Résumé
Les adultes sont soumis à différentes vaccinations dans le cadre de leurs activités professionnelles ou à l’occasion de voyages, de maladies qui les exposent à des infections. Les personnes âgées de plus de 65 ans reçoivent tous les ans le vaccin grippal. L’entretien de l’immunité anti-tétanique et anti-poliomyélitique par un rappel décennal est inscrit dans le calendrier vaccinal des adultes, mais n’est pratiqué que de manière irrégulière ; on peut lui adjoindre la valence anti-diphtérique, tel que le permet un vaccin combiné récent destiné à la revaccination .Il faut également se poser la question de l’entretien de l’immunité contre les maladies « de l’enfance » que les succès du programme vaccinal des plus jeunes repoussent à l’âge adulte : la rougeole, la rubéole, la coqueluche comportent un risque accru de complications. Les adultes victimes de ces infections deviennent même la source de la contamination des plus jeunes : ainsi, les coqueluches des nourrissons leur ont souvent été transmises par leurs propres parents. Ces vaccinations de l’enfance pourraient être poursuivies chez l’adulte. Avec la mise à disposition de nouveaux vaccins plus performants, on peut également envisager d’immuniser des sujets contre certaines souches de pneumocoques, de méningocoques ou contre la varicelle. La politique vaccinale des adultes doit être repensée pour être placée dans la continuité de la politique vaccinale des enfants ; certaines infections qui touchent avec prédilection la population adulte, tel le tétanos ou la rubéole, pourraient en effet être évitées par une amélioration de l’application des vaccinations. Un véritable calendrier de l’adulte et des recommandations précises pour des populations définies sont à mettre en place et à faire appliquer.
Summary
Adults receive several vaccinations related to occupational health. Travellers or immunocompromised people who are exposed to infections need some other vaccinations, too. People older than 65 receive influenza vaccine every year. Tetanus and poliomyelitis immunity should be maintained with a decennial injection following adult immunisation schedule but the application of this vaccine remains rather erratic. Diphtheria valence included in a recently licensed combined vaccine could be done together.Maintenance of immunity against ‘‘ childhood infectious diseases ’’ preventable with vaccinations is a new challenge ; measles, rubella and pertussis occur now quite often in adults : the risk of complications is higher in these ages. Adults may even become the source of the contamination of youngers : many infants affected with whooping cough have contracted the disease from their own parents. The immunisation against these diseases should be prosecuted in adults. Related with the development of more efficacious new vaccines, the indications of pneumococcus, meningococcus or varicella vaccines should be defined in some populations of adults. Immunization policy of adults should be revised in order to continue the vaccination program of childhood. Some infections that may affect adults should be prevented by improving vaccine application. A real adult immunisation schedule and recommendations for populations at risk of preventable infections should be set up and their application reinforced.
INTRODUCTION
Dans la tradition populaire, le citoyen « majeur » est un homme « vacciné ». Il faut cependant entretenir cette immunité et éventuellement prévenir de nouveaux risques infectieux tout au long de la vie.
Ce « panorama » des vaccinations de l’adulte nous amènera à envisager successivement :
— les vaccinations pratiquées aujourd’hui à l’âge adulte dans le cadre des activités professionnelles ou liées à l’âge et à l’état de santé, — les vaccinations de l’enfance applicables aujourd’hui à l’adulte, — les nouvelles perspectives concernant l’immunisation des adultes.
VACCINATIONS HABITUELLEMENT APPLIQUÉES À L’ADULTE
De nombreuses vaccinations sont appliquées à l’adulte le plus souvent dans des conditions réglementaires (médecine du travail) ou par nécessité (sujets exposés aux conséquences de certaines infections, voyageurs). Enfin la vaccination grippale est recommandée chez les personnes âgées de plus de 65 ans.
Vaccinations professionnelles
En application du code de la Santé Publique, les professions de santé sont soumises à certaines contraintes vaccinales (hépatite B, rappel dTPolio, BCG pour les person-
nes dont l’IDR est négative, typhoïde pour les personnes exerçant leur activité dans un laboratoire d’analyses biologiques…) contrôlées par la médecine du travail et l’administration [1]. Les employés de voirie ou des compagnies des eaux reçoivent les vaccinations contre la leptospirose ou l’hépatite A. Ces dispositions réglementaires ou impliquant la responsabilité de l’employeur sont bien appliquées, mais ne concernent qu’une faible proportion des adultes en période d’activité professionnelle. De plus, des recommandations non coercitives comme la vaccination grippale pour les professions de santé n’a que peu de succès [2]. En dehors des professions citées, il n’existe guère d’incitation à la vaccination dans le cadre de la médecine du travail.
Protection des sujets menacés d’infections graves
Le nombre des immunodéprimés (immunodépressions acquises ou chimiothérapie immunosuppressives) ou des insuffisants cardiaques ou respiratoires va en augmentant : il leur est recommandé de se faire vacciner notamment par les vaccins des infections respiratoires (grippe, vaccin pneumococcique polysaccharidique…) [3, 4, 5]. En pratique, le taux de couverture vaccinale de ces patients est très faible…
Vaccinations des voyageurs et des expatriés
Les Français voyagent de plus en plus : les centres de vaccinations internationales injectent aux voyageurs le vaccin contre la fièvre jaune (seule vaccination résiduelle du règlement sanitaire international) mais également les vaccins appropriés au lieu et aux circonstances du séjour [6]… Ainsi, les expatriés en Afrique Noire reçoiventsouvent les vaccinations amaril, hépatite A, hépatite B, typhoïde, méningocoque ACYW135…
Vaccination grippale
Elle est recommandée à toutes les personnes âgées de plus de 65 ans. Environ 70 % des sujets âgés de plus de 65 ans sont vaccinés. Ce bon résultat est lié à une relance régulière effectuée par l’assurance maladie et les mutuelles qui font parvenir à chaque affilié une feuille de prescription (à faire signer par son médecin). C’est probablement cette pratique qui permet d’inscrire la France parmi les pays européens où la couverture vaccinale est la plus élevée [7].
Vaccination antitétanique
L’anatoxine tétanique seule est souvent injectée à l’occasion d’une blessure exposant au tétanos (en jouant sur l’effet de rappel). Mais les plaies chroniques ou minimes sont trop souvent négligées : elles sont à l’origine de la majorité des quelques dizaines de cas de tétanos que l’on observe encore aujourd’hui. Le nombre
des cas de tétanos déclarés annuellement reste encore élevé (29 en 2000), tous des adultes, la plupart âgés de plus de 70 ans (26/29) ; les victimes sont le plus souvent des personnes âgées (surtout des femmes) ; plus des trois quarts d’entre eux ont reçu moins de 3 injections de vaccin au cours de leur vie [8, 9]. La survenue du tétanos est liée à une immunisation insuffisante : la disparition du service national et la négligence ou l’opposition aux vaccinations risquent de contribuer à une carence de l’entretien de l’immunité antitétanique chez les adultes.
Vaccination contre la poliomyélite
Alors que la maladie est éliminée du territoire national, la vaccination entretient l’immunité de la population, avec comme perspective l’éradication mondiale [10, 11, 12]. Certes, la protection contre cette maladie est de longue durée et la population a une immunité d’assez bon niveau [13], mais il ne faut pas encore y renoncer chez l’adulte : le risque d’exposition des Européens lors d’un voyage dans un des pays où elle sévit encore ou la possibilité d’une importation ne sont pas exclus.
Il est prévu dans le calendrier vaccinal que soient entretenues conjointement l’immunité anti-tétanique et l’immunité anti-poliomyélitique au moins tous les 10 ans [3, 4]. Le vaccin TPolio est couramment pratiqué à l’occasion de consultations du médecin de famille mais de nombreux adultes — surtout les jeunes — ne consultent guère le généraliste [14].
Vaccination contre la diphtérie
L’immunisation contre la diphtérie n’est pas prévue au calendrier vaccinal 2003 [4].
Or, il s’avère qu’une forte proportion des adultes n’est plus protégée : plus de la moitié des français de plus de 55 ans avaient, en 1995, un titre des anticorps anti-diphtérique inférieur au seuil protecteur [15]. Même si cette infection semble éliminée de notre pays, la possibilité d’une réintroduction de souches toxinogènes n’est pas exclue ; il est encore possible de rencontrer la diphtérie lors d’un séjour dans de nombreux pays du monde. Les derniers cas observés en Europe sont survenus majoritairement chez des adultes [16]. Ceci paraît assez logique dans la mesure où l’effort de vaccination porte essentiellement sur les enfants.
Il conviendrait donc d’entretenir également cette immunité protectrice chez les adultes [17]. Le vaccin triple diphtérie-tétanos-poliomyélite peut être facilement administré chez l’adulte, essentiellement sous la forme du Revaxis* : cette présentation comporte la valence diphtérique atténuée pour réduire les réactions inflammatoires locales qui lui sont attribuables. Aujourd’hui encore la pratique de ces vaccinations reste très disparate : 66,1 % sont à jour pour le tétanos, 63,4 % pour la poliomyélite, 58,4 % pour la diphtérie d’après une étude effectuée en 2001 [14].
NOUVELLES VACCINATIONS À ENVISAGER CHEZ L’ADULTE
D’autres vaccins sont susceptibles de s’adresser à l’adulte en tenant compte de l’évolution de la répartition par âge de certaines maladies : ainsi, certaines, qui étaient autrefois l’apanage de l’enfance, se sont raréfiées mais touchent maintenant avec prédilection l’adolescent ou l’adulte : la rougeole, la rubéole, la coqueluche, la varicelle…
Rougeole
Lors de la dernière grande épidémie, en 1997, une proportion importante des cas a affecté des adolescents (certains déjà vaccinés) et des adultes. La recrudescence récente de la rougeole en Suisse, en Italie et dans le Sud de la France s’est signalée par des cas chez l’adulte, particulièrement exposé aux pneumopathies et aux complications neurologiques. Dans l’immédiat, l’objectif est surtout de mieux assurer la couverture vaccinale des enfants et des pré-adolescents [18] ; mais, si le niveau de couverture vaccinale reste au niveau actuel et, à plus forte raison s’il diminue, il faudra envisager des mesures de rattrapage pour les adultes.
Rubéole
Avec la rubéole, c’est la menace d’une primo-infection au cours de la grossesse qui est redoutée. Le nombre de cas de rubéole recensés chez des femmes enceintes reste encore trop élevé [18] : en 2000 sont survenues 11 rubéoles malformatives et 53 primo-infections certaines en cours de grossesse ; 18 grossesses ont dû être interrompues. Certaines jeunes femmes atteintes de primo-infection rubéoleuse n’étaient pas des primipares et avaient déjà eu une sérologie (systématique) négative. La meilleure prévention serait une meilleure application de la vaccination par le ROR chez l’enfant. Mais la couverture par ce vaccin est encore insuffisante et la proportion de jeunes filles de 15-20 ans négatives reste encore de plus de 10 % : il est envisagé de pratiquer un dépistage systématique de ces jeunes filles et de les vacciner.
Hépatite B
Les adolescents et les adultes à la plénitude de l’activité sexuelle, les jeunes femmes susceptibles d’être enceintes devraient être immunisés. La découverte d’un antigène HBs positif au bilan de surveillance d’une grossesse est une source de difficultés non négligeables dont la fréquence risque d’augmenter dans les années à venir [19]. Le Comité Technique des Vaccinations recommande cette vaccination dans l’enfance.
Mais la désaffection récente qu’elle connaît amène les familles et les médecins à la différer et la proportion d’adultes non immunisés augmente : ceci amènera à envisager une politique de rattrapage chez l’adulte jeune…
Varicelle
C’est une infection bénigne de l’enfance ; même immunocompétent, l’adulte est menacé d’infections plus sévères, notamment de pneumopathies parfois mortelles.
La survenue de la varicelle au cours de la grossesse expose à des malformations et surtout à des formes congénitales ou néonatales… Même si, à 18 ans, plus de 90 % de la population a déjà fait la maladie, la proportion d’adultes jeunes non immunisée croît [21]. Un vaccin vivant atténué est disponible : le dépistage sérologique des jeunes adultes non immunisés parmi ceux qui n’ont pas d’antécédent de varicelle connue est envisagé…La vaccination (par 2 injections) serait proposée à ceux dont la sérologie est négative.
Coqueluche
Vacciner les adultes est une des nouvelles éventualités à envisager en priorité.
Jusqu’à présent, l’immunisation contre la coqueluche paraissait essentiellement un enjeu pédiatrique, mais l’attention a été attirée par la survenue d’infections du nourrisson ou même du nouveau-né : ils avaient été contaminés par leurs parents [22, 23]. D’après les données du Réseau National Coqueluche, depuis 1997, pour les cas diagnostiqués à l’hôpital, les parents, tout particulièrement ceux de la tranche d’âge 25-34 ans, sont devenus la première source d’infection [24]. De fait, la coqueluche de l’adulte n’est pas rare, même si elle n’est pas toujours facile à diagnostiquer : c’est une toux persistante, surtout nocturne, parfois émétisante. Une étude récente a montré que 32 % des adultes qui toussent depuis plus de 7 jours et moins de 31 jours consécutifs ont une infection à Bordetella pertussis identifiée par culture, PCR ou sérologie [25, 26]. L’incidence annuelle est estimée à plus de 500/100 000. Or la population pédiatrique française est bien vaccinée ; mais l’immunité qui protège les enfants s’amoindrit chez les adolescents et les jeunes adultes. Il est donc envisagé de pratiquer une nouveau rappel anticoquelucheux à l’âge de 18 ans (ou entre 20 et 25 ans) et on peut même se poser la question d’éventuels nouveaux rappels plus tard chez l’adulte [27].
Les vaccins polyvalents (contenant les valences tétanos et poliomyélite, l’anatoxine diphtérique à dose réduite et 5 antigènes coquelucheux) paraissent très appropriés pour entretenir l’immunité des adolescents et éventuellement des adultes [28].
Autres vaccins du présent et du futur
Il pourrait un jour être indiqué de vacciner les jeunes adultes contre les méningococcies si l’augmentation d’une des souches à prévention vaccinale venait à augmenter dans notre pays. En Grande Bretagne, les jeunes jusqu’à l’âge de 25 ans sont systématiquement vaccinés par le vaccin conjugué monovalent C. Ceci n’est pas illégitime quand on sait que la proportion des jeunes adultes concernés n’est pas
négligeable, qu’ils sont volontiers atteints de formes sévères ( purpura fulminans ) lors de l’apparition de nouveau génotypes à potentiel épidémiogène [29].
La mise au point des vaccins pneumococciques conjugués amènera à reconsidérer l’immunisation des adultes vis-à-vis de ces agents infectieux : une plus grande efficacité justifiera son application à une proportion plus importante des adultes notamment aux plus de 65 ans [30].
De nouveaux vaccins seront à notre disposition : certains avec les mêmes objectifs que les vaccins actuels mais plus efficaces tels les vaccins conjugués ou adjuvés ;
d’autres actifs sur d’autres infections (vaccin contre l’herpès, le CMV [31], les papillomavirus génitaux [32], les Escherichia coli agents d’infections urinaires…) ou de nouvelles menaces (tels le VIH ou les nouveaux agents des maladies respiratoires…) ; des thématiques multifactorielles (ex. : maladies diarrhéiques) [31, 33]… Ils amèneront probablement à envisager de nouvelles indications chez les adultes.
REPENSER LA POLITIQUE VACCINALE DES ADULTES
Il convient donc dès maintenant de se préoccuper de l’immunisation des adultes [34].
Données démographiques et sociales :
— La population vieillit. Les plus de 18 ans représentent les ¾ de la population française. La proportion des personnes âgées de plus de 65 ans devrait atteindre plus du quart de la population en 2015. Or ces sujets sont particulièrement sensibles aux infections respiratoires qui constituent un véritable enjeu de santé publique. Pour certaines infections à prévention vaccinale considérées comme « infantiles », leur persistance est souvent liée à une immunisation insuffisante des adultes [35, 36] ainsi que nous l’avons vu pour la rougeole, la rubéole ou la diphtérie… Les formes graves de ces infections sont plus fréquentes chez l’adulte : c’est connu pour la rougeole, la varicelle ou l’hépatite A …
— La proportion des immunodéprimés augmente : ils sont particulièrement exposés aux infections dont certaines pourraient être prévenues par des vaccinations telles, celles les infections respiratoires virales (grippe…) ou bactériennes (pneumococcies).
— Les progrès de l’hygiène rendent la population adulte française particulièrement réceptive aux agents infectieux de rencontre : les incursions auprès de populations à niveau d’hygiène moins élevé exposent à des infections à transmission féco-orale (hépatite A ou même poliomyélite) ou même respiratoire ou oropharyngée (rougeole, infection à CMV…) sinon vénérienne (hépatite B). Les aléas économiques ou l’évolution des mœurs peuvent amener en situation d’insalubrité une frange de la population et favoriser la survenue de foyers
d’infections considérées comme disparues (diphtérie, poliomyélite, hépatite B…). On ne peut exclure le risque de développement de maladies d’importation à potentiel épidémique (Syndromes Respiratoires Aigus Sévères à Coronavirus…) ou provenant d’un réservoir naturel (grippe aviaire…).
Les occasions d’assurer l’immunisation des adultes
Une étape importante permettant d’assurer cette continuité était représentée chez les hommes par le service national, occasion de mettre à jour certaines vaccinations voire d’en pratiquer d’autres utiles à certaines missions (typhoïde) ou à la vie en collectivité (vaccin méningococcique polysaccharidique A+C) [37]. La prise en charge systématique de la prévention sanitaire chez ces jeunes adultes (masculins) à disparu avec l’abrogation des obligations militaires des jeunes gens.
Une autre bonne occasion serait le bilan prénuptial : on demande, chez les jeunes femmes, un dosage des anticorps contre la rubéole de manière à vacciner celles qui ne sont pas immunisées. En fait, beaucoup d’enfants naissent de parents non mariés.
Les examens d’embauche, les consultations de médecine du travail pourraient être l’occasion de contrôler le statut vaccinal des employés mais, en dehors des vaccinations professionnelles, les médecins du travail n’ont pas la mission de pratiquer ou de faire pratiquer les vaccinations des recommandations générales. Néanmoins leur influence n’est pas négligeable : on observe que les chômeurs, les exclus des activités sociales ont une couverture vaccinale encore plus basse [14].
Le médecin de famille
Il joue un rôle essentiel dans l’application du calendrier vaccinal grâce à la confiance que lui font ses clients [38]. Mais sa conviction s’est progressivement amoindrie : les atermoiements récents dans la politique vaccinale ne contribuent pas à lui donner l’assurance nécessaire. Au contraire, la position des médecins qui sont opposés aux vaccinations s’en est trouvée confortée…
Les généralistes qui sont les vaccinateurs principaux des adultes le font souvent de manière irrégulière, à l’occasion d’une blessure, d’une consultation au cabinet ou dans la famille. Parfois, c’est le patient qui demande la vaccination et apporte le vaccin qu’il s’est procuré à la pharmacie. Dans la pratique on note que le vaccin le plus pratiqué, le tétanos-polio n’est fait que de manière très irrégulière [14] ; de nombreux adultes pourraient se trouver ainsi temporairement vulnérables. Pour lutter contre ces lacunes, il serait souhaitable de privilégier l’utilisation systématique du carnet de santé ou d’un logiciel de gestion du dossier médical.
Incitation à la vaccination des adultes
Des « rendez-vous » fixes peuvent être imaginés pour « remise à niveau ». La litté- rature montre l’efficacité — au moins temporaire — de ce mode d’incitation [39].
Chez l’adulte de plus de 65 ans, chaque automne, une lettre de rappel de l’assurance maladie incite le sujet à consulter son médecin pour qu’il lui prescrive son injection de vaccin grippal : les résultats sont bons. Pourquoi ne pas imaginer une incitation régulière — tous les anniversaires décennaux par exemple — pour pratiquer le rappel dTP ?
Les professionnels de santé ont besoin de recommandations précises et d’informations leur permettant d’argumenter la décision vaccinale qu’ils prennent pour leur client. Le Comité Technique des Vaccinations (CTV) y participe : c’est un groupe d’experts qui dispose des données épidémiologiques, des informations sur l’efficacité et la tolérance des vaccins : les perspectives concernant la vaccination des adultes ne lui ont pas échappé et une réflexion est en cours pour préciser le rapport coût/bénéfice de chaque décision envisageable, les meilleures conditions d’application et de faisabilité.
Le « Guide des Vaccinations » [40], travail collaboratif des membres du CTV, est censé être remis gratuitement à tous les médecins de France comme référence explicative ; malheureusement il semble exister des lacunes dans la distribution et la valorisation de ce document de référence, de même que dans la distribution de documents d’éducation pour la santé telles les fiches « les vaccinations, c’est aussi pour les adultes » élaborées par le Comité Français d’Éducation pour la Santé avec le soutien de l’Assurance Maladie [41].
Politique vaccinale
Expliquer aux vaccinateurs et aux individus les décisions prises pour immuniser les adultes constitue un aspect majeur de la politique vaccinale. C’est une des conclusions émises en 1999 par un groupe de spécialistes réuni dans le cadre d’une expertise collective de l’INSERM sur les vaccinations [42].
Or, c’est un domaine dans lequel les autorités sanitaires ont une position particuliè- rement faible. Différentes raisons expliquent ces échecs :
— insuffisance de conviction des propos, — manque d’explication des enjeux d’une bonne application des vaccinations, — accent mis sur les rares effets adverses associés à l’utilisation des vaccins, — manque d’opportunisme dans la « négociation » sur la couverture vaccinale de la population : savoir renoncer à des vaccinations peu utiles telles le BCG pour mieux persuader de l’intérêt de certaines autres…
Le « principe de précaution » n’incite pas les décideurs à se projeter dans l’avenir et à proposer une politique vaccinale active [43]. Ce nouvel enjeu que représente l’immunisation des adultes est difficile à proposer [44].
On peut cependant se prévaloir des succès obtenus par la vaccination des enfants pour réclamer des adultes quelques efforts permettant notamment de mener à leur terme la politique d’élimination de certaines infections (rougeole, rubéole) ou même
d’éradication (poliomyélite). Il faut assurer une surveillance du statut immunitaire de la population adulte et de sa couverture vaccinale pour fournir des arguments aux autorités sanitaires. L’information et les recommandations aux usagers doivent être particulièrement circonstanciées et appropriées [45].
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DISCUSSION
M. Gérard DUBOIS
L’Académie nationale de médecine a pris position pour adopter l’âge (>65ans) comme indication à la vaccination contre le pneumocoque. La France est un des rares pays à ne pas avoir adopté ce type d’indication, ce qui fait que l’utilisation du vaccin pneumococcique reste confidentielle. Sur quels arguments maintient-on en France une attitude aussi minoritaire sur le plan international ?
Effectivement la vaccination des adultes par le vaccin polysaccharidique à 23 valences est trop peu utilisé en France, notamment chez les insuffisants respiratoires, les insuffisants cardiaques ou chez les immunodéprimés exposés aux infections pneumococciques. Le Comité Technique des Vaccinations n’a pas retenu l’indication du vaccin pneumococcique chez tous les sujets de plus de 65 ans, (malgré des discussions nombreuses autour des études cliniques recensées dans la littérature). Je ne peux que me retrancher derrière l’opinion émise par ce Comité dont je fais partie. Quoiqu’il en soit, il me parait légitime de rappeler aux personnes appartenant aux groupes à risque et menacées d’infections à pneumocoque invasives, l’importance de cette vaccination : plus d’un million d’entre eux ont plus de 65 ans.
M. Pierre PENE
Vous avez avancé un taux de couverture vaccinale de 70 % pour la grippe, de 66 % pour le tétanos, de 64 % pour les virus polio. S’agit-il de taux moyens pour notre pays ? Y a-t-il des différences régionales significatives ? Y a-t-il des différences annuelles dans ces taux de couverture ?
Le chiffre avancé pour la vaccination grippale correspond à des données nationales obtenues pour partie par consultation de médecins généralistes et nombre de doses vendues : il existe quelques variations annuelles peut-être liées à l’intensité de la campagne d’information des usagers (relancés par la sécurité sociale).
Pour le tétanos et la poliomyélite, il s’agit des données de l’enquête de l’« Observatoire de la vaccination de l’adulte » auprès des médecins généralistes. Cette étude montre quelques variations régionales avec un gradient ascendant Sud /Nord et Est/Ouest.
M. Léon LE MINOR
Quelle est l’incidence de l’abandon de la vaccination contre le tétanos lors du service militaire, puisque celui-ci est abandonné, sur le nombre de tétanos en France ? Peut-être faudra-t-il attendre plusieurs années pour en avoir une idée précise ? Y-a-t-il un contrôle des vaccinations obligatoires lors de la « journée citoyenne » ?
Il est encore trop tôt pour observer les conséquences de l’abandon de la revaccination des jeunes adultes masculins lors du service militaire sous la forme de cas de tétanos. À l’heure actuelle, ces cas ne surviennent guère que chez les personnes âgées, non vaccinées depuis plusieurs dizaines d’années. Néanmoins, l’insuffisance d’immunisation pourrait être appréciée par des études séro-épidémiologiques. Sur le second point, il serait souhaitable que les journées de « l’appel de préparation à la défense » permettent également d’intervenir sur cet aspect sanitaire essentiel, ne serait-ce qu’en contrôlant le carnet de santé et en pratiquant (ou recommandant) une remise à jour.
M. Denys PELLERIN
La virulence actuelle, accrue des adversaires de la vaccination est aujourd’hui confortée par la loi du 4 Mars 2003 relative au droit du malade. Elle reconnaît en effet à la personne, autonome, le droit d’accepter ou de refuser les soins proposés par le médecin. On comprend que le généraliste se sente découragé dans son action en faveur de la vaccination. Ne pensez-vous pas qu’il conviendrait que l’ANM rappelle fermement qu’au-delà de son autonomie, chaque personne est aussi citoyen et se doit de contribuer aux efforts collectifs en faveur de la santé publique (notamment par la prévention des maladies infectieuses) ?
L’ANM a déjà clairement indiqué les dangers du recours inconsidéré au Principe de Précaution (suspension de la vaccination Hépatite B). Les autorités responsables ne sauraient s’y référer pour refuser la prévention…Les adversaires de la vaccination ne doivent pas y trouver la justification de leur attitude de refus.
Je crois, Monsieur, que vous avez parfaitement rappelé les grands principes de notre politique vaccinale : — l’importance de se sentir tous concernés par la vaccination pour aboutir à une bonne « couverture vaccinale » et une bonne protection collective vis-à-vis de certaines maladies infectieuses, — le fait que le principe de précaution ne doit pas être appliqué de manière unilatérale… pour l’intérêt du plus grand nombre.
Mme Marie-Odile RÉTHORÉ
La mortalité s’est effondrée chez les trisomiques 21 grâce à la vaccination contre la rougeole et la coqueluche. Actuellement, il y a un lever de bouclier contre les vaccinations de la part de beaucoup de médecins — surtout homéopathes — La varicelle est souvent très grave chez ces patients trisomiques 21. Il faudrait leur proposer cette vaccination de façon systématique.
Effectivement ces infections doivent être redoutées chez les trisomiques : il serait souhaitable que ces vaccinations soient pratiquées dès l’enfance, et l’immunité éventuellement contrôlée et entretenue.
M. Jean-Paul GIROUD
Risque de bioterrorisme et vaccination contre le virus de la variole. Quelle est votre position dans ce domaine ?
Quelques centaines de personnes ont récemment été vaccinées en France dans la perspective du bioterrorisme. Ils appartiennent aux équipes « dédiées » à intervenir en cas de survenue de cas suspects. Heureusement, nous n’avons pas été amenés à vacciner à la même échelle que les Américains qui ont inoculé quelques 500 000 personnes civiles ou militaires (surtout) : ils ont observé un nombre important d’effets indésirables. Nous souhaitons bien sûr éviter autant que possible d’avoir à nous servir à nouveau de la vaccine.
M. Louis HOLLENDER
Le chirurgien peut être amené à pratiquer une splénectomie, tant après un traumatisme abdominal sévère que lors d’exerèses élargies pour cancer. Conseillez-vous de pratiquer systématiquement en post-opératoire une vaccination et dans l’affirmative à quels types de vaccins recourir ?
Oui ! le risque d’infection pneumococcique grave est très significativement plus élevé chez les splénectomisés (x100 par rapport à un sujet normal) dès les premières semaines suivant l’intervention chirurgicale. Même si cette indication n’a pas été précisée, le vaccin conjugué me paraît plus efficace chez ces patients malgré son spectre plus étroit (7 valences au lieu de 23) en envisageant ultérieurement un ou des rappels par le vaccin à 23 valences.
* Service des maladies infectieuses et tropicales. Hôtel-Dieu CHU de Clermont-Ferrand, Boulevard Léon Malfreyt — 63058 Clermont-Ferrand cedex 01. Tirés-à-part : Professeur Jean BEYTOUT, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 13 octobre 2003, accepté le 20 octobre 2003.
Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, no 8, 1463-1476, séance du 25 novembre 2003