Communication scientifique
Séance du 16 mars 2010

Asthme sévère : nouvelles cibles thérapeutiques

MOTS-CLÉS : asthme/complications. eosinophilie. remodelage des voies aériennes.
Severe asthma : new therapeutic targets
KEY-WORDS : airway remodeling. asthma/complications. endothelin-1. eosinophilia

Michel Aubier

Résumé

Environ 10 % des asthmes présentent une forme sévère de la maladie, souvent appelée également « réfractaire » ou « difficiles » en raison des difficultés de traitement, des exacerbations fréquentes et graves, malgré un traitement maximal bien conduit par bronchodilatateurs et corticoïdes. Un objectif majeur de la recherche actuelle dans l’asthme est d’en élucider les mécanismes cellulaires et moléculaires afin de développer de nouveaux traitements pour ces patients en impasse thérapeutique. La persistance de polynucléaires éosinophiles dans les voies aériennes est un des éléments les plus caractéristiques de l’asthme sévère. Leur recrutement dépend de l’IL-5. Leur activation conduit ensuite à la sécrétion de MBP, protéine cationique des éosinophiles. Ils participent au maintien et à la progression de la maladie en augmentant l’inflammation, via leur production de cytokines et en favorisant le remodelage bronchique. L’utilisation d’un anticorps monoclonal anti-IL5 chez un sous groupe de patients asthmatiques sévères avec éosinophilie persistante malgré les corticoïdes, a montré son efficacité en diminuant le nombre d’exacerbations sévères. Des molécules inhibant les protéines cationiques telles pourraient également être intéressantes en diminuant les lésions épithéliales et le remodelage bronchique. L’épithélium bronchique des asthmatiques présente une susceptibilité accrue à l’agression. Les cellules épithéliales bronchiques ont également une capacité importante à produire, en réponse à une agression, des facteurs fibrogéniques et des facteurs de croissance qui vont induire, via le tissu mésenchymateux une fibrose sous épithéliale et une hypertrophie/hyperplasie du muscle lisse. Récemment, il a été démontré que l’ET-1 était surexprimée dans l’épithélium bronchique des patients ayant un asthme sévère avec trouble ventilatoire obstructif fixé, comparativement aux asthmatiques moins sévère, et que ceci était corrélé à l’hypertrophie du muscle lisse bronchique et à l’importance de l’obstruction bronchique. L’inhibition de la voie de l’ET-1 pourrait donc être une voie thérapeutique dans le remodelage bronchique des asthmes sévères.

Summary

Severe asthma is a highly incapacitating disease with no effective preventive or curative treatment. The 10 % of patients with ‘‘ refractory « or ‘‘ difficult ’’ asthma have chronic symptoms, episodic exacerbations and persistent airway obstruction, despite chronic ? 2-agonist and steroid therapy. A major objective of current asthma research is to identify the underlying cellular and molecular mechanisms and thus to develop new treatments. Persistent airway eosinophilia is a hallmark of severe asthma. IL-5 is essential for terminal differentiation of committed eosinophil precursors and is also involved in eosinophily degranulation and priming. By releasing cytokines and cationic proteins, eosinophils contribute to airway inflammation and damage the bronchial mucosa. A monoclonal antibody against IL-5 has been shown to reduce exacerbations of refractory asthma. Interventions targeting eosinophil cationic proteins might have therapeutic potential. Structural changes in the bronchial wall, collectively known as airway remodeling, are believed to play a prominent role in the persistent airflow obstruction associated with severe asthma. In this setting the airway epithelium shows major abnormalities, including loss of barrier function, phenotypic changes, and functional disorders. The abnormal respiratory epithelium is believed to orchestrate airway remodeling through aberrant production of extracellular matrix components, fibrogenic cytokines and chemokines, and growth factors responsible for the proliferation, migration and activation of smooth muscle cells and fibroblasts. Recently, increased ET-1 synthesis by the bronchial epithelium was observed in severe refractory asthma, and was found to correlate with airway remodeling and airway obstruction. ET-1 might represent a novel therapeutic target in severe steroid-refractory asthma.

INTRODUCTION

L’asthme est un syndrome multifactoriel à déterminisme génétique, mais de nombreuses autres composantes contribuent à sa pathogenèse, et notamment les facteurs de l’environnement, dont l’exposition aux allergènes et aux polluants atmosphériques [1, 2]. Une place prépondérante a été attribuée à l’inflammation des voies aériennes dans la pathogénie de cette maladie et, de ce fait, une large majorité d’asthmatiques voient leurs symptômes s’améliorer suite à la prise d’antiinflammatoires stéroïdiens [3]. Cependant, entre 5 et 10 % de sujets asthmatiques présentent une forme sévère de la maladie, souvent appelée également « réfractaire » ou « difficile », définie principalement par la persistance de symptômes respiratoires fréquents et invalidants, malgré un traitement par corticoïdes inhalés ou oraux à dose maximale, un recours fréquent aux soins urgents et une forte consommation de corticoïdes oraux [4]. Chez ces patients asthmatiques sévères allergiques, un anticorps monoclonal anti-IgE (omalizumab) a démontré son efficacité chez environ 60 à 70 % des patients. Pour les asthmes sévères non allergiques, cet anticorps n’est pas indiqué à l’heure actuelle, ces patients, ainsi que ceux chez qui l’omalizumab n’est pas efficace se trouvent donc en impasse thérapeutique [5].

Ces asthmes sévères engagent le pronostic vital par la survenue d’exacerbations, mais aussi le pronostic fonctionnel à long terme, car la répétition des exacerbations favorise le développement d’un trouble ventilatoire obstructif (TVO) plus ou moins réversible. Ces formes sévères représentent l’essentiel des coûts liés à la maladie, qui sont dûs essentiellement aux traitements, aux exacerbations, aux hospitalisations et à l’absentéisme professionnel [4]. Enfin, des études récentes proposent la notion selon laquelle l’asthme sévère regroupe en réalité différents phénotypes de la maladie qui ont été définis grâce à des techniques d’analyse dites de « clusters » appliquées à des populations relativement importantes [6, 7]. Si les résultats de ces études sont relativement cohérents, identifiant les principaux groupes classiquement définis sur des critères cliniques simples (asthme atopique de début précoce, asthme tardif non atopique de l’obèse avec co-morbidités, asthme tardif avec TVO fixé), ils ne permettent pas pour l’instant de relier ces phénotypes cliniques à des bio-marqueurs particuliers, notamment d’inflammation et de remodelage bronchique. Cet aspect est essentiel, car une telle analyse permettrait d’affiner la compréhension de la physiopathologie de l’asthme sévère et d’envisager des thérapeutiques plus adaptées, en fonction des sous-populations de patients.

L’objet de cet article est de présenter, en fonction des connaissances récentes des mécanismes physiopathologiques de l’asthme sévère, les nouvelles cibles thérapeutiques et les molécules qui pourraient être utilisées dans les prochaines années chez ces patients asthmatiques sévères difficiles à traiter, dont la plupart sont actuellement en impasse thérapeutique. Le nombre de molécules en développement étant considérable, cet article ne pourra être exhaustif et n’abordera que les molécules dont le développement est déjà très avancé ainsi que celles ciblant les mécanismes physiopathologiques de découverte récente de l’asthme sévère.

HISTOPATHOLOGIE DES BRONCHES DE L’ASTHMATIQUE

La paroi bronchique des asthmatiques est infiltrée par des cellules mononuclées, principalement des lymphocytes CD4+, et par des éosinophiles. On retrouve également des mastocytes activés, des macrophages et des neutrophiles. Dans la lumière bronchique, le mucus est mêlé à des macrophages, des lymphocytes, des éosinophiles et des cellules épithéliales desquamées [8]. La présence de neutrophiles semble associée à un asthme plus sévère et résistant aux corticoïdes [9].

Les changements structuraux de la paroi bronchique, regroupés sous le terme « remodelage », sont considérés comme la conséquence de l’interaction chronique entre les médiateurs de l’inflammation et les cellules de structure de la paroi bronchique (muscle lisse, épithélium, conjonctif, vaisseau). Celles-ci répondent à l’inflammation chronique en mettant en place des phénomènes de réparation tissulaire. Chez l’asthmatique, la paroi bronchique est épaissie, parfois de façon consi- dérable, ce qui contribue au rétrécissement de la lumière bronchique. L’épaississement de la paroi est lié un élargissement de la membrane basale par des dépôts de collagène I, III et V, de fibronectine, de tenascine [10)] des dépôts matriciels sous muqueux, notamment de protéoglycanes et de glycosaminoglycanes, une hypertrophie-hyperplasie du muscle lisse bronchique [11], une hypertrophie des glandes muqueuses, une augmentation du nombre et de la perméabilité des vaisseaux bronchiques, un œdème bronchique, éléments qui concourent tous à la diminution du calibre bronchique.

Les caractéristiques histopathologiques de l’asthme sévère sont marquées par une persistance de l’inflammation bronchique, notamment des éosinophiles, malgré les fortes de doses de corticoïdes inhalés ou oraux qui leur sont administrés, ainsi que par un remodelage bronchique majeur conduisant au TVO dont une partie peut devenir irréversible. Ces deux caractéristiques constituent les cibles vis-à-vis desquelles des nouvelles molécules nécessitent d’être développées pour la prise en charge des asthmes sévères ne répondant pas aux thérapeutiques actuelles constituées des corticoïdes inhalés et des bêta-2-mimétiques courte ou longue durée d’action.

LES

NOUVELLES

MOLÉCULES

ANTI-INFLAMMATOIRES

DANS

L’ASTHME SÉVÈRE

Les inhibiteurs des cytokines Th2

Les lymphocytes T (LyT) CD4fiTh2 contribuent à la réponse inflammatoire et au remodelage en produisant la plupart des cytokines des voies aériennes des asthmatiques [12]. Dans les biopsies bronchiques et les LBA d’asthmatiques, IL-4, IL-5 et IL-13 sont co-localisées avec les LyT. Cependant, d’autres cellules (LyT CD8+, éosinophiles, mastocytes, basophiles, cellules NK…) peuvent également produire ces cytokines, notamment après l’action des Ly, créant une « deuxième vague » cytokinique, particulièrement les éosinophiles qui, recrutés et activés par l’IL-4 des LyT, produisent à leur tour de l’IL-4 [13].

Plusieurs essais de blocage de la voie de l’IL-4, notamment par administration d’un récepteur soluble ont été réalisés, mais avec des résultats peu convaincants. Un relais par l’IL-13, une autre cytokine TH2 qui partage le même site de liaison au niveau de la sous unité α ? du récepteur de l’IL-4, a été incriminée devant l’inefficacité des molécules bloquant uniquement la voie de l’IL-4. Des molécules visant à inhiber simultanément l’action de l’IL-4 et de l’IL-13 sont ainsi en cours de développement, notamment le pitrakinra, un dérivé de l’IL-4 qui empêche la fixation de l’IL-4 et de l’IL-13 sur la sous-unité ? du récepteur de l’IL-4. Les résultats obtenus chez des asthmes modérés apparaissent cependant modestes et ne sont pas convaincants quant à leur utilisation dans l’asthme sévère [14].

 

Les Anti-TNF α

Le TNFα est une puissante cytokine pro-inflammatoire qui pourrait jouer un rôle important dans l’asthme sévère. En effet des concentrations élevées de TNFα ont été observées dans le lavage broncho-alvéolaire des asthmatiques sévères ainsi qu’une expression du gène du TNFα dans les biopsies bronchique trente fois plus élevée dans les chez les asthmes sévères par rapport aux asthmes légers à modérés, expression, qui chez ces derniers ne différait pas des sujets normaux non asthmatiques. Enfin, il a été également montré dans un travail récent [15)] que les monocytes sanguins des asthmes sévères expriment fortement le TNFα membranaire. Ce premier travail de Berry et coll démontrait également, sur un petit groupe [10] de patients, un effet bénéfique, notamment sur le VEMS, d’un anti-TNF, l’etanercept.

Ce résultat n’a pas été confirmé dans des études récentes plus larges [16] Seul un nombre réduit de sujets semble répondre à cette molécule, et il sera important de déterminer le phénotype des patients asthmatiques sévères susceptibles d’en béné- ficier.

Anti-IL-5 et éosinophiles

La présence d’éosinophiles dans les voies aériennes est un des éléments les plus caractéristiques de l’asthme. Leur recrutement dépend de l’IL-5 et de la voie de signalisation STAT-6. Leur activation conduit ensuite à la sécrétion de MBP, protéine cationique des éosinophiles, peroxydase, TNFα, GM-CSF, Il-4, Il-5 et Il-13, RANTES, éotaxine et PDGF [17]. Ils participent au maintien et à la progression de la maladie en augmentant l’inflammation, via leur production de cytokines et leur effet d’activation sur les LyT, et en favorisant le remodelage bronchique. Enfin, les cytokines produites par les éosinophiles favorisent leur propre survie dans les bronches en augmentant la synthèse de protéines antiapoptotiques.

Le nombre de PNE dans les voies aériennes est associé à la sévérité de la maladie [18]. Les polynucléaires éosinophiles jouent donc un rôle majeur dans l’amplification de la réponse immune locale, l’augmentation des lésions tissulaires et la fibrose, tout en favorisant leur propre survie dans les voies aériennes.

Un anticorps monoclonal anti-IL-5 (mepolizumab) a été développé ces dernières années et plusieurs études réalisées chez les patients asthmatiques.

Le premier essai thérapeutique réalisé chez des sujets asthmatiques légers s’est avéré décevant [19]. En effet, dans cette étude preuve de concept réalisée chez des asthmatiques légers, un effet du mepolizumab était observé sur les éosinophiles du sang et de l’expectoration induite, mais aucun effet n’était obtenu sur l’hyperréactivité bronchique après test de provocation allergénique, notamment sur la phase tardive. Cette étude remettait en cause le rôle des éosinophiles dans la physiopathologie de l’asthme et en conséquence, l’intérêt de l’utilisation de molécules inhibant les effets de ces cellules. Ceci semblait être confirmé par une étude plus récente portant sur 362 patients asthmatiques [20] dans laquelle un traitement de trois mois par une perfusion de mépolizumab mensuelle n’avait aucun effet sur le contrôle de l’asthme et notamment les exacerbations. Ces résultats pouvaient être expliqués partiellement par les constatations d’un autre travail qui a étudié l’effet du mépolizumab sur le nombre d’éosinophiles dans des biopsies bronchiques d’asthmatiques légers [21]. Dans cette étude, de nouveau, le mepolizumab (une perfusion de 750 mg) n’avait aucun effet sur la fonction respiratoire et l’hyperréactivité bronchique, malgré une diminution de 100 % de l’éosinophilie sanguine mais seulement de 50 % du nombre des éosinophiles dans la muqueuse bronchique.

L’absence d’effet clinique du mépolizumab pouvait donc être attribué au fait que son effet sur le nombre d’éosinophiles infiltrant la muqueuse bronchique n’était que partiel, mais également aux patients inclus dans l’étude, des asthmes légers ou modérés, et aux courtes durées de ces études (trois mois pour la plus longue d’entre elle).

Un élément important pouvant expliquer l’absence ou la modestie des effets observés dans toutes les études utilisant ces nouvelles thérapeutiques ciblées par anticorps monoclonaux est le type de patient inclus. En effet, il est maintenant évident, comme évoqué plus ci-dessus, que les patients asthmatiques sont hétérogènes, que les asthmes sévères difficiles à contrôler représentent un groupe de patients très particulier, et que parmi ces derniers, il existe certainement différents phénotypes en termes d’inflammation et de remodelage bronchique.

Ces différents éléments sont étayés par des études récentes qui ont tenu compte de ces particularités en incluant des patients asthmatiques sévères beaucoup mieux caractérisés sur le plan phénotypique, notamment en termes d’inflammation bronchique. Ainsi, dans un travail récent [22] incluant soixante patients asthmatiques sévères avec une éosinophilie bronchique persistante (évaluée sur l’expectoration induite et/ou les biopsies bronchiques) malgré une corticothérapie inhalée et orale, une diminution significative du nombre d’exacerbations sévères était observé chez les patients recevant une perfusion de mépolizumab (750 mg) une fois par mois pendant cinquante semaines par rapport aux patients recevant un placébo.

Cette étude démontre bien l’importance d’une sélection des patients en fonction de leur phénotype inflammatoire bronchique pour évaluer l’efficacité de ces nouvelles molécules dont l’action anti-inflammatoire est ciblée, telle le mépolizumab. Il faut également souligner que dans cette dernière étude, l’effet du mépolizumab a été évalué sur une période beaucoup plus longue que dans les études antérieures, un an au lieu de trois mois au maximum dans les essais plus anciens. Les effets des autres classes de molécules anti-inflammatoires actuellement en développement telles celles ciblant les chimiokines et leurs récepteurs ou les inhibiteurs des tyrosines kinases devront également être étudiés chez des sous groupes de patients bien phénotypés et caractérisés non seulement sur le plan clinique, mais également sur leur profil inflammatoire bronchique.

 

LES MOLÈCULES POTENTIELLEMENT ACTIVES SUR LE REMODELAGE BRONCHIQUE DE L’ASTHME SÉVÈRE

La survenue de la dégradation fonctionnelle respiratoire dans l’asthme sévère serait la conséquence d’une réduction de l’élasticité et du calibre des bronches attribuables à un processus de remodelage tissulaire dont certains déterminants cellulaires et moléculaires sont peu ou pas sensibles à la corticothérapie. Ce remodelage est caractérisé principalement par un épaississement de la membrane basale par des dépôts de collagène I, III et V, de fibronectine, de tenascine, une fibrose sousépithéliale et une hypertrophie-hyperplasie du muscle lisse bronchique [11].

Des remaniements importants de l’épithélium respiratoire sont observés dans l’asthme et ils se caractérisent par une desquamation des cellules ciliées, par une métaplasie et une hyperplasie des cellules basales, suprabasales et sécrétrices de mucus. Ces remaniements traduisent une réparation incomplète ou anarchique résultant d’une réactivation d’un processus défini comme « unité fonctionnelle épithélium-mésenchyme », qui est mis en jeu lors de la morphogenèse pulmonaire.

Ce phénomène s’accompagnerait d’une libération accrue de médiateurs fibrogéniques, de facteurs de croissance et de composants matriciels capables, à leur tour, d’activer les cellules mésenchymateuses et de favoriser le remodelage bronchique [23].

Molécules ciblant les éosinophiles

L’éosinophile semble jouer un rôle important dans la constitution et l’évolution du remodelage bronchique chez l’asthmatique. De nombreux arguments issus d’études récentes étayent cette hypothèse.

Le mépolizumab, molécule ciblant spécifiquement l’éosinophile diminue la déposition de protéines de la matrice extra-cellulaire dans la membrane basale des patients présentant un asthme léger [24] suggérant qu’elle pourrait, en plus de ces effets directs sur l’éosinophile, avoir une certaine efficacité vis-à-vis du remodelage bronchique des patients asthmatiques. Ceci est corroboré de manière indirecte par l’étude de Haldar et coll [22] citée plus haut, dans laquelle une diminution de l’épaisseur des parois bronchiques était observée dans un sous groupe de patients chez qui un examen tomodensitométrique du thorax était réalisé, avant et après un an de traitement par mépolizumab, par rapport à ceux recevant un placébo.

Enfin, l’éosinophile pourrait également par le biais des protéines cationiques qu’il libère lorsqu’il est activé, être à l’origine de lésions des cellules épithéliales bronchiques et d’altérations de plusieurs de leurs fonctions biologiques. En effet, la première cible des éosinophiles est l’épithélium bronchique dont les fonctions et l’intégrité sont fortement altérées par leurs produits de sécrétion et particulièrement par les protéines cationiques incluant la « major basic protein » (MBP), « eosinophil peroxydase » (EPO) et « eosinophil-derived neurotoxin » (EDN). De nombreux arguments expérimentaux suggèrent fortement que l’épithélium respiratoire joue un rôle clé dans la constitution du remodelage des voies aériennes par le biais d’une production aberrante de composants de la matrice extra-cellulaire, de cytokines et de chimiokines fibrogéniques, de facteurs de croissance et de métalloprotéinases (MMPs), responsables de la prolifération, de la migration et de l’activation des cellules musculaires lisses et des fibroblastes, ainsi que de la différenciation de ces derniers en myofibroblastes [25]. Dans un travail récent [26] il a été montré qu’ in vitro , sur des cellules épithéliales bronchiques primaires, la MBP et l’EPO à des concentrations non cytotoxiques augmentaient les transcrits de l’endotheline-1, du TGF-?1, du PDGF, de l’EGF de la fibronectine et de laMMP-9. Les protéines de ces transcrits étaient également augmentées dans le surnageant des milieux de culture de ces cellules épithéliales. Ceci était également observée in vivo dans le lavage broncho-alvéolaire et le poumon de souris après instillation de MBP intra-trachéal.

Ces résultats suggèrent donc que les protéines cationiques des éosinophiles, et particulièrement la MBP, constituent des cibles thérapeutiques du remodelage bronchique.

L’endothéline-1 : une voie thérapeutique nouvelle pour l’asthme ?

L’endothéline 1 (ET-1) est un peptide de 21 acides aminés synthétisé à partir de la préproendothéline, un peptide précurseur inactif. La préproET-1 est clivée par une endopeptidase en une forme intermédiaire dite « big-endothéline » et enfin clivée en la forme mature active par l’enzyme de conversion de l’endothéline [27, 28].

Les effets biologiques de l’ET-1 sont secondaires à la liaison aux récepteurs ETA et ETB. Les deux récepteurs sont présents dans les voies aériennes, mais ETB est prédominant. Il est responsable de l’effet bronchoconstricteur de l’ET-1, tandis que ETA induit la production de NO et de prostanoïdes et la prolifération du muscle lisse bronchique.

Un certain nombre de données montrent l’implication de l’ET-1 dans l’asthme et le développement de l’obstruction bronchique. ET-1 est fortement exprimée dans le poumon et synthétisée par les cellules épithéliales, les cellules inflammatoires et les cellules musculaires lisses des voies aériennes. Des concentrations importantes d’ET-1 sont retrouvées dans le lavage alvéolaire des asthmatiques et l’expression de la protéine est augmentée dans les voies aériennes des patients asthmatiques [29].

L’ET-1 agit comme une hormone paracrine, entraînant une contraction du muscle lisse bronchique, une augmentation de la croissance et de la différenciation des fibroblastes en myofibroblastes et des cellules musculaires lisses des voies aériennes, une augmentation de la production de mucus et de l’œdème bronchique, tous éléments contribuant à l’obstruction bronchique. Un travail suggère également que sa surexpression induit une fibrose péribronchique chez la souris transgénique [30].

Dans un travail récent, nous avons démontré que l’ET-1 était surexprimée dans l’épithélium bronchique des patients ayant un asthme sévère avec TVO fixé, compa- rativement aux asthmatiques moins sévères, et que ceci était corrélé à l’hypertrophie du muscle lisse bronchique et à l’importance de l’obstruction bronchique mesurée par le VEMS (31). Dans un autre travail, nous avons également démontré qu’il existait une relation entre un polymorphisme du gène de l’ET-1 et le degré d’obstruction bronchique dans une population générale et d’asthmatiques [32].

L’ET-1 est donc impliquée dans l’hyperréactivité bronchique, l’inflammation mais surtout le remodelage musculaire des voies aériennes, participant notamment à l’obstruction bronchique dans l’asthme sévère. Il semble donc logique d’imaginer que l’inhibition de la voie de l’ET-1 puisse être une voie thérapeutique dans le remodelage bronchique, là où les corticoïdes n’ont pas d’effet. Une étude preuve de concept sous l’égide de l’Inserm, est actuellement en cours pour déterminer si le sitaxsentan, un antagoniste du récepteur A de l’endothéline pourrait être actif sur le remodelage bronchique des asthmatiques sévères.

CONCLUSION

De nombreuses molécules sont actuellement en cours de développement dans l’asthme sévère. Chez ces derniers, les corticoïdes sont souvent insuffisamment efficaces et surtout n’ont pratiquement pas d’effet sur le remodelage bronchique qui est une des caractéristiques de l’asthme sévère. Un meilleur phénotypage des patients, notamment sur le plan biologique, est indispensable pour adapter ces nouvelles molécules aux différents sous groupes de patients asthmatiques sévères.

Les techniques telles le multiplex devraient permettre d’améliorer ce point essentiel.

Ces nouvelles molécules sont ciblées sur les mécanismes physiopathologiques cellulaires et moléculaires de l’inflammation et du remodelage bronchique de l’asthme sévère qui commencent à être mieux connus.

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<p>* Pneumologie A, Inserm U700, Hôpital Bichat, Faculté de médecine Denis Diderot, Université Paris 7, e-mail : michel.aubier@bch.aphp.fr Tirés à part : Professeur Michel Aubier, même adresse Article reçu et accepté le 15 mars 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 6, 1009-1019, séance du 16 mars 2010