RAPPORT 07-13 au nom de la Commission XI (Eaux de consommation et Thermalisme)
Sur la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence et après transport à distance, l’eau du captage ‘‘ Reine Jeanne F2 » situé sur la commune d’Oraàs (Pyrénées Atlantiques).
Eugène NEUZIL *
Par lettres en date du 2 octobre et du 7 novembre 2006, adressées à Monsieur le Secrétaire perpétuel, la Direction générale de la Santé (Sous-direction de la gestion des risques des milieux, bureau des eaux) soumet à l’examen de l’Académie nationale de médecine la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence et après transport à distance, l’eau du captage ‘‘ Reine Jeanne F2 » situé sur la commune d’Oraàs (Pyrénées Atlantiques).
Oraàs est un petit village de deux cents habitants, situé sur la rive droite du gave d’Oloron, près de la route qui conduit de Sauveterre-de-Béarn à Peyrehorade, dans la partie triangulaire nord-ouest du Béarn qui s’enfonce entre la Chalosse au nord et le Pays Basque à l’ouest. Oraàs attire peut-être l’attention du touriste autant par son église gothique du e XIV siècle que par l’orthographe très particulière de son nom, dans lequel un a est suivi d’un à , mais la commune est surtout connue par ses eaux salées qui, depuis plus d’un siècle, alimentent la station thermale de Salies-de Béarn, distante de huit kilomètres. C’est d’ailleurs du directeur des thermes de la Compagnie Fermière de Salies-deBéarn qu’émane cette demande d’autorisation.
HYDRO-GÉOLOGIE Oraàs fait partie du gisement salifère triasique de Salies-de-Béarn, qui s’est développé après la destruction par l’érosion, à la fin de l’ère primaire, de la chaîne hercynienne. Au début de l’ère secondaire, l’immense continent qui constitue la Pangée se morcelle sous l’influence d’une activité orogénique intense : un large fossé d’effondrement va de la terre de Baffin au golfe de Gascogne. Le retrait de l’océan, dans la région qui correspond au versant nord des Pyrénées actuelles, laisse de nombreux bassins d’eau de mer que le climat tropical va assécher. La salinité augmentant progressivement, le carbonate de calcium précipite en premier, suivi par le gypse et l’anhydrite ; lorsque la salinité atteint la concentration de 320 g/l, le chlorure de sodium s’insolubilise à son tour sous forme de sel gemme (halite). Le recouvrement ultérieur des dépôts salifères entraîne leur enfouissement ; ils subissent des fractures à la suite de l’orogenèse pyrénéenne, amenant en surface des diapirs, pointements salifè- res qui sont lessivés par les eaux météoriques (figure 1).
La région d’Oraàs et de Salies-de-Béarn est marquée par une faille entre, à l’ouest, le Crétacé supérieur (représenté par du flysch avec alternances de grès et de marnes) et, plongeant en direction de sud-ouest, les assises du Trias supérieur (‘‘ faciès Keuper ’’, avec marnes, argiles et dolomies). Infiltrées à la faveur des failles du Crétacé, les eaux météoriques se chargent en chlorure de sodium dans la masse salifère du Trias et s’enrichissent en calcium et en magnésium en traversant les passées dolomitiques. Au voisinage d’Oraàs (figure 2), l’infiltration se produit à l’est dans les marno-calcaires du Crétacé, en amont de la lame salifère.
CAPTAGE DE LA SOURCE REINE JEANNE F2 Dès 1843, deux forages ont été réalisés à Oraàs. Le premier, improductif, a été rapidement obturé. Le second, profond de 190 m, amène, par une canalisation en fonte de près de dix km de longueur réalisée en 1887, l’eau salée à la ‘‘ Saline ’’ (usine de production de sel comestible) de Salies-de-Béarn ; une partie de cette eau est conduite à l’Établissement thermal de cette ville ;
son utilisation médicale reçoit un avis favorable de l’Académie de médecine le 10 février 1891 ; cette eau d’Oraàs, depuis 1958, est appelée ‘‘ Source Reine Jeanne ’’ [1]. En 1980, la canalisation d’origine est remplacée par une conduite en PEHD. En 1998, on constate une dégradation de la qualité de l’eau extraite en raison de la présence croissante de matières en suspension ; une inspection vidéo de l’avant-puits du forage montre en outre la vétusté de l’ouvrage et l’impossibilité de le réhabiliter : un nouveau forage doit être réalisé.
FIG. 1. — Localisation des pointements salifères sur la bordure septentrionale des Pyrénées.
In [1], d’après Zolnaî.
FIG. 2. — Coupe géologique structurale selon l’axe est-ouest, à Oraàs.
Forages d’exploration : Lestage 6, 8 et 9
Forage Oraàs : Reine Jeanne 2
In [1]
Le recaptage de la source Reine Jeanne est engagé en 1999. Des deux sondages (S1, 234 m ; S2, 112 m) effectués, seul S2 recoupe le gisement thermal à -96 m ; il fournit des eaux claires à forte minéralisation, de type chloruré sodique, comparables en tout point à celles de l’ancien forage. Le sondage S2 deviendra le captage Reine Jeanne F2 . Le rapport de 2001 de l’ANTEA, société d’ingénierie et de conseil chargée de la coordination des travaux, et celui, en date du 2 février 2006, du Comité d’experts spécialisé ‘‘ Eaux ’’ de l’ Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), figurent dans le dossier qui nous a été soumis ; ils décrivent en détail la réalisation du forage et son équipement : pompe immergée, tête de forage, débitmètre, robinet de prélèvement, clapet anti-retour, vanne de sectionnement et vanne de purge, ainsi que l’étendue du périmètre de protection réglementaire ; la tête de forage et ses accessoires sont abrités dans deux locaux spécialement construits, tandis que les eaux superficielles et pluviales sont canalisées et évacuées hors du site.
Pour éviter tout risque d’instabilité au droit du site, une recherche de cavité de dissolution du sel a été effectuée par la Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE) : les faibles dimensions de la petite cavité décelée ne la rendent pas dangereuse ; une observation périodique de la stabilité du site est néanmoins nécessaire. Des essais de pompage, maintenu à un débit voisin de 3 m3/ h sur près de onze mois et contrôlés par un capteur de pression automatique, ont été satisfaisants.
Le transport à distance est assuré par une canalisation en PEHD (ø 90 mm) de près de dix km de longueur et placée en tranchée. Arrivée à ‘‘ La Saline ’’ de Salies-de-Béarn, l’eau se déverse dans des bassins de stockage en béton non couverts pour décantation, aération et élimination du fer. L’eau thermale qui alimente les thermes ne transite pas par les bassins de décantation : elle est amenée directement à l’Établissement Thermal par une canalisation d’environ 1 000 m en PEHD (ø 110 mm). Le dernier bassin de décantation communique avec la ‘‘ poêle inox ’’, vaste récipient dont la chauffe permet une évaporation partielle de l’eau ; le sel domestique qui se dépose est recueilli et séparé des ‘‘ eaux-mères ’’, qui sont stockées dans une bâche souple puis transportées jusqu’aux thermes par une conduite enterrée indépendante. L’eau des bassins de décantation alimente également les piscines thermales, après traitement et filtration.
L’eau native du captage Reine Jeanne F2, qui circule à l’abri de l’air dans des canalisations, de son émergence jusqu’à son utilisation pour les soins, ne subit aucun traitement de déferrisation ; elle entre dans la catégorie des eaux fortement minéralisées ; son résidu sec de 320 g/L et son profil chloruré sodique en font une véritable saumure. Les caractéristiques physico-chimiques notées à l’émergence et après transport à distance, groupées dans le Tableau 1, proviennent du Laboratoire d’études et de recherches de l’AFSSA ;
on remarquera que les concentrations en nitrates, nitrites et fluorures sont
TABLEAU I Composition physico-chimique de l’eau du captage Reine Jeanne 2 Laboratoire d’études et de recherches en hydrologie de l’AFSSA
difficilement quantifiables dans une saumure ; le tableau n’indique pour ces anions que des valeurs inférieures à celles des seuils des techniques de détection ; ceci provient des difficultés liées à l’analyse de liquides présentant une très forte salinité. Les mêmes problèmes ont été rencontrés par le Laboratoire régional d’Analyse et de Surveillance des Eaux Minérales de l’Université de Bordeaux , dont les résultats sont identiques à ceux de l’ AFSSA .
La remarque s’applique également aux éléments traces présents, Sb, Ba, Cd, Cr, Cu, Hg, Ni, Pb, Se et Zn. Seuls l’aluminium, l’arsenic et le bore ont été évalués avec précision.
La recherche de composés organiques volatils et semi-volatils, de pesticides organochlorés et d’autres hydrocarbures s’est révélée négative sur l’ensemble des prélèvements. Les analyses de radioactivité réalisées par l’IRSN ( Institut de recherche en Sécurité Nucléaire ), indiquées ci-dessous, sont supérieures aux normes recommandées par l’OMS.
Reine Jeanne F2 Normes OMS Activité a globale <8,0 Bq/L 0,1 Bq/L Activité b globale 80 fi 16 Bq/L 1 Bq/L Potassium 1700fi 85 mg/L Tritium <9,0 Bq/L 222Radon <8,0 Bq/L Les analyses bactériologiques, à l’émergence comme après transport, montrent l’absence de contamination bactérienne ; aucun germe témoin de contamination fécale, Pseudomonas aeruginosa : <1 dans 250 ml, Legionella pneumophila : < 50 dans 1000 ml.
LE THERMALISME À SALIES-DE-BEARN Salies-de-Béarn doit son nom et son développement à ses sources chlorurées sodiques. Les sources salées et les dépôts minéraux blancs des rives du Saleys, l’affluent du gave d’Oloron qui traverse la ville, sont connus depuis des siècles ; la première mention historique remonte à 1022. Depuis le Moyen-Âge (les premières archives datent de 1525), les habitants membres de la très protégée Corporation des Parts Prenants de la Fontaine Salée exploitaient à ciel ouvert la source du Bayaa, située au cœur de la ville ; de nos jours, ces Parts Prenants sont toujours propriétaires des eaux, qui sont louées à la Société fermière [3].
L’utilisation médicinale des eaux de Salies est fort ancienne, mais le développement d’un véritable thermalisme est plus tardif : il est en rapport avec le déclin de la vente du sel gemme, concurrencé par le sel de mer, et avec la nécessité pour les Parts Prenants de conserver des revenus suffisants. Une autorisation d’exploiter pour des soins l’eau du Bayaa (27 avril 1855) est suivie
d’un arrêté ministériel (27 mai 1856) autorisant la construction de thermes [2, 3, 4], Cet établissement très modeste, mais cependant fréquenté par de nombreux et souvent célèbres curistes, est détruit par un incendie en 1888. Il est rapidement remplacé par le grand Établissement Thermal toujours utilisé aujourd’hui. Salies-de-Béarn, avec un équipement hôtelier souvent luxueux, devient une station très mondaine.
La station thermale a attiré près de 60 000 curistes par an en 1900. Par la suite, leur nombre a considérablement diminué ; se stabilisant au voisinage de 2 000 dans les années 1970 ; une reprise s’esquisse, avec 2 600 curistes soignés en 1997, dans le cadre de quatre orientations :
• Gynécologie [5, 8, 9], • Rhumatologie et séquelles de troubles ostéo-articulaires et de maladies neurologiques, • Troubles du développement de l’enfant, • Dermatologie [12] Les soins thérapeutiques pratiqués sont différents selon l’état pathologique à traiter :
• Bains, pouvant être associés à des douches ou à des massages en baignoire. Le médecin thermal choisit la durée du bain et sa température ; la salinité de l’eau, contrôlée par densimétrie, peut être modifiée par addition d’eau ordinaire (eau potable distribuée par le réseau urbain) ou d’eaux-mères provenant de la préparation du sel domestique.
• Douches, au jet ou à colonne.
• Mobilisation ou rééducation en piscine.
• Compresses d’eau thermale ou d’eaux-mères.
• Bains locaux ou douches locales, pour la gynécologie.
• Irrigation ou columnisation vaginale.
Les eaux salines utilisées à l’Établissement thermal de Salies-de-Béarn ont eu — au fil des années — des origines différentes mais proviennent toutes de la même zone salifère :
• L’eau du Bayaa n’est plus exploitée.
• Le premier forage d’Oraàs (Reine Jeanne) est demeuré en service jusqu’en septembre 1958 ; il est maintenant totalement obturé.
• L’exploitation de l’eau de la source Catherine de Bourbon, provenant d’un forage situé au quartier Bailleux, au nord de Salies-de-Béarn, a reçu en 1995 un avis favorable de l’Académie nationale de médecine [1].
• L’eau du forage Reine Jeanne 2, qui fait l’objet du présent rapport, doit remplacer partiellement ou totalement l’eau de la source Catherine de Bourbon.
• Les eaux-mères [6, 7, 9], eaux naturelles partiellement délestées de leur chlorure de sodium après évaporation partielle par chauffage, présentent une
composition plus variable et assez différente de celle des eaux salées naturelles : elles sont souvent plus minéralisées (l’extrait sec pouvant atteindre 400 g/L), plus riches en brome (1-1,3 g /L) et en magnésium (2,1-3,5 g /L.), ce qui expliquerait leur utilisation préférentielle pour certains traitements thermaux.
CONSULTATIONS LÉGALES Le Directeur départemental des affaires sanitaires et sociales des PyrénéesAtlantiques a émis le 5 novembre 2002 un avis favorable à la demande d’exploitation. La DRIRE, le 28 novembre 2002, confirme cet avis favorable tout en émettant certaines réserves, que des travaux ultérieurs ont levées depuis.
Un dernier avis favorable a été donné par l’AFSSA le 22 juin 2006, après avoir pris connaissance du rapport de son comité d’experts spécialisé ‘‘ Eaux ’’ réuni les 3 février et 7 mars 2006.
AVIS DE LA COMMISSION XI La Commission a noté la qualité des recherches hydro-géologiques et des travaux qui ont permis la réalisation du forage ‘‘ Reine Jeanne F2 » et le transport de son eau à l’Établissement thermal de Salies-de Béarn. La salinité élevée de cette eau exclut son ingestion et ne doit donc être utilisée que pour des soins externes ; il n’existe d’ailleurs aucune buvette dans l’Établissement thermal. C’est la raison pour laquelle les concentrations en arsenic, en zinc, en bore et en aluminium ainsi que le niveau de radio-activité, qui dépassent les normes officiellement admises pour les eaux de consommation, ainsi que les valeurs indiquées pour oligo-éléments et les substances traces, permettent l’utilisation médicale de l’eau du captage pour les pratiques thermales indiquées ci-dessus. La Commission remarque en outre que l’eau de ‘‘ Reine Jeanne F2 » provient de la même ressource hydro-géologique que celle de la source ‘‘ Catherine de Bourbon ’’, dont l’exploitation a été autorisée en 1995 [1] et qu’aucune orientation thérapeutique nouvelle n’est sollicitée. Aussi la Commission, réunie le 14 novembre 2006 sous la présidence du professeur Claude Boudène, s’associe-t-elle aux conclusions des autorités précédemment citées et émet à son tour un avis favorable.
Toutefois, comme l’eau finalement utilisée pour les diverses pratiques crénothérapiques résulte d’un mélange d’eaux chauffées à 38° C. : eau thermale naturelle (Reine Jeanne ou Catherine de Bourbon), eaux-mères (qui ont séjourné dans des bassins ouverts à l’air libre) et eau potable du réseau de distribution municipal, la Commission estime-t-elle qu’il est impératif que les analyses de contrôle soient périodiquement effectuées non seulement à
Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 3, 659-668, séance du 27 mars 2007