Résumé
Chez cet homme monodactyle bilatéral, le doigt restant est sensible et mobile, le contrôle moteur des poignets est normal. En l’absence de pouce, la flexion de l’annulaire sur la paume assure une pince efficace pour manipuler les objets moyens ; une prise bi-manuelle est utilisée pour les objets très fins ou volumineux. Certains gestes, tels que l’utilisation d’une manivelle, sont réalisés par appui palmaire sans prise effective. L’anomalie des pieds est sans conséquence fonctionnelle. Sa grande habileté au volant, malgré l’absence d’un pouce opposable, a permis d’être optimiste sur le résultat d’un entraînement aéronautique ; c’est pourquoi, en tant que pilote instructeur, nous lui avons dispensé deux années d’instruction. Le contrôleur de l’Aviation civile a testé ses capacités et le Conseil médical de l’aviation civile a examiné son dossier et donné son accord. Sans recours à l’usage de matériel adapté, cet homme autonome écrit, conduit une voiture à boite mécanique, et il est maintenant titulaire d’un brevet qui lui permet d’emmener des passagers sur un avion monomoteur à travers le monde.
Summary
We report the case of a man with bilateral monodactyly whose sole remaining (third) finger on each hand is sensitive and mobile, and whose wrist motor control is normal. Opposed to the palm, the finger provides sufficient clamp function to manipulate medium-sized objects, while bi-manual grip is used for either very thin or voluminous items. Some gestures, such as using a crank, are achieved by simple palm pressure. His foot deformations have no functional consequences. His excellent driving skills suggested that he would be capable of learning to fly an airplane. After two years of training with a private instructor, the Inspector of Civil Aviation and Medical Council of the Civil Aeronautic Board gave him the all-clear. Without the need for special equipment, this man is able to write, to drive a car with a manual gearbox, and now to fly passenger-carrying single-engine planes throughout the world.
Le syndrome « des pieds et mains fendus », du à l’absence symétrique du rayon médian, fut nommé en 1832 ectrodactylie par Saint Hilaire (du grec ectroω je fais avorter) ; il donne, dans les formes les plus sévères, un aspect dit « en pince de homard » ou à l’extrême une monodactylie, sans anomalie associée ni handicap mental [1, 2].
Cette malformation rare (1/18 000) peut se transmettre de génération en génération, avec un risque de 50 %, quel que soit le sexe [4]. Le gène TP63, facteur de transcription, intervenant dans le développement des tissus épithéliaux (membres, face et peau) , est peu incriminé dans ces monodactylies isolées, contrairement à d’autres associations syndromiques [5-8]. L’étiologie génique reste à découvrir.
Le diagnostic différentiel a été étudié par Davis [3].
Quant au syndrome de Poland, il s’agit de l’absence congénitale de muscles ;
l’agénésie complète du grand pectoral, par exemple, associée à une malformation de la main homolatérale.
Notre ami, le regretté Professeur Charles Piussan, fondateur du service de Géné- tique du CHU d’Amiens, a fait le diagnostic d’une mutation à caractère dominant, peut-être due à la rubéole maternelle en début de grossesse.
En février 1998, cet homme de 43 ans, célibataire sans enfant, atteint d’une monodactylie tétramélique congénitale s’est présenté à la consultation de Médecine aéronautique du CHU d’Amiens pour demander s’il lui serait possible d’apprendre à piloter un avion. Il nous était adressé par un interniste de Saint Quentin, le docteur Christian Huguet.
En tant que médecin agréé par le ministère des Transports, après un examen clinique, nous avons constaté combien cet homme était habile à conduire sa propre voiture, non modifiée, et cela aux vitesses règlementaires ; la malformation importante et symétrique des deux pieds n’entraînait aucune gêne fonctionnelle apparente avec des chaussures faites sur mesure. L’examen clinique ne révélait ni antécédent familial de monodactylie, ni aucune autre anomalie. La radiographie des deux mains a montré la présence de trois métacarpiens à gauche, et d’un seul à droite.
En qualité d’instructeur pilote privé avion, il nous a été possible de répondre positivement à la question du patient et d’entreprendre sa formation. L’entrainement pour le brevet de base a duré plus de deux ans. Il a comporté trente heures de vol en double commande et trois tests successifs avec l’inspecteur-contrôleur de l’Aviation civile de la région Picardie, Patrick Delfolie.
Le Conseil médical de l’Aéronautique Civile a donné un avis favorable.
Grâce à cette dérogation, l’intéressé a poursuivi avec succès sa formation et a obtenu son Brevet de Pilote Privé Avion. Cet homme, examiné aux commandes de sa voiture ou de l’avion de l’Aéro-club de Picardie – Amiens Métropole, réalise pratiquement toutes les fonctions d’une main normale grâce à des compensations dictées par l’intelligence et la nécessité.
Ses deux mains ne comportent que l’annulaire, qui a acquis une force comparable à celle retrouvée normalement pour un index ou un médius. Cette force a été mesurée en flexion dans l’utilisation en crochet. La flexion de l’annulaire sur la paume assure une prise efficace dont la force, mesurée au dynamomètre de Jamar, est de 9 kg à droite, de 16 kg à gauche (côté dominant). Comparées aux résultats de six hommes sans pathologie de main, ces valeurs, faibles par rapport à une prise à pleine main, apparaissent comparables à la force développée, normalement, avec un seul doigt.
De plus, ce doigt présente une inclinaison radiale prononcée avec légère supination et le patient a développé au maximum sa propension naturelle à réaliser une flexion oblique vers le bord radial du poignet, équivalent du pouce. Avec cette opposition, il peut réaliser des prises palmaires qui sont parfaitement efficaces, puisqu’il peut tourner une manivelle, un bouton ou un bouchon de réservoir d’essence. C’est grâce à cette prise palmaire gauche qu’il peut écrire. Il semble être ambidextre à prédominance gauche. L’éminence thénar lui sert de poussoir puissant et la prise bi-manuelle, à la manière des écureuils, est chez lui très efficace.
Avant d’apprendre à piloter, il était capable d’écrire et de conduire sa voiture. Son schéma corporel a toujours été celui de main à un seul doigt. Ce n’est pas comme s’il avait du s’adapter à une main monodactyle après amputation des autres doigts.
Pour le chirurgien de la main, cette observation montre qu’il faut poser avec une grande prudence les indications opératoires, en tenant compte des possibilités d’adaptation ; dans le cas présent, tout acte chirurgical aurait probablement été inopportun.
Notre patient peut emmener amis et passagers de son choix en vol local ou en voyage dans le monde entier, à condition de garder l’entraînement en vol minimum, et de répondre aux autres obligations règlementaires, dont la procédure radio en anglais ;
actuellement, il vole presque chaque semaine, avec l’Aéroclub d’Albert-Bray, Somme. Il totalise deux cent-quinze heures de vol dont cent dix-sept en commandant de bord.
Documentaire vidéo de 11 ′ 40 — © 2002 — auteur : Alain Milhaud — réalisateur :
Cécile Clairval-Milhaud
BIBLIOGRAPHIE [1] Eckold JG., Martens FH. — Steinacker — Leipzig-1804. — brochure illustrée, 23 p.
[2] Cruveilhier J. — Atlas d’Anatomie — S. Baillère — Paris — 1829.
[3] Davis TS. — The differential diagnosis of the cleft hand and cleft foot malformations. Hand, 1974, 6, 58-61.
[4] Sommer A.M. et Hines S. — Autosomal Dominant Inheritance of Tetramelic. Monodactyly.
Ann. J. of Medical Genetic, 1992, 42 , 51-54.
[5] Maroteaux P. et Lemmer M. — Les maladies osseuses de l’enfant. 4e édition — Médecine — Sciences — Flammarion — Paris — 2002.
[6] Shanske Al. — Split hand foot malformation : An introduction. Am. J. Med. Genet., 2006, Part
A, 140A , 1357-1358.
[7] Basel D., Kilpatrick MW., and Tsipouras P. — The expanding panorama of split hand foot malformation. Am. J. Med. Genet., 2006, Part A, 140A, 1359-1365.
[8] Elliot AM., Evans JA. — Genotype-phenotype correlations in mapped split hand foot malformation parents. Am. J. Med. Genet., 2006, Part A, 140A , 1419-1427.
N.B. — Cette bibliographie est loin d’être exhaustive, et l’American Journal of Medical Genetics a publié le 1er juillet 2006 un numéro spécial où se trouvent 15 articles traitant du « split hand foot malformation (SHFM) » avec un ensemble de plus de 100 références bibliographiques. Des expérimentations animales ont pu être réalisées.Chez la souris aux USA.
Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 3, 709-712, séance du 24 mars 2009