Résumé
Les dioxines sont des sous-produits de combustion en présence de dérivés chlorés. Après avoir analysé les principales caractéristiques des dioxines, leurs sources naturelles et industrielles, le rapport identifie les modalités d’exposition, les doses acceptables de référence, les données de l’expérimentation animale et les résultats des études épidémiologiques. Si, entre 1970 et 1990, les Usines d’Incinération d’Ordures Ménagères (UIOM) ont représenté dans notre pays, la principale source des émissions de dioxines par leurs fumées, la situation a beaucoup évolué depuis 1995. En effet, entre 1995 et 2002, les émissions de dioxines définies en « International Toxic Equivalent Quantity » (ITEQ) ont diminué de façon très importante et sont passées dans notre pays, selon l’étude du Centre Interprofessionnel Technique d’Etudes de la Pollution Atmosphérique (CITEPA), de 1784 grammes en 1995, à 380 grammes en 2002. Ces émissions sont déjà aujourd’hui très inférieures à celles de 2002, et se situeront sans doute autour de 20 grammes pour l’ensemble des incinérateurs de notre pays en 2012. Ce résultat est dû à la fermeture des UIOM obsolètes, à la mise à la norme internationale et européenne (0,1 nanogramme de dioxine par Nm3 de fumée) des UIOM qui ont pu être rénovés, et au strict respect de cette norme par les UIOM de 3ème génération. Les progrès réalisés dans les process industriels de traitement des fumées permettent de considérer aujourd’hui que les sources naturelles des dioxines pourraient être proches de celles des incinérateurs. Chez l’homme, les dioxines sont absorbées par voie digestive à des doses infinitésimales, de l’ordre du picogramme. Il ne peut y avoir de seuil zéro d’exposition. La dose journalière sans niveau d’effet (no effect level) se situe aujourd’hui à 1 pg/Kg/jour. Ces doses sont mille fois inférieures à celles qui sont susceptibles de provoquer chez les animaux d’expérience de nombreuses pathologies que certains extrapolent sans réserve à l’homme. Les résultats d’enquêtes épidémiologiques, conduites au voisinage d’UIOM qui n’étaient pas aux normes actuelles, sont difficilement exploitables et ne permettent pas aujourd’hui d’établir de corrélation avec un risque sanitaire potentiel en raison des mesures de précaution qui ont été prises. Aujourd’hui selon l’Agence Française de Sécurité Sanitaire Alimentaire (AFSSA), le risque d’exposition aux dioxines de la population française est très inférieur à la norme OMS.
Summary
Dioxins are chemical byproducts created by waste incineration in the presence of chlorine derivatives. After analysing the main characteristics of dioxins, and their natural and industrial origins, this report will examine acceptable doses based on animal experiments and epidemiological studies. Domestic waste incineration between 1970 and 1990 represented the main source of dioxins in France. The situation has vastly improved since 1995. Between 1995 and 2002, dioxin levels, defined by the International Toxic Equivalent Quantity (ITEQ), diminished significantly (from 1784 g in 1995 to 380 g in 2002) according to CITEPA (Centre Interprofessionel Technique d’Etude de la Pollution Atmosphérique). Thanks to efforts made in the industrial sector, this rate is still diminishing and should reach 20 g in 2012 for the whole of France. This improvement is due to the closure of obsolete first-generation incinerators, compliance with European and International norms (1997), second-generation refits, and strict application of 1997 norms to third-generation plants. Humans absorb dioxins through food but in extremely small doses. There is no such thing as zero exposure. The ‘ no effect level ’’ of daily intake is around 1 pg/kg/day. This is a thousand times below the levels used in animal tests and is therefore unlikely to harm humans, as some tend to imply. Epidemiological studies conducted around old-generation incinerators are no longer relevant to the situation in France. Today, according to the French health protection agency (AFSSA), dioxin exposure in the French population is significantly below the WHO norm
Les inter-relations entre dioxines et santé sont complexes.
Il convient tout d’abord de caractériser ces polluants et d’identifier leurs sources.
Les modalités d’exposition des animaux et de l’homme méritent ensuite d’être explicitées. La contamination de l’alimentation est évaluée par des dosages biologiques qui définissent par nutriments des « valeurs acceptables ».
L’expérimentation animale et les études épidémiologiques permettent de comprendre les circonstances et les conditions particulières de survenue des manifestations pathologiques chez l’animal d’expérience ainsi que les difficultés de corrélation avec un risque sanitaire chez l’homme.
Principales caractéristiques des dioxines
Définition
Les dioxines, polychloro-dibenzo-dioxines (PCDD) et les furanes, polychlorodibenzo-furannes (PCDF), sont classés dans le groupe des Polluants Organiques Persistants (POPs).
Parmi les 210 composés identifiés (congénères) 17 sont mesurés et étudiés en raison de leur toxicité reconnue. Les autres ont en effet une toxicité 100 à 1000 fois moindre.
Ces 17 congénères, 7 PCDD et 10 PCDF ont fait l’objet, au cours de ces vingt cinq dernières années, d’importants travaux.
Ils possèdent en effet un Facteur d’Equivalent Toxique (TEF) élevé, avec pour référence la 2,3,7,8 PCDD, dite toxine de Seveso, dont le TEF est le plus élevé (Facteur 1).
La toxicité des dioxines est étroitement liée au degré de chloration de leurs structures aromatiques, les congénères les plus toxiques sont chlorés en position latérale.
La toxicité d’un milieu est exprimée en Quantité d’Equivalent Toxique (TEQ) ce qui permet d’évaluer la toxicité d’un mélange.
L’« International Toxic Equivalent Quantity » (ITEQ), (concentration du produit × TEF) est un indice qui réunit en une seule valeur la concentration du milieu pour les 17 congénères à toxicité reconnue auxquels on applique le TEF correspondant à leur toxicité.
Cet indice permet de caractériser la charge globale de la toxicité liée aux dioxines et à certains composés voisins appartenant aux polychloro-biphényls (PCB-dl) encore appelés « dioxin like » qui sont dosés en même temps.
Propriétés physico-chimiques
Les dioxines ont une très faible solubilité dans l’eau, les composés les plus chlorés sont les moins solubles. Les dioxines sont peu biodégradables et stables jusqu’à 800 degrés ; leur destruction s’effectue au-dessus de cette température ; elles subissent la dégradation catalytique et la déchloration dans les conditions anaérobies des dérivés chlorés.
La métabolisation de ces dérivés et par conséquent les effets toxiques qui peuvent en découler sont variables selon les espèces animales.
Leur forte stabilité chimique et métabolique explique leur faible dégradation dans le milieu extérieur et chez les organismes vivants. Leur dégradation se ferait entre dix et quinze ans chez l’homme.
Sources
Les dioxines sont des sous produits de réactions chimiques diverses et de tous produits de combustion en présence de dérivés chlorés.
Les dioxines sont émises dans l’atmosphère.
Il convient de distinguer leurs sources naturelles, des sources industrielles parmi lesquelles celles des Usines d’Incinération des Ordures Ménagères (UIOM).
Sources naturelles — Les dioxines sont produites par la plupart des processus naturels de combustion, des feux de plein air non maîtrisés aux incendies de forêt.
L’importance et la dispersion de ces sources mériteraient de les quantifier dans les régions où elles risquent de fausser les résultats obtenus au voisinage des UIOM. Ces sources sont réparties de façon variable sous toutes les latitudes et leur présence dans notre environnement n’est pas récente. Pour certains auteurs (Guillet et Lemieux), ces sources ne seraient pas négligeables.
Sources industrielles et incinérateurs — L’industrie : la métallurgie, la sidérurgie, l’industrie chimique des organochlorés (pesticides, et herbicides) celle de la pâte à papier, le brûlage des câbles électriques et le trafic routier avec combustion d’essence plombée ont les premiers retenu l’attention sur leurs émissions de dioxines en raison de la combustion incomplète de leurs dérivés chlorés, ce qui a entraîné les premières mesures nécessaires pour réduire de façon très significative ces émissions.
Il n’en a pas été de même pour les UIOM dont les rejets de PCDD et de PCDF ont été critiqués dès 1976 aux USA et aux Pays-Bas.
La mauvaise réputation des UIOM tient à ce que de très nombreux travaux ont dénoncé, surtout entre les années 1980 et 1990, la présence de taux élevés de dioxines dans leurs fumées et les résidus d’épuration de celles-ci (REFIOM) et par voie de conséquence leur danger, non seulement pour la santé des travailleurs de ces usines mais aussi pour les animaux et les populations alentour.
Après les UIOM de 1ère génération des années 1970-1980 rapidement mis à la casse, les UIOM de 2ème génération 1980-1990, malgré les améliorations notables apportées aux systèmes de filtration des fumées étaient encore loin de la norme actuelle 0,1 ng de dioxine, soit un dix milliardième de gramme (10-10 g/m3) par N mètre cube de fumée exprimée dans les conditions normales (T = 273,15° k et p. = 101325 PA). Ces UIOM de 2ème génération ont eu
obligation, comme toutes les autres sources industrielles, de se mettre dès 1997, à la norme européenne (0,1 ng I-TEQ de dioxines/Nm3 de fumée) ou de cesser leurs activités en 2002. Cette norme n’a plus été modifiée depuis.
Il en a été de même pour les incinérateurs des hôpitaux et des funérariums.
Dans l’atmosphère de notre pays, les émissions totales de dioxines de l’industrie et des UIOM sont passées, de 1784 g / ITEQ / an, toutes sources confondues dont 1090 gr pour les UIOM en 1995, à 380 g en 2002, dont 212,2 g pour les UIOM selon le Centre Interprofessionnel Technique d’Etudes de la Pollution Atmosphérique (CITEPA). Ces émissions de dioxines seront de l’ordre de 100 g en 2006 et se situeront autour de 20 g en 2012 pour l’ensemble des UIOM.
La situation actuelle a tenu aux progrès réalisés dans les process industriels de traitement des fumées, à l’arrêt et au démantèlement des UIOM obsolètes des années 1970-1985, à la mise aux normes ou à l’arrêt du fonctionnement des UIOM de 2ème génération, et à l’exigence, de la norme européenne de 0,1 ng/m3, pour toutes les industries et les UIOM actuels, dits de troisième génération.
Modalités d’exposition ; dosages et doses acceptables
La contamination des sols et des sédiments aquatiques — Les rejets de dioxines dans l’atmosphère ont eu pour conséquence la contamination de l’herbe, de la couche superficielle de certains sols et ce jusqu’à des distances de quelques kms de la source d’émission. Cela a entraîné par voie de conséquence l’exposition des bovidés et des ovidés, et en bout de chaîne, par voie alimentaire (viande, lait, fromages et laitages…) l’exposition de l’homme.
— Les sédiments aquatiques peuvent également être contaminés de la même façon, ce qui a contribué à la concentration des dioxines dans la chaîne trophique des écosystèmes.
L’exposition de l’animal et de l’homme
La voie digestive
Chez l’animal (bovins surtout et ovins) la contamination digestive est directe par l’herbe, les fourrages, les foins ou le sol lui-même avec pour conséquence essentielle une concentration dans le lait.
Chez l’homme, l’absorption digestive est la voie la plus habituelle de pénétration des dioxines.
La contribution des différents nutriments à l’exposition aux dioxines est défini par le règlement de la commission européenne où sont indiqués les « valeurs limites acceptables » définies selon le type d’aliments par le Règlement de la Commission européenne en 2001.
Les produits carnés (bovins, ovins, divers gibiers, et particulièrement la graisse animale et les abats), le lait, les produits laitiers et particulièrement leur matière grasse, les œufs, les poissons, et certains produits de la mer tels les moules sont, ou ont été, dans certaines régions plus que dans d’autres, contaminés.
Les dioxines étant lipophiles, les aliments riches en graisses ont un plus fort pouvoir de concentration.
Les légumes et les fruits ont un rôle moindre dans la transmission de ces polluants.
L’exposition par l’eau de boisson est négligeable.
La contamination verticale mère-enfant intervient très peu par voie placentaire mais de façon marquée lors de la lactation en raison de la concentration de ces polluants dans la fraction lipidique (environ 3 % du lait).
La teneur en dioxine du lait maternel, de par sa concentration, est considérée comme le meilleur indicateur de l’exposition aux dioxines.
• La valeur moyenne en PCDD-PCDF exprimée en picogrammes dans le lait maternel a été étudiée dans différents pays à partir de moyennes « pool » (OMS, 2001-2002).
• Cependant quel que soit le pays concerné, la médiane des PCDD-PCDF en picogrammes ITEQ / g / matière grasse se situe entre 6 et 10 pg pour 10 pays, entre 10 et 20 pour 7 autres dont la France (1 picogramme = 10-12 soit 1 millionième de millionième de gramme). Les concentrations les plus fortes ont été constatées chez les femmes esquimaudes de l’Arctique (+ 35 pg) et chez les femmes Mohawk du Canada.
• Il est à noter d’importantes variations de la teneur en dioxines selon le stade de la lactation, le début ou la fin de l’allaitement, selon le moment de la journée, l’âge de la mère, son état nutritionnel, et du nombre d’enfants déjà allaités.
• Les résultats sont difficilement comparables selon les pays.
• Le lait maternel apporte au nourrisson ses premières dioxines car le lait représente une voie majeure d’excrétion.
• La principale source d’exposition de l’homme est donc alimentaire et le nourrisson se trouve physiologiquement exposé lors de l’allaitement au sein.
Le nourrisson possède cependant une capacité d’élimination des dioxines très supérieures à celle de l’adulte.
La voie aérienne directe par inhalation intervient dans le cadre d’accidents aigus. Elle est très limitée chez l’homme à l’exception de catastrophes
industrielles, comme celle de Seveso en 1976, qui a libéré brutalement, sur un territoire limité, un nuage de vapeur contenant plus de 2 kg de 2,3,7,8 PCDD auquel plusieurs milliers de personnes ont été soumises accidentellement ou d’ouvriers exposés par le passé à de fortes concentrations industrielles de ces polluants.
Comparées aux autres polluants : NO , CO , Particules en Suspension, x 2 Composés Organiques Volatils, 0 rejetés ou distribués en quantités considé- 3 rables dans l’atmosphère, les dioxines ne semblent pas avoir d’effets directs ou secondaires sur les voies respiratoires ; les dioxines n’ont pas d’effet allergisant.
La voie cutanée se situe dans un contexte différent. Elle peut exceptionnellement intervenir dans le cadre d’accidents aigus lors de contacts massifs avec le tégument externe (Seveso) ou à la suite de contacts professionnels intenses et répétés d’ouvriers de certaines industries. Ces contacts provoquent essentiellement des chloracnés.
L’homme vit et a sans doute vécu depuis longtemps dans un environnement de dioxines, permanent mais variable que l’on a commencé à identifier par dosage vers les années 1965-1970.
Les niveaux d’exposition générale mériteraient d’être évalués avec précision car, à des niveaux de fonds, les effets pathologiques, s’ils existent, n’ont pas d’expression clinique contrairement à ce que l’on a constaté lors d’intoxications aiguës accidentelles ou professionnelles.
Dosages des dioxines et « doses journalières acceptables »
Après la chromatographie sur colonnes capillaires des années 1970, l’utilisation de la spectrométrie de masse à haute résolution couplée à la chromatographie gazeuse puis à des processus d’extraction-pénétration spécifiques et à l’emploi de chélateurs isotopiques (carbone 13) ont donné des résultats précis permettant d’établir des niveaux de comparaison entre divers prélèvements.
Le coût des dosages se situe autour de 800 à 1000 euros, les prix variant en fonction du nombre de dosages.
Le dosage des composés représentatifs de risques sanitaires dans les émissions atmosphériques des UIOM est essentiel à leur contrôle
Ils doivent répondre à la valeur guide de 0,1 ng de dioxine par mètre cube de fumée, ainsi qu’aux Valeurs Toxicologiques de Référence (VTR) pour les autres éléments traceurs (métaux lourds et particules). La périodicité des dosages qui est réglementée peut être renforcée.
Les dosages des sols
Les résultats sont très variables selon les zones où ils sont effectués.
En zone suburbaine à Bordeaux (Bègles) en 1997, le taux maximum se situait à 17 pg/g d’échantillon de sol autour de l’incinérateur et à 56 pg à proximité immédiate de la retombée du panache d’un incinérateur d’une banlieue de la région parisienne.
Le dosage chez les animaux est effectué sur le lait. Là encore il y a de grandes différences. De nombreuses études récentes conduites dans notre pays font aujourd’hui état d’un taux moyen de 1 pg ITEQ/g pour le lait de vaches hors toute proximité d’UIOM, alors que des dosages effectués sur le lait de vaches qui broutaient à proximité de panaches d’UIOM de première ou deuxième génération ont révélé des taux moyens de 20 à 70 pg ITEQ/g.
La valeur guide à ne pas dépasser est aujourd’hui pour les produits laitiers de 1 pg ITEQ/g. Les services vétérinaires interdisent la consommation de lait si le seuil de 4 pg par gramme de matière grasse de lait est atteint.
Les dosages chez les poissons sont difficiles à interpréter ; une valeur moyenne annoncée en 2000, sur 40 échantillons de poissons de mer, donnait 5,2 pg ITEQ/g de chair des poissons frais. Les poissons gras sont plus riches en dioxine que les autres.
Les dosages dans la population
Indépendamment des dosages du lait maternel, le dosage des dioxines se fait sur les lipides sanguins totaux. Ces prélèvements montrent une présence constante de dioxine qui se situe autour de 1 à 3 pg ITEQ/g de matière grasse.
Il en découle des précisions sur la dose journalière acceptable (DJA) « No Effect Level ». Basées sur des données expérimentales, des normes sont en effet proposées pour définir un niveau de contamination acceptable. La DJA est calculée en divisant par 1000 la dose sans effet toxique observable à long terme chez l’animal le plus sensible.
Cette dose avait été fixée en 1996 par l’OMS de 1 à 4 pg / ITEQ / kg poids corporel / jour, (elle était autour de 10 pg en 1990). A un taux inférieur à 4 pg, le risque est considéré par l’OMS comme pratiquement nul. Cette valeur toxicologique de référence comprend PCDD, PCDF et PCBdl.
La DJA a été ramenée à 1 pg / ITEQ / kg poids corporel / jour en 1998 dans notre pays. Selon l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA), la DJA de la population française était en 2004 très voisine de cette valeur. Les apports alimentaires totaux quotidiens moyens sont estimés autour de 67 pg TEQ/jour chez l’adulte. Pour l’AFSSA, ce seuil devrait être encore inférieur dans l’avenir.
La difficulté à définir des normes tient à l’appréciation de la dose toxique car l’imprégnation par les dioxines de la population générale varie en fonction des activités, des zones géographiques, des habitudes alimentaires, de l’âge, du sexe du rapport masse graisseuse-poids corporel.
Il ne peut y avoir de seuil zéro d’exposition. L’homme vit dès sa naissance au contact des dioxines ; d’abord apportées par le lait maternel, les dioxines sont ingérées à très faibles doses toute la vie durant, même quand on est éloigné de tout UIOM.
La crise actuelle de la dioxine, dont s’est emparée la presse, ce qui majore les craintes de beaucoup, révèle la complexité de l’appréciation de la toxicité de ces substances pour l’homme ; cela rend très difficile toute adéquation entre l’approche scientifique et les comportements psychologiques, sociologiques et culturels des populations.
Expérimentation animale et études épidémiologiques
Effets des dioxines chez l’animal
De très nombreux travaux de laboratoire soulignent depuis 1976 la difficulté d’extrapoler de l’animal à l’homme.
Les rongeurs sont les animaux d’expérience de choix ; il y a cependant de grandes différences au sein d’espèces voisines (le cobaye, animal le plus sensible, est, aux mêmes doses de contamination, 500 fois plus sensible que le hamster).
La relation dose-effet est essentielle. Chez ces animaux, divers cancers, des pertes de poids (wasting syndrome), l’atteinte du foie, du corps thyroïde, du thymus (atrophie), des ganglions (lymphomes et sarcomes des tissus mous), des organes de reproduction ainsi que des malformations, et des phénomènes d’immuno dépression ont été constatés et cela à des doses élevées d’expositions expérimentales qui ont été quantifiées. L’effet promoteur sur la cancérogenèse intervient par l’action de ces toxiques sur le cytochrome P450, les dioxines activant la métabolisation de dérivés cancérogènes comme les benzopyrènes.
Ces divers troubles se déclarent chez l’animal, lorsqu’on ajoute à son alimentation des doses de dioxine mille fois supérieures au moins à celles auxquelles l’homme peut être exposé pendant sa vie.
Il convient cependant de remarquer que les effets constatés sur des animaux contaminés expérimentalement sont très souvent utilisés pour dénoncer les effets pathologiques des dioxines chez l’homme, sans réserve sur la légitimité de l’extrapolation.
Il est dans ces conditions difficile de lier les résultats de l’expérimentation animale à la pathologie humaine.
Les charges auxquelles les animaux d’expérience sont soumis et les doses quotidiennes estimées (DQE) absorbées par l’homme n’ont rien de comparable et ne sont pas jugées par la plupart des experts de nature à provoquer chez l’homme, même après de longues périodes, une pathologie comparable à la pathologie animale. La modélisation de l’animal à l’homme est, pour ces raisons, problématique.
Les risques des dioxines pour l’homme et les résultats d’enquêtes épidémiologiques
Le problème de la relation dose-effet, encore appelée dose-réponse ou « dose response assessment », et l’évaluation du risque sanitaire (ERS) en fonction du degré d’exposition des populations, sont au cœur de toutes les questions de santé environnementale.
Les effets biologiques et toxicologiques des dioxines ont été reconnus d’une part à partir d’expérimentations animales conduites en laboratoire, d’autre part d’expositions industrielles majeures et d’enquêtes épidémiologiques conduites sur des populations vivant autour d’incinérateurs de 1ère ou de 2ème génération.
On se trouve aujourd’hui après réduction considérable de ces polluants dans l’atmosphère dans l’hypothèse chez l’homme de linéarité sans seuil et ce pour de très faibles doses, ce qui met les autorités sanitaires dans une situation analogue à celle que fonde au plan international la logique actuelle de la gestion du risque radioactif. Les experts ne sont pas tous d’accord sur l’existence ou non d’un effet de seuil (norme jugée comme acceptable). Pour certains, il n’y aurait pas de seuil d’exposition pour lequel le risque serait nul.
Pour l’OMS, au-dessous de 4 pg / kg poids / jour, le risque est impossible à déceler. L’exposition de la population française selon l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) est aujourd’hui très inférieure à la norme de l’OMS. Pour d’autres, l’important est de savoir jusqu’à quel niveau on peut faire baisser l’exposition tout en sachant qu’on ne pourra jamais parvenir au niveau zéro de seuil d’exposition.
— A Seveso (1976) pour des taux d’exposition humaine de 7000 à 100000 pg, on a constaté l’apparition très rapide après l’accident de nombreux cas de chloracné.
Bertazzi, dans le bilan de Seveso, 20 ans après, a rapporté sur une cohorte de 2000 personnes 2,8 fois plus de lymphomes que dans la population générale, une augmentation relative des cas d’endométrioses ainsi qu’une inversion significative de sex ratio chez les enfants de ces sujets. Ces études qui ont porté sur des échantillons limités de population ont été critiquées par Eskanasi.
— Les travaux de Kogevenas and Al. qui ont assuré le suivi des cohortes de milliers de travailleurs exposés au phenoxi-herbicide et au chlorphénol ont montré une augmentation de 1,3 fois du risque relatif de cancer, essentiellement des lymphomes et des sarcomes des tissus mous tous sièges confondus.
— Viel et col , Jl. Epidemiology 2000 et 2003 ont analysé à Besançon la survenue de 222 cas de lymphomes non hodgkiniens (LNH), entre 1985 et 1995, par rapport pour chaque cas, à 10 témoins, soit 2220 personnes, (et ce en fonction de la distance entre l’UIOM, qui n’était pas alors aux normes actuelles, et les lieux de résidence des malades et des cas témoins). Ils ont constaté que le risque de développer un LNH serait un peu plus élevé pour les individus habitant dans la zone la plus exposée, que pour ceux résidant dans une zone plus éloignée. Par contre, pour Floret et col , Rev. Epid. et
Santé Publique 2004 également à Besançon, il n’y a pas eu à la même époque de corrélations entre les émissions de dioxines par l’UIOM de Besançon et la survenue de sarcomes des tissus mous.
Dans le cas de cette étude, l’émission de dioxines de l’incinérateur concerné était 16,3 ng ITEQ / m3 soit 163 fois la norme actuelle de référence.
— L’étude de P.Coles and al. , Toxicology et Pharmacology, 2003, basée sur l’analyse critique de données récentes concernant les effets des dioxines sur la cancérogenèse ont montré que les dioxines seraient peu, voire non cancérogènes dans le cadre d’une exposition générale de la population à faible dose.
Ces données alimentent aujourd’hui un débat passionné et des prises de position de principe pour affirmer que les nouvelles usines d’incinération et de valorisation des déchets seront responsables, quoi qu’en disent les experts, de ces diverses pathologies bien que les conditions environnementales relatives à l’exposition à ces polluants soient aujourd’hui maitrisées.
Les études épidémiologiques doivent être replacées dans leur contexte et faire clairement référence à la période où s’est située l’étude.
La limitation drastique des émissions de dioxines qui sont intervenues au cours de ces dernières années dans notre pays a contribué à limiter le risque auquel certaines populations ont pu être précédemment exposées. Cela montre que, pour de nouvelles UIOM respectant la norme actuelle et ayant mis en place un contrôle rigoureux des fumées, le risque sur la santé peut être considéré aujourd’hui comme quasiment nul. Il est cependant important de parvenir à diminuer, comme cela est le cas aujourd’hui, l’imprégnation de fonds de la population grâce à la poursuite de mesures actuelles et au renforcement approprié de la sécurité alimentaire.
CONCLUSION
Il est rappelé qu’il y aura toujours des dioxines de source naturelle dans l’atmosphère, dans tous les pays, et sous toutes les latitudes.
Indépendamment de la nécessité d’aboutir à 50 % de recyclage et de valorisation des déchets et de l’intérêt de la réalisation de CET de classe II, dont on connaît les difficultés de mise en place lorsqu’ils doivent accueillir des volumes annuels très importants de déchets ménagers, les UIOM de 3ème génération donnent aujourd’hui les garanties suffisantes pour assurer la protection de la santé et de l’environnement.
Ces nouvelles usines s’inscrivent en conséquence comme une des solutions envisageables, en synergie avec d’autres, pour résoudre une partie importante du problème des déchets de nos sociétés.
En l’absence de risque zéro, le danger potentiel des dioxines sur la santé apparaît aujourd’hui comme négligeable aux « doses journalières acceptables » telles qu’elles sont définies par les autorités sanitaires européennes et internationales.
Il n’en reste pas moins que les dioxines sont perçues comme dangereuses par les populations en raison de leurs propriétés éco-toxicologiques. Elles cristallisent de ce fait les angoisses d’une société qui s’est transformée trop vite et qui demande à la science des garanties à 100 % que celle-ci ne peut jamais donner.
La médiatisation des dioxines majore les craintes de beaucoup car il est difficile de mettre en adéquation les approches scientifiques et les comportements psychologiques, sociologiques et culturels des populations.
Il est cependant important de ne pas laisser entretenir dans la population un climat de crainte et de désarroi devant des affirmations péremptoires sur les risques des dioxines sur la santé humaine, et le devenir de l’espèce, alors que ces craintes s’expriment encore aujourd’hui par référence à des accidents bien connus, ou à des UIOM de 1ère ou 2ème génération qui ont été démantelées, ou pour les dernières mises aux normes internationales actuelles.
Les UIOM de 3ème génération, dûment contrôlées et jugées techniquement acceptables par les autorités sanitaires internationales et européennes, ne peuvent pas pour la majorité des experts et en l’état actuel des connaissances, faire l’objet de risques pouvant porter atteinte à la santé des populations.
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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 28 juin 2005, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.
Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 6, 1271-1283, séance du 28 juin 2005