Rapport
Séance du 5 février 2008

08-02 Les données individuelles de santé

MOTS-CLÉS : dossiers médicaux. épidémiologie. suivi soins patient
Personnal medical records
KEY-WORDS : continuity of patient care.. epidemiology. medical records

Pierre Pène, François Grémy a rappelé, Gérard Dubois (au nom de la Commission XIV — Santé et Environnement)

Résumé

Les Données Individuelles de Santé constituent une base essentielle de l’avenir de l’épidémiologie et permettent le suivi des soins donnés aux patients. Leur utilisation est indispensable aux épidémiologistes pour une meilleure connaissance de l’état de santé. Sans ces informations il est difficile de définir une politique de santé. La commission s’est intéressée aux modalités suivantes : le Système National d’Information Inter Régime de l’Assurance Maladie (SNIR-AM) 16 régimes mais ne permet pas le suivi des patients. Le projet Constance propose d’utiliser les centres d’examen de santé pour la recherche épidémiologique. Les Observatoire Régionaux de la Santé ont pour mission une aide à la décision. Ils sont d’excellents bureaux d’études multidisciplinaires. L’Institut National des Données de Santé (INDS) est un Groupement d’Intérêt Public qui va permettre de regrouper les données, de définir leurs modalités d’accès et de partage. L’Ordre national des pharmaciens a développé avec succès un Dossier Pharmaceutique qui comporte l’ensemble des médicaments délivrés au cours des quatre derniers mois. Le Dossier Médical Personnel (DMP) a pour but le recueil par les médecins de données individuelles de santé des patients. Sa généralisation prévue en 2007 ne pourra intervenir avant plusieurs années car la priorité a été donnée à la dimension informatique alors que son but premier est la qualité des soins. L’Académie nationale de médecine propose les recommandations suivantes : soutenir la mise en place de grandes cohortes en population générale ; former des épidémiologistes, médecins et non médecins ; renforcer l’action des ORS tout en conservant leur indépendance ; former les étudiants en médecine à l’utilisation des données individuelles de santé ; considérer que le partage des données individuelles de * Membre de l’académie nationale de médecine ** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine santé peut améliorer la qualité des soins et diminuer la redondance d’examens ; le masquage partiel des données par les malades pouvant nuire aux soins, les patients auront à prendre la responsabilité de leurs décisions ; encourager l’expé- rience du DMPE car le suivi de l’enfant est essentiel et mérite d’être pris en compte jusqu’à seize ans ; utiliser l’expérience acquise par les pharmaciens pour le Dossier Pharmaceutique et l’intégrer au DMP ; orienter le DMP vers un projet plus sobre. L’Académie nationale de médecine s’inquiète cependant du retard pris par le DMP qui est un projet important pour tous, mais également pour la politique de santé et la recherche médicale de notre pays. Une période d’expérimentation permettant une évaluation devrait constituer un préalable essentiel.

Summary

Individual health records are essential for future epidemiological studies and for the analysis of patient management. Without this information, it is difficult to prepare effective healthcare policies. The Commission examined the following modalities : the Système National d’Information Inter Régime de l’Assurance Maladie (SNIRAM). It is composed of 16 components, but does not allow individual patient follow-up. The Constance project proposes to use health screening centers for epidemiological research. Regional Health Observatories serve as a decision tool, and represent excellent multidisciplinary R&D departments. The Institut National des Données de Santé (INDS) will gather the data and decide how they can be accessed and shared. The Ordre National des Pharmaciens has successfully developed a Pharmaceutical Dossier which records all drugs dispensed during the previous four months. Personal medical records (PMR) allow doctors to collect data on their individual patients’ health. This system was to be extended to the whole of France in 2007, but it will take a further several years, because the priority became data-processing instead of healthcare quality. The National Academy of Medicine makes the following recommendations : to create large cohorts within the general population ; to train MD and non MD epidemiologists ; to bolster the action of ORS while preserving their independence ; to train medical students in the use of individual health data ; the Academy considers that the sharing of individual health data can improve quality of care and reduce the number of redundant examinations ; partial masking of the data by patients may undermine healthcare quality, and patients will have to take responsibility for their own decisions ; to encourage the DMPE experience, because follow-up of children is essential and should be extended to age 16 years ; to use pharmacists’ experience with the Pharmaceutical Dossier and integrate it into the DMP ; and to encourage the DMP to adopt a more reasonable project. The National Academy of Medicine is concerned about the delay in implementing the DMP, which is an important project for healthcare policy and medical research in our country. An experimental assessment period is an essential precondition.

La commission XIII «

Épidémiologie-Santé Publique-Environnement » s’est intéressée depuis octobre 2006 aux Données Individuelles de Santé qui constituent une des bases essentielles de l’épidémiologie et permettent le suivi des soins donnés aux patients.

Les membres de la commission ont audité de nombreuses personnalités et enrichi de leurs remarques les discussions.

S’il existe des informations relativement précises sur les causes de mortalité en fonction du sexe, de l’âge, des régions de résidence, des facteurs professionnels sociaux et environnementaux auxquels la population de notre pays est soumise, il a été décidé dès notre première réunion de faire le point sur les données individuelles de santé.

Leur utilisation est indispensable aux épidémiologistes pour une meilleure connaissance de l’état de santé de l’ensemble de la population. Sans ces informations, aucune politique de santé publique ne peut être définie, comme l’a souligné l’Académie nationale de médecine dans un communiqué présenté par nos collègues Raymond Ardaillou et Roger Henrion le 14 janvier 2006 (communiqué sur l’utilisation en épidémiologie des bases de données recueillies en population générale).

En introduction aux auditions de la commission , François Grémy a rappelé les caractéristiques des données individuelles de santé qui se différencient par :

— l’objectif qui en guide le recueil, — leur nature et leur volume, — leur contribution à la définition d’une politique de santé à l’échelon de la population de notre pays.

Le Système National d’Information Inter Régime de l’Assurance Maladie (SNIR-AM) qui concerne tous les bénéficiaires des seize régimes considérés comme un tout, dont les dossiers sont ouverts et actifs sur trois années glissantes, est une fenêtre temporelle mobile qui correspond, pour chacun de ces dossiers, à cinq cents données individuelles (prescriptions, actes, dispositifs médicaux et Programme Médicalisé de Système Informatique (PMSI)). La place faite aux diagnostics est cependant limitée.

L’objectif majeur concerne les processus de soins anonymisés. La base de ce système, gérée par un centre national de traitement, est structurée par thèmes et ne permet malheureusement pas le suivi des patients, ni la conduite de programmes de recherches cliniques. Il ne prend pas en compte les bénéficiaires inactifs.

Le projet Constance a été proposé à la CNAMTS par Marcel Goldberg avec pour but exclusif la recherche épidémiologique en santé publique, et ce, en utilisant comme base de recueil les centres d’examen de santé qui permettent d’obtenir un échantillon proche de la population générale.

Le Dossier Médical Personnel (DMP) est un système créé dans l’intérêt des patients qui devait être étendu à toute la population en 2007. Il a pour but de
faire recueillir par les médecins les données individuelles de santé des patients tout au long de leur vie à partir de 16 ans. Bien entendu, le patient a le droit de connaître le contenu de son dossier, de ne pas le modifier, mais il a la possibilité de masquer, s’il le désire, telle ou telle donnée. Le DMP fait l’objet d’importantes discussions. Les membres de la commission se sont interrogés pour savoir si en raison de l’ambition du projet les délais de réalisation et de mise en œuvre prévus par la loi pourront être tenus. L’intérêt du DMP est cependant considé- rable pour le suivi des malades, et pour la santé publique dans la mesure où les professionnels de santé adopteront ainsi une véritable culture de l’information.

Les auditions

Le 07/11/2006

Le Professeur Marcel Goldberg (Unité Inserm 687) [1, 2] a analysé l’intérêt pour l’épidémiologiste de cohortes de dizaines de milliers de sujets suivis de façon prospective. Les cohortes françaises sont hélas de taille relativement faible par rapport aux cohortes anglo-saxonnes. Les raisons en ont été explicitées.

La cohorte Gazelle a assuré le suivi pendant vingt ans de vingt mille agents EDF/GDF. Elle a permis de mettre en place une vingtaine de projets de recherche épidémiologique.

La cohorte Constance en préparation aujourd’hui vise à inclure deux cent-mille sujets de dix-huit à soixante-dix ans couverts par le régime général de la Sécurité sociale. L’inclusion se fera dans les centres d’examen de santé de la CNAMTS. Un suivi longitudinal actif des volontaires de plus de dix-huit ans, en bonne santé ou malades (questionnaires, examens périodiques de santé) sera assuré pendant plusieurs décennies, selon une méthodologie rigoureuse, par les médecins des centres d’examen de santé dûment formés à cet effet et aidés par des épidémiologistes professionnels. Cela peut être une plateforme importante ouverte à la recherche épidémiologique [3].

Le Docteur Annick Alpérovitch , Directeur de l’Unité Inserm 708 [4], a confirmé que les grandes cohortes qui doivent concerner tous les âges de la vie constituent l’approche à privilégier ; les études cas/témoins peuvent de leur côté apporter des informations épidémiologiques non négligeables. L’Inserm a créé un département de santé publique pour participer à l’évolution de la gouvernance en santé publique. Dans le cadre des appels d’offre de l’Agence Nationale de Recherche Santé-Environnement-Travail, le mot épidémiologie n’apparaît que dans les projets Santé-Environnement et Santé-Travail.

Le 20/11/2006

Le Professeur Mario Fieschi (Faculté de médecine de Marseille) [5] a indiqué les enjeux du DMP (loi d’août 2004) dans un système d’informations de santé au service du malade et de la santé publique (état et suivi du malade, bonne
connaissance des soins, échanges d’informations au sein des réseaux de soins, aide à la décision, meilleure information du patient, promotion de la prévention).

Le système est créé pour le patient en utilisant toutes les données individuelles de santé recueillies au long de sa vie. Le système doit valoriser le dossier du patient et contribuer à faire évoluer les systèmes d’information hospitaliers et des professionnels pour, in fine, améliorer la qualité, la continuité des soins et la prévention.

Le DMP contient des données permettant d’identifier son titulaire (numéro d’identifiant et des informations relatives à son médecin traitant). Le document de quinze pages est divisé en cinq sections : modalités d’ouverture de transfert et de fermeture du dispositif ; son contenu ; son alimentation ; ses modalités de gestion ; il présente également les organismes chargés de l’administrer. Les données médicales du DMP sont structurées en quatre parties : données médicales générales ; données de soins ; données d’imagerie ; données de prévention. Le droit au masquage est affirmé.

Indépendamment du numéro d’identifiant, les clauses de sauvegarde du dossier chez un hébergeur unique font l’objet de débats tant que, selon les recommandations de la Cnil, les procédures d’anonymisation n’aient pas été évaluées et les messageries dûment sécurisées.

Le Professeur Catherine Quantin (CHU de Dijon) [6] a insisté sur l’importance des sources d’informations dont ont besoin les épidémiologistes car il ne peut y avoir de politiques de santé sans une bonne connaissance de la santé de la population. Les enquêtes Insee qui concernent l’état de santé perçu par les sujets interrogés n’ont cependant qu’un intérêt relatif. Les enquêtes sur les états de santé diagnostiqués sont plus limitées à l’exception des trop rares cohortes qui assurent le suivi d’échantillons importants de population et des études qui comparent les cas pathologiques à des cas témoins dans les mêmes conditions de survenue du risque ou qui assurent et comparent les conditions d’apparition d’évolution et de suivi de certains groupes de maladies.

Pour Catherine Quantin, le DMP a potentiellement un intérêt extrême pour les épidémiologistes, alors que « les tutelles » ont exclu au départ le traitement épidémiologique et statistique de celui-ci. Le problème de l’identifiant unique est donc essentiel. On s’oriente vers un dérivé du Numéro d’Identification de Référence (NIR) qui, grâce à la technique cryptographique du hachage ou chiffrement des données, ne permet pas de remonter à l’identité du patient.

Le 30/01/2007

Madame Isabelle Adenot, Présidente de la section A de l’Ordre national des pharmaciens, a rapporté son expérience du DP (Dossier Pharmaceutique). Ce dossier comporte pour chaque patient qui donne son accord, l’ensemble des médicaments (prescrits ou non) qui lui ont été délivrés au cours des quatre
derniers mois dans n’importe quelle officine de France. Il a été sélectionné, à cette fin, un hébergeur unique désigné par le Conseil de l’Ordre des pharmaciens, qui permet à tous pharmaciens de consulter ce dossier et de le compléter ;

Le dossier est d’abord un outil destiné aux pharmaciens d’officine.

Il répond à trois objectifs :

— sécuriser la dispensation des médicaments, — favoriser la coordination avec les autres professionnels de santé, (volet DMP du patient), — fédérer la profession dans un réseau unique auquel les autorités de santé pourraient communiquer toute alerte sanitaire éventuelle.

L’Ordre national des pharmaciens a pour mission légale de le mettre en œuvre.

Il est évident que le consentement éclairé du patient est réclamé pour créer son DP, ce qui permet alors à tout pharmacien d’officine de le consulter et de l’alimenter en présence de l’intéressé. Le pharmacien, identifié par sa carte professionnelle, accède au DP du patient, lui même identifié par sa carte vitale.

Les premiers DP ont été ouverts en juin 2007 dans six départements pilotes.

Le Professeur Jean Sénécal (Faculté de médecine de Rennes) a rapporté l’expérience régionale qui a été conduite dans cette ville dès 2003 par la création et le développement de ce qui peut être considéré comme un DMP enfant. À partir du carnet de santé des enfants remis aux familles dès la naissance et des certificats médicaux obligatoires (naissance, six mois, et vingt-quatre mois que le médecin examinateur doit transmettre aux services de PMI de la DRASS où ils sont enregistrés), ce DMPE a été proposé.

L’existence en Bretagne de différents réseaux reliés à une plateforme informatique télésanté a représenté un avantage qu’il a été possible d’exploiter. Après accord parental, il serait potentiellement réalisable de créer un DMPE dès la naissance, d’en assurer le suivi à l’occasion des passages en PMI puis de le faire enrichir par le médecin. L’alimentation du DMPE par le médecin nécessite qu’il ait accès au dossier de l’enfant grâce à sa carte professionnelle et à la carte vitale de l’intéressé.

Pour cela un logiciel spécifique devrait être créé.

Le contenu du DMPE devrait être compatible avec le carnet de santé mis à jour en 2006 et corrélé à celui du médecin scolaire qui utilise un logiciel spécifique.

Le dossier qui doit reprendre ce que contient le carnet de santé a fait l’objet d’une maquette qui se présente sous formes de cent-quinze blocs avec six-cents items. Le projet est pour l’instant limité aux médecins d’Ile-et-Vilaine.

La Commission a ensuite audité deux directrices d’Observatoires Régionaux de la Santé. Ces ORS sont au nombre de vingt-deux, un par région sur le territoire métropolitain et quatre dans les DOM. Les ORS ont été créés sous forme d’association loi 1901. Leur mission est représentée par une aide à la
décision à travers l’observation et la mise à disposition d’informations sur la santé des populations des régions de notre pays. Les ORS sont regroupés dans une fédération nationale Le Docteur Isabelle Grémy [7] a indiqué l’intérêt des ORS pour la conduite des études épidémiologiques au niveau régional. Elle a précisé les modalités de financement des projets qui sont sollicités par les autorités régionales. La plupart des études conduites ont eu pour objet d’observer, d’analyser les états de santé de certains groupes de population en fonction de divers déterminants environnementaux. L’ORS Ile-de-France, après avoir étudié la description de l’offre de soins et la première carte sanitaire, travaille en particulier sur les causes de mortalité et les effets sanitaires des pollutions atmosphériques, et dans certains domaines de santé environnementale et de facteurs de prévention des risques. En 2007, l’ORS Île-de-France a assuré une large part de la coordination et du suivi de l’évolution et des objectifs du Plan régional de santé publique.

Le Docteur Yolande Obadia, Directrice de l’ORS PACA, a pour sa part défini des objectifs particuliers de cette institution où sont implantées trois Unités Inserm. Une quatrième unité est en voie de constitution.

— La première s’intéresse à l’épidémiologie et à la psychologie des comportements dans la prise en charge de l’infection VIH, — la deuxième aux sciences sociales de la santé appliquées aux usages et traitements dans le domaine des substances psycho-actives, — la troisième aux comportements des acteurs dans le cadre de la régulation économique des systèmes de santé.

— Enfin, une équipe mixte pour la recherche épidémiologique en cancérologie est en voie de constitution.

Par ailleurs, l’ORS PACA [8] poursuit des enquêtes ciblées telles celles par exemple qui ont été conduites sur l’accompagnement de fin de vie, l’évaluation des soins palliatifs et les handicaps incapacités et dépendances.

Les ORS sont d’excellents bureaux d’études multidisciplinaires de données individuelles de santé. Ils interviennent au niveau des Régions sur des financements spécifiques et à la demande des pouvoirs publics régionaux, pour conduire des enquêtes épidémiologiques qui aident les responsables politiques à prendre leurs décisions.

Le 6 juin 2007 , Monsieur Christian Babusiaux, Président de première chambre de la Cour des Comptes, a approuvé l’intérêt des études épidémiologiques à partir de données individuelles de santé. Il a cependant indiqué les difficultés de la mise en place du DMP et les retards probables qui interviendront pour sa généralisation, qui prendra ainsi plus de temps que cela n’avait été envisagé précédemment.

Christian Babusiaux a souligné l’extrême fractionnement des données de santé recueillies souvent sans souci d’interopérabilité, l’État ne s’étant pas doté de moyens suffisants de coordination.

Il a précisé le rôle de l’Institut National des Données de Santé (INDS) qu’il préside. C’est un Groupement d’Intérêt Public (GIP) dont l’action principale a pour but d’assurer la cohérence et veiller à la qualité des systèmes d’informations utilisés pour la gestion du risque maladie, et pour des préoccupations de santé publique.

L’Institut National des Données de Santé va permettre de regrouper les données recueillies par différents organismes, de définir leurs modalités d’accès et de partage tout en limitant les coûts.

Après la fin des auditions, et alors que la rédaction du présent rapport était en cours de finition, un événement politique important est survenu. Le 31 octobre 2007, un rapport de la mission commune sur le DMP de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), de l’Inspection Générale des Finances (IGF) et du Conseil Général des Technologies de l’information (CGTI) a été rendu public.

Ce rapport met en exergue l’irréalisme des délais imposés pour les objectifs affichés et « une gestion de projets constamment précipitée souvent improvisée parfois inconséquente ».

Initialement prévu pour le 1er juillet 2007, la généralisation du DMP ne pourra intervenir avant plusieurs années, sans doute dix ans, pour un dossier complet disponible partout.

La mission rappelle que le but premier du DMP est la qualité des soins alors que la priorité a été donnée à la dimension informatique au détriment de la réflexion sur le contenu et l’usage du dossier. Elle demande de sauvegarder les acquis et salue l’action positive du GIP chargé du dossier notamment d’avoir développé l’idée que l’arrivée du DMP est inéluctable. Ce GIP fait par ailleurs l’objet d’une enquête de la Cour des Comptes, une nouvelle feuille de route établie après concertation avec les professionnels de santé est annoncée par le Gouvernement pour mars 2008, avec une priorité probable pour les porteurs d’une Affection de Longue Durée (ALD).

La Conférence Nationale de Santé (CNS) du 30 novembre 2007 a plaidé pour une gouvernance unifiée et une stratégie nationale sur l’informatisation du système de santé. Si l’informatisation des établissements a bénéficié du plan Hôpital 2012, l’interopérabilité entre les différents systèmes, langage, architecture, varient d’une structure à l’autre, l’informatisation de la médecine de ville repose de son côté, sur une grande hétérogénéité de logiciels et d’applications de gestion des données.

La communication entre les systèmes d’informations n’est pas pour l’instant organisée en raison de la différence des objectifs poursuivis à l’hôpital et en médecine de ville. La CNS déplore qu’il n’y ait eu aucun débat public sur
l’acceptabilité de l’informatisation des données de santé et que cette question ait été occultée par le masquage des données du DMP.

CONCLUSION

Indépendamment des études épidémiologiques conduites en milieu hospitalier et poursuivies après la sortie du malade pour établir le suivi de certaines pathologies, la recherche épidémiologique doit être capable d’assurer le suivi de la population générale bien portante ou malade. Ces auditions témoignent de l’importance de la situation et des orientations de la recherche épidémiologique dans notre pays, de la nécessité de sa poursuite et de son développement. Cette recherche est aujourd’hui certes diversifiée, mais très fragmentée.

Le DMP représente une expérience essentielle, à condition qu’il puisse déboucher sur des études épidémiologiques. Les données individuelles de santé n’ont pas eu jusqu’à aujourd’hui une place suffisante en recherche épidémiologique. Cela nous a amené à envisager un certain nombre de recommandations.

RECOMMANDATIONS

De nombreux rapports ont été consacrés à ce sujet (Académie des sciences, Conseil Économique et Social, mission commune sur le Dossier Médical Personnel de l’Inspection Générale de la santé, de l’Inspection Générale des Finances et du Conseil Général des Technologies de l’Information). L’Acadé- mie nationale de médecine de son côté a présenté en 2006 un communiqué sur l’utilisation en épidémiologie des bases de données recueillies en population générale.

À la suite des consultations et des auditions qu’elle a réalisées, l’Académie nationale de médecine propose les recommandations suivantes :

— Apporter un soutien total à la mise en place, pour la recherche épidémio- logique sur les déterminants et l’évolution des états de santé, de grandes cohortes en population générale telles que le projet Constance (à condition d’en assurer la représentativité). De plus, pour garantir à ce projet de recherche sa pleine valeur, il est nécessaire de reporter le plus rapidement possible l’origine de la cohorte de seize ans à la naissance.

— Former les étudiants en médecine dès le DCM2 à l’utilisation des données individuelles de santé qui vont alimenter le DMP. Cette formation particulière devrait faire l’objet d’un contrôle lors de l’examen national classant de fin d’études.

— Profiter de la mise en place du DMP pour permettre à tous les professionnels de santé d’acquérir une véritable culture de l’information médicale nécessaire aujourd’hui au recueil, au partage et à la qualité de ces informations pour assurer le suivi des patients.

— Considérer que le partage des données individuelles de santé entre les professionnels et les patients est, non seulement bénéfique pour améliorer la qualité des soins, mais aussi pour diminuer la redondance des examens complémentaires et des thérapeutiques.

— Développer et renforcer la formation d’épidémiologistes, médecins et non médecins, mais aussi d’archivistes des données de santé dont les besoins sont croissants et indispensables au développement harmonieux du DMP.

— Considérer que les données individuelles de santé anonymisées par hachage (technique conseillée par le Cnil) devraient permettre la recherche épidémiologique.

— Considérer que le droit de masquage partiel des données qui a été accordé aux malades peut nuire aux soins qui leur seront dispensés, les patients auront alors à prendre la responsabilité de leurs décisions et des consé- quences de celles-ci 1. Il pourrait être proposé de ce fait que le masquage puisse être levé dans des circonstances telles que l’urgence et plus particulièrement l’urgence psychiatrique.

— Encourager l’expérience du DMPE, le certificat de naissance étant de droit le premier élément du DMP de la personne. Le suivi de l’enfant est essentiel et mérite d’être pris en compte jusqu’à seize ans.

— Utiliser l’expérience acquise par les pharmaciens pour le Dossier Pharmaceutique et envisager de l’intégrer au DMP 2.

— Renforcer l’action des ORS en particulier au sein des Plans Régionaux de Santé, assurer la pérennité de leur fonctionnement tout en conservant leur indépendance, et encourager leur coordination.

— S’orienter, dans le cadre de la clarification du projet de DMP qui va être revu par le gouvernement, vers un projet plus sobre, plus facilement et mieux utilisable par les médecins chargés de le mettre en place et de l’entretenir avec leurs patients. L’Académie Nationale de Médecine s’inquiète cependant du retard pris par le DMP qui est un projet important pour tous, mais également pour la politique de santé et la recherche médicale de notre pays. Une période d’expérimentation permettant une évaluation devrait constituer un préalable essentiel.

1. Contre l’avis du Gouvernement le Sénat a supprimé la possibilité du masquage dans sa séance du 15 novembre 2007. La possibilité du masquage masqué a cependant été exclue par le gouvernement et le Sénat.

2. Ce point a été adopté par le Sénat le 15 novembre 2006.

BIBLIOGRAPHIE [1] GOLDBERG M. — Les bases de données d’origine administrative peuvent-elles être utiles pour l’épidémiologie ? Rev. Epidemiol. Sante Publique, 2006, 54, 297-30.3 [2] GOLDBERG M., SALAMON R. — L’épidémiologie humaine. In : Valleron AJ, ed. Epidemiologie :

conditions de son développement, et rôle des mathématiques. Académie des Sciences. Rapport sur la science et la technologie no 23. Comité RST. Paris : Edition EDP Sciences, 2006.

[3] FENDER, P, WEILL A. — Epidémiologie, santé publique et bases de données médico-tarifaires.

Rev. Epidemiol. Sante Publique, 2004 , 52, 113-7.

[4] DUFOUIL C., ALPEROVITCH A. — L’épidémiologie de la maladie d’Alzheimer.

Rev. Prat. 2005 , 55, 1869-78.

[5] FIESCHI M. — L’opportunité du DMP pour l’élaboration d’un système d’information en santé.

Revue ADPS, 2007, 58, mars.

[6] QUANTIN C., COHEN O., RIANDEY B., ALLAERT FA. — Unique patient concept : a key choice for European epidemiology. International Journal of Medical Informatics, 2007 , 76, 419-426.

[7] Programmes d’études de l’ORSIF en 2008 : ORS Ile de France, Préfecture de la Région Île de France, janvier 2008, Paris 23 rue Miollis 75015, 67 p.

[8] PERETTI-WATEL P., OBADIA Y., ARDWIDSON P., MOATTI JP. — ‘‘ Un risque, ça va ! Trois risques, bonjour les dégâts ? » Les difficultés de l’éducation pour la santé à prévenir des risques comportementaux multiples. Promot. Educ., 2008, 15, 40-5.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 5 février 2008, a adopté le texte de ce rapport moins cinq abstentions et deux contre.

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 2, 437-447, séance du 5 février 2008