Chronique historique
Séance du 25 octobre 2011

Le diagnostic prénatal : le temps des pionniers

MOTS-CLÉS : diagnostic prénatal
Early pioneers in antenatal diagnostics
KEY-WORDS : prenatal diagnosis

Roger Henrion

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Roger HENRION *

Le travail des pionniers est par essence difficile car semé d’embûches mais il est exaltant. Du moins l’était-il à l’époque du début du diagnostic prénatal en France avant que n’existe le sacro-saint principe de précaution qui, inscrit dans la constitution, est en passe de s’inscrire dans les gènes des français. Nous étions libres face à notre conscience et nos responsabilités, libres de nos décisions sans attendre l’autorisation d’une quelconque Haute Autorité.

A la fin des années 60, d’énormes progrès avaient été accomplis en obstétrique que ce soit dans la surveillance des grossesses, la direction du travail ou l’analgésie obstétricale. Mais, la découverte d’une malformation fœtale grave restait le plus souvent, pour les obstétriciens, une très mauvaise surprise lors de l’accouchement.

Certaines malformations comme les hydrocéphalies, les anasarques, les volumineuses omphalocèles, les tumeurs sacro-coccygiennes, ne permettaient pas l’accouchement par les voies naturelles. Elles ne laissaient d’autres possibilités à l’accoucheur, pris au dépourvu, que de faire des césariennes regrettables, parfois difficiles car balafrant largement l’utérus, et cela à défaut de fort désagréables manœuvres de perforation ou de morcellement du fœtus. Parfois, la malformation était redoutée en raison d’un antécédent personnel ou familial, d’un excès de volume du liquide amniotique, d’un retard manifeste de croissance in utero ou de la mauvaise qualité des mouvements actifs du fœtus. Parfois, ce n’était qu’au cours d’une autopsie que l’anomalie était découverte. Il arrivait aussi que l’on apprenne plusieurs mois, voire plusieurs années après la naissance, qu’un enfant supposé normal était porteur d’une anomalie. Le diagnostic des aberrations chromosomiques était impossible comme l’était celui des maladies géniques ou celui des infections sévères telle la toxoplasmose aux conséquences dramatiques pour le fœtus. Mais, tout s’inscrivait dans une logique naturelle. Les enfants atteints des malformations les plus graves mouraient in utero, décédaient à la naissance ou dans la période néonatale ; les moins atteints survivaient et étaient opérés ou soignés avec un retard préjudiciable plus ou moins important.

 

Ce n’est qu’au tout début des années 70 que surgit le diagnostic prénatal quand nous fîmes, à la maternité Port-Royal, les premières amniocentèses précoces, sous l’impulsion d’André et Joëlle Boué qui avaient mis au point les cultures de cellules du liquide amniotique et le diagnostic cytogénétique des anomalies chromosomiques. Nous eûmes d’emblée le soutien efficace des généticiens, Jean Frézal et Marie-Louise Briard, qui avaient installé des consultations de génétique prénatale dans plusieurs grandes villes de France et créé un « club de conseil génétique ». A vrai dire, cette nouvelle technologie entraîna de très sérieuses réserves chez les médecins, les politiques et les religieux. L’amniocentèse précoce parût dangereuse. Dangereuse, car il semblait à cette époque invraisemblable d’enfoncer à l’aveugle une aiguille dans la cavité amniotique sans provoquer inéluctablement un avortement ou une blessure plus ou moins grave du fœtus. Dangereuse, car elle introduisait la notion de sélection en donnant la possibilité de faire un diagnostic d’anomalie, ce qui déplaisait à certains hommes politiques hantés par toute idée de discrimination, au point que certains envisagèrent de voter la loi sur les interruptions volontaires de grossesse mais de s’opposer aux interruptions médicales de grossesse. Dangereuse aussi, car elle était à l’origine d’interruptions de grossesse, ce qui provoqua de très vives réactions dans certains milieux religieux, d’aucuns allant jusqu’à prôner la stérilisation définitive des femmes porteuses d’une anomalie chromosomique ou génique susceptible de se reproduire pour éviter des avortements, déniant ainsi à ces couples toute possibilité d’avoir ulté- rieurement l’enfant sain qu’ils désiraient ardemment.

D’autre part, la mise en œuvre des amniocentèses ne fût pas simple. Il fallut d’abord trouver une pièce libre à la maternité Port-Royal, dans une maternité surchargée qui tournait à plein régime. Elle fût découverte dans le premier sous-sol où les agents de service rangeaient habituellement leurs seaux et leurs balais. Ma secrétaire faisait le ménage et m’assistait avant que je n’obtienne de vive force la présence d’une infirmière. Mon épouse attendait dans le couloir pour recueillir les flacons dûment estampillés et les transporter, comme le saint sacrement, dans notre voiture personnelle, à l’autre bout de Paris, dans le laboratoire du centre de recherche de biologie prénatale du château de Longchamp où André et Joëlle Boué les attendaient avec impatience. L’échographie n’existait pas et, en l’absence de toute localisation placentaire, l’obtention d’un liquide amniotique limpide et suffisamment abondant, gage d’une culture réussie, était hasardeuse, mais nous avions fini, mon collaborateur François Papa et moi-même, par acquérir la perception tactile des tissus que nous traversions avec l’aiguille, y compris l’amnios qui crevait comme un papier de soie.

Puis apparurent successivement d’autres techniques dont l’une des plus révolutionnaires par son caractères non invasif et l’étendue des ses possibilités fût l’échographie. Le premier appareil utilisé à Port-Royal, en 1974, appelé Numelec, était gigantesque et occupait le fond d’une pièce, toujours dans les sous-sols, mais cette fois-ci prêtée par les radiologues. Un élève fût dépêché chez un écossais haut en couleur, Ian Mac Donald, pionnier des pionniers en la matière. Les premiers clichés furent décevants et très difficiles à interpréter, ce qui engendra un certain scepti- cisme. Ainsi, les premières projections de localisation placentaire aux étudiants du certificat d’études spéciales en gynécologie et obstétrique provoquèrent une franche hilarité et nous valurent quelques quolibets. Un radiologue situa même un jour l’insertion du placenta au-dessus de la limite supérieure de l’utérus cliniquement perçue ! Mais rapidement, grâce à l’amélioration des appareils et à l’entraînement des opérateurs, apparurent les premiers diagnostics de malformations tandis que Bernard Leroy, obstétricien qui dirigeait un service à Saint-Maurice dans la région parisienne, véritable apôtre oublié de l’échographie fœtale, mettait en place sous notre direction et avec notre aide, le premier diplôme universitaire d’échographie prénatale. Les cours avaient lieu dans un amphithéâtre bizarrement planté au beau milieu du parc du centre asilaire de Saint-Maurice d’où une assistance parfois inattendue et folklorique. Très vite, la découverte de malformations fœtales nous conduisit à prendre contact avec les chirurgiens pédiatriques, et ce fût le début d’une longue et fructueuse collaboration, les chirurgiens rencontrant les femmes au cours de leur grossesse pour leur expliquer les interventions que l’on pouvait raisonnablement envisager après la naissance.

L’année 1976 marqua le début de la fœtoscopie et l’année 1978 celle des prélèvements de sang fœtal in utero par fœtoscopie et des premiers diagnostic d’hémoglobinopathie. Là encore, il fallut imaginer et innover. Jean Rosa, qui dirigeait le laboratoire d’analyse biochimique du Centre Hospitalier Universitaire Henri Mondor à Créteil, l’a relaté dans un excellent livre intitulé « D’une médecine à l’autre, de l’artisanat à la haute technologie », paru en 2003 chez Odile Jacob. Il écrit : « Nous avions deux problèmes à résoudre, l’un biochimique, l’autre obstétrical. La technique d’analyse du sang du cordon des fœtus à risque n’était pas du domaine de la routine, mais nous avions le savoir faire nécessaire… Le côté obstétrical de l’opération était, pour nous, beaucoup plus difficile à résoudre… J’allai exposer notre problème à Roger Henrion, chef de service de la maternité Port-Royal. La chance voulut qu’il ait justement à cette époque un interne — c’était Yves Dumez — que le prélèvement de cellules fœtales intéressait. Nous nous lançâmes alors dans une opération digne des Pieds Nickelés : stage d’un collaborateur à Londres où la méthode avait été montée, bricolage pour obtenir les fonds nécessaires à l’acquisition d’un fœtoscope, implantation dans la salle d’opération d’un compteur de globules rouges détourné d’un laboratoire d’hématologie grâce à la complicité du chef de service, présence dès potron- minet dans la salle d’opération de la maternité Port-Royal de la technicienne de notre laboratoire et rapatriement d’urgence de celle-ci et du prélèvement à Créteil par un taxi payé grâce à notre caisse noire ». Mais nous fûmes récompensés. Le grand jour du premier diagnostic arriva. Il s’agissait d’une Martiniquaise déjà mère de deux enfants drépanocytaires qui désirait avoir un enfant non malade mais ne supportait pas l’idée d’avoir un troisième enfant atteint.

Le couple avait donc décidé une interruption de grossesse au moment où on leur annonça la possibilité d’un diagnostic prénatal. Les parents acceptèrent de tenter l’expérience et l’enfant hétérozygote a fait leur joie. On ne saurait mieux exprimer la finalité du diagnostic prénatal.

 

En 1979, furent faites les toutes premières embryoscopies et nous eûmes la stupé- faction de voir parfaitement l’embryon par transparence à travers sa poche des eaux, stupéfaction ressentie également par Igor Barrère et une équipe de la télévision venue enquêter sur les interruptions volontaires de grossesse. Ils furent bouleversés en voyant un fœtus formé, vivant et remuant parfaitement à l’aise dans son liquide amniotique. Ils me dirent avoir compris la réticence marquée des obstétriciens à faire des interruptions de grossesse.

1982 fut l’année des premiers prélèvements de villosités choriales par les voies naturelles par Yves Dumez, du premier diagnostic d’hémoglobinopathie par cette technique par Michel Goossens, assistant de Jean Rosa, mais aussi celle des premiè- res biopsies de peau fœtale et du diagnostic de génodermatose par Claudine Blanchet-Bardon. 1983 fut l’année des prélèvements directs de sang fœtal dans la veine ombilicale par Fernand Daffos et François Forestier à l’hôpital Notre Dame du Bon Secours à Paris.

Conjointement se développèrent des techniques de laboratoire de plus en plus élaborées, qu’il s’agisse d’anatomo-pathologie, de biochimie, de cytogénétique ou de biologie moléculaire, dont l’application nécessita une étroite collaboration entre les divers praticiens et chercheurs impliqués. Nous apprîmes à nous connaître et à nous apprécier. Les évènements se précipitèrent et dès cette époque, conscient du développement exponentiel des techniques, nous avions recommandé la création de centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal. Il en existe 48 à ce jour. Et voici venu le temps des exploits, des diagnostics préimplantatoires, des traitements médicaux du fœtus et des gestes chirurgicaux in utero.

En fait, si les actes de diagnostic prénatal biologique étaient bien encadrés, ceux d’échographie ne l’étaient pas. Le développement de l’échographie avait été si rapide et considérable que la pratique avait précédé toute évaluation. L’encadrement législatif était limité à la nomenclature des actes médicaux, laissant libre cours à toutes les initiatives des professionnels. Soucieux de cette évolution, le ministre de la santé, Bernard Kouchner, a décidé, en 2001, de créer un Comité national technique de l’échographie prénatale pour promouvoir la qualité de l’échographie de dépistage et développer une stratégie d’information du public quant à l’intérêt et aux limites de l’examen. Le premier président en fut Claude Sureau, en 2003, président auquel je succédai rapidement la même année. Malgré tous ces avatars, un rapport très apprécié fut rendu en 2005 auquel tous les professionnels continuent à se référer.

Mais tout progrès a ses revers. Le diagnostic a suscité son lot de doutes, de craintes, de peurs, de fantasmes. Des esprits chagrins, faisant souvent fi des milliers de couples rassurés qui ont pu avoir l’enfant qu’ils désiraient et des centaines et centaines d’enfants opérés de malformations dans d’excellentes conditions, se sont complus à mettre en exergue les situations délicates et à dénoncer la porte ouverte à tous les excès. Le mot d’eugénisme fut prononcé. Sparte et Lycurgue furent évoqués.

Nous fûmes même accusés par un intervenant, lors d’une lecture à la tribune de l’Académie nationale de médecine sur la biopsie de trophoblaste en mai 1986, de trahir le serment d’Hippocrate ! Grâce à l’encadrement dans les centres pluridisci- plinaires de diagnostic prénatal, ces craintes se sont révélées vaines puisque le nombre d’interruptions médicales de grossesse reste remarquablement stable en France d’une année sur l’autre, aux environs de 6500.

À contrario, il arrive aujourd’hui que certains obstétriciens, férus de médecine fœtale et las de s’entendre reprocher de faire des avortements, laissent naître avec l’accord des parents des enfants porteurs de malformations gravissimes, nécessitant des interventions multiples, entraînant de grandes souffrances pour l’enfant, un calvaire pour les parents et un drame pour la fratrie. De fait, on note une augmentation du nombre de grossesses poursuivies avec une pathologie fœtale qui aurait pu justifier une interruption de grossesse : 402 en 2006 et 475 en 2007. Il est évident que ces cas douloureux doivent faire l’objet de la plus grande attention.

Il est vrai que l’affinement des techniques a conduit à de douloureux dilemmes et à de cruelles discussions sur ce qui est tolérable pour les couples et la société, et ce qui ne l’est pas. Il est vrai que les rapports avec les familles se sont malheureusement modifiés. De toujours confiants à l’origine, comprenant les difficultés du diagnostic et admettant la possibilité d’échec, les couples sont devenus de plus en plus anxieux et de plus en plus exigeants. La suspicion s’est installée. Ce qui était un espoir et un service est devenu un dû. En fait, les publications médicales reprises dans les medias ont peu à peu ancré dans l’esprit des parents l’idée que toute malformation pouvait être dépistée, devait l’être et devait aboutir à la meilleure décision, en général celle qu’ils souhaitent. D’où l’impérieuse nécessité de définir des limites, d’où une inflation procédurière, une « judiciarisation » et une inflation des polices d’assurance qui donnent aux gynécologues obstétriciens l’impression très désagréable d’être progressivement pris dans un étau.

Vous l’avez compris, le diagnostic prénatal a reposé à ses débuts sur l’initiative, le dynamisme, l’astuce, la ténacité d’une poignée de d’hommes et de femmes, cliniciens et chercheurs, s’entendant pour faire progresser, souvent hors des structures officielles et toujours hors des sentiers battus, cette nouvelle discipline et transformer peu à peu le fœtus en un véritable patient. Si nous avions attendu les autorisations et les crédits pour agir, je pense que nous aurions eu en France plus de dix ans de retard alors que nous figurons dans les équipes de pointe mondiales.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 7, 1733-1737, séance du 25 octobre 2011