Résumé
Environ 4 000 cancers thyroïdiens nouveaux, sont découverts chaque année en France dont 90 % sont différenciés (CTD) alors qu’un adulte sur trois est porteur de nodules thyroïdiens. La lente évolution des CTD nécessite un recul d’au moins vingt ans pour pouvoir évaluer les résultats de nouveaux protocoles. Ce travail a trois objectifs : servir de série de référence vis-à-vis d’autres protocoles lorsqu’ils auront un recul suffisant pour pouvoir être évalués, contribuer à diminuer les réserves vis à vis de l’utilisation de l’Iode radioactif et rechercher des voies d’optimisation des résultats à long terme. Il porte sur 850 CTD opérés et surveillés avec le même protocole fondé sur une classification originale, nommée Ext-Tg parce qu’elle tient compte de l’extension initiale et du taux de thyroglobuline (Tg) au terme du traitement initial. Les patients dont la Tg en sevrage était inférieure à 10 µ g/l au terme du traitement initial ont été classés en classe 1 (microcancers, n=268), classe 2 (cancers intra thyroïdiens, n=310) et classe 3 (CTD avec extension uniquement ganglionnaire, n=142). La classe 4 (n=130) réunit les CTD avec tissu tumoral cervical inextirpable et/ou métastases et/ou une Tg supérieure à 10 µ g/l après destruction des reliquats. La plupart des CTD ont eu une thyroïdectomie totale, une totalisation par l’iode radioactif, une surveillance adaptée à la classe et une hormonothérapie frénatrice. Les complications graves du traitement ont été rares, notamment celles dues à l’iode radioactif. A 25 ans, les taux actuariels de décès dans les classes 1, 2, 3, et 4 ont été respectivement de 0 %, 1,4 %, 0 % et 46,9 % ; ceux de récidives (incluant celles qui n’étaient pas décelables sur les imageries non-isotopiques) de 3,6 %, 3,8 %, 5,3 % et 44,5 % ; et ceux de réopérations pour récidives cervicales, de 3,8 %, 2,4 %, 3,4 % et 23,7 %.. De sorte que les classes 1, 2 et 3 forment le groupe des « patients à faible risque ». Cette étude suggère cinq conclusions : — Ces résultats à long terme se situent parmi les meilleurs des rares séries publiées parce que le protocole a cherché à éradiquer tout le tissu tumoral et à dépister précocement les récidives pour les détruire avant qu’elles n’aient une traduction radiologique et que le succès devienne plus aléatoire ; les résultats étant protocole-dépendants, les attitudes moins agressives sont associées dans la littérature à des taux de récidives et de métastases plus élevés. — Il est essentiel de bien classer les CTD pour diriger les modalités et la durée de leur surveillance : pour cela, la classification Ext-Tg est actuellement la plus adaptée. — Lorsque l’équipe est expérimentée, les bénéfices d’une exérèse complète surpassent les rares séquelles. — L’iode radioactif reste un complément très efficace dont les complications sont exceptionnelles à condition d’en effectuer la prévention de sorte qu’il serait souhaitable d’évaluer l’efficacité des protocoles qui en prônent une moindre utilisation avant de les généraliser. — Il ne nous paraît pas éthique d’introduire une notion d’économie dans la surveillance des CTD opérés ; en revanche, on pourrait faire d’importantes économies de Santé en rationalisant la prise en charge des nodules. En conclusion, le tandem nodules-CTD est un exemple typique de pathologie où il est possible à la fois d’optimiser les résultats à long terme des CTD et de réduire les coûts en se limitant à la surveillance des nodules petits et non suspects.
Summary
About 4000 people are diagnosed with thyroid carcinoma each year in France and as many as one in three adult patients have thyroid nodules on sonography. Nine in ten cases are differentiated (DTC). DTC may recur in the neck or metastasize very late, and final outcomes should therefore only be assessed after at least 20 years of follow-up. The goals of this study were to provide a reference for the evaluation of other protocols, to evaluate the benefits and risks of radioiodine, and to identify the most effective management option. We examined 25-year outcomes in a series of 850 DTC patients who were operated on and monitored with the same protocols. We used an original classification (Ext-Tg) that includes both the initial extension and the thyroglobulin (Tg) level at the end of initial treatment. The low-risk group, composed of patients with Tg <10 µ g/l after ablation of thyroid remnants, included patients at stage 1 (microcarcinoma, n=268), stage 2 (intrathyroidal carcinoma, n=310), and stage 3 (DTC with node invasion, n=142). Stage 4 disease consisted of DTC with some non excisable tumor in the neck, and/or metastasis, and/or stimulated Tg >10 µ g/l after remnant ablation. Most patients had total thyroidectomy followed by radioiodine ablation, periodic monitoring adapted to the stage, and suppressive therapy. At 25 years the actuarial rates of cancer-related death among patients with initial stage 1, 2, 3 and 4 disease were respectively 0 %, 1,4 %, 0 % and 46,9 %. The overall recurrence rates were respectively 3,6 %, 3,8 %, 5,3 % and 44,5 %. The rates of cervical recurrence necessitating surgery were 3,8 %, 2,4 %, 3,4 % and 23,7 %. Serious complications of treatment, including radioiodine, were rare. We conclude that : — good long-term results are more likely to be obtained when total thyroidectomy and radioiodine are combined with an early detection of recurrences (before they are visible by traditional imaging methods) ; — patients must be strictly staged in order to guide the modalities and duration of follow-up, and the Ext-TG classification seems more appropriate than all those which do not consider the Tg level at the end of initial treatment ; — in experienced hands the benefits of total surgical ablation of the tumor greatly outweigh the potential risks ; — radioiodine is effective and safe when appropriate measures are taken to prevent complications, and the long-term efficacy of surveillance without total body scanning should be verified before being universally adopted ; — cost-reduction should focus on diagnosis, screening, and the selection of nodules eligible for surgery, rather than on monitoring of patients with DTC. DTC is thus a paradigm of a disease in which it is possible to optimize the long-term results and to lower costs by monitoring small and non-suspect nodules.
Les cancers thyroïdiens différenciés de souche vésiculaire(CTD) représentent dans notre expérience 90 % des cancers thyroïdiens opérés. Leur pronostic est généralement favorable mais leur évolution lente implique la possibilité de récidives tardives de sorte qu’on ne peut parler valablement de résultats avant vingt ans comme l’ont souligné Maurice Tubiana en 1980 [1] et Philippe Blondeau en 1992 [2]. Plus qu’à la variété histologique, l’évolution des CTD est liée à deux facteurs, leur extension au moment de l’opération, largement conditionnée par la précocité du diagnostic, et l’adéquation du traitement. L’une et l’autre dépendent de nombreux intervenants :
médecins généralistes (le dépistage passant par celui des nodules thyroïdiens qui, en échographie sont décelés chez un adulte sur trois alors que l’incidence annuelle de ces cancers en France ne dépasse pas 4000), endocrinologues, échographistes, cytologistes, chirurgiens, médecins nucléaires et cancérologues.
Le tandem nodules-CTD pose trois questions : — Quels nodules opérer ou ne pas opérer pour éviter autant de laisser évoluer un cancer que d’induire des risques et des dépenses inutiles lorsque la probabilité de CTD est très faible ? — Quel traitement appliquer aux CTD pour minimiser le risque de récidive ? — Comment et combien de temps surveiller les CTD opérés sachant la difficulté d’obtenir une surveillance prolongée et la nécessité d’éviter aussi bien des dépenses abusives que des risques iatrogéniques et une source d’anxiété excessive ?
Or de part et d’autre de l’Atlantique [3] la pratique est loin d’être optimale : trop souvent les bilans effectués en présence d’un nodule, les indications opératoires, les opérations en cas de CTD ou les surveillances post-opératoires sont soit excessifs soit insuffisants. Les causes en sont multiples. Concernant les indications opératoires, l’inadéquation témoigne uniquement de la difficulté à faire évoluer les pratiques malgré les Recommandations de l’ANAES [4], les traités [5, 6] et les séances de formation continue. Car il existe un relatif consensus sur l’attitude à avoir devant les nodules thyroïdiens : le bilan repose sur une échographie bien faite et bien interpré- tée et un dosage de TSH, complétés dans certains cas par une cytoponction et un dosage de thyrocalcitonine. Schématiquement, il faut opérer les nodules suspects (les critères de suspicion étant actuellement bien répertoriés) ainsi que les nodules volumineux ou situés dans de gros goitres. Les autres doivent être surveillés et éventuellement traités par hormonothérapie modérément frénatrice. Les indications sont identiques en cas de nodule apparaissant sur un lobe restant après thyroïdectomie partielle [7].
Il en va différemment pour la prise en charge thérapeutique initiale et ultérieure des CTD. En effet, malgré la publication de plusieurs consensus [8, 9], il n’y a jamais eu d’accord véritable ni sur l’ampleur de l’exérèse chirurgicale [10, 11], ni sur l’attitude vis à vis des chaînes ganglionnaires, ni sur la nécessité d’une totalisation après thyroïdectomie totale (TT) par administration d’iode131 radioactif (I*), ni sur les modalités de surveillance, ni sur l’utilisation de l’I* face aux récidives et aux métastases. Ceci s’explique par la difficulté de démontrer l’efficacité propre de chaque mesure thérapeutique au sein de leur association [12] et par les craintes engendrées par leur iatrogénie potentielle [13, 14]. La freination, elle aussi a été discutée en raison des risques cardiaques et osseux, bien qu’il ait été montré qu’une TSH proche de zéro diminue le taux de récidives [15].
Concernant la surveillance post-opératoire, le dosage de Thyroglobuline (Tg) et l’échographie ont été introduits à partir des années 1980. La Tg s’étant révélée très sensible, surtout après sevrage hormonal, pour la détection des récidives après TT et totalisation par l’I* [16], sensibilité qui n’a cessé d’augmenter, et les échographies entre des mains expertes étant devenues de plus en plus performantes, des équipes mirent en doute l’utilité des contrôles par scintigraphie corps-entier (SCE) [17, 18].
Enfin, récemment, la stimulation avant dosage de Tg et SCE a pu se faire par des injections de Thyreostimuline humaine recombinante (rhTSH), méthode plus confortable que le sevrage [19] mais peut-être associée à une moindre performance des examens [3]. Ces progrès ont conduit des équipes renommées de part et d’autre de l’Atlantique [20, 21] à recommander de supprimer les SCE de la surveillance des patients à faible risque évolutif après TT, y compris celle contrôlant l’effet de la totalisation par l’I*, lorsque la Tg est très basse en stimulation en l’absence d’anticorps susceptibles d’interférer avec ce dosage.
Dans la pratique quotidienne, les incertitudes sur les résultats à long terme de ces nouveaux protocoles s’ajoutent aux conséquences de l’inexpérience et de l’inorganisation de la surveillance dans de nombreux centres. Or durant quarante ans, nous n’avons cessé de constater les méfaits des opérations et des surveillances insuffisantes : récidives locales à partir de foyers résiduels qu’on aurait pu éradiquer, apparition secondaire de métastases et faible efficacité des thérapeutiques ultérieures. La nécessité d’une exérèse totale est confirmée par l’étude de El. Mazzaferri qui sur une série de 1 501 CTD opérés, a constaté que le taux de récidives des CTD traités par TT ou thyroïdectomie presque totale suivie d’une totalisation par l’I* était significativement inférieur à celui de toutes les autres combinaisons thérapeutiques et que les exérèses thyroïdiennes partielles étaient associées à une mortalité plus élevée [3].
Quand à la nécessité d’utiliser tous les moyens de détection des récidives, elle s’appuie sur les études qui ont montré les faux négatifs tant des SCE [22-23] que des dosages de Tg [22, 24-27], et ont recommandé de les associer systématiquement [22, 26, 28].
Nous avons entrepris l’étude des résultats à 25 ans de notre série de 850 CTD avec trois objectifs : — fournir une référence, qui puisse servir de comparaison quand les nouveaux protocoles auront un recul suffisant pour qu’on puisse en évaluer les
résultats à long terme. — contribuer à diminuer les réticences vis à vis d’un usage raisonné de l’I*. — analyser les bénéfices/risques d’une attitude comportant une exérèse se voulant totale et une surveillance dirigée par le degré d’extension des CTD.
MALADES ET MÉTHODES
De 1970 à 2004 inclus, 850 CTD ont été opérés par ou sous la surveillance du premier auteur. La proportion de femmes a été de 79 %. La médiane d’âge a été de 46 ans (extrêmes : 11-90 ans). Quatre-vingt pour cent d’entre eux étaient papillaires ;
les autres étaient vésiculaires ou plus rarement oncocytaires. La médiane d’âge des premiers (44 ans) était inférieure de sept ans à celle des autres.
Durant cette période, les progrès de l’échographie et de la cytoponction ont conduit à un meilleur dépistage, donc à opérer les CTD plus précocement ; à partir de 1981, le dépistage des récidives a bénéficié du dosage de Tg ; enfin à partir de 2001, la stimulation destinée à sensibiliser la fixation d’I* et le dosage de Tg a pu être faite par la rhTSH, évitant les inconvénients personnels et économiques des sevrages. En revanche, le protocole de traitement initial et de surveillance est resté globalement inchangé. Les indications opératoires ont été limitées aux nodules suspects, aux nodules d’environ 3 centimètres et aux gros goitres. Toutes les opérations ont comporté un examen histologique extemporané. A l’exception de patients porteurs d’un microcancer (ici défini par un diamètre ne dépassant pas un centimètre) unique et bien encapsulé, presque tous les CTD ont été traités par TT avec un curage central et un hémicurage inférieur jugulo-carotidien homolatéral à visée diagnostique (enlevant la moitié inférieure de chaîne accessible par la cervicotomie pour examen extemporanée) suivi d’un curage thérapeutique de toute la chaîne (par une incision agrandie) en cas d’envahissement. Cette exérèse a été complétée un mois après par une totalisation par l’I* (3,7 GBq), destinée à supprimer toute cellule thyroïdienne bénigne ou maligne. Six mois plus tard, un bilan en sevrage a comporté un dosage de Tg et une SCE après administration de 185 MBq d’I*. Une nouvelle dose thérapeutique a été administrée s’il persistait une fixation ou si la Tg était supérieure à 3 µg/l, suivie d’un nouveau contrôle six mois plus tard, et ceci jusqu’à obtention d’une scintigraphie blanche et d’une Tg inférieure à 3 µg/l. En cas d’exérèse carcinologiquement insuffisante, une radiothérapie externe a été associée à la totalisation par l’I* pour ne pas dilapider les doses disponibles sans risque hématologique. Enfin, une hormonothérapie frénatrice a été prescrite à tous les opérés.
Nous avons utilisé, pour déterminer le choix du protocole de surveillance et de traitement, une classification originale en quatre classes dénommée Ext-Tg (Extension + Thyroglobuline) car elle tient compte de l’extension initiale et des résultats de Tg soit d’emblée en l’absence de totalisation par l’I*, soit au terme du contrôle effectué à sept mois ou à treize, voire dix-neuf mois lorsque plusieurs doses d’I* ont dû être administrées pour détruire les reliquats thyroïdiens. Le classement a donc été
effectué temporairement après l’opération mais pour les patients traités à l’I*, il n’est devenu définitif qu’après destruction des reliquats thyroïdiens, un an fi six mois après l’opération.
La classe 1 concerne les microcancers uniques sans métastases (n=268), la classe 2, les cancers intra thyroïdiens (n=310) et la classe 3, les cancers avec extension ganglionnaire seule (n=142), à condition que ces patients aient une Tg inférieure à 10 µg/l au terme du traitement initial. Ces trois classes constituent le groupe « des patients à faible risque » (PFR). La classe 4 (n=130) regroupe une ou plusieurs des situations suivantes : — une exérèse carcinologiquement non satisfaisante en raison soit d’une extension trachéale ou oesophagienne (dont on ignore si la résection a été complète) soit de tissu néoplasique cervical, thyroïdien ou ganglionnaire, inextirpable au cours de l’opération ; — une métastase à distance ; — une Tg au-dessus d’un seuil fixé arbitrairement à 10 µg/l en sevrage au terme de la destruction des reliquats.
Ce seuil a été modifié par rapport à la présentation de cette classification il y a dix ans où il était fixé à 3 µg/l [29] car, comme d’autres équipes [14], nous avons constaté que les Tg en sevrage comprises entre 3 et 10 µg/l diminuaient habituellement lors des contrôles ultérieurs.
Tous les patients ont eu un dosage annuel pour vérifier que la TSH était proche de zéro sans élévation de la T3 libre ni signe clinique d’hyperthyroïdie. Dans le groupe PFR, les CTD n’ayant pas eu de thyroïdectomie totale et/ou d’I* ont été suivis périodiquement par examen clinique, échographie et dosage de Tg sans sevrage pendant quinze ans. Les CTD du groupe PFR traités initialement par TT et I* ont eu en plus tous les cinq ans, une SCE et un dosage de Tg après stimulation soit par sevrage, soit plus récemment par rhTSH et la durée de surveillance conseillée a été de quinze ans pour la classe 1 et de vingt ans pour les classes 2 et 3. Les CTD de classe 4 ont été traités par des doses successives d’I* tant que persistaient des fixations ou une Tg supérieure à 3 µg/l, sauf en cas de pente descendante. Au-delà de six doses , l’administration de nouvelles doses a été discutée cas par cas en fonction des avantages espérés et des risques encourus. En classe 4, la durée de surveillance conseillée a été à vie tant que persistaient une fixation ou une Tg supérieure à 3 µg/l et sinon pendant vingt ans après leur normalisation.
Les récidives locales ou métastatiques macroscopiques, ç’est à dire visibles sur les procédés d’imageries non isotopiques, ont été traitées chaque fois que possible en premier par exérèse chirurgicale et/ou par radiothérapie externe, complétées par des doses d’I* tant qu’elles le fixaient. Les récidives invisibles sur les imageries non isotopiques l’ont été par l’I* jusqu’à disparition de l’anomalie. Les patients non venus aux dates indiquées ont fait périodiquement l’objet d’une recherche directe et d’une enquête auprès de leurs médecins. Le taux de perdus de vue à dix ans est de 6 %.
À partir de 1980, toutes les données ont été enregistrées prospectivement dans un logiciel spécifique conçu par le cinquième auteur. Les résultats ont été établis par la méthode actuarielle et ceux associés à un taux d’erreur standard supérieure à 10 %
TABLEAU 1. — Survie actuarielle cancer- dépendante.
Recul (années) 5 10 15 20 25
Classe 1 100 100 100 100 100 Classe 2 99,3 99,3 98,6 98,6 98,6 Classe 3 100 100 100 100 100 Classe 4 80,5 71,9 62,7 58,2 53,1
Toutes classes 96,5 94,8 92,6 91,5 89,9 Dans ce tableau et les suivants, les résultats en italiques correspondent à des taux d’erreur standard supérieurs à 10 %.
sont indiqués en italiques. Le test statistique utilisé a été le Logrank-test. En ce qui concerne les récidives, nous n’avons tenu compte que des récidives premières, les autres se chevauchant, ce qui rendait leur comptage inexploitable. Pour éviter les imprécisions rencontrées dans de nombreuses études, nous avons inclus dans les récidives toutes les récidives, locales ou à distance, y compris les fixations à l’I* sans traduction sur les imageries non isotopiques et les élévations progressives isolées de Tg (en classe 4, les élévations nouvelles après passage au-dessous du seuil) alors que nous avons désigné sous le terme de récidives macroscopiques , celles qui étaient détectables cliniquement ou par les imageries non isotopiques. Certaines récidives cervicales survenues pendant les premières années étaient probablement des localisations résiduelles ignorées lors de la première opération mais elles ont été conservées parmi les récidives pour ne pas introduire un délai arbitraire.
RÉSULTATS
Décès cancer-dépendants
Les taux de décès cancer-dépendants à vingt-cinq ans des quatre classes (tableau 1) ont été de 0 % en classe 1, de 1,4 % en classe 2, de 0 % en classe 3 et de 46,9 % en classe 4.
La mortalité cancer-dépendante en classe 2 n’a été liée qu’une seule fois à l’évolution d’un CTD. Il s’agit d’un homme de 78 ans, opéré selon le protocole habituel d’un CTD vésiculaire mal différencié dix ans auparavant, dont la SCE était blanche et la Tg < 0,5 µg/l après destruction des reliquats, qui développa, sept ans plus tard, des métastases pulmonaires bilatérales et fixantes associées à une Tg indétectable ; bien que ces lésions aient paru diminuer après trois doses d’I*, il est décédé de cachexie.
Deux autres décès sont secondaires aux traitements et sont liés non à la classe mais l’un à un contexte particulier et l’autre à une faute technique : le premier a été la conséquence d’un œdème lésionnel pulmonaire après cervico-sternotomie chez une
femme obèse, âgée et porteuse d’un énorme goître basedowifié endothoracique qui contenait un CTD papillaire, et le second a été dû à une asphyxie d’origine inflammatoire lors de la totalisation par l’I* en 1972, époque où on n’en faisait pas encore la prévention.
En classe 4, les taux de décès des trois sous groupes ne sont pas significativement différents les uns des autres y compris pour le sous groupe défini uniquement par un taux de Tg supérieur à 10 µg/l après le traitement initial, ç’est à dire sans tissu cervical inextirpable ni métastase connue (p= 0,15).
Récidives
Les taux de récidives à vingt-cinq ans en classe 1, 2, 3 et 4 ont été respectivement de 3,6 %, 3,8 %, 5,3 % et 44,5 % (tableau 2). Dans le groupe PFR, les seize récidives sont apparues entre la première et la onzième année (médiane : trois ans). Près de la moitié ont été décelées avant d’être visibles sur les imageries non- isotopiques (7/16).
Les localisations étaient : trois indéterminées (élévations isolées de Tg), une fixation cervicale imprécise, deux localisations thyroïdiennes, huit localisations ganglionnaires et deux métastases pulmonaires. Trois d’entre elles étaient fixantes avec une Tg basse (<0,5 ; 1,3 et 1,5 µg/l) en l’absence d’interférence avec des anticorps anti-Tg.
En classe 1, il n’y a eu aucune récidive après TT. En classe 3, il y a eu deux fois plus de récidives globales chez les patients de plus de quarante cinq ans que chez ceux de moins de quarante cinq ans (8,3 % versus 4 %) mais cette différence n’est pas significative (p=0,7).
En classe 4, les délais d’apparition des 38 récidives ont varié de 0 à 18 ans (médiane = 3 ans). Les localisations étaient : élévation isolée de Tg (n=5), cervicale imprécise (n=3), dans la loge thyroïdienne (n=8), ganglionnaire (n=9), métastatique (n=13).
La récidive première la plus tardive est survenue chez une femme classée en classe 4 sur le seul critère d’une Tg restée élevée au terme du traitement initial : cette récidive ganglionnaire non fixante fut soupçonnée devant l’élévation de la Tg et localisée dans le médiastin supérieur par échographie.
Les taux actuariels cumulés de réopérations pour récidives cervicales macroscopiques dans les classes 1, 2, 3, et 4 ont été à vingt cinq ans de 3,8 %, 2,4 %, 3,4 % et 23,7 % (tableau 3). Toutes les réopérations en classe 1 sont survenues après des thyroïdectomies incomplètes. Plus des deux tiers des réopérations cervicales du groupe PFR ont concerné des lésions bénignes (18/26) alors que 90 % en classe 4, ont concerné des récidives cancéreuses.
Décès et récidives globales cumulés
Les taux cumulés de décès cancer-dépendants et de récidives globales à vingt cinq ans dans les classes 1, 2, 3, et 4 ont été de 3,6 %, 4,4 %, 4,3 % et 60,5 % (tableau 4).
Tableau 2. — Évolution actuarielle sans récidive de tous types.
Recul (années) 5 10 15 20 25
Classe 1 100 100 96,4 96,4*
96,4
Classe 2 98,7 96,9 96,2 96,2 96,2 Classe 3 96,9 94,7 94,7 94,7 94,7 Classe 4 79 72,8 62,6 55,5 55,5 Toutes classes 95,2 93 89,9 88 88 * Le taux de réopérations du tableau 3 légèrement plus élevé que celui de récidives est du à l’effet sur les calculs actuariels du délai entre la découverte et la réopération de certaines récidives.
Tableau 3. — Évolution actuarielle sans réopération pour récidive cervicale macroscopique.
Recul (années) 5 10 15 20 25
Classe 1 100 100 96,2 96,2*
96,2
Classe 2 99,6 99,6 98,6 98,6 98,6 Classe 3 97,7 96,6 96,6 96,6 96,6 Classe 4 91,7 87,8 85,5 76,3 76,3 Toutes classes 98,1 97,3 95,8 94 94 TABLEAU 4. — Évolution actuarielle sans décès cancer-dépendant ni récidive.
Recul (années) 5 10 15 20 25
Classe 1 100 100 96,4 96,4 96,4
Classe 2 98,1 96,3 95,6 95,6 95,6 Classe 3 96,9 94,7 94,7 94,7 94,7 Classe 4 67 58,2 48,7 39,5 39 ,5
Toutes classes 93,1 90,3 87,4 85 85 Bénéfices et complications des thyroïdectomies totales
Les bénéfices des TT ont été nombreux : — la non nécessité de réintervention en cas de diagnostic post opératoire du CTD ; — la découverte de foyers controlatéraux qui ont permis de classer en classe 2 des microcancers plurifocaux ce qui a conduit à totaliser systématiquement par I* ; — la possibilité d’obtenir une scintigraphie blanche avec le plus souvent une seule dose d’I* ; — une détection plus précoce des métastases, l’I* ne se dispersant pas sur les reliquats thyroïdiens ; — une excellente sensibilité de la Tg, donc une plus grande sécurité dans la surveillance ; — un taux de récidives locales exceptionnellement faible (6,1 % à vingt-cinq ans pour l’ensemble des CTD) ; — la suppression des angoisses fréquemment provoquées chez les
patients n’ayant eu qu’une thyroïdectomie partielle, par la découverte d’un nodule controlatéral qui, dans notre expérience, était le plus souvent bénin.
Les complications ont été des paralysies récurrentielles dont 3,9 % définitives et 10,3 % transitoires et des hypocalcémies dont 3,4 % définitives et 10 % transitoires, en ne tenant compte que des classes 1 et 2, les autres classes ayant eu des taux plus élevés dus à la nécessité de dissections parfois plus mutilantes imposées par l’extension.
Bénéfices et complications du curage latéral à visée diagnostique
Ce curage homolatéral de la moitié inférieure de la lame ganglionnaire jugulocarotidienne accessible sans agrandissement de la cervicotomie a permis de déceler plus de la moitié des envahissements ganglionnaires, quand les seules impressions visuelles ou palpatoires se sont révélées très souvent erronées dans les deux sens.
Tout envahissement ganglionnaire a conduit à une TT (y compris en cas de microcancer) en vue de la totalisation par l’I* et à un curage de toute la chaîne, ce qui a contribué à notre très faible taux de réinterventions cervicales ultérieures. Les seules complications ont été 2 % de lymphorrées transitoires pour les curages diagnostiques et 3 % de blessures de la branche postérieure du nerf spinal pour les curages thérapeutiques.
Bénéfices et complications de l’Iode radioactif
Un peu plus de 70 % des 720 CTD du groupe PFR ont reçu un total de 633 doses thérapeutiques d’I* (3,7GBq). Le détail par classe est exposé dans le tableau 5. Ces doses ont contribué au taux de décès presque nul et au faible taux de récidives macroscopiques . Dans ce groupe, nous ne déplorons qu’une seule complication grave, survenue au début de notre expérience : un décès par asphyxie par œdème laryngé après administration d’I*, accident qui ne s’est pas reproduit depuis que nous en effectuons une prévention.
En classe 4 (n=130), 12 patients (9 %) n’ont pas reçu d’I* car la gravité de leur état général ou du cancer rendait ce traitement illusoire ; 101 autres (78 %) ont reçu entre 1 et 6 doses thérapeutiques d’I*, soit un total de 283 doses. ; 17 autres (13 %) ont reçu entre 7 et 15 doses, soit un total de 168 doses. L’I* a contribué au fait qu’au moment de l’étude, 52 % des patients ayant reçu un maximum de six doses et 35 % de ceux qui en ont reçu davantage sont en rémission avec une Tg inférieure à 3 µg/l.
En incluant ceux qui ont une Tg plus élevée mais sans lésion macroscopique décelable ni fixation à l’I*, les taux de rémission apparente sont de 63 % chez les premiers et de 41 % chez les seconds. Les 101 CTD ayant reçu un maximum de 6 doses n’ont fait aucune complication grave attribuable au traitement alors que parmi les 17 qui en ont reçu davantage on en relève trois. Un décès chez une patiente porteuse de métastases osseuses multiples a été dû à une aplasie survenue quatre ans après la TT, après la 7ème dose d’I*. Un autre décès chez une opérée qui associait une
TABLEAU 5. — Pourcentage de doses d’iode reçues dans les classes du groupe PFR.
Nombre de doses 0 1 2 3 4
Classe 1 (n=268) 59,3 34,7 4,1 1,5 0,4 Classe 2 (n=310) 16,4 69,7 11,6 1,6 0,7 Classe 3 (n=142) 3,5 66,9 22,5 5,6 1,4 Total PFR (n=720) 29,9 56,1 11 2,4 0,7 exérèse cervicale carcinologiquement non satisfaisante et une carcinose pulmonaire diffuse a été dû à une insuffisance pulmonaire survenue seize ans après la TT, après la 15éme dose d’I* (elle a été attribuée à une fibrose pulmonaire possiblement favorisée par l’association à l’I* d’une radiothérapie externe dans les aires cervicales et médiastinale supérieure mais en l’absence d’autopsie, une autre hypothèse est que l’insuffisance pulmonaire ait été due à l’évolution de la carcinose dédifférenciée).
Enfin une leucémie aiguë est survenue après la 11ème dose chez une femme porteuse de métastases osseuses et pulmonaires : elle a été guérie par greffe de moelle et le CTD est actuellement en rémission complète, quinze ans après l’opération.. Les deux dernières complications sont survenues chez des patientes qui sans I* seraient décédés plus rapidement de leur cancer. Enfin dans cette série, où les patients ont été bien suivis, l’usage de l’I* ne semble pas avoir augmenté le taux de cancers.
DISCUSSION
Les résultats sont protocole-dépendants- Nous avons utilisé un protocole associant thyroïdectomie totale + totalisation par l’I* + surveillance par Tg et SCE, dont les dates et la durée étaient déterminées par la classe Ext-Tg. Nos taux de mortalité sont parmi les plus faibles de la littérature [10, 30] et notre taux global de récidives à vingt ans (12 %) est inférieur de moitié à celui rapporté par E. Mazzaferri au même délai [30]. Ces bons résultats sont dus à deux raisons : le traitement initial a détruit tous les foyers résiduels et la surveillance a permis de détruire les récidives à un stade extrêmement précoce, avant qu’elles ne se manifestent sur les imageries classiques.
Il ne peut y avoir de bon protocole sans classification opérationnelle- Pour ne faire ni trop ni trop peu, il est indispensable de bien classer les CTD. Aucune des nombreuses classifications n’a fait l’unanimité ; les imperfections de la classification TNM/UICC [31], la plus employée en Europe, ont nécessité de la modifier tous les dix ans et aux USA, AGES a été transformée en MACIS [32]. La classification Ext-Tg permet mieux que les autres de guider les décisions pour trois raisons : — elle a été la première à intégrer la Tg, comme l’ont fait depuis les études qui ont individualisé un groupe à faible risque [20, 21], ce qui est justifié par le fait que dans notre série les CTD sans fixation ni métastase connue, classés en classe 4 en raison de la persistance d’une Tg supérieure à 10 µg/l au terme du traitement initial, ont eu la
même gravité pronostique que les CTD ayant du tissu tumoral cervical résiduel ou des métastases. — elle est beaucoup plus simple que la classification TNM/UICC qui nécessite deux étapes, le classement puis la gradation [31]. — elle ne tient pas compte de l’âge, la distinction entre les moins et les plus de quarante cinq ans n’ayant pas de valeur décisionnelle quand on se base sur l’extension et la Tg. Les incohérences de TNM/UICC sont nombreuses : elle classe en stade 2 les CTD avec métastases des opérés de moins de quarante cinq ans au même niveau que les CTD sans extension ganglionnaire ni métastatique des plus de quarante cinq ans alors que nous avons observé une mortalité cancer-dépendante à dix ans de 12,7 % chez les premiers et nulle chez les seconds. Elle place en stade 1 les CTD avec envahissement ganglionnaire latéral ou médiastinal des sujets de moins quarante cinq ans et en stade 4 ceux des plus de quarante cinq ans alors que dans notre série, la mortalité cancer-dépendante des uns et des autres est nulle et que l’augmentation du taux de récidive après quarante cinq ans est loin de la significativité (p=0,70). Enfin TNM/UICC dans sa version 2002 a inclus parmi les T1, les CTD d’un diamètre de un à deux cm au coté de ceux de moins de un cm alors que le pronostic des premiers est moins bon.
La classification Ext-TG exige un premier classement, provisoire , à l’issue de l’opé- ration et un classement définitif après la destruction des reliquats pour tenir compte de la SCE et de la Tg. Sans ces renseignements, on risque de mal classer les patients (Le seuil de 10 µg utilisé avec notre protocole devra être testé avec les protocoles sans totalisation systématique ni surveillance par SCE). Un classement bien fait avec Ext-Tg permet de dresser facilement pour chaque patient, le protocole de surveillance, son rythme, ses modalités et la durée de surveillance impérieuse , c’est à dire celle où il ne faut pas cesser d’être vigilant. Celle-ci est déterminée en fonction des délais d’apparition des récidives les plus tardives : quinze ans pour les classes 1, 2 et 3 ; vingt ans pour la classe 4 après normalisation, tout événement faisant repartir le compte à zéro ; à vie tant que persiste une anomalie. Nous avons constaté que lorsque les patients ont été bien informés de la durée de surveillance impérieuse et en ont compris les raisons, les abandons en cours de surveillance sont exceptionnels et que cette responsabilisation loin d’avoir des effets psychologiques négatifs, est perçue comme rassurante. Durant cette période, les patients doivent avoir périodiquement un contrôle en Médecine nucléaire et tous les ans, des dosages de Tg, TSH et T3 libre, une palpation du cou et une échographie en cas de cou difficile à palper ou de doute à la palpation. Une radiographie pulmonaire peut être ajoutée en cas de CTD vésiculaire.
Les bénéfices des TT dépassent leurs risques — Après de nombreuses hésitations sur leur intérêt [34, 35], presque toutes les équipes recommandent de faire une TT chaque fois que le diagnostic est connu avant ou pendant l’opération, y compris pour les microcancers [36] et, sauf pour les microcancers uniques et non invasifs, de totaliser après exérèse incomplète lorsque le diagnostic est connu secondairement [37]. Les risques d’une exérèse chirurgicale se voulant totale tant au niveau thyroï- dien que ganglionnaire restent faibles entre des mains expertes et sont très inférieurs
à ceux de la persistance de tissu tumoral [3, 36-38]. Le seul véritable problème est celui des centres ayant un faible débit de CTD où les taux de séquelles sont plus élevés et où l’exérèse est souvent insuffisante comme le constatent les centres de Médecine Nucléaire où sont adressés ces patients secondairement [39].
On ne soulignera jamais assez combien l’étendue de l’exérèse chirurgicale joue un rôle essentiel dans le classement. Ainsi, sur un total de 301 CTD occultes sans extension ganglionnaire ou métastatique connue avant l’opération, seulement 85,7 % ont été classés en classe 1 : 8,6 % l’ont été en classe 2 en raison de leur multifocalité, dont dix pour des foyers controlatéraux qui auraient été méconnus en cas de lobectomie unilatérale ; 4,7 %, en classe 3 en raison d’une extension ganglionnaire décelée seulement par l’histologie per-opératoire du curage diagnostique, et 1 %, en classe 4 pour une élévation isolée de Tg dans un cas et la découverte de métastases lors de la SCE dans les deux autres.
C’est souligner l’importance d’un médecin anatomo-pathologiste expérimenté. Son rôle ne se limite pas à l’identification d’un cancer : il doit aussi éliminer un cancer médullaire dont le protocole chirurgical serait différent, évaluer l’aspect plus ou moins invasif du CTD notamment en cas de microcancer et vérifier si les ganglions du curage diagnostique sont envahis.
Les bénéfices de l’I* dépassent leurs risques — Les complications graves de l’I* sont exceptionnelles et les effets adverses rares et mineurs lorsqu’on prend les précautions nécessaires et qu’on ne dépasse pas six doses thérapeutiques [13, 14, 39, 40].
Principalement pour en réduire le coût, deux groupes d’experts, l’un nord-américain et l’autre européen ont recommandé de supprimer de la surveillance des patients sans évidence d’évolution (définis par un taux de Tg très bas après TT en l’absence d’anticorps anti-Tg), les SCE que nous avons effectuées six mois après la totalisation puis tous les cinq ans durant la durée de surveillance impérieuse. Ce protocole implique que les échographies et les dosages de Tg soient faits dans des centres validés, les premières répondant à des critères précis et étant réalisées par des opérateurs ayant une grande pratique de la surveillance des CTD, les seconds, étant associés à une recherche d’anticorps et effectués toujours dans le même centre pour un patient, étant données les variations des résultats d’un laboratoire à l’autre [20, 21]. Il est regrettable que ces recommandations ne reposent que sur des études de résultats à court terme. Dans notre série, chez les patients de classes 2 et 3 ayant bénéficié dès le début des dosages de Tg, et sans interférence déterminée par le test de recouvrement, un quart des récidives (3/12) auraient été méconnues en l’absence de SCE, au stade où elles sont le plus curables.
Les avantages de la totalisation après TT sont considérables : amélioration des taux de survie et diminution de moitié des taux de récidives [3, 41]. La destruction des reliquats assure une surveillance ultérieure optimale. De plus notre faible taux de métastases apparues après le traitement initial est probablement dû à la destruction de cellules tumorales avant qu’elles n’aient eu le temps de s’exprimer par une fixation [42]. Or récemment, certains [43] ont proposé d’étendre aux CTD de petite
taille sans métastase connue les indications de non-totalisation par l’I* que nous limitions aux seuls microcancers uniques et bien limités. Ces propositions s’appuient sur des études aux résultats contradictoires. Et plus on diminue les précautions initiales, plus il faut être certain que le patient n’abandonnera pas la surveillance au terme de quelques années, ce qui reste toujours hypothétique. Nous publions cette série pour qu’elle puisse servir de comparaison quand les séries de CTD traités et surveillés avec les nouveaux protocoles auront suffisamment de recul.
En cas de récidive accessible à la chirurgie, notamment de récidive ganglionnaire, l’exérèse doit en être faite avant l’I* pour ne pas dilapider le total de doses utilisables sans risques de complications hématologiques. Le traitement des métastases par l’I*
est d’autant plus efficace que la masse tumorale est faible et que le diagnostic est plus précoce. Les fixations pulmonaires diffuses ou les foyers osseux sans traduction sur les imageries classiques sont généralement facilement détruits [42], à l’inverse des autres [44]. Chez les hommes jeunes, une conservation de sperme peut être proposée dés que plusieurs doses semblent nécessaires [43]. Le seul réel problème est posé par les fixations persistant après l’administration de six doses d’I* car tous les risques augmentent et les lésions peuvent devenir moins fixantes par dédifférenciation.
Chaque cas doit faire l’objet d’une discussion pluridisciplinaire des bénéfices/risques avant de poursuivre. L’intérêt de l’acide retinoique ou du lithium pour augmenter la présence intracellulaire de l’I* est en cours d’évaluation [14, 45].
Nous avons souvent eu l’impression que des métastases non détruites par plusieurs doses d’I* étaient devenues non évolutives. L’association d’I* et de radiothérapie externe majore peut-être les risques hématologiques et de fibrose pulmonaire[14], mais les patients ainsi traités avaient des formes très évoluées.
Enfin il nous paraît utile de continuer à traiter les CTD gardant une Tg élevée après le traitement initial puisque la gravité de ce groupe est attestée par notre étude, que l’élévation de la Tg est parfois la première manifestation d’une récidive et qu’elle est habituellement corrélée avec la capacité des cellules tumorales à fixer l’I*. L’effet bénéfique est confirmé par d’autres auteurs [3, 46,47] mais le seuil de Tg au-delà duquel il faut traiter reste discuté [3,14]. Il en est de même pour les récidives affirmées par une élévation progressive de Tg sans fixation ni localisation décelables.
Plusieurs études ont montré que dans ces cas, le PET-Scan peut déceler des métastases [48].
En conclusion , les CTD justifient un traitement agressif et une surveillance dont les modalités et la durée soient adaptées à l’extension. Il ne nous paraît pas éthique d’introduire des arguments économiques dans leur surveillance. En revanche, il est possible de faire des économies importantes dans l’étape précédente, sans nuire à la qualité des résultats : — en ne remboursant que deux dosages quand il a été dosé simultanément T3l+T4l+TSH ; – en ne remboursant plus les scintigraphies en l’absence d’hyperthyroïdie car leur impact décisionnel est très faible ; — en n’opé- rant pas les CTD en dehors des indications recommandées [4], ou en ne remboursant pas leurs dépenses (on diminuerait de moitié le nombre de thyroïdectomies en
France sans prendre de risque dans la mesure où les petits nodules sans éléments de suspicion seraient surveillés par échographie fi cytoponction) ; — en validant les centres aptes à faire des échographies performantes pour le bilan des nodules et ceux, beaucoup plus rares, aptes à la surveillance des CTD opérés alors qu’actuellement environ un tiers des échographies diagnostiques fournissent des résultats faux ou incomplets et que peu de centres sont fiables pour la surveillance des CTD [21] ; — en validant les centres effectuant les cytoponctions thyroïdiennes car la fiabilité varie considérablement d’un centre à l’autre ; — en décourageant la chirurgie thyroïdienne occasionnelle et en validant les centres aptes à les opérer en fonction d’un certain nombre de critères : faible taux de complications, application de protocoles validés, participation à des réunions de concertation multidisciplinaires et tenue de registres incluant tous les CTD destinés à reconvoquer les perdus de vue et à contrôler la bonne qualité des résultats ; — en accréditant les laboratoires autorisés à faire les dosages de Tg et en obligeant chaque patient à effectuer ses dosages toujours dans le même centre [20]. Ces mesures une fois connues auraient davantage pour effet d’améliorer la qualité que d’éliminer des centres non performants.
Le tandem « nodules thyroïdiens et CTD » constitue un cas exemplaire où l’amé- lioration des résultats à long terme et celle des dépenses de santé pourraient se rejoindre. Mais en sommes nous capables ?
Remerciements
Nous remercions tous les médecins qui ont contribué aux bons résultats de ces opérés pendant ces trente cinq ans au CHU Henri Mondor et plus particulièrement les Pr. J. Hazard, L. Perlemuter, J. Galle, et M. Meignan, et les Dr. F. Lange, S. HelbertDavidson, O. Utzmann, J.-F. Collet et D. Simon. Je remercie aussi le Docteur S.
Bastuji-Garin qui a effectué les tests statistiques. J’exprime toute mon affectueuse reconnaissance à mon épouse qui a testé longuement le programme informatique lors de ses difficiles débuts. Je remercie enfin tous les médecins, endocrinologues, radiologues, anatomo-pathologistes, médecins nucléaires et cancérologues qui m’ont aidé et les infirmiers et infirmières qui ont apporté à nos malades leur compétence et leur réconfort.
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DISCUSSION
M. Jacques ROUËSSÉ
Doit-on moduler la dose d’iode radioactif en fonction de la classe pronostique ? Quel est l’impact de la récidive sur la survie globale ?
Nous avons utilisé une dose d’I* de 3,7 GBq dans la plupart des cas sauf en cas de métastases soit peu fixantes soit réagissant peu à la dose habituelle, pour lesquelles nous avons utilisé une dose plus forte. Ces cas sont trop peu nombreux pour qu’on puisse en tirer des conclusions et l’inconvénient est qu’on atteint plus rapidement les doses hématologiquement dangereuses. La seule certitude est que certaines lésions non-fixantes avec une dose d’I* diagnostique (185 MBq) le deviennent avec une dose d’I* thérapeutique, vingt fois plus forte. L’impact des récidives sur la mortalité a été faible dans le groupe à faible risque puisqu’il n’y a eu qu’un décès sur seize récidives et élevé en classe 4 où plus de la moitié des récidives ont été suivies à plus ou moins long terme de décès (21/38).
M. Claude JAFFIOL
Quelle attitude à l’égard des goîtres multinodulaires où la cytoponction n’est pas toujours systématiquement productive malgré l’échoguidage ? Quel est le pourcentage de ponctions
blanches, de faux positifs et de faux négatifs ? Réalisez-vous, devant un goitre nodulaire, un dosage systématique de thyrocalcitonine ? Quel rapport, en ce cas, coût/bénéfice ? Le traitement frénateur de la TSH est unanimement recommandé mais le niveau de freinage de la TSH prête à discussion, en raison des effets secondaires cardiaques et osseux des fortes doses de thyroxine. Pour éviter ce risque, nous avons proposé l’association de TRIAC à la T4 pour en réduire la posologie. Dans votre expérience, quel niveau de TSH recommandezvous ? Avez-vous recherché et obtenu des effets secondaires cardiaques et osseux ?
Le rendement de la cytoponction ne peut être le même dans un nodule de deux cm où tout peut être exploré en aspirant dans trois directions et dans un goitre multinodulaire dont les multiples nodules ne peuvent tous être ponctionnés. D’autre part ce rendement est très opérateur-dépendant. Enfin si on estime à environ cinq millions le nombre de français porteurs de tels goitres, il est évident qu’on ne peut tous les explorer par cytoponction.
Pour en optimiser le rendement, il faut deux conditions : un excellent échographiste et un excellent cytologiste, tous deux spécialisés en thyroïde. L’échographie va en effet indiquer quels patients et quels nodules méritent une cytoponction en cherchant les signes suivants : hypoéchogénicité, mauvaise limitation, hypervascularisation centrale, microcalcifications et augmentation de volume nette entre deux examens ; doivent aussi être cytoponctionnés les ganglions trop gros et hypervascularisés. Ensuite, l’échoguidage réduit le risque de ponctionner à coté des éléments suspects. Enfin il faut que le cytologiste classe ses réponses en cinq catégories : « prélèvement insuffisant » (ce qui est exceptionnel avec un opérateur entraîné), « bénin », « malin », « suspect » et « indéterminé ». Cette dernière classe concerne en particulier la présence de cellules oxyphiles ou oncocytaires mélangées à des cellules plus banales, cas où, la cytologie ne pouvant conclure, il faudra décider sur d’autres éléments ; cette situation est à distinguer de la présence massive de telles cellules qui doit faire classer en « suspect ». Cette distinction ignorée de beaucoup de cytologistes et d’endocrinologues aboutit à trop d’opérations inutiles. Le dosage de thyrocalcitonine, en l’absence de signe clinique évocateur de cancer médullaire est surtout nécessaire en cas de nodule isolé et dont la petite taille ne justifie pas une opération : Certes le rendement est de l’ordre de un pour mille, mais c’est le seul moyen d’opérer à un stade définitivement curable ce cancer redoutable pour lequel nous ne disposons pas d’armes comme l’I*. Il faut distinguer trois niveaux de freination : faible (TSH dans la partie inférieure de la norme) destinée aux situations bénignes, moyenne (TSH≈0,1 mU/l) et forte (TSH<0,1 mU/l). Les CTD doivent d’autant plus avoir une freination forte que la classe est élevée et que les indicateurs ne sont pas normalisés. Les signes d’hyperthyroïdie peuvent habituellement être neutralisés avec les β- bloquants cardio-sélectifs mais chez les patients au cœur fragile, force est de se limiter à une freination moyenne. Une freination moyenne suffit probablement dans le groupe à faible risque lorsque la Tg est normale depuis plusieurs années. En appliquant ces régles et en tenant compte de la durée de surveillance propre à chaque classe, nous n’avons pas observé de complication.
M. Christian NEZELOF
Votre statistique fait apparaître 90 % de cancers différenciés. De quelle nature étaient les autres ?
Notre série de 946 cancers opérés avant 2005 comporte 90 % de cancers différentiés de souche vésiculaire ; les autres étaient : anaplasiques (2,5 %), médullaires (4,6 %), divers (3 %).
M. Yves CHAPUIS
Pour m’être appliqué, pendant vingt-cinq ans à Cochin, avec mes collègues endocrinologues et radio-isotopistes, au traitement des cancers thyroïdiens, je voudrais souligner l’importance des messages émis dans un contexte où le consensus est loin d’être réalisé, qu’il s’agisse de l’extension du geste chirurgical, de l’usage de l’I* et de la durée de surveillance.
Voici mes deux questions : quel est le pourcentage de ganglions envahis dans le cas de curage systématique dans les classes 1 et 2 ? Comment expliquer, dans la classe 4, une Tg > à 10 µ g/l avec imagerie négative et, dans ce cas, quelle est l’évolution ?
Les classes 1 et 2 excluent par définition tout envahissement ganglionnaire. Chez les CTD de diamètre < 1cm dont les ganglions ont été explorés, ce qui nécessitait que le diagnostic de CTD ait été connu durant l’opération, le taux d’envahissement a été de 11 % et chez ceux de diamètre > 1cm, il a été de 32 %. Nous avons toujours été surpris par le fait que des ganglions impalpables étaient souvent envahis et qu’à l’inverse de gros ganglions pouvaient n’être qu’inflammatoires. Le curage en cas de ganglions envahis réduit d’autant la nécessité de les détruire par l’I*. Les CTD avec une Tg > 10 µg/l sans fixation visible avaient probablement des métastases peu fixantes et trop petites pour être décelées sur les examens radiologiques mais leur capacité évolutive est prouvée dans notre série par le fait qu’ils ont eu la même évolution que les CTD avec métastases.
M. Alain LARCAN
Vous avez défini un protocole très précis qui se base sur une classification personnelle et originale : extension — thyroglobuline. Pourquoi la classification internationale TNM — UICC, etc., ne s’adapte-t-elle pas bien à ce type de cancer ? Le traitement substitutif (frenateur) n’a-t-il pas d’inconvénients à long terme et n’y a-t-il pas d’interférences avec les dosages (Tg — épreuves de stimulation) et leurs interprétations ? Quelle est l’incidence des traitements chirurgicaux difficiles sur les parathyroïdes, susceptibles d’entraîner des hypocalcémies ?
Il faut distinguer dans TNM, la classe TNM qui définit la taille et l’extension des lésions, de la gradation UICC qui définit des classes de risques. A la première on peut reprocher que le T1 dans la version récente, englobe à coté des CTD < un cm, ceux de diamètre compris entre un et deux cm dont le pronostic est moins bon. Quand à la seconde, comparée à EXT-TG, elle est complexe et mêle des CTD de pronostic différent, ce qui la rend impropre à toute décision. Le dosage de Tg est d’autant plus fiable que la TSH est élevée. Mais ce qui ne pouvait être obtenu que par un sevrage hormonal dont les inconvénients étaient multiples l’est dorénavant par des injections de rhTSH. Il est certain que lors des curages de gros ganglions ou de l’exérèse de cancers envahissant les tissus voisins, les parathyroïdes et leur vaisseaux sont difficiles à voir et à respecter.
M. René MORNEX
Il est difficile — à chaud — de commenter en détail un ensemble aussi important de données.
Toutefois, je peux évoquer la stratégie de l’école lyonnaise sous l’impulsion de Paul Quinet et Paul Maillet qui se fondait sur la réduction de la destruction du tissu thyroïdien.
Notamment dans le groupe I, l’irradiation radioactive n’était jamais utilisée. Vos résultats
sont excellents mais, ni une expérience clinique de quarante ans, ni l’étude menée par Jacques Tourniaire sur les malades de la clinique endocrinologique de Lyon ne nous ont donné le sentiment d’avoir été des thérapeutes trop timorés.
Vous avez eu raison dans la majorité des cas de ne pas totaliser par l’I* en cas de microcancer unique sans extension ganglionnaire ou métastatique (notre classe 1).
Cependant, il ne faut pas oublier que les CTD < 1cm n’ont pas tous une évolution favorable : sur un total de 321,14 ont été révélés par des ganglions dits solitaires et 6 par des métastases ; sur les 301 autres, 4,7 % avaient des ganglions envahis et 1 % des métastases à distance. Nous tenons donc compte de leur aspect plus ou moins invasif à l’examen histologique.
M. Philippe JEANTEUR
Le chiffre d’un adulte sur trois porteur d’un nodule thyroïdien est très frappant. Est-il accepté de tous ? Il serait peut-être utile de donner une référence. Il m’a semblé que vous ne mentionniez l’intérêt du dosage de la thyroglobuline sérique qu’au terme du traitement initial. Ne pourrait-il être intéressant, pour le dépistage systématique des Cancers Thyroï- diens Différenciés chez les sujets porteurs de nodules thyroïdiens en surveillance ? Y a-t-il un consensus français sur l’utilisation systématique de la Tg pour le suivi des CTD ? Quel est le dosage retenu ? On sait qu’il y a des Ac antiTg auto-immuns dans près de 20 % des CTD.
Il en résulte un débat actuel assez chaud sur le type de dosage le plus sensible permettant la prise en compte de ces auto-anticorps dans le dosage de la Tg avec deux possibilités : doser directement ces Ac auto-immuns ou bien additionner de la Tg exogène en quantité connue (technique dite de ‘‘ recouvrement ’’). Existe-t-il un référentiel français ou européen (du type des SOR) ?
La proportion d’adultes chez qui un ou des nodules sont décelables en échographie est d’environ un sur trois [4] mais la proportion autopsique est encore plus élevée comme si la formation de nodules était un banal phénomène de vieillissement. Le dosage de Tg chez un sujet porteur de nodule n’a pas de valeur prédictive de CTD car la moindre thyroïdite peut s’accompagner d’une élévation importante. Il va autrement du dosage après thyroïdectomie totale et totalisation par l’I* car alors la Tg ne peut être produite que par des cellules tumorales résiduelles ou récidivées. Il est admis que le dosage direct d’anticorps est probablement plus fiable [20] que le test de recouvrement qui est habituellement utilisé en France [21].
* Service de chirurgie vasculaire et endocrinienne, CHU Henri Mondor, Créteil ** Service de médecine nucléaire, Hôpital Saint-Louis, Paris *** Conservatoire National des Arts et Métiers, Versailles Tirés-à-part : Professeur Didier MELLIERE, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 10 juin 2005, accepté le 21 novembre 2005.
Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 1, 89-109, séance du 3 janvier 2006