Résumé
Il convient de préciser dans quelle mesure les viandes bovines sont particulières dans la classe générale des viandes, et quelles sont leurs contributions spécifiques. Sachant que chez l’homme, l’équilibre alimentaire, établi sur une dizaine de jours, nécessite l’absorption de plusieurs classes d’aliments. Elles contiennent, particulièrement du fer (héminique, de remarquable biodisponibilité), du zinc et du sélénium, de la vitamine B12, des vitamines du groupe B (particulièrement B2 (PP) et B6), des protéines de grande qualité biologique. Concernant les lipides sur le plan du profil nutritionnel, il existe des différences majeures selon les situations anatomiques (les morceaux de boucherie), notables selon le profil en acides gras de la nourriture donnée aux animaux, mineures selon les races et les âges. Une consommation suffisante de viande est recommandée pour tous, spécialement pour les personnes les plus à risque de ne pas couvrir certains besoins nutritionnels, telles les adolescentes, les femmes en âge de procréer, enceintes, les sujets âgés et certains sportifs.
Summary
Beef has specific nutritional qualities relative to other meats. In humans, a balanced diet, based on a ten-day period, requires intake of several nutrient classes, including iron (in the form of heme, for its high bioavailability), zinc and selenium, vitamin B12, B vitamins (especially B2 (PP) and B6), and biologically useful proteins. The lipid profile of beef depends largely on the cut. It is also influenced by the fatty acid profile of the animal feed, and by the race and age of the animal. Adequate meat intake is recommended for all individuals, and especially those most at risk of malnutrition, such as adolescents, women of childbearing age, pregnant women, the elderly, and those individuals with a high level sports activity.
INTRODUCTION
Comment se situe la viande bovine dans la classe des viandes [1] ? Pour le dictionnaire, la viande est « la chair de mammifère et d’oiseaux en tant qu’aliment ». Il distingue trois types de viandes : « viande rouge (bœuf, mouton et cheval), blanche (veau, porc, volaille et lapin) et noire (gibier) ». Pour le codex alimentarius , la viande est « toute partie d’un animal destinée à la consommation humaine » ; ce qui inclut, a priori, les poissons, et les animaux « exotiques » (crocodile, kangourou, autruche, bison, zébu, etc.). En pratique, en Europe, sont distingués les animaux de boucherie (bœuf, veau, porc, mouton, agneau, cheval, chevreau), les animaux de basse-cour (poulet, canard, dinde, oie, pigeon pintade et lapin) et le gibier (lièvre, chevreuil, sanglier, etc). Pour ce qui est de la viande bovine, deux grandes classes se distinguent : d’une part les animaux dont l’âge est supérieur à six-huit mois, et d’autre part les veaux (d’âge inférieur). Le vocable de viande de bœuf, dont il est exclusivement question dans cet article, regroupe plusieurs catégories d’animaux :
les bœufs mâles adultes et castrés (8 % de la consommation), les taureaux mâles adultes non castrés, les taurillons ou jeunes bovins (mâles non castrés élevés jusqu’à vingt-quatre mois maximum), les génisses (femelles n’ayant pas encore vêlé) et les vaches. Ces dernières sont les femelles ayant vêlé ; il s’agit soit des vaches allaitantes destinées à la production de viande (Charolaise, Limousine, Blonde d’Aquitaine, etc.), soit des vaches laitières de réforme (Prim’Holstein, Montbéliarde, Normande, etc.), c’est-à-dire dont la production de lait s’est tarie.
La détermination de l’équilibre nutritionnel de l’homme s’effectue sur une dizaine de jours. Il nécessite l’absorption de plusieurs dizaines d’aliments. Ceux-ci sont regroupés en classes, chacune contribuant à des degrés divers à la couverture des besoins en nutriments indispensables, c’est-à-dire en vitamines, minéraux et oligoéléments, acides gras indispensables oméga-3 et oméga-6, acides aminés indispensables. Chaque classe d’aliment possède des caractéristiques propres, elle participe donc de manière plus ou moins notable (parfois quasi exclusive) à l’apport en quelques-uns ou plusieurs de ces nutriments indispensables. Ainsi, les produits laitiers à celui de calcium (ainsi que le zinc et l’iode), les poissons et fruits de mer pour les oméga-3, la vitamine D et l’iode, les fruits et légumes contribuent massivement à l’apport de vitamine C. L’exclusion des produits de la mer de l’alimentation courante ne permet pas, grâce aux autres aliments, de couvrir plus de 60 % des besoins, en oméga-3, iode et sans doute vitamine D. La suppression des produits laitiers interdit la couverture en calcium ; certes, d’autres aliments recèlent ce minéral ; toutefois, soit ils sont très caloriques (sardines en boite), soit le volume de consommation nécessaire serait excessif (un verre de lait équivaut à plus d’un kilogramme de choux, végétal qui en contient le plus ; associé aux plus faibles teneurs en composés anti-nutritionnels, phytates et oxalates, notamment). La question est donc de rappeler en quoi les viandes sont nécessaires à l’équilibre alimentaire, et donc à la santé ; et de déterminer dans quelle mesure les viandes bovines sont particulière dans la classe générale des viandes.
Sur le plan de la composition, c’est-à-dire du profil nutritionnel, il existe des différences majeures selon les situations anatomiques (les morceaux de boucherie) et notables selon la qualité de la nourriture des animaux, mineures selon les races et les âges. Quoi qu’il en soit, il se dégage des caractéristiques spécifiques de la viande bovine : richesse exceptionnelle en fer héminique d’excellente biodisponiblité, en zinc (et aussi en sélénium), en protéines de remarquable qualité nutritionnelle. Parmi les vitamines, se distingue la vitamine B12, à côté des vitamines B2 (PP) et B6.
Les protéines
Le corps humain « moyen » de 70 kilos recèle 10 à 12 kilos de protéines ; 10 % dans les viscères, 15 % dans la peau, les os et le sang, 45 % dans les muscles. Leur renouvellement quotidien est très important : 200 à 250 g, ce qui représente environ 2,5 % du total. Avec des variabilités notables : 2 à 5 % pour le muscle, 7 à 12 % pour l’albumine du sang, 15 % pour le fibrinogène, 40 % dans le duodénum. Globalement, les viscères contribuent pour 50 % au renouvellement des protéines corporelles (mais participe pour 10 % à leur masse), les muscles pour 25 % du renouvellement (mais 45 % de leur masse). Le vieillissement musculaire débute vers 35 ans ;
entre cet âge et 60 ans, la masse musculaire diminue de 40 % (réduction qui peut être évité en partie par une bonne alimentation protéique associé à de l’exercice physique). La perte de muscle est dénommée sarcopénie [2] ; par exemple chez la femme, elle est moindre avec des protéines animales, qu’avec des protéines végétales.
La majeure partie de l’azote corporel se situe au sein des protéines (environ 96 %), alors que les 4 % restants correspondent aux acides aminés libres, à l’urée, aux nucléotides constituant, en particulier, le matériel génétique. La fonction fondamentale des protéines d’origine alimentaire est d’assurer une bonne couverture des besoins azotés de l’organisme, d’un point de vue quantitatif et qualitatif. Or, dans une protéine alimentaire donnée, un acide aminé, manquant ou fourni en quantité insuffisante, s’appelle le facteur limitant primaire. Si on le lui ajoute, ce facteur disparaît, mais il se dévoile alors souvent un déficit relatif en un autre acide aminé, que l’on appelle alors le facteur limitant secondaire et ainsi de suite avec les acides aminés indispensables. Seule une alimentation diversifiée est susceptible de convenir à l’homme, en lui fournissant tous les acides aminés dans de bonnes proportions [3].
Quand le tube digestif digère 170 g de protéines, 100 g seulement proviennent directement des aliments. Les 70 g restant ont pour origine l’organisme lui-même ;
protéines synthétisées les jours précédents, à partir de la nourriture alors absorbée :
il s’agit des protéines que les intestins élaborent, mais aussi de celles qui sont délivrées par le foie et le pancréas (constituées notamment par les enzymes). Ainsi, dans une certaine mesure, la qualité des protéines consommées les jours précédents induit, pour le lendemain, une bonne digestion ; non seulement des protéines, mais aussi de tous les autres nutriments, grâce en particulier à la qualité des enzymes — des protéines — responsables de la digestion de tous les aliments. L’urée, dans l’urine, représente les déchets ; 10 g sont éliminés dans les fèces. Quotidiennement, près de la moitié des protéines des intestins est renouvelée. Sur les 200-250 g de protéines renouvelées chaque jour, une bonne partie de leurs acides aminés sont recyclés ; en conséquence, les recommandations sont d’environ 1g de protéines alimentaires par kilo de poids corporel (entre 0,9 et 2,2g) [4].
La perte d’une cellule musculaire est irrémédiable, par défaut alimentaire comme cela est observé lors du suivi de certains régimes alimentaires amaigrissants. Car les cellules musculaires ne sont que peu renouvelées au cours de la vie (en revanche leur contenu, notamment protéique, l’est largement). Les cardiomyocytes ne se renouvellent qu’à raison de 1 % par an, à l’âge de vingt-cinq ans ; ce taux décroît régulièrement pour atteindre 0,45 % à soixante-quinze ans. En pratique, la plupart d’entre eux ne seront jamais remplacés pendant une durée de vie normale. Il convient donc d’assurer leur vie, en leur fournissant les protéines nécessaires. La perte de la qualité musculaire engendre une accélération du vieillissement, par exemple par une respiration moins efficace (diminution de la musculature intercostale et du diaphragme). L’alimentation elle-même en est affectée (réduction des muscles oro-pharyngiens, le réflexe de déglutition se perd si l‘on arrête de manger).
Chez les faibles consommatrices de protéines d’origine végétale, les fractures du poignet, en péri et post-ménopause, sont diminuées de 80 % par un accroissement de la consommation de viande [5]. Car le squelette lui-même ne constitue pas une structure fossilisée, il est renouvelé trois à quatre fois dans la durée d’une vie, or 30 % de son volume est constitué de protéines, véritables matrices sur lesquelles se fixent les minéraux.
Le caractère lent ou rapide d’une protéine [6] n’infère pas une qualité différente en termes de physiologie : chacune exerce son rôle, en particulier dans l’ordonnancement du repas, et au titre de son efficacité nutritionnelle. Alors que ce n’est pas le cas avec les glucides. Le produit de l’indice chimique classique par la digestibilité réelle définit l’efficacité biologique des protéines, elle est mesurée selon la méthode de référence de la FAO, par le PDCAAS (protein digestibility corrected amino acid score).
Tableau 1. — Efficacité biologique des protéines Source protéique Digestibilité réelle (%) PDCAAS Oeuf 97 143 Lait 95 137 Viande, poisson 94 132 Blé 86 123 Soja 86 123 Riz 88 70 Farine de blé 96 58 À titre d’exemple, pour compléter 1g de protéine de blé (déficiente en lysine), il faut apporter 1 g de viande, 1,6 g de lait, 2,6 g d’œuf, ou 6,2 g de soja [7].
Le fer
Le fer prétendument présent dans les épinards, popularisé par Popeye (initialement dans une bande dessinée), constitue une double méprise : d’abord en conséquence d’une erreur d’impression dans une table de composition des aliments, qui leur attribuait dix fois plus de fer qu’il n’y en a en réalité, ensuite parce que la biodisponibilité y est très faible. Il a fallu toutefois presque cent ans pour la rectifier [8]. En pratique nutritionnelle humaine, il existe deux catégories de fer. Celui présent dans les végétaux, dit minéral, dont la biodisponibilité (captation par les intestins) est de l’ordre de 2 %. L’autre est animal, qualifié d’héminique (présent dans l’hémoglobine et la myoglobine), dont la biodisponibilité est de l’ordre de 30 %. L’organisme humain capte cent fois plus de fer dans cent grammes de l’aliment animal le plus riche en fer héminique, c’est-à-dire le boudin noir cuit (6 mg ; car il est élaboré avec du sang, de l’hémoglobine riche en fer), que dans celui qui est le plus riche en fer dans le monde végétal, la lentille cuite (0,06 mg). La teneur et la biodisponibilité du fer héminique et non héminique dans la viande de bœuf (et des produits tripiers) ont connus, ainsi que l’influence de la conservation et de la cuisson [9]. En conséquence, le fer apporté dans l’alimentation des français est pour 70 % de nature non héminique, mais ne représente que 20 % du fer retrouvé dans le corps ; en revanche le fer héminique ne constitue que 30 % du fer ingéré, mais 80 % du fer du corps y puise son origine. Certes, le thon rouge contient des quantités notables de fer héminique, mais il ne représente qu’une petite partie des diverses variétés de thon consommées :
albacore, listao, germon (blanc), bonite, etc. Les coquillages, bulots en tête sont riches en fer, mais leur faible consommation ne contribue pas significativement à l’apport en ce métal. En pratique, derrière le boudin noir, la viande bovine est l’aliment qui contient le plus de fer total, et de fer héminique, devant la viande de mouton, de porc et celles de volailles (tableau 2).
Tableau 2. — fer dans le muscle de diverses espèces (μg/g de poids frais) Viande, muscle Fer total Fer non-héminique Fer héminique Porc 10 5,2 4,9 Agneau 16,4 7,0 9,4 Bœuf 26,1 9,9 16,2 Les aliments constitutifs d’un repas apportent des substances qui peuvent soit favoriser l’absorption du fer non-héminique, soit au contraire la contrarier. Les activateurs sont l’acide citrique, et surtout l’acide ascorbique (la vitamine C ; tous les compléments alimentaires contenant du fer le sont aussi en cette vitamine, notamment ceux qui sont destinés aux femmes enceintes) ; ainsi que les protéines animales [10]. La portion de fer non-héminique de la viande (soit originelle, soit générée par la cuisson à partir du fer héminique) est donc augmentée par les protéines de la viande elle-même. Les inhibiteurs, diminuant parfois considérablement la biodisponibilité, sont les tanins (le thé devrait être limité sinon proscrit en accompagnement de la viande, surtout chez les femmes « en âge de procréer », largement déficitaires sinon carencées), les sons et les phytates, les fibres et les oxalates. Le fer alimentaire occupe une place considérable pendant la grossesse et l’allaitement, pour la santé de l’enfant et de sa mère. Or, Les risques de carences sont réels en France et en Europe [11], comme l’a démontré l’étude SUVIMAX : 8 % des femmes sont médicalement malades (la proportion est plus grande en Angleterre et aux États-Unis), 30 % d’entre elles, entre la puberté et la ménopause sont dépourvues de réserve de fer, alors que 70 % des femmes en fin de grossesse sont déficientes !
Ainsi [12], en situation de carence ou même de déficit de leur mère, le QI des enfants âgés de huit ans est en relation avec la teneur en fer du cordon ombilical du jour de leur naissance. Cela est aussi valable plus tard [13]. Au Chili, par exemple, des programmes d’enrichissement de céréales et de gâteaux pour enfants avec des extraits de sang de bœuf ont prouvé leur efficacité [14]. Ce résultat n’est pas inattendu car le fer sert, notamment, d’une part à transporter l’oxygène aux organes, surtout au cerveau, et d’autre part il fait partie d’une enzyme qui élabore l’énergie, la cytochrome- oxydase. Or, 80 % de l’énergie alimentaire du nouveau-né (et donc du comburant, l’oxygène) n’est utilisé que par le cerveau. La recommandation des pédiatres est la suivante [15] : un jeune enfant qui ne consomme pas de lait de croissance doit manger de la viande deux fois par jour (en absence de viande et de lait de croissance son alimentation ne lui apporte que 20 % de ses besoins).
Le zinc
À titre d’exemple, peu onéreuse, une simple portion de collier (bourguignon) de 120 g apporte la totalité de la recommandation en zinc. Car l’ensemble des viandes contiennent d’appréciables quantités de zinc, avec le jambon et les produits tripiers, foie au premier chef. Cet oligo-élément est le plus souvent mieux absorbé à partir des aliments d’origine animale, que végétale. En effet le lactose, l’histidine, la cystéine et les protéines animales exercent une activité activatrice sur son absorption intestinale, alors que les phytates (présents, entre autres, dans de nombreux produits céréaliers) exercent un effet inhibiteur. Le zinc intervient directement dans les mécanismes biochimiques producteurs d’énergie en facilitant l’utilisation de l’oxygène ; il participe, dans les super-oxydes dismutases, à la protection contre les radicaux libres. Il contribue à la structure d’hormones peptidiques importantes telles que l’insuline, dont le rôle est évidemment primordial dans le métabolisme glucidique. Le zinc joue un rôle majeur, entre autres, dans la croissance (en général, de l’os en particulier), le développement, la maturation testiculaire, les fonctions neurologiques, l’immunité et l’immunocompétence. Concernant la vision, ce métal agit à tous les plans, véritable « oligo-élément-orchestre » depuis le niveau moléculaire jusqu’aux mécanismes physiologiques. C’est ainsi qu’il concourt au métabolisme de la vitamine A, dans sa mobilisation hépatique (lieu de stockage), dans le fonctionnement des cellules de la rétine (les cônes et les bâtonnets), dans l’intégrité du nerf optique [12].
Trait d’union entre la nutrition et le plaisir, le zinc est indispensable à la perception du goût, tant au niveau de la bouche que du cerveau. Il intervient dans une substance spécifique, appelée gustine, participant aux perceptions des goûts. Par ailleurs, la carence en zinc entraîne une baisse de la synthèse des protéines au niveau des bourgeons du goût. Alors que les régions du cerveau percevant et interprétant le plaisir alimentaire sont elles-mêmes très riches en zinc. En conséquence directe de ce rôle du zinc, au cours du vieillissement, un véritable cercle vicieux peut s’instaurer.
En effet, pour diverses raisons (mauvaise dentition, entre autres), la consommation de viande rouge est réduite, diminuant l’absorption de zinc, réduisant la perception du goût et donc la saveur des aliments. Ceux-ci, jugés insipides, ne sont plus alors consommés en quantités utiles, instaurant des déficits en nutriments, dont une perte musculaire par manque de protéine, début du cercle vicieux.
La vitamine B12
Le vocable de vitamine B12 concerne des substances dites ‘‘ cobalamines ’’, car l’une de leurs caractéristiques est la présence d’un atome de cobalt au centre de la molécule. Cette vitamine participe, entre autres, à la formation des cellules nerveuses et à l’élaboration des globules rouges, exerçant à ce titre une activité antianémique. En clinique humaine comme sur les modèles animaux, sa carence se définit en partie par les mêmes troubles que la restriction en acide folique : désordres neurologiques et psychiques, ainsi qu’altérations hématologiques. Chez le nourrisson, une réduction de vitamine B12 entraîne un retard neurologique irréversible, et peut même aboutir à la mort, par exemple lors du suivi de certains régimes alimentaires sectaires dépourvus d’aliments d’origine animale. Pratiquement aucun animal, ni aucun végétal supérieur, ne possède de matériel génétique permettant la synthèse de la vitamine B12. En effet, les cobalamines sont uniquement synthétisées par les micro-organismes, bactéries et levures. Dans l’alimentation humaine, la vitamine B12 est presque exclusivement présente dans les aliments d’origine animale : viandes, œufs, crustacés, poissons, lait et dérivés.
Les crustacés, animaux filtreurs pour nombre d’entre eux (l’huître et la moule, par exemple), captent d’énormes quantités d’algues microscopiques, aptes à fabriquer cette vitamine, qu’ils stockent. Les viandes bovines, quant à elles, en sont particulièrement riches, du fait de sa synthèse par la flore intestinale du ruminant. Géné- ralement, les ruminants élaborent cette vitamine en grande quantité dans le rumen, elle transite par la caillette, pour se retrouver dans l’intestin grêle où elle est finalement absorbée. Certaines algues (les spirulines en sont), vendues notamment en magasin de diététique, contiennent des cobalamines, de pseudo-vitamine-B12.
Elles ne sont malheureusement parfois que peu biodisponibles, leur efficacité est donc restreinte. La vitamine B12 illustre l’importance des sources animales dans l’équilibre alimentaire [16]. Le métabolisme de la vitamine B12 nécessite d’autres vitamines, spécifiquement les vitamines B2 et B3.
Les lipides
Par définition technologique, les huiles sont des corps gras liquides à partir de 15° C, alors que les graisses restent solides. Les graisses peuvent donc être animales (saindoux du porc, suif du bœuf ou du mouton) ou végétales (de coprah). Alors que les huiles sont principalement végétales, certaines sont néanmoins animales, comme celles de poisson. La nature des acides gras définit l’identité de la majorité des lipides. Contrairement aux idées reçues, la distinction entre animal et végétal n’infère absolument pas, a priori , un intérêt nutritionnel différent. Ainsi, le saindoux de porc et même le suif de bœuf, présentent un profil nutritionnel nettement meilleur que celui de l’huile de palme ou de la graisse de palmiste. D’autant que, désormais, il est devenu inexact, obsolète, voire même dangereux, de traiter les acides gras saturés « en bloc », car ils présentent des métabolismes et exercent des rôles très différents, pour chacun d’entre eux. Ainsi, le risque de maladie cardio-vasculaire n’est pas en relation avec la consommation totale d’acides gras saturés [17], mais seulement avec celle de certains d’entre eux. En nutrition, les mots lipide et graisse sont synonymes. La vie est strictement impossible sans graisses, car elles interviennent prioritairement à tous les niveaux de la vie : elles fournissent de l’énergie, participent fondamentalement à l’architecture des structures biologiques, constituent les précurseurs d’hormone ; pour n’évoquer que leurs rôles majeurs. Par ailleurs, la plupart des aliments développent leurs goûts spécifiques par la présence de graisses.
Il est intéressant de relever que le gras de l’animal constitue, dans une bonne mesure, le reflet plus ou moins fidèle de celui qu’il a trouvé dans sa nourriture. Par consé- quent, dans l’alimentation des animaux, la nature des lipides sélectionnés induit des modifications parfois considérables de la valeur nutritionnelle des aliments animaux que nous consommons à notre tour. Étant donné l’impact des graisses alimentaires sur la santé, positif et négatif, la nature de l’alimentation animale peut être du plus haut intérêt en termes de santé publique, principalement au niveau de la prévention de certains aspects des maladies cardio-vasculaires ; mais aussi de nombreuses pathologies, par exemple comme le cancer. Le contrôle de la nature des acides gras constitutifs des graisses représente donc un objectif d’intérêt pour ce qui concerne toutes les viandes, le lait, les laitages et les œufs. L’objectif global est de diminuer les teneurs en certains acides gras saturés (palmitique notamment), d’accroître modé- rément les mono-insaturés (acide oléique), d’augmenter notablement les oméga-3 (acide linolénique ALA ; cervonique ou docosahéxaénoïque, DHA ; et eicosapentaaénoïque, EPA, timnodonique), tout en respectant un équilibre avec les oméga-6 (rapport oméga-6/oméga-3 aussi proche de 5 que possible, alors qu’il est actuellement nettement supérieur dans l’alimentation française).
En pratique, il est relativement difficile de modifier la composition en acides gras des phospholipides constitutifs des membranes biologiques, car leur spécificité est largement sous contrôle génétique. En revanche, la majeure partie des lipides de l’animal constitue une réserve énergétique ; ils sont alors en relation avec la qualité nutritionnelle des aliments qui lui ont été donnés. La graisse se situe principalement dans le tissu adipeux, évidemment ; mais aussi entre les fibres musculaires (la darne de saumon est persillée, comme l’est l’entrecôte), dans le foie de certains poissons (l’huile de foie de morue constitue la preuve spectaculaire de l’intérêt du cabillaud) et des oiseaux migrateurs (d’où le physiologique foie gras). La nature des acides gras des triglycérides de réserve (trouvés en quantité plus ou moins importantes selon les localisations anatomiques, c’est-à-dire les morceaux de boucherie), peut donc varier notablement en fonction de la nourriture reçue par les animaux. En les contrôlant, il est possible d’améliorer l’état sanitaire des consommateurs. Cependant, selon les morceaux, et surtout selon les espèces, l’efficacité de l’intervention varie considérablement.
La physiologie digestive du mammifère peut modifier de manière importante les graisses alimentaires, entre ruminant « polygastriques », et « monogastriques ». En effet, les bactéries intestinales du mammifère polygastrique transforment une grande part des aliments en substances simples, utilisées ensuite par l’animal.
Quand elles sont hydrogénantes, elles transforment, en acides gras saturés, une fraction notable des acides gras poly-insaturés présents dans l’alimentation. S’il s’agit des oméga-3 (et des oméga-6), cela leur fait perdre leur intérêt biologique. Les conséquences (qualitatives et quantitatives) des interventions des éleveurs (par exemple en mettant à profit les graines de lin), sur la composition de l’alimentation animale sont plus perceptibles chez les mono-gastriques (car l’aliment donné à l’animal est préservé lors du processus digestif) que chez les poly-gastriques [18, 19].
Il est donc moins efficace — mais pas inutile — d’obtenir des acides gras oméga-3 dans du lait, de la viande bovine ou du mouton, que dans les produits issus du cochon ou du lapin, par exemple [20].
Il convient d’insister sur les poissons, dont la valeur nutritionnelle en termes de lipides (déterminée par la présence d’oméga-3) peut présenter une variabilité nutri- tionnelle considérable selon la nature des graisses avec lesquelles ils sont alimentés (en élevage). L’objectif de prévention de certains aspects des maladies cardiovasculaires (et d’autres pathologies) peut être favorisé ou, à l’inverse, contrarié selon la nature des acides gras présents dans la chair de poisson, conséquence directe de la nature des graisses avec lesquelles ils ont été nourris [21]. Pour les poissons d’élevage, une alimentation riche en huile de palme pourrait les transformer en aliment non recommandable pour la santé, car ayant perdu son identité nutritionnelle, consé- quence de la considérable réduction de ses oméga-3. Concernant les œufs, ceux qui sont dénommés « oméga-3 » ont une composition voisine de celle des œufs « naturels », de poules pondeuses que l’on pourrait qualifier de « sauvages » ; ainsi, la teneur en oméga-3 entre l’œuf « crétois sauvage » est vingt fois plus grande que celle de celui des linéaires aux USA [22].
À titre d’exemple, en nourrissant les animaux par exemple avec des extraits de graines de lin ou de colza, la teneur en ALA est multipliée par trois ou quatre dans le lait, par deux dans la viande de bœuf, par six dans celle de porc, par dix dans le poulet, par quarante dans les œufs. En nourrissant les animaux avec des extraits de poissons ou d’algues (huiles) la quantité de DHA (acide cervonique) est multipliée par deux dans la viande de bœuf, par sept dans le poulet, par six dans les œufs, par vingt (au minimum) dans le poisson (le saumon d’élevage, en l’occurrence). De telles performances sont atteintes en respectant strictement la physiologie des animaux, en copiant ce qui était généralement la règle avec les méthodes traditionnelles. Il ne s’agit en aucun cas de transformer l’animal en « alicament ».
CONCLUSIONS
Les enquêtes récentes (CREDOC) [23, 24] montrent que la consommation quotidienne moyenne de chaque français est de 30 g de viande bovine ; ce qui correspond à deux steaks par semaine [25]. Cela contredit un dogme ancien affirmant que la consommation française de viande serait excessive. En tout état de cause, elle reste notablement inferieure aux limites de consommations proposées dans le cadre de la prévention de certaines pathologies chroniques. Au contraire, cette modeste absorption peut être mise en relation avec le déficit en fer, en particulier chez les femmes avant la ménopause, problème de santé publique.
Sans équivoque, la viande bovine offre un certain nombre de caractéristiques nutritionnelles qui étayent sa place dans le cadre de l’équilibre alimentaire notamment vitamines du groupe B et sélénium ; au même niveau que toutes les autres classes d’aliments, chacune ayant ses spécificités [26]. À ce titre, elle participe modestement, quoiqu’utilement, à la couverture en nombre de nutriments. Mais elle est incontournable pour certains d’entre eux, car elle présente des spécificités intéressantes. En termes de teneur, après le boudin noir, la viande bovine est le principal fournisseur de fer biodisponible, de fer héminique. Or le déficit en fer constitue un problème grave de santé publique, avec ses multiples conséquences sur la qualité de la vie, voire la santé. Elle apporte aussi du zinc, biodisponible, nécessaire à de multiples activités biologiques et physiologiques, notamment à la perception du goût, de la saveur des aliments. Or, une alimentation jugée insipide est refusée, induisant des déficits nutritionnels, des carences et donc aggravant certaines pathologies, notamment au cours du vieillissement. Avec les poissons et les fruits de mer, la viande de ruminant, notamment bovine, apporte des grandes quantités de vitamine B12. Les protéines de la viande bovine sont d’excellente qualité nutritionnelle, de plus leur métabolisme est favorable (lentes et rapides). Enfin, concernant les graisses, les affirmations habituelles méritent d’être nuancées. Tout d’abord, compte tenu du niveau de consommation habituel en France (l’équivalent de deux bifteks par semaine et par habitant), la viande bovine ne peut pas être tenue pour responsable de la surconsommation prétendue de graisses. Ensuite les teneurs en graisses sont très variables selon les morceaux : le biftek contient 2 à 4 % de matière grasse, ce qui le situe parmi les aliments maigres. Finalement, l’alimentation des bovins induit la qualité nutritionnelle des graisses, mais modérément. Par ailleurs, la viande apporte un certain nombre de substances qui sont d’intérêt biologique, tels des peptides (carnosine, etc). La sécurité biologique des animaux est bien établie en France [27]. Une consommation suffisante de viande est manifestement recommandée pour les personnes les plus à risque de ne pas couvrir certains besoins nutritionnels, telles les adolescentes, les femmes en âge de procréer, enceintes, certains sportifs et les sujets âgés [28].
En n’oubliant pas que les préparations culinaires [29] ont-elles aussi une influence qu’il convient de noter, mais marginale à côté du choix du morceau. Tout d’abord, la grillade ne présente que des effets modestes : une entrecôte grillée reste plus grasse qu’une portion normale de bourguignon, avec sa sauce. Un pot au feu est beaucoup plus gras s’il est préparé avec du jarret plutôt qu’avec du plat de côte. La recommandation de sélectionner le poulet au titre de la restriction de graisse est rendue obsolète par le comportement du consommateur, qui préfère la cuisse à la peau bien grillée (plus goûteuse que le blanc, lui-même insipide du fait de sa faible teneur en graisse). Or cette cuisse contient cinq fois plus de graisse que le biftek, dont il s’est privé.
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Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 8, 1787-1799, séance du 15 novembre 2011