Résumé
Les biopsies optiques ont permis aux cliniciens de visualiser le tissu vivant en temps réel. L’endo-microscopie confocale est employée actuellement pour diagnostiquer les lésions gastro-intestinales : les modifications néoplasiques et pré-néoplasiques sont identifiées avec une précision similaire à celle obtenue par biopsie traditionnelle. Pour les pathologies gynécologiques, des lésions pré-cancereuses du col ont été diagnostiquées par endomicroscopie en fluorescence. Plus récemment l’examen d’ovaires in vivo et ex vivo par micro coelioscopie confocale avec des produits de contraste fluorescents a permis d’identifier les ovaires normaux et les ovaires cancéreux. Cette technique pourrait également servir pour le diagnostic précoce des cancers ovariens et pour les modifications dysplasiques pré-invasives de l’ovaire qui ont déjà été décrites par l’histologie, l’analyse d’image informatisée (morphométrie) et l’immunohistochimie, plus particulièrement chez les femmes présentant un risque de cancer ovarien. La possibilité d’un diagnostic en temps réel par biopsie optique permettrait une prise en charge chirurgicale en cas de constat positif, tout en évitant une chirurgie inutile, plus particulièrement dans le cas de jeunes femmes désirant préserver leur fertilité.
Summary
Optical biopsy allows living tissues to be visualized in situ and in real time. Confocal endomicroscopy is already used to detect neoplastic and pre-neoplastic gastrointestinal lesions, with a precision comparable to that of conventional biopsy. Likewise, precancerous cervical lesions can be identified with fluorescence endomicroscopy. More recently, confocal microlaparoscopy using fluorescent contrast agents has been used, both in vivo and in vitro , to identify healthy and cancerous ovaries. This technique could serve for early diagnosis of ovarian cancer and preinvasive ovarian dysplasia that has already been described by histology, automated image analysis (morphometry) and immunohistochemistry, particularly in women with an elevated risk of ovarian cancer. Real-time diagnosis by optical biopsy would allow the surgeon to take appropriate action in case of positive findings, and would also help to avoid unnecessary surgery. This would particularly benefit younger women wishing to preserve their fertility.
INTRODUCTION
Depuis quelques décennies la morbidité et la mortalité en raison de la plupart des cancers gynécologiques ont connu une baisse notable grâce au développement de la détection systématique des lésions pré-cancéreuses (dysplasie cervicale, hyperplasie endométriale atypique) et des lésions cancéreuses à un stade précoce. Malheureusement ce n’est pas le cas du cancer le plus létal chez la femme, le cancer ovarien qui dans environ 80 % des cas est diagnostiqué à un stade avancé.
Une re-classification des cancers de l’ovaire [1] en néoplasmes peu et bien différenciés suggère que les tumeurs bénignes comme les cystadénomes et les tumeurs borderline puissent représenter des précurseurs potentiels de carcinome ovarien bien différencié. La plupart des cancers ovariens sont cependant des néoplasmes peu différenciés et, comme c’est le cas pour la plupart des tumeurs épithéliales, leurs précurseurs sont la dysplasie et la carcinome in-situ.
La dysplasie ovarienne a été identifiée dans l’épithélium de surface et dans les kystes d’inclusion [2, 3]. Ces lésions potentiellement précurseurs ont été observées fortuitement dans deux situations cliniques dans des ovaires apparemment normaux de femmes dites ‘‘ à risque ’’, à proximité d’un cancer ovarien invasif [4].
Les critères pour le diagnostic de ces lésions non-invasives concernaient l’architecture (chevauchement et perte de polarité des cellules épithéliales) et la cytologie (augmentation du ratio nucléaire-cytoplasmique et profils nucléaires agrandis avec texture nucléaire anormale) (figure 1).
D’après l’expérience acquise récemment avec l’endo-microscopie confocale, il semblerait que les modifications décrites ci-dessus qui étaient validées par la morphométrie et confirmées statistiquement par les réseaux neuronaux [3] sont suffisantes pour le diagnostic de précurseurs de cancer ovariens au moyen de cette méthode innovatrice et séduisante.
LA MICROSCOPIE CONFOCALE ET LA PATHOLOGIE ANATOMIQUE
Une documentation bien fournie existe sur l’emploi de l’endo-microscopie confocale dans le tractus gastro-intestinal. La corrélation entre les images obtenues par cette
Fig. 1 méthode des muqueuses du colon et de polypes, de l’estomac et de l’œsophage (particulièrement de l’œsophagite de Barrett) et les sections histologiques est excellente, révélant l’existence de cryptes, les profiles nucléaires et identifiant les tissus normaux, pré-cancéreux et cancéreux [5, 6]. Les images donnent une vision ‘‘ d’en haut ’’, par comparaison avec les sections histologiques qui sont perpendiculaires.
La technique confocale augmente la résolution optique et le contraste au moyen de l’illustration par points, tandis que le contraste dans les sections histologiques est obtenu par coloration de sections fixées avec du formaldéhyde et inclus dans de la paraffine. La microscopie confocale est employée comme indiqué de façon étendue pour le diagnostic de troubles gastro-intestinaux ainsi que pour les lésions hépatiques, pancréatiques, urologiques, dermatologiques et plus récemment pour les lésions du cerveau, fournissant des images cellulaires in vivo comparables à l’histologie mais par une méthode non-destructive.
La microscopie confocale permet la reproduction de structures tridimensionnelles tandis que l’histologie classique ne produit qu’une image en deux dimensions.
Plus important encore, la microscopie confocale offre des images en temps réel permettant ainsi de décider d’une chirurgie immédiate, en éliminant une résection inutile de tissu et identifiant des lésions qui peuvent être prélevées ou non pour des biopsies classiques.
LA MICROSCOPIE CONFOCALE ET LES PATHOLOGIES GYNÉCOLOGIQUES.
L’emploi de la microscopie confocale est relativement limité jusqu’aujourd’hui, dans le domaine de la gynécologie. On l’a utilisée pour le diagnostic de lésions pré-cancéreuses du col utérin, avec une illumination structurée [7]. L’un des avantages par rapport à la biopsie cervicale est la possibilité de visualisation de la densité nucléaire et du ratio nucléaire-cystoplasmique à plusieurs niveaux dans le tissu, sans ablation chirurgicale [7, 8].
Le développement de la laparoscopie pelvienne (cœlioscopie) a rendu les ovaires accessibles à l’examen visuel et plus faciles à atteindre pour un examen histologique.
L’étude de spécimens obtenus lors de salpingo-ovariectomies prophylactiques, pratiquées souvent chez les femmes à haut risque de développement d’un cancer ovarien (mutations de gènes BRCA 1 et 2, antécédents familiaux de cancer ovarien et du sein) ont révélé des modifications histologiques suggérant des précurseurs potentiels de cancer ovarien. Une dysplasie épithéliale ovarienne a été trouvée plus souvent chez les patientes porteuses de mutation génétiques [9]. Des ovaires et trompes excisés pour des raisons prophylactiques représentent un sujet particuliè- rement intéressant pour des études par microscopie confocale in vivo et ex vivo.
COELIOSCOPIE OVARIENNE CONFOCALE
Les études par Tanbakuchi et al. sur des ovaires in vivo et ex vivo ont révélé des images d’ovaires normaux et d’ovaires cancéreux (figure 2). Les auteurs parlent du potentiel pour fournir une information diagnostique en ‘‘ temps réel ’’ permettant aux cliniciens d’évaluer les modifications subtiles qui se produisent aux stades précoces de la maladie [10].
La technique pourrait inclure une imagerie par fluorescence in vivo afin de détecter des modifications au niveau sous-cellulaire et moléculaire.
La combinaison de données morphométriques concernant les couches superficielles de l’ovaire qui constitue l’origine de la majorité des cancers épithéliaux, comme déjà établi [3, 4, 9] ainsi que des études de biologie moléculaire [11] avec des sections optiques tridimensionnelles jusqu’à 200 microns sous la surface des tissus, en temps réel, promet de révéler les modifications les plus précoces dans la carcinogenèse épithéliale des ovaires.
La microlaparoscopie confocale utilise des produits de contraste fluorescents (fluorescéinate de sodium) et l’orangé d’acridine (AO) est un colorant nucléaire qui permet la visualisation de la distribution cellulaire et nucléaire.
Fig. 2 L’objectif fournit un champ visuel de 450 microns et une résolution latérale de 3 microns.
Les ovaires ont été examinés à la fois in vivo et ex-vivo immédiatement après résection, et envoyés pour examen histologique.
Il se trouve que les images in vivo colorés au fluorescéine présentaient peu de contraste tandis que les ovaires ex-vivo et colorés avec AO ont révélé des distributions nucléaires caractéristiques de tissus normaux et de tissus cancéreux [10].
Cette étude promet de révéler des modifications encore plus subtiles, dans l’idéal en temps réel, à pratiquer chez les femmes ayant un risque élevé de cancer ovarien.
L’analyse des couches superficielles de l’ovaire au moyen de cette approche nouvelle, avec détermination de la densité et polarité cellulaires ainsi des profiles nucléaires, évaluant la texture nucléaire et employant des marqueurs tumoraux tels que p53, Mib-1 …, pourrait identifier les lésions précoces pré-invasives du cancer ovarien.
En cas de détection de modifications précurseures du cancer, ou de cancer invasif de l’ovaire asymptomatique et non diagnostiqué cliniquement visualiser en temps réel permettrait une prise en charge chirurgicale avec stadification de la tumeur.
S’il n’existe pas de telles modifications, surtout chez les jeunes patientes voulant préserver leur fertilité, il serait possible de laisser les ovaires en place pour l’instant ;
la microscopie confocale en gynécologie, comme en gastro-entérologie, peut réduire le taux de chirurgies inutiles.
À cet effet, le défi pour des études à venir et pour l’analyse des images est d’employer des produits de contraste sans danger pour la patiente (l’AO a un effet potentiellement mutagène) et d’inclure des marqueurs tumoraux spécifiques. Par ailleurs, la surface épithéliale de l’ovaire est très friable et si le spécimen est touché ou manipulé la surface peut se trouver dépouillée, comme démontré par les auteurs ; ce problème existait par le passé pour les chercheurs aussi et a été résolu par microdissection des tissus excisés. La microscopie confocale à double marquage a aussi servi à identifier la spécificité des marqueurs en termes de phase, plus particulièrement MCM et les cyclines A et D, indispensables pour la réplication de l’ADN, et augmentés dans les cancer sereux ayant comme origine une tumeur borderline. Ces études ont été faits sur des ovaires ex-vivo [12].
De la même façon qu’en micro endoscopie confocale du tractus gastro-intestinal qui est utile pour sélectionner les tissus pour des biopsies classiques, dans le cas de l’ovaire un diagnostic en temps réel pourrait servir à faire des biopsies sélectives et pour poser l’indication pour une ablation de l’organe en présence de lésions néoplasiques et/ou pré-invasives. Cette technique pourrait également contribuer au diagnostique de lésions bénignes où une résection partielle pourrait être bénéfique, plus particulièrement dans les patientes jeunes.
Le rôle le plus important pour la microscopie confocale serait la détection du cancer ovarien précoce asymptomatique qui est rapporté de temps à autre à la fois dans des tissus obtenus lors de salpingo-ovariectomies prophylactiques chez des patientes à haut risque, et de diverses ovariectomies faites pour d’autres raisons.
Il faut également noter qu’il y a eu récemment des indications que les franges du pavillon de la trompe sont, plus fréquemment, le site d’origine de carcinomes ovariennes et pelviennes [13] que supposé auparavant, et devraient donc être examinées en temps réel en plus de la surface ovarienne.
CONCLUSION
L’emploi de la microscopie confocale reste encore du domaine de la recherche [14, 10] mais promet d’apporter de nouvelles dimensions pour la détection précoce très attendu du cancer ovarien, et pourrait servir pour d’autres décisions chirurgicales.
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DISCUSSION
M. Jacques MILLIEZ
Avez-vous pu identifier des cellules cancéreuses sur le péritoine ?
Chez les patientes recevant une chimiothérapie, au ‘‘ second look ’’ nous avons pu différencier les cellules cancéreuses des cellules mésothéliales hyperplasiques, qui leur ressemblent, basées sur des données de morphométrie (noyaux aggrandis et surtout inégaux à texture irrégulière).
M. Jean-Jacques HAUW
La biopsie optique est une technique enthousiasmante. Quel est le pourcentage de cas dans lequel un cancer de l’ovaire est découvert lors d’une investigation péritonéale comportant une biopsie optique ? Celle-ci permet-elle d’étudier l’ensemble de la surface de l’ovaire ?
Les biopsies optiques de l’ovaire ne sont pas encore pratiquées couramment. Nous espérons pouvoir étudier la surface des ovaires d’apparence normale à la coelioscopie, et après l’injection de substances de contraste (fluoresceine ou autres) identifier les lésions précancéreuses ou des microcancers occultes. Il faudra encore perfectionner le système optique pour visualiser toute la surface des ovaires.
M. Christian NEZELOF
Oseriez-vous pratiquer ou faire pratiquer une castration sur les seules données fournies par la microscopie confoncale ?
C’est une question très importante que vous posez. Le problème est que ces castrations ou salpingo-ovariectomies préventives sont beaucoup pratiquées, en France, aux USA et ailleurs, chez les femmes ‘‘ à risque ’’, c’est-à-dire avec des mutations génétiques (BRCA1,2) et/ou histoire familiale de cancer ovarien ou du sein. La plupart des ovaires enlevés sont histologiquement (donc ex-vivo) normaux, très peu ont un cancer occulte et un pourcentage variable selon les auteurs ont des lésions dysplasiques ou du ‘‘ phénotype précancéreux ’’ (dont on ne peut être sûr qu’ils progressent vers le cancer, comme c’est le cas des autres dysplasies du tissu epithélial). La biopsie optique devra servir a reconnaître les lésions suspectes in vivo pour les biopsier ou les enlever. Il faudra trouver une substance de contraste fiable pour identifier ces lésions, et amplifier le système optique pour accéder à toute la surface ovarienne.
M. Jacques BATTIN
Avez-vous l’expérience du syndrome de Li et Fraumeni, du cancer de l’ovaire génétique ?
Non, ces mutations génétiques de la ‘‘ germ-line ’’ p53 sont surtout associés aux cancers des os, du cerveau, aux leucémies. Nous avons étudié les lésions ovariennes chez les femmes avec mutations du BRCA 1 et 2.
Mme Dominique LECOMTE
Dans la biopsie optique en gynécologie enregistrez-vous les images comme preuve médicolégale ?
Pas encore ! Nous ne sommes pas encore à ce stade de connaissance et de fiabilité.
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 3, 605-612, séance du 29 mars 2011