Rapport
Séance du 18 octobre 2011

11-11 Compétence scientifique et technique de l’expert et qualité de l’expertise en responsabilité médicale

MOTS-CLÉS : expertise. responsabilité légale
Scientific and technical competence of medical experts ; quality of assessment by experts in medical liability
KEY-WORDS : expertestimony. liability, legal

Jacques Hureau, Claude-Henri Chouard (au nom d’un groupe de travail de la Commission XVII — Éthique et droit)

Résumé

La mission de l’expert médecin dans un conflit en responsabilité médicale le conduit à donner, sur l’action d’un de ses pairs, un avis qui peut être lourd de conséquences. La responsabilité scientifique et technique de l’expert est engagée. Sa compétence ne doit pouvoir être mise en doute. L’audition, par le groupe de travail, de conférenciers issus d’horizons différents a permis de traiter dans ce rapport les multiples facettes du sujet proposé. Il s’en dégage des recommandations ou des voies de recherche pour améliorer les modes d’évaluation des experts et la qualité scientifique et technique des expertises rendues.

Summary

The mission of MDs acting as judicial experts in cases of possible medical liability is to give an opinion on the actions of one of their peers, and this opinion may have heavy consequences. The scientific and technical liability of the expert witness is engaged, and their competence must be beyond question. Speakers from various technical backgrounds were auditioned by the working group, covering multiple aspects of the subject of this report. This generated several recommendations and proposed lines of research designed to improve the appraisal of judicial experts and the scientific and technical quality of expert reports.

RECOMMANDATIONS

L’Académie nationale de médecine ne peut se tenir à l’écart des problèmes médico-juridiques posés par la compétence scientifique et technique des experts et la qualité des expertises en responsabilité médicale. A partir du rapport qu’elle a établi, l’Académie nationale de médecine émet les recommandations pratiques suivantes :

À propos de l’inscription sur les listes 1 — L’expert médecin, dans une affaire en responsabilité médicale, doit être de formation et expérience scientifique et/ou technique au moins égales à celles de ses pairs dans la spécialité concernée par l’avis demandé.

2 — Lors de l’instruction du dossier d’un candidat à l’inscription sur une liste d’expert, la pratique de l’entretien avec un ou deux membres rapporteurs de la compagnie d’experts ou de la commission de la CNAMed, choisis dans la même spécialité, doit être étendue.

3 — La nomenclature des rubriques expertales doit être revue avec plus de précision et faire mention des sur-spécialités. Une véritable banque de données informatisées et régulièrement contrôlées serait mise à la disposition du juge qui choisit et missionne l’expert.

À propos de la désignation de l’expert 4 — Il faut développer la pratique des expertises collégiales dans les dossiers les plus difficiles du point de vue scientifique et technique.

• Le collège d’experts pluridisciplinaire devrait s’adresser à la mise en cause dans le cadre d’une chaîne de soins.

• Le collège d’experts monodisciplinaire (deux ou trois membres) serait réservé aux dossiers les plus délicats.

• Dans tous les cas, un rapport commun s’impose pour éviter au magistrat de s’impliquer dans le débat épistémologique médical.

• Le recours à un technicien associé (sapiteur) doit rester légitime lorsque, sur un point précis de sa mission, l’expert ou le collège d’experts a besoin d’un avis scientifique ou technique particulièrement « pointu ». Le sapiteur n’est pas un co-expert.

5 — Pour un bon respect de l’impartialité, la délocalisation de l’expertise est à privilégier chaque fois qu’il y a lieu d’éviter le risque d’une confraternité, voire d’un corporatisme local.

6 — Le juge doit disposer de tous les moyens pour rechercher l’expert le plus en adéquation avec l’affaire en cause, ne fut-il pas l’expert le plus habituellement désigné.

7 — Le juge, dans un dossier délicat, pourrait recourir, dans le cadre de la « con- férence », a une audition de l’expert missionné en présence des parties (art. 266 du code de procédure civile), dans l’esprit des critères Daubert.

À propos du déroulement de l’expertise 8 — L’indépendance de l’expert doit faire l’objet d’un contrôle et peut donner lieu soit à une déclaration orale de principe devant les parties au cours de la réunion expertale (avec mention dans le rapport), soit plus rarement à une « déclaration publique d’intérêt » si la position personnelle de l’expert est susceptible d’ouvrir un conflit d’intérêt intellectuel ou financier suscitant un procès d’intention soldé par une récusation. De plus tout manquement pourrait être sanctionné, en application extensive de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé adoptée par l’Assemblée Nationale le 4 octobre 2011 et transmise au Sénat).

En outre l’expert doit savoir se déporter selon les mêmes critères que le juge (art. 234 du code de procédure civile). Il doit être impartial, c’est-à-dire en dehors des parties.

9 — Le respect du principe de la contradiction par l’expert est l’un des facteurs de contrôle de sa compétence et de la validité de l’expertise. Outre l’expert, il revient au juge et aux parties d’y veiller.

10 — L’expert doit recevoir, automatiquement et non seulement sur sa demande, une copie des décisions de justice ou des avis des CRCI rendus au vu de son rapport (art. 284-1 du code de procédure civile), pour un retour instructif sur la qualité du travail qu’il a fourni (retour d’expérience).

La pratique des fiches d’évaluation de la qualité de l’expertise par les juridictions du fond pourrait être développée.

Au-delà de ces recommandations

L’Académie nationale de médecine souligne la nécessité d’explorer des voies de recherche concernant l’ accréditation des experts médecins et la normalisation de l’expertise pour une amélioration de la qualité et de la confiance dans les expertises en responsabilité dans les domaines de la santé.

 

Une liste nationale d’experts accrédités commune à toutes les juridictions parait souhaitable, même si elle n’est pas encore à l’ordre du jour.

Exiger des experts compétents et indépendants, c’est protéger les justiciables et l’institution judiciaire toute entière.

Ce rapport dans son intégralité, peut être consulté sur le site www.academie-medecine.fr *

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 18 octobre 2011, a adopté le texte de ce rapport par 60 voix pour, 3 voix contre et 9 abstentions.

 

<p>* Constitué de Mesdames C. BERGOIGNAN-ESPER et A. MARCELLI, Messieurs J. BARBIER, Y. CHAPUIS, C.H. CHOUARD (Secrétaire), J. DUBOUSSET, J. HUREAU (Rapporteur), A. LIENHART, D. PELLERIN, C. SUREAU, P. VAYRE et la collaboration de L. DUMOULIN, P. MATET, JM. CHABOT, G. TUFFÉRY, G. DALBIGNAT-DEHARO, R. ENCINAS de MUNAGORRI, P. SARGOS, P. de FONTBRESSIN ** Membre de l’Académie nationale de médecine Tirés à part : Professeur Jacques HUREAU, e-mail : jhureau@noos.fr</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 7, 1729-1732, séance du 18 octobre 2011