Publié le 22 mai 2001

AutreMM. E. Martin, M. Tubiana, R. Küss, A. Sicard, A.L. Parodi, R. Nordmann, J.L. Binet, M. Goulon, B. Glorion

Commentaires

Étienne MARTIN *

Les différents articles de la loi sur la bioéthique de 1994 distinguent les prélèvements d’organes et de tissus effectués dans un but thérapeutique sur le sujet vivant ou décédé et les prélèvements en vue d’étude scientifique sur sujets vivants ou décé- dés.

Définition des prélèvements à visée scientifique

En médecine sont scientifiques tous actes ou toutes démarches qui visent à améliorer et à faire progresser la connaissance au bénéfice direct d’un malade ou au bénéfice indirect des médecins et chercheurs et de l’ensemble des sujets malades.

Est donc scientifique :

• tout ce qui vise à comprendre et expliquer la nature et l’origine des maladies ;

• à mieux connaître les perturbations physiologiques et/ou organiques des sujets malades ;

• à mettre au point et à tester des méthodes et des drogues à visée thérapeutique ;

• à rechercher les facteurs environnementaux et/ou professionnels sources de nuisance et à en démontrer la réalité, les mécanismes et la fréquence ;

• à comprendre et découvrir les causes de la mort et la nature des complications spontanées ou iatrogènes ayant entraîné cette mort ;

• à étudier et démontrer l’existence de lésions liées à des maladies nouvelles en rapport avec le vieillissement ou avec des infections virales (sida, MCJ, ESB, etc.) ;

• à contribuer à des études épidémiologiques et de veille sanitaire.

La plupart de ces démarches scientifiques ne peuvent se faire qu’à partir des prélèvements des éléments constitutifs du corps (liquidiens, cellulaires, tissulaires, organiques…) soumis à tous types d’investigation (biochimiques, bactériologiques, virologiques, génétiques, immunologiques, anatomique, histologiques, etc.) et pré- levés par des méthodes diverses plus ou moins envahissantes.

Les dispositions juridiques actuelles

Ces recherches scientifiques peuvent se pratiquer soit sur un sujet vivant soit sur un sujet décédé.

Sur le sujet vivant , les conditions des études scientifiques sont bien définies par des lois et des institutions qui visent à protéger l’individu de tout abus et de toute dérive.

La loi Huriet stipule qu’aucune recherche ne puisse se faire sans l’information préalable et l’obtention du consentement explicite et écrit du sujet. Les CCPPRB ont pour mission de veiller à la stricte application de ces recommandations.

Le sujet adulte et conscient est seul responsable de sa décision de refus ou d’acceptation d’un projet de recherche scientifique, avec ou sans prélèvement, à partir de l’exploration de son corps : frontière difficile entre exploration de diagnostic et complément de type scientifique. L’avis des familles ne peut être sollicité que par le sujet lui-même ou par les médecins pour les sujets mineurs ou incapables.

Sur le sujet décédé, les conditions des études scientifiques sont précises dans la section 3 du livre VI de la loi 94654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain. Il est utile de relire les différents articles de cette section 3 « du prélèvement d’organes sur une personne décédée ».

Art. L-671-7 — Le prélèvement d’organes sur une personne décédée ne peut être effectué qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques et après que le constat de la mort a été établi dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.

Ce prélèvement peut être effectué dès lors que la personne concernée n’a pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement.

Ce refus peut être exprimé par l’indication de sa volonté sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment. Les conditions de fonctionnement et de gestion du registre sont déterminées par décret en Conseil d’État.

Si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir le témoignage de la famille.

Art. L. 671.8 : Problème des mineurs et des majeurs sous tutelle.

Art. L. 671.9 : Aucun prélèvement à des fins scientifiques autres que celles ayant pour but de rechercher les causes du décès ne peut être effectué sans le consentement du défunt exprimé directement ou par le témoignage de sa famille.

Toutefois lorsque le défunt est un mineur, ce consentement est exprimé par des titulaires de l’autorité parentale.

La famille est informée des prélèvements effectués en vue de rechercher les causes du décès.

Art. 671.10 : Séparation des unités fonctionnelles et des services distincts…

Art. 671.11 : Les médecins ayant procédé à un prélèvement sur une personne décédée sont tenus de s’assurer de la restauration décente de son corps.

D’autres dispositions légales préalables ou ultérieures méritent d’être rappelées.

• Dispositions préalables : Loi 94653 du 29 juillet, Titre I : « Du respect du corps humain ».

— Art. 16-1 : « Chacun a droit au respect de son corps — le corps humain est inviolable ». — « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».

— Art. 16-3 : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne ».

Les différentes conditions de prélèvements à visée strictement scientifique sur le cadavre

On peut distinguer Les prélèvements par des techniques non invasives n’entraînant aucune dégradation du corps mais nécessitant des prélèvements précoces avant toute altération des éléments du corps — ce sont les ponctions de liquide par aiguille ou cathéter — les biopsies de peau — les biopsies à l’aiguille ou au trocart au besoin sous laparoscopie de tous les viscères profonds — ou les biopsies par simple boutonnière cutanée ou incision cutanée limitée de fragments d’organes — foie, rein, rate, myocarde, etc.

— ces prélèvements, immédiatement post mortem , peuvent servir à des études bactériologiques, biochimiques, immunologiques, virologiques, histopathologique, culture cellulaire, cytogénétiques, etc. ;

— ces prélèvements peuvent apporter des éléments complémentaires de diagnostic, non obtenus du vivant du malade ;

— ils devraient pouvoir être effectués sans délai, au besoin dans les services où le malade est mort, ou dans les morgues.

La technique et l’instrumentation adéquates devraient être développées — et disponibles — aussi bien dans les services que dans les amphithéâtres. Dans ces conditions, le corps ne subissant aucune dégradation et les gestes pratiqués se rapprochant de ceux qui sont effectués pour certaines investigations de diagnostic, il ne devrait pas être nécessaire :

• de rechercher l’existence d’une opposition formelle du sujet, ni même d’en tenir compte ;

• de demander l’accord préalable des proches ;

• de solliciter une autorisation administrative ;

En revanche, il paraîtrait nécessaire :

• que l’indication de ces prélèvements soit posée par deux ou trois médecins ayant fait le constat de la mort ;

• que ces décisions et le nom des ordonnateurs et exécutants soient consignés sur un registre dans les services d’anatomie pathologique par exemple ;

• qu’il y ait information « a posteriori » des proches et proposition de mettre à leur disposition les résultats commentés ;

• ces prélèvements devraient impérativement ne pas être utilisés à des fins thérapeutiques ou commerciales ;

• ces résultats, complémentaires du dossier médical, devraient obéir aux mêmes règles de confidentialité.

Les prélèvements à visée scientifiques — pour recherche des causes de mort et nécessitant une exploration invasive du corps — en l’occurrence l’autopsie.

Les problèmes spécifiques des autopsies

Il faut rappeler que depuis environ 200 ans, la médecine est progressivement sortie de l’obscurantisme grâce à la pratique des autopsies permettant des études anatomiques, macroscopiques, puis microscopiques et biologiques. La médecine moderne, y compris les transplantations d’organes, est née de ces explorations des corps et des confrontations anatomo-cliniques.

Jusqu’aux environs de 1950, une médecine « paternaliste », comme le souligne Suzanne Rameix, laissait tout pouvoir de décision et d’action aux médecins, sans obligation de solliciter l’avis des malades ou des familles :

• la contestation progressive de ce pouvoir et de la pratique des autopsies « à la sauvette » ;

• le refus de la dégradation du corps et l’exigence du respect de son intégrité ;

• le retour à une certaine « sacralisation » du cadavre ont conduit à un encadrement des conditions de pratique des autopsies, obligeant à solliciter l’avis des sujets vivants concernant le droit d’intervention sur leur corps ;

• la loi Caillavet de 1976 a donc introduit le droit d’opposition — exprimé directement et individuellement par le sujet vivant — et a aussi officialisé la notion de consentement implicite.

Les différentes dispositions de la loi de bioéthique de 1994 comportent des ambiguïtés et des contradictions soulignées par le rappel de ces textes (voir pages précédentes). L’art. 671-9 paraît en effet maintenir les dispositions de la loi Caillavet pour la pratique de la recherche des causes de décès, c’est-à-dire des autopsies (qui ne sont pas mentionnées explicitement) — mais, dans l’article 671-7, la phrase : « Si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir le témoignage de sa famille » est une ambiguïté, qui persiste à la fin de l’article 671.9.

A partir de cette date, la recherche de plus en plus systématique de l’avis du défunt auprès des familles a abouti à des oppositions indirectes de plus en plus fréquentes, les familles, sollicitées aux moments difficiles et douloureux du deuil, se substituant systématiquement à l’avis non formulé du défunt. Il en est résulté une difficulté croissante pour les médecins de faire pratiquer des autopsies pour rechercher des causes de mort et donc une chute considérable du nombre des autopsies pratiquées (cf. rapport de Claude Got 1996 1 et des articles de presse 2).

D’autres facteurs expliquent aussi la chute du nombre des autopsies pratiquées :

• la recherche systématique de l’avis des familles par les administrations hospitaliè- res avant signature de l’autorisation d’autopsie, • la diminution des demandes d’autopsie par les équipes médicales liée au fait que les progrès des investigations radiologiques, histologiques, endoscopiques etc.

permettent de connaître avec précision et de plus en plus souvent la nature exacte des maladies avant le décès.

Pour toutes ces raisons, on peut dire que, dans le monde, l’ère des autopsies quasi systématiques est révolue. Il n’en demeure pas moins que l’autopsie conserve une importance dans des circonstances diverses telles que :

• les morts brutales des enfants et des adultes, sans antécédents ni investigations pré mortem connus ;

• les discordances ou incertitudes entre les résultats des explorations pré mortem et la symptomatologie clinique et évolutive ;

• les décès mal explicables à la suite d’interventions chirurgicales ou d’investigations endoscopiques ou de certains traitements médicaux ;

• la recherche et l’étude d’anomalies malformatives, éventuellement génétiques ;

• l’étude des lésions provoquées par des agents infectieux ou viraux nouveaux ou simplement soupçonnés ;

• la recherche et la découverte de lésions tumorales méconnues, etc.

Toutes ces investigations ont donc comme intérêt :

• de compléter les informations des données médicales ;

• de pouvoir apporter des informations utiles aux familles ;

• d’établir des corrélations avec les facteurs d’environnement ou professionnels ;

1 GOT C. — Rapport sur les autopsies médico-scientifiques, secrétariat d’état à la santé et à la sécurité sociale, 30 avril 1997, 131 p.

2 NAU J.Y. — L’autopsie en danger de mort. Le Monde , 1994, 23 mars, p. 13.

• d’apporter des éléments précis dans les discussions et contestations d’ordre médico-légal 3, • de participer aux actions de veille sanitaire et d’études épidémiologiques.

Dernier point et non des moindres, l’autopsie doit rester un des éléments du processus de contrôle de la qualité des soins mis en place dans tous les établissements hospitaliers.

Les questions éthiques fondamentales soulevées par la pratique des autopsies et des prélèvements à visée médico-scientifique

De tout temps et dans presque toutes les civilisations et religions, l’attitude vis-à-vis des morts est faite d’attention, de respect, de crainte, de préservation et de gestes rituels, voire de culte. Ces attitudes ont des significations symboliques assez apparentées même si elles sont très diverses, voire totalement différentes.

Ceci veut dire que, d’une façon ou d’une autre, les vivants ont besoin de respecter les morts et de s’assurer qu’ils ont bien fait les gestes qui peuvent contribuer à leur perpétuation dans un au-delà et dans le souvenir.

Les vivants ont donc besoin d’accomplir des rituels de passage vers un au-delà mais il faut opposer ici deux conceptions à la fois individuelles, collectives et religieuses sur la signification et la valeur du corps et plus précisément du cadavre :

— pour certains, le corps n’est qu’une enveloppe matérielle, charnelle, destinée après la mort à une destruction et à un retour à la poussière. C’est l’espérance de la persistance de l’esprit et de l’âme dans un au-delà qui est essentielle. La dégradation, de toute façon inéluctable du corps, ne peut altérer cette espé- rance, — pour d’autres, corps, esprit et âme constituent un tout indissociable et sacré même au-delà de la mort ; le corps demeure le signe le plus tangible de ce que fut un être et toucher à ce corps devient un acte sacrilège.

Il n’est donc pas étonnant que dans plusieurs civilisations, dont la nôtre, le cadavre ait été longtemps considéré comme tabou et que l’exploration des corps ait été interdite au nom de raisons théologiques.

On comprend donc que les dispositions de la loi de 1994, qui incitent en l’absence de refus explicite du sujet exprimé de son vivant à solliciter l’avis et l’autorisation des familles pour la pratique d’une nécropsie, aient conduit à des oppositions et refus fréquents et à une quasi- impossibilité de pratiquer une recherche des causes de mort qui s’est traduite par une brutale et très forte diminution du nombre des autopsies et par l’augmentation du nombre de morts inexpliquées.

3 MARTIN R., TRAPIER P. — Morts suspectes, les vérités d’un médecin légiste. Ed. Calman-Lévy, 1980, 205 p.

Une demande de recherche médico-scientifique est, comme pour des demandes de dons d’organes pour transplantation, un moment très difficile de la relation médecins-familles. Elle est en effet formulée au moment du désarroi d’une famille, plongée dans le deuil après une phase plus ou moins longue d’inquiétude, et qui comprend mal les raisons qui poussent des médecins à souhaiter pouvoir pratiquer ou poursuivre des investigations qui n’ont plus d’intérêt pour le sujet lui-même et qui entraînent une certaine dégradation du corps.

Il est difficile de faire comprendre et admettre qu’une telle investigation :

— est parfois la seule façon d’expliquer et de trouver la cause d’un décès ;

— est le complément et la fin d’un dossier médical ;

— permet de découvrir et de préciser la nature de lésions méconnues qui pourraient être dangereuses pour la famille elle-même ;

— apporte des renseignements qui peuvent être utiles à d’autres malades et pour la collectivité ;

— est utile à l’amélioration de la qualité des soins.

Quelles sont les autres motivations qui conduisent au refus des familles ?

— la crainte et le remords de soumettre le corps d’un proche à des investigations plus ou moins dégradantes ;

— la crainte et la culpabilisation de violer le refus qu’aurait pu formuler le sujet lui-même sur la pratique d’une autopsie ;

— le refus d’une solidarité par corps interposé.

Ces refus sont-ils basés sur le retour du tabou et de la sacralisation du corps décédé ou sur la notion que le cadavre devient la propriété exclusive de la famille et qu’on ne peut y toucher sans son accord, et sur la notion que, de ce fait, les médecins ne peuvent plus avoir sur lui les droits et pouvoirs qu’on leur accorde généralement sur le corps vivant.

Propositions 1. Dans la nouvelle loi, il serait souhaitable de rassembler les prélèvements à visée scientifique sur cadavre sous le terme unique de prélèvements (ou contrôle) médico-scientifiques (ou médico-sanitaires) comprenant les autopsies.

2. Il est essentiel que les dispositions nouvelles n’aboutissent pas à freiner, voire empêcher, la pratique de tous types d’actes de recherche médico-scientifique sur le corps décédé, y compris l’autopsie, car il y a encore des circonstances ou celle-ci demeure utile, voire indispensable.

3. On pourrait suggérer de distinguer :

• les prélèvements à visée (à but) médico-scientifique par moyens non invasifs, sans dégradation du corps ;

• les explorations médico-scientifiques par méthode invasive que sont les autopsies.

Dans le 1er cas (cf. pages précédentes), les prélèvements peuvent se faire par des moyens non invasifs (aspiration-biopique ou trocart — biopsie d’organe par boutonnière cutanée voire par méthode laparoscopique… 4).

Les indications et la décision devraient être formulées par les deux médecins qui ont constaté la mort et par un pathologiste. Un registre médico-administratif obligatoire devrait relever les date et heure du décès, les indications médicales, les noms et qualités des prescripteurs et des préleveurs, les techniques utilisées, les organes et tissus prélevés.

Ces prélèvements pourraient être effectués sans délai dans le service clinique ou dans la salle d’autopsie. Ils devraient pouvoir être faits même en cas de refus du don du corps et sans recherche du consentement des familles. En revanche, celles-ci devraient être informées a posteriori de la pratique et de la nature de ces actes, de leur justification médicale et des constatations effectuées et commentées, si elles le souhaitent.

Un arrêté (ou décret d’application) pourrait préciser la liste des circonstances où ce type de prélèvement est justifié.

Aucune autopsie ne peut être pratiquée sans recherche préalable d’un refus explicite notifié par le sujet de son vivant sur un registre hospitalier ou sur le registre national.

• L’ambiguïté, les contradictions et les incertitudes des articles 671-7 et a de la loi de 1994 devraient être levées.

• L’autopsie devrait pouvoir bénéficier d’une partie des dispositions de l’autopsie médico-légale (autopsie médico-sanitaire), à savoir que si trois médecins la jugent indispensable dans des cas dûment explicites, elle devrait pouvoir être pratiquée après information de la famille mais sans sollicitation de son accord, sauf pour les mineurs et les incapables.

Le texte proposé dans l’avant-projet de loi va dans ce sens : « les prélèvements ayant pour but le diagnostic des causes de la mort peuvent, à titre exceptionnel, être réalisés sans recherche du consentement en cas de danger pour la santé publique ou de nécessité impérieuse de suivi épidémiologique et en l’absence d’autres prélèvements permettant d’obtenir une certitude diagnostique ».

Ce texte pourrait être complété (ou précédé) par la proposition de distinguer les prélèvements médico-scientifiques sans dégradation du corps par méthodes non invasives (ces méthodes et les outils adéquats devraient être développés et organisés notamment par les pathologistes) et des autopsies conventionnelles.

4 AVRHAMI R., WATEMBERG S., HISS Y., DEUTCH A.A. — Laparoscopic versus conventional autopy.

Arch. Surg., 1996, 130 , 407-407.

Considérations complémentaires

Les difficultés de la pratique des autopsies résident dans le fait que l’évolution de la sensibilité du public, pourtant de moins en moins religieux, se traduit par un retour à une sacralisation du cadavre qui deviendrait plus intouchable que le corps vivant.

Il est de ce fait difficile mais nécessaire de respecter à la fois et au mieux cette sensibilité mais de tout faire pour que cela n’entraîne pas une régression progressive des informations médico-scientifiques nécessaires.

Il faut exiger la transparence et abandonner la pratique quasi systématique des autopsies faites « à la sauvette », qui ont d’ailleurs moins d’utilité que par le passé.

Mais il faudrait :

— informer le public sur l’importance et la nécessité de tout type de recherches médico-scientifiques pour l’amélioration de la qualité des techniques de soins ;

— démystifier la nature des investigations post mortem ;

— interdire formellement l’exploitation commerciale de ces études ;

— faire comprendre que consentir à ces études peut être assimilable à un don du corps à la science, qui peut être utile à la collectivité des autres malades 5 ;

— rappeler que la pratique des autopsies se fait avec le souci du plus grand respect possible de préservation de l’apparence physique de ce corps, et donc de sa dignité.

L’acceptation ou le refus du don de son propre corps après la mort, pour la recherche médico-scientifique, mériterait d’être consigné dans le fichier national informatisé.

M. Maurice TUBIANA

Il me semble que cette séance, qui a très clairement mis en évidence la triple responsabilité de la communauté médicale et de notre compagnie, souligne ce que l’on peut attendre des autopsies très largement effectuées, et montre que malgré les développements de l’imagerie et de la biologie moléculaire, elle reste nécessaire. Au contraire, le développement de cette dernière rend plus utile les prélèvements. Il faut en améliorer les règles juridiques et réglementaires. Pratiquer une autopsie ne doit plus être le résultat d’un parcours du combattant mais un acte normal permettant la vérification du diagnostic et l’accroissement des connaissances. Il faut en revenir sans doute, après une période transitoire destinée à permettre une bonne information, à la règle fondamentale : tout sujet n’ayant pas explicitement exprimé son 5 ROXANNE B., SUKOL. — The ultimate gift. Building on a tradition of ethical consideration of the death. Human Pathology , 1995, 26, 699-705.

opposition à une autopsie est considéré comme l’acceptant. Questionner les familles les inquiète et se termine presque toujours par une opposition, car il suffit de la réticence ou de l’hostilité d’un seul de ses membres pour provoquer le refus. La loi doit être courte et simple, toutes les ambiguïtés sont nuisibles car, en pratique, presque tout le monde a intérêt à ne pas faire d’autopsie et donc à sacrifier l’intérêt général au bénéfice d’une plus grande tranquillité. Informer et éduquer les médecins et le public car l’hostilité à l’autopsie est fondée sur des tabous profondément ancrés dans l’inconscient. Pour désacraliser les cadavres, il faut, comme on le faisait à la Renaissance, donner le primat à la logique et à l’accroissement des connaissances sur les émotions ou les superstitions. C’est une tâche difficile, raison de plus pour l’entreprendre.

M. René KÜSS

J’ai vécu les débuts de la transplantation d’organes il y a 50 ans, en l’occurrence des reins prélevés sur le cadavre ou le vivant. Je comprends que certains soient réticents aux prélèvements, encore aujourd’hui, selon la notion qu’ils ont du corps humain. Je pense que pour le rein, ce manque d’organes pourrait être compensé par des prélèvements sur le vivant dans le cadre de la famille.

M. André SICARD

Pour la petite histoire, puis-je rappeler que les premiers prélèvements de tissus ont été faits en France sur les condamnés à mort. A cette époque n’existait pas encore de loi restrictive en dehors de la religion musulmane. Le professeur Piédelièvre était tenu, en tant que médecin-légiste, à assister aux exécutions. Connaissant l’intérêt que je portais aux greffes et sachant les difficultés que j’avais à me procurer des transplants osseux, il m’avait proposé de pratiquer des prélèvements aussitôt après l’exécution des condamnés. Il me procura les autorisations nécessaires. Le prélèvement était pratiqué sur les os des membres inférieurs, chirurgicalement, avec un matériel stérile, tandis qu’un ophtalmologiste prélevait les cornées. Ceci a marqué le début de la Banque d’os créée à l’hôpital Beaujon et avec laquelle de nombreuses opérations orthopédiques ont été pratiquées. Ce matériel osseux n’a pas toujours pu être utilisé, les prélèvements sanguins ayant parfois décelé la présence de tréponè- mes.

M. André-Laurent PARODI

Je voudrais rappeler ici que la médecine vétérinaire connaît également une médecine légale ayant recours à l’autopsie. Celle-ci s’exerce généralement dans le cadre de l’expertise visant à déterminer la cause de la mort d’un animal en vue de l’indemnisation de son propriétaire. En outre, la médecine légale vétérinaire peut être parte- naire de la médecine légale de l’homme et nous avons été sollicité plusieurs fois pour apporter notre concours à la démarche des légistes (identification de restes anatomiques difficilement reconnaissables, associés à une mort suspecte, mort d’homme et d’animal par arme à feu etc.). J’ajouterai que la médecine vétérinaire connaît la même désaffection du recours à l’autopsie, s’agissant des animaux de compagnie.

Les causes de cette désaffection sont les mêmes que celles que connaît l’autopsie en médecine : préalable de l’accord des propriétaires et refus très fréquent d’autoriser l’autopsie de l’animal, mais aussi, sentiment des cliniciens vétérinaires que les progrès de l’imagerie et de l’investigation biologique, dispensent d’avoir recours à l’autopsie.

M. Roger NORDMANN

Plusieurs orateurs ont souligné la diminution du nombre de dons du corps. Cela ne résulte-t-il pas de l’absence de précisions données sur le but de l’autopsie ? Il nous semble en effet que celle-ci, destinée soit à préciser la cause du décès, soit à rendre service à autrui (prélèvement d’organes ou recherche médicale réalisée dans des conditions analogues à celles d’une intervention chirurgicale) serait largement acceptée. En revanche, l’idée que le corps soit destiné à l’enseignement à des étudiants en médecine ne freine-t-elle pas le don du corps, car le public estime souvent que de telles dissections ne s’accompagnent pas toujours du respect dû au mort et pourraient être remplacées par un enseignement sur mannequin ou à l’aide des techniques actuelles d’imagerie ? Ne pourrait-on pas envisager un formulaire de don du corps prévoyant si ce don est accepté dans les divers cas de figure envisagés incluant ou non l’utilisation à des fins d’enseignement (qui n’apparaissent peut-être pas indispensables aux yeux des médias) ?

M. Jacques-Louis BINET

Simplement trois remarques : « Une seule dissection ou autopsie d’un corps atteint de quelque mal ancien et corrupteur rend plus de services à la médecine que dix ouvertures de pendus » écrivait Harvey pour, dès le 17ème siècle, mettre l’accent sur l’intérêt médical de l’autopsie. L’autopsie n’a toujours pas été populaire et le doyen Aron a raconté comment Bretonneau, avec son élève Vulpian, devait autopsier dans les cimetières, en cachette, les enfants atteints de croup pour démontrer qu’il s’agissait d’une complication de la diphtérie. Enfin aujourd’hui, pour expliquer la diminution des autopsies, il faut souligner la responsabilité du corps médical qui, très souvent, ne la juge pas nécessaire.

M. Maurice GOULON

Dans le cadre des autopsies, des éventualités doivent être distinguées. Une constatation qui mérite réflexion est la diminution des autopsies faites pour confirmer ou infirmer le diagnostic. Une autre situation est représentée par le don du corps une fois la mort dûment certifiée. Les motivations du don du corps peuvent être différentes. Pour beaucoup, dont les médecins, le but est de permettre l’enseignement de l’anatomie aux étudiants en médecine. Pour d’autres, sans doute plus nombreux, le don du corps évite aux familles les frais des obsèques. Pour d’autres enfin, il n’y a jamais eu de choix ; parce que les recherches anatomiques n’ont plus la nécessité qu’elles avaient jadis, les corps conservés dans les instituts d’anatomie ne font pas défaut. Les autopsies faites pour confirmer ou infirmer un diagnostic clinique sont maintenant moins souvent pratiquées. Il faut se souvenir d’une époque où les visites des services de clinique se terminaient, le patron en tête, au service des autopsies. C’était « le rendez-vous des thérapeutes ». Si le nombre d’autopsies diminue, cela est dû à de nombreuses raisons ; l’opposition des familles auxquelles des justifications n’ont pas été données ; l’indifférence de quelques médecins qui jugent que les nombreux examens complémentaires pré mortem sont suffisants.

Faut-il rappeler que les confrontations anatomo-cliniques font le succès de grandes publications anglo-saxonnes ! A l’évidence, les contrôles macro et microscopiques gardent tout leur intérêt à l’époque de la biologie moléculaire.

M. Bernard GLORION

Je pense utile de noter, dans le cadre des soins palliatifs, l’intervention des médecins ou des accompagnants pour convaincre le malade (mourant) de permettre soit un don, soit une autopsie médico-scientifique dans l’intérêt de la science.

* Membre du GRET (Groupe de Réflexion Éthique sur les Transplantations). Hôpital Necker — 149 rue de Sèvres — 75743 Paris cedex 15.