Patrice QUENEAU * et Pascale JEAMBRUN**
Par lettre du Directeur de la Sécurité sociale, en date du 22 mai 2008 et en application des dispositions du Code de la Santé publique, notamment les articles R 1322-5 et suivants, l’Académie nationale de médecine a été saisie d’une demande d’avis sur l’autorisation de l’orientation thérapeutique supplé- mentaire « Rhumatologie » pour la station thermale de Châtel-Guyon (Puy-deDôme).
Historique des captages
Située en contre bas des premiers contreforts cristallins hercyniens de la chaîne des Puys, Châtel-Guyon se trouve à 430 mètres d’altitude, en bordure de la plaine de la Limagne, 20 km au nord de Clermont-Ferrand. L’origine de ses sources minérales chaudes est en relation avec la grande faille bordière occidentale de la Limagne.
La station est gérée par la Société des eaux minérales et des établissements thermaux de Châtel-Guyon (SEMCG). Elle comporte deux établissements thermaux : les Thermes du Splendid alimentés par le captage « Carnot Est » et les Thermes Henry par les captages « Aubignat Ouest » et « Louise Nord ».
Les trois sources ont une similitude de composition permettant l’exploitation des ressources indifféremment l’une de l’autre et en toute proportion de mélange. Ce sont des eaux fortement minéralisées (≈ 6.150 mg/l), chloro- bicarbonatées sodiques, calciques et magnésiennes, carbo-gazeuses. Les forages « Aubignat Ouest » et « Carnot Est », d’une profondeur de 101 m, permettent un débit horaire de 60 m3 ; le forage « Louise Nord », d’une profondeur de 41 mètres, permet un débit horaire de 50 m3. La température est relativement stable, de l’ordre de 36° à l’émergence pour les 3 captages 1.
Il est envisagé d’adapter la configuration architecturale des Thermes Henry pour cette nouvelle orientation par la création d’une piscine avec un bassin de mobilisation et l’installation de cabines pour les soins spécifiques (illutations, massages, cataplasmes).
Les sources et les forages ont des réseaux distincts et sont implantés dans le parc thermal de Châtel-Guyon dont le sol appartient à la commune et le sous-sol à la SEMCG.
Motif de la demande
La demande de la station thermale de Châtel-Guyon est de se voir attribuer une troisième orientation thérapeutique, la rhumatologie, à côté des maladies de l’appareil digestif, de l’appareil réno-urinaire, l’orientation gynécologie étant supprimée.
Les médecins thermaux ont constaté que les soins pratiqués pendant la cure à indication digestive ou urinaire, apportaient aussi une amélioration sensible aux patients souffrant de rhumatismes, amélioration se prolongeant sur plusieurs mois. Aussi, ont-ils diligenté une étude clinique destinée à préciser scientifiquement ces constatations de leur pratique quotidienne. Un protocole a été élaboré avec le Service de Rhumatologie du CHU de Clermont-Ferrand (Pr Ristori, Pr Soubrier).
Éléments de réponse
Sécurité
La demande de sécurité n’est pas nécessaire pour cette demande qui ne porte ni sur une nouvelle eau, ni sur une nouvelle installation. L’Académie nationale de médecine, en date du 24 juin 2003, avait donné un avis favorable à l’exploitation des trois sources et à leur utilisation en traitements locaux avec consommation uniquement sur prescription médicale, dans le cadre d’une cure thermale et en évitant toute distribution en buvette publique du fait de leur teneur en arsenic, bore et de leur radioactivité naturelle 2. Cette autorisation est confirmée par la préfecture du Puy-de-Dôme en date du 30 janvier 2008.
1. Bull. Acad. Natle Méd. 2003, 187 , no 6. Séance du 24 juin 2003.
2.
Bull. Acad. Natle Med . 2006, no 1, 233-235.
Évaluation thérapeutique
La méthode choisie est celle de l’observation prolongée d’une cohorte avec mesures répétées [modèle 1] suivant en cela les critères exigibles pour que l’Académie donne un avis favorable à une demande de nouvelle orientation thérapeutique (assemblée plénière du 25/01/2006).
Méthodologie
Il s’est agi d’une étude prospective, longitudinale sur 6 mois visant à évaluer l’impact d’une cure thermale à Châtel-Guyon chez 53 patients porteurs d’une lombalgie chronique.
Les patients ont tous bénéficié du traitement thermal associé au traitement conventionnel. Ils ont été évalués avant le début de la cure puis 3, 15 et 26 semaines après l’initiation du traitement thermal. Le traitement s’effectuait en ambulatoire chez des patients habitant dans un rayon de 40 km autour de Châtel-Guyon.
Le médecin recruteur était un médecin thermal de la station, qui a assuré seul l’inclusion.
Le médecin investigateur (du Service de Rhumatologie du CHU de ClermontFerrand) a assuré le suivi des patients en total insu à S0, S3, S15 et S26. Deux assistants de recherche clinique (ARC) étaient dévolus à l’étude.
La cure était gratuite pour les volontaires inclus dans l’étude, celle-ci ayant obtenu l’accord du CCPPRB de la région Auvergne lors de sa séance du 2 juillet 2001.
Critères
Le critère principal de jugement a été l’évaluation de la douleur lombaire , par le patient, grâce à une échelle visuelle analogique (EVA) aux semaines (S) S0, S3, S15 et S26.
Les critères secondaires ont été cliniques avec l’échelle d’incapacité fonctionnelle pour l’évaluation des lombalgies (Eifel), le questionnaire de Dallas, l’indice de Schöber et la distance doigt-sol. La consommation d’antalgiques n’a pu être mesurée que durant les 15 premières semaines.
Réalisation
Les soins donnés (6 jours sur 7 pendant 3 semaines) ont été ceux habituellement pratiqués dans la station. Ils étaient au nombre de 4 : bain général avec douche en immersion par buses fixes ou mobiles à 36° C pendant 15 minutes, douche locale au jet à 38° C pendant 3 minutes, douche générale à 38° C pendant 4 minutes et l’application locale de cataplasme à 45° C pendant 15 minutes.
Ni massage, ni kinésithérapie n’ont été pratiqués.
Résultats
On constate une réduction significative du critère principal (p=0,045, <0,001 et = 0,047 respectivement à S3, S15 et S26) (tableau 1).
Les critères secondaires s’améliorent également de façon significative sur une durée de 6 mois. La distance doigt-sol est significativement différente à S3 et S15. A contrario, la consommation d’antalgiques, qui n’a pu être mesurée que jusqu’à S15, n’est diminuée qu’à S3 et ne se maintient pas dans le temps.
Conclusion
À l’appui de sa demande de l’orientation « Rhumatologie », en complément des orientations « appareils digestif et urinaire », la station de Châtel-Guyon a présenté un dossier qui comporte une étude clinique réalisée en collaboration avec le Service de Rhumatologie du CHU de Clermont-Ferrand, et qui a reçu l’accord du CCPPRB de la Région Auvergne.
Cette étude suit les recommandations de l’Académie et adopte un des modèles proposés dans ses recommandations pour l’obtention d’une nouvelle orientation thérapeutique. Cet essai pragmatique montre l’efficacité à court et à moyen termes de la cure thermale de Châtel-Guyon dans le traitement des lombalgies chroniques. Dans cet essai, l’efficacité ne peut pas être reliée à d’autres soins que les soins thermaux puisqu’il n’y a eu ni massage, ni kinésithérapie. Les changements de climat ou d’habitude de vie ne peuvent non plus être rendus responsables de l’activité thérapeutique puisque les patients vivaient à moins de 40 km de la station thermale, effectuant leur cure en ambulatoire. La limite de cette étude est l’absence de groupe contrôle.
La conclusion du Pr. Ristori est la suivante : « Il a été démontré un effet thérapeutique dont le niveau de preuve peut être assimilé à un niveau B (citant en cela les recommandations de l’ANAES en décembre 2000 pour la crénothérapie dans les lombalgies chroniques). Dans le cadre des lombalgies chroniques, il n’existe pas de preuve d’efficacité de niveau A. La durée de l’efficacité thérapeutique semble être comprise entre 23 et 26 semaines. »
On peut ajouter que, sur les quatre stations auvergnates ayant des eaux de même type, chloro-bicarbonatées, deux d’entre elles bénéficient déjà de l’orientation « Rhumatologie ».
TABLEAU 1. — Évolution et comparaison des paramètres d’activité des lombalgies chroniques par rapport au début de la cure thermale Paramètres lors Différence par rapport Comparaison par du suivi à baseline rapport à baseline p-value*
EVA douleur Semaine 3 29,10 fi 23,85 — 8,39 fi 33,77 0,045
Semaine 15 20,48 fi 17,62 — 16,42 fi 25,72 <0,001
Semaine 26 28,58 fi 22,10 — 9,18 fi 32,20 0,047
Dallas. Activités quotidiennes Semaine 3 30,84 fi 23,14 — 12,28 fi 25,17 0,006
Semaine 15 25,16 fi 20,59 — 18,22 fi 20,77 <0,001
Semaine 26 27,48 fi 22,53 — 14,80 fi 22,38 0,007
Dallas. Travail et loisirs Semaine 3 22,00 fi 18,10 — 9,70 fi 18,94 0,007
Semaine 15 18,43 fi 17,42 — 14,33 fi 16,79 <0,001
Semaine 26 20,30 fi 17,30 — 11,60 fi 16,14 0,002
Dallas. Dépression-Anxiété Semaine 3 11,20 fi 14,59 — 9,00 fi 17,47 0,003
Semaine 15 9,18 fi 12,26 — 10,92 fi 17,76 <0,001
Semaine 26 10,74 fi 13,14 — 9,36 fi 15,17 0,002
Dallas. Comportement social Semaine 3 11,70 fi 14,09 — 4,20 fi 13,53 0,081 Semaine 15 10,41 fi 13,80 — 6,02 fi 16,36 0,020
Semaine 26 11,6 fi 13,94 — 4,40 fi 14,97 0,076 Eifel Semaine 3 6,53 fi 4,57 — 2,71 fi 4,63 0,004
Semaine 15 6,19 fi 4,42 — 2,88 fi 4,87 0,003
Semaine 26 6,62 fi 4,34 — 2,48 fi 4,42 0,012
Schöber (en cm) Semaine 3 4,00 fi 1,22 0,32 fi 1,03 0,239 Semaine 15 4,02 fi 1,21 0,31 fi 0,97 0,165 Semaine 26 3,81 fi 1,01 0,09 fi 0,79 0,436 Distance doigt-sol (en cm) Semaine 3 14,00 fi 11,75 — 4,96 fi 12,62 0,043
Semaine 15 13,90 fi 14,47 — 5,21 fi 16,86 0,023
Semaine 26 15,08 fi 10,86 — 3,46 fi 10,00 0,151 Consommation d’antalgiques Semaine 3 5,27 fi 11,78 — 0,93 fi 9,97 0,418 Semaine 15 7,14 fi 15,86 1,26 fi 13,14 0,777 * Test de Wilcoxon sur séries appariées Dans ces conditions, la Commission XII de l’Académie, placée sous la Présidence du Professeur Claude Boudène, émet, dans sa séance du 17 juin 2008, un avis favorable à l’obtention de l’orientation « Rhumatologie » pour la station de Châtel-Guyon, sous réserve d’une consommation uniquement sur prescription médicale.
* *
L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 24 juin 2008, a adopté le texte de ce rapport avec une voix contre et six abstentions.
Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 6, 1305-1310, séance du 24 juin 2008