comporté ? Vous savez que les plus grands architectes français se sont impliqués dans l’architecture hospitalière.
La formation des cadres supérieurs formés à l’ENSP inclut une approche des questions médicales. Ceci est particulièrement vrai pour les futurs directeurs d’hôpitaux. Pour
autant les élèves les plus récemment formés ont le souhait de voir cet aspect de leur formation renforcé, ce à quoi l’école s’emploie. Il n’y a pas à l’école de département d’architecture mais un département d’enseignement et de recherches en santé environnementale qui inclut évidemment des préoccupations architecturales et la formation des directeurs d’hôpitaux comprend une formation à la conduite d’opérations de travaux.
Les fonctions de la santé publique définies par les grandes organisations internationales, dont l’OMS, l’organisation panaméricaine de la santé.
— surveillance épidémiologique — analyse de l’état de santé — promotion de la santé — développement des ressources humaines — participation sociale et intersectorielle à l’amélioration de la santé — politiques et action sociale — planification en santé publique — réglementation et contrôle — garantie d’accès aux soins — évaluation — développement et recherche — environnement — désastres, accidents, catastrophes — santé et travail
* Établissement Français du Sang, 20 avenue du Stade de France, 93218 La Plaine Saint Denis Cédex. Tirés à part : Professeur Jacques HARDY, même adresse.
Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 7, 1361-1373, séance du 3 octobre 2006