Communication scientifique
Séance du 4 avril 2006

Conclusion

Jean-Paul Bounhoure *

Conclusion

Jean-Paul BOUNHOURE *

Dans les pays industrialisés, l’espérance de vie ne cesse d’augmenter et le recul de la mortalité aiguë entraîne un accroissement régulier des pathologies cardiovasculaires dont la prise en charge est un des problèmes majeurs de la médecine actuelle.

Le vieillissement peut se définir comme la somme des modifications survenant dans notre organisme entre la conception et la mort. Son étude se heurte en permanence à l’intrication de deux processus, la sénescence proprement dite et des pathologies souvent latentes dont la prévalence s’accroît avec l’âge. Aucune théorie cherchant à expliquer l’origine du vieillissement ne rend compte de la globalité du processus.

Bernard Swynghedauw a évoqué l’accumulation de mutations pathogènes, des changements dans l’expression de gènes, la sénescence replicative, le rôle du stress oxydatif. Le système cardiovasculaire subit avec la sénescence des modifications structurales et fonctionnelles altérant la compliance vasculaire et la performance myocardique. Il apparait une fibrose spécifique, une augmentation des résistances vasculaires et de l’impédance aortique qui entraînent l’hypertrophie du ventricule gauche. Au niveau vasculaire la dysfonction endothéliale, réduit la vasomotricité artérielle, flux dépendante, et la capacité de vasodilatation. L’hypertrophie concentrique du ventricule gauche diminue la relaxation ventriculaire et le remplissage, cause d’insuffisance cardiaque à fonction systolique conservée. Le cœur du sujet âgé est très dépendant de la systole auriculaire pour assurer un remplissage normal. La réserve coronaire est altérée, le myocarde devient très sensible à l’ischémie favorisée par la forte prévalence de l’athérosclérose coronaire. Si le vieillissement affecte peu la performance cardiaque au repos, il limite considérablement l’adaptation au stress et à l’effort.

Pierre François Plouin a montré la forte prévalence de l’hypertension systolique qui survient chez 70 % des sujets de plus de 70 ans, augmentant le risque relatif de morbidité et de mortalité cardiovasculaire. (pression systolique de 140 mmHg ou plus, diastolique inférieure à 90 mmHg). L’augmentation de la rigidité artérielle explique ce phénomène particulièrement fréquent dans le sexe féminin et chez les sujets ayant une surcharge pondérale. Dans toutes les décennies, de 40 à 90 ans, la mortalité cardiovasculaire croît avec l’augmentation de la pression systolique. Chez les patients de moins de 80 ans les traitements pharmacologiques diminuent le risque de mortalité cardiovasculaire globale et les complications par atteinte des organes cibles. L’objectif du traitement est une prévention cardiovasculaire globale,
fondée sur la réduction des chiffres tensionnels. La Haute Autorité de Santé a fixé les objectifs : moins de 140 — 80 mmHg en général, moins de 130-80 pour les diabétiques et les insuffisants rénaux et pour les sujets de plus de 80 ans, une pression systolique seulement inférieure à 150 mmHg. Il est important de rechercher une hypotension orthostatique, fréquente et dangereuse chez les sujets âgés. Le bénéfice du traitement pharmacologique est démontré chez les hypertendus âgés de 60 à 80 ans ayant des niveaux de pression systolique > 160 mmHg. Une méta-analyse constate une réduction de la mortalité totale de 13 %, de la mortalité cardiovasculaire de 18 % et de l’incidence des évènements vasculaires de 26 %. Pour les hypertendus de plus de 80 ans les traitements actifs réduisent la morbidité, particulièrement les accidents vasculaires cérébraux mais sans diminuer la mortalité. Les cinq classes d’anti hypertenseurs disponibles ont fait la preuve de leur efficacité, mais quand une polythérapie est nécessaire on prescrit un diurétique associé à un inhibiteur calcique, à un IEC ou un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine.

Les syndromes coronariens aigus ont un substrat physiopathologique commun, la rupture ou l’érosion d’une plaque d’athérosclérose intracoronaire, entraînant la formation d’un thrombus, totalement ou partiellement occlusif. Leur pronostic est médiocre au-delà de 70 ans parce que trop souvent ces patients ne profitent pas des acquis de la cardiologie actuelle. Mais la réduction des délais de prise en charge, l’utilisation des avancées techniques récentes de revascularisation myocardique, devraient réduire la morbidité et la mortalité. L’infarctus en voie de constitution est souvent atypique, masqué souvent par une complication immédiate ou des signes trompeurs, qui retardent le diagnostic et la revascularisation avant la sixième heure.

Deux techniques sont possibles, la fibrinolyse intra veineuse ou l’angioplastie de première intention. Malgré des risques hémorragiques augmentés, la fibrinolyse donne des résultats bénéfiques, avec un pourcentage de vies sauvées supérieur à celui qui est constaté pour les patients de moins de 60 ans. Cependant quand elle est pratiquée dans des centres qualifiés par des techniciens entraînés, l’angioplastie immédiate pour un patient vu précocement est la technique la plus recommandable.

Les syndromes coronariens aigus sans sus décalage de ST, extrêmement fréquents à partir de 70 ans, correspondent à des angors instables ou des infarctus sous endocardiques. L’hospitalisation en unités de soins intensifs permet de surveiller l’état hémodynamique, l’électrocardiogramme, les dosages de la troponine et des enzymes cardiaques. Deux attitudes sont proposées : la revascularisation précoce et la revascularisation différée. Pour un patient à haut risque, une attitude active avec coronarographie précoce et selon les lésions, revascularisation par angioplastie ou chirurgie, est recommandée. Pour un patient à faible risque la coronarographie et la revascularisation sont différées. L’emploi des antiagrégants plaquettaires, des anticoagulants, des inhibiteurs des récepteurs plaquettaires des glycoprotéines IIbIIIa semble donner avec une stratégie interventionnelle des résultats supérieurs à ceux de l’attitude conservatrice, avec revascularisation différée.

Comme l’a souligné Michel Komajda, l’insuffisance cardiaque (IC) du sujet âgé, est une cause courante de décès et de réhospitalisations. Les résultats de l’European

Heart Survey incluant une cohorte importante d’octogénaires, mettent en évidence les traits caractéristiques du syndrôme, de son évolution et de son traitement. On constate chez 2870 octogénaires, une forte co- morbidité (34 % des patients ont d’autres pathologies qui compliquent l’évolution et le traitement), la fréquence de la fibrillation auriculaire. Les formes à fonction systolique préservée, conséquence de l’hypertrophie ventriculaire et de la fibrose myocardiques, la présence d’une anémie sévère, d’une altération de la fonction rénale, caractérisent l’IC après 70 ans. La mortalité en cours d’hospitalisation atteint 13,5 % vs 5 % chez les sujets de moins de 65 ans et à 12 semaines la surmortalité se confirme (12 % supplémentaires vs 10,2 %). Les décès sont favorisés par les infections, les complications thromboemboliques, les arythmies. Il faut déplorer que les médecins et les cardiologues ne respectent pas les recommandations thérapeutiques des sociétés savantes : moindre utilisation des IEC, des béta bloquants et de la spironolactone avec surtout des prescriptions à des doses insuffisantes. Cette étude souligne la nécessité d’une meilleure éducation du corps médical et d’une meilleure coopération des médecins de gériatrie et des cardiologues.

Avec le vieillissement, le tissu nodal subit une fibrose et une dégénérescence prédisposant aux troubles conductifs et à la formation de circuits de réentrée, mécanismes courants des arythmies. La fibrose résulte de la sénescence mais aussi du retentissement myocardique de l’hypertension artérielle et de l’athérosclérose coronaire mais quelques arythmies ont des origines iatrogènes. La prévalence de la fibrillation auriculaire varie de 6 % entre 70 et 80 ans à 10-14 % entre 80 et 90 ans. Elle est souvent associée à l’insuffisance cardiaque et les deux atteintes pathologiques ont des courbes d’incidence et de prévalence parallèles, exponentielles avec l’âge. La fibrillation auriculaire complique aussi les valvulopathies dégénératives, l’hypertrophie ventriculaire gauche, l’hypertension artérielle. Les dysfonctionnements sinusaux sont fréquents et parmi les troubles conductifs on retiendra la fréquence du bloc auriculo-ventriculaire du premier degré, les blocs du deuxième degré et du troisième degré étant plus rares souvent symptomatiques et graves. Louis Guize a souligné le caractère atypique de la symptomatologie fonctionnelle, l’utilité des enregistrements de longue durée ou des enregistrements à la demande pour préciser le type de l’arythmie et sa gravité. Le sujet âgé tolère mal les arythmies, les risques d’insuffisance cardiaque, de collapsus, de syncope, d’accidents thrombo emboliques sont importants. Au plan thérapeutique la prudence s’impose, beaucoup de médicaments étant mal tolérés ou ayant une marge thérapeutique réduite. L’amiodarone demeure le médicament le plus sûr dans la prévention des récidives d’arythmie auriculaire ou ventriculaire. Parmi les traitements non pharmacologiques les techniques d’ablation ont un taux de succès élevé surtout pour le flutter auriculaire. Le traitement curatif de la fibrillation auriculaire est utilisé avec des taux de succès proches de 70 % mais avec des risques de complications. Les stimulateurs, de plus en plus perfectionnés, donnent des résultats remarquables dans les blocs auriculoventriculaires, avec une amélioration de la tolérance à l’effort et de la qualité de vie.

Chez les insuffisants cardiaques mal équilibrés par le traitement médical la stimulation multisite ventriculaire est recommandée.

La forte prévalence de la pathologie cardio vasculaire chez les sujets âgés justifie de nombreuses prescriptions et Jean Louis Imbs a montré que le nombre des effets indésirables médicamenteux augmentait avec l’âge. Le vieillissement modifie la cinétique des médicaments, surtout la fonction rénale et le risque de iatrogénèse est particulièrement élevé. Une adaptation des posologies est nécessaire. L’absorption des médicaments est ralentie, leur distribution modifiée, le tout aboutit à une augmentation de leur concentration et à la prolongation de leur durée de vie. A partir de 75 ans, les prescriptions impliquent donc une grande prudence et la prise en compte des particularités individuelles : alors que l’hétérogénéité des fonctions physiologiques s’accroît, l’adaptabilité diminue avec l’âge. Surtout la polymédication, pratiquement constante, augmente le risque de développer des interactions médicamenteuses. Le sujet âgé est exposé à un risque élevé d’accumulation et parfois de toxicité médicamenteuse. Une adaptation des posologies et surtout une surveillance régulière sont indispensables, la vigilance étant de règle après toute prescription. Mais la difficulté ne doit pas conduire à l’abstention thérapeutique et le sujet d’âge avancé doit bénéficier en pathologie cardiovasculaire des progrès thérapeutiques actuels.

Yves Logeais a montré la place importante conservée par la chirurgie cardiaque chez le sujet âgé. Il nous a fait part de l’analyse rétrospective de 8 871 malades âgés de plus de 70 ans opérés dans son service entre 1974 et 2004. Les deux cardiopathies les plus fréquemment responsables de l’indication opératoire étaient le rétrécissement aortique orificiel et l’athérosclérose coronaire.

Le rétrécissement aortique a justifié 4 596 interventions. L’âge moyen était de 76, 2 ans, 54 % des patients étaient des hommes. L’insuffisance cardiaque, l’angor sévère et les syncopes étant les indications les plus fréquentes. Une bioprothèse valvulaire a été utilisée dans 87 % des cas associée dans 40 % à une revascularisation coronaire par greffon veineux ou mammaire interne. Le taux de décès hospitalier est de 8 %, le plus souvent par insuffisance cardiaque ou accident ischémique cérébral. La survie actuarielle est de 70 % à 5 ans et de 39 % à 10 ans, ce qui est remarquable. La chirurgie coronaire conserve une place importante : près de 3 000 patients ont été opérés entre 1980 et 2004 pour un angor sévère, l’âge moyen étant de 74 ans, les hommes étant les plus fréquemment atteints. L’intervention a comporté un taux moyen de 2, 2 pontages par patient et la technique à cœur battant a été utilisée pour 47 % des opérés depuis décembre 1998. La mortalité hospitalière totale est faible, de 6,5 % et de 3,2 % pour les patients opérés à cœur battant. A six ans la survie actuarielle est de 78 %. Yves Logeais a démontré que la chirurgie de pontage conserve une place importante dans les situations les plus difficiles, lésions tritronculaires, sténoses du tronc coronaire gauche, sujets diabétiques et à mauvaise fonction ventriculaire gauche. Les revascularisations chirurgicales sont remarquables par la qualité des résultats qui restent satisfaisants à long terme.

* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, nos 4-5, 873-876, séance du 4 avril 2006