Communication scientifique
Session of 16 janvier 2001

Un nouveau concept pour expliquer les dysnatrémies : le bilan de la tonicité des entrées et des sorties

MOTS-CLÉS : concentration osmolaire. équilibre hydroélectrolytique.. hypernatrémie. hyponatrémie. potassium, sang. potassium, urine. sodium, sang. sodium, urine
A new concept to understanding of dysnatremias : the tonicity balance
KEY-WORDS : hypernatremia. hyponatremia. osmolar concentration. potassium, blood. potassium, urine. sodium, blood. sodium, urine. water-electrolyte balance.

J.P. Mallié, M.L. Halperin

Résumé

La natrémie dépend essentiellement de trois facteurs : le sodium (Na+) échangeable, le potassium (K+) échangeable et l’eau (H O) totale. Sa variation traduit souvent une 2 modification du volume cellulaire. La compréhension du mécanisme des dysnatrémies est primordiale pour leur correction et leur prévention. Le Na+ et ses anions constituent la quasi-totalité des tonomoles extracellulaires, leur dilution étant la tonicité. Le K+ est une tonomole essentielle de la tonicité intracellulaire. L’équilibre des tonicités intra et extracellulaires est réalisé par des transferts d’eau, donc des changements de volume des compartiments. Le volume cellulaire dépend de l’équilibre de la tonicité. Une variation de la tonicité (qui n’est pas l’osmolalité) peut être appréciée correctement et rapidement par le bilan des électrolytes (Na+ + K+) et celui de l’eau. Des exemples cliniques soulignent les conclusions erronées provenant du calcul de la clairance de l’eau libre ou de la seule étude des sorties. Ils montrent aussi que le bilan de la tonicité fournit des indications thérapeutiques, ce que ne permettent pas les autres paramètres. Les entrées doivent être quantifiées avec la même attention que les sorties. Une cohérence des unités employées permet un bilan rapide et simple, au lit du malade. L’équilibre de la tonicité doit être enseigné et le bilan (Na+ + K+) et H O devrait être de pratique courante par toute l’équipe soignante, notamment en 2 réanimation, médecine interne, néphrologie, pédiatrie et anesthésie réanimation.

Summary

Plasma sodium concentration, or natremia, results from three main factors : exchangeable sodium (Na+), exchangeable potassium (K+) and total body water (H O). Its alterations 2 often imply a change in cell volume. Understanding dysnatremias is essential for the treatment and prevention of hydromineral disorders. Extra-cellular fluid tonomoles consist almost exclusively of Na+ salts. Their dilution is the tonicity. K+ is an essential tonomole for intra-cellular fluid tonicity. The balance between intra and extracellular tonicities depends on water movements and is responsible for changes in intra- and extracellular fluid volumes. Cell volume is therefore depending on the tonicity balance. A change in body tonicity (which is not osmolality) can be correctly and rapidly appreciated by measuring the (Na+ + K+) and H O balances. Clinical cases emphasize the misleadings resulting from the free-water 2 clearance calculation or the only measurements of urinary losses. They also demonstrate that tonicity balance provides indications for therapy whereas analyses based upon electrolyte-free water do not. Intakes should be quantified with the same care than losses. The units used must be coherent to allow a quick and easy understanding at the bedside. Tonicity balance should be taught and Na+ + K+ and H O balances should be routinely 2 utilized by practitioners, dieteticians and nurses in the concerned pediatrics, in particular intensive care, internal medicine, nephrology, pediatry and anesthesiology.

INTRODUCTION

Le volume cellulaire, dont la régulation adéquate est une condition essentielle de la vie, dépend du contenu de l’organisme en eau qui se répartit entre les deux secteurs intra et extracellulaires [10, 12, 13]. La natrémie (140 fi 2 mM) représente la dilution de la majeure partie du sodium (Na+) échangeable dans le liquide extracellulaire (LEC), traditionnellement exprimée par sa concentration dans le plasma 1. Une partie du Na+ échangeable (en 24 heures) appartient au squelette (sels non solubles) et au milieu intracellulaire [29]. Le Na+, maintenu dans le LEC par l’activité de la Na-K ATPase de la membrane cellulaire pour sa majeure part, a un volume apparent de distribution correspondant à celui de l’eau totale [35].

La natrémie varie ainsi avec le volume de l’eau totale et non du seul LEC. Une hyponatrémie, dilution exagérée du Na+, représente en général un volume cellulaire augmenté [38] ; une hypernatrémie, dilution insuffisante du Na+, représente un volume cellulaire contracté.

Les dysnatrémies sont très fréquentes [1, 2]. Souvent les décisions à prendre doivent être rapides, parfois urgentes. Les formes graves sont de plus en plus la conséquence 1. Le sodium échangeable (40 mmoles/kg de poids corporel) chez un adulte de 70 kg est 40 × 70 = 2 800 mmoles. Chez le même sujet, le sodium dans le LEC (dont le volume est environ 20 % du poids corporel) représente 0.20 × 70 × 140 = 1 960 mmoles.

d’une manœuvre médicale erronée. La prescription d’un traitement modifiant les bilans des électrolytes et de l’eau (diurétiques, anti-hypertenseurs, anxiolytiques, régimes diététiques) comporte un risque élevé de dysnatrémie, en particulier d’hyponatrémie (hyperhydratation cellulaire) [8]. La découverte d’une valeur anormale de la natrémie conduit trop souvent à des manipulations des entrées et des sorties de sodium et d’eau de manière à la fois irrationnelle et précipitée par méconnaissance de la physiologie hydroélectrolytique.

Le bilan de la tonicité que nous exposons ici permet une compréhension rapide des dysnatrémies, au lit du malade, car l’état du patient résulte d’un déséquilibre entre les entrées et les sorties. Cette méthode met en évidence les variations physiopathologiques et permet des conclusions thérapeutiques quasi-immédiates [28].

UN CONCEPT FONDAMENTAL : LA TONICITÉ

La tonicité n’est pas l’osmolalité.

La tonicité est la concentration des tonomoles, particules osmotiquement actives restreintes à un compartiment liquidien par la membrane cellulaire. Pour le LEC, ce sont les sels de Na+ et pour le liquide intracellulaire (LIC) ce sont les sels de potassium (K+) et les osmolytes organiques. Les quantités d’électrolytes peuvent changer rapidement, c’est l’objet de notre exposé. Les quantités d’osmolytes organiques varient souvent en plusieurs jours ; elles sont donc impliquées davantage dans les adaptations lors des dysnatrémies chroniques que dans le développement de ces troubles.

La tonicité ne peut être définie qu’ in vivo puisqu’elle dépend du comportement des tonomoles vis-à-vis de la membrane cellulaire. Elle ne peut pas être mesurée, mais peut être calculée.

Les tonomoles étant responsables des transferts d’eau transmembranaires, la tonicité du LEC et celle du LIC sont égales. Une variation du nombre de tonomoles (en pratique les électrolytes monovalents) dans un compartiment est donc responsable d’un changement de volume des deux compartiments.

L’osmolalité est une notion différente, malheureusement confondue depuis des décennies avec la tonicité. Il s’agit de la concentration de tous les solutés osmotiquement actifs, qu’ils soient efficaces sur les volumes du LEC et du LIC (les tonomoles) ou qu’ils ne le soient pas (urée, éthanol) (Fig. 1).

Une variation de l’osmolalité dans un compartiment n’entraîne une variation de volume que si les tonomoles sont concernées [32]. C’est ainsi que l’hyperosmolalité du sujet urémique n’entraîne pas de modification de volume du LEC ou du LIC.

D’ailleurs la sécrétion d’hormone anti-diurétique n’est pas altérée chez ces patients [3, 22].

Les tonomoles (électrolytes et osmolytes) sont maintenus activement dans leurs compartiments respectifs.

La tonicité , maintenue égale entre LEC et LIC par les transferts d’eau, a un effet sur le volume cellulaire .

Elle constitue une partie (osmolalité efficace) de l’osmolalité.

Certaines particules (urée, éthanol) passent librement la membrane cellulaire, l’ osmolalité non due aux tonomoles est maintenue égale par le transfert de ces particules. Il n’y a pas d’effet sur le volume cellulaire , (sauf transitoirement s’il y a des variations aiguës des concentrations plasmatiques : perfusion d’urée ou surtout hémodialyse trop rapide).

FIG. 1. — Tonicité et osmolalité.

Dans le LEC, la valeur de la tonicité est voisine de celle de l’osmolalité (aisée à mesurer). Cette confusion a empêché très longtemps une bonne compréhension de la physiologie hydroélectrolytique. C’est la tonicité, responsable des volumes, en particulier cellulaire, qui est régulée, c’est elle qui est perçue par les osmorécepteurs, et non l’osmolalité [5, 6].

La différence ne s’arrête pas au contenu : tonomoles pour la tonicité ou totalité des osmoles (tonomoles + autres osmoles) pour l’osmolalité. Pour le contenant, l’eau, à la notion d’eau libre (sans aucune osmole) doit être substituée celle d’eau sans électrolytes (mais contenant d’autres osmoles, en particulier de l’urée).

Pour une quantité donnée de Na+ ou de K+, un volume d’eau correspond à la dilution normale ou isotonique (natrémie de 140 mM). Si le volume d’eau est supérieur à celui voulu par l’isotonicité on dit qu’il y a addition d’eau sans électrolytes (hypotonicité), si le volume d’eau est insuffisant (hypertonicité), il y a manque d’eau sans électrolytes [7, 11, 14, 20, 31].

La tonicité correspondant au rapport [Na+ + K+]/H O, son équilibre est maintenu 2 par l’adaptation simultanée des entrées et des sorties de ces 3 constituants (Fig. 2), dont la détermination permet le bilan de la tonicité.

NATRÉMIE ET TONICITÉ

La natrémie représente pratiquement la moitié (due aux cations) de la tonicité 2. Par commodité, nous exprimons la tonicité par la valeur de la natrémie pour le LEC et le LIC et par l’expression [Na + K]/H O pour les entrées et les sorties. En effet, les 2 variations du K+ dans le plasma sont de peu de conséquence pour la tonicité, mais les variations de son contenu ont très souvent un effet important sur le volume de la cellule (Cf . infra ) [16, 19].

La valeur de la natrémie utilisée en clinique ne correspond pas à la concentration physiologique du sodium dans le secteur extracellulaire (Fig. 3) [20, 21, 29, 32].

Une variation de la natrémie ne peut être interprétée que si l’on envisage à la fois les entrées et les sorties d’eau et d’électrolytes. La natrémie peut augmenter s’il y a un bilan positif pour [Na+ + K+] et/ou un bilan négatif pour l’eau sans électrolytes [17, 20, 26, 27]. Il est indispensable de considérer [Na+ + K+] et non seulement le Na+ car du Na+ peut entrer dans la cellule en remplacement d’une perte de K+ [19]. Il faut exclure des tonomoles anormalement présentes : particules restreintes soit au LEC comme le glucose en l’absence d’insuline, du mannitol en perfusion ou de la glycine lors d’un lavage post-prostatectomie, soit au LIC comme le K+ libéré avec d’autres osmolytes cellulaires durant un état convulsif.

2. Les sels de Na+ en solution qui sont ionisés représentent un nombre de particules osmotiquement actives inférieur à celui du calcul théorique du fait des interactions dues aux charges électriques.

L’écart augmente avec la concentration de la solution parce que les ions sont plus rapprochés. Le coefficient d’activité relie le nombre de mmoles à celui de particules actives. Il est inférieur à 2 dans le cas du NaCl. La tonicité envisagée dans cet article ne tient pas compte de cette précision.

FIG. 2. — La natrémie est au carrefour des échanges de Na+, K+ et eau.

FIG. 3. — La natrémie n’est pas la concentration physiologique du sodium dans l’eau extracellulaire.

BASES DE L’ÉQUILIBRE DE LA TONICITÉ

La tonicité de l’organisme, exprimée par la natrémie, dépend des quantités de sodium échangeable (Na ), de potassium échangeable (K ) et d’eau contenues e e simultanément dans l’organisme ; elles peuvent varier très rapidement.

L’existence d’une relation et d’un équilibre à long terme entre [Na + + K +], H O et e e 2 la natrémie a été démontrée en 1956 par Edelman et al [10]. Ce même travail a montré qu’il n’y a pas de relation si les 3 éléments Na +, K + et H O ne sont pas e e 2 envisagés simultanément, en particulier la natrémie ne dépend pas de Na +/ H O ni e 2 de K +/ H O.

e 2 La mesure, difficile et lente, du Na et du K de l’organisme n’est cependant pas e e utilisable en pratique. C’est pourquoi nous présentons le calcul du bilan de la tonicité qui permet de comprendre les variations de la natrémie si les entrées et les sorties en Na+ + K+ et eau sont appréciées correctement [26, 28]. La notion d’osmolalité globale est imprécise et cause de confusions (Fig. 4).

Certains utilisent les calculs de bilans basés uniquement sur le Na+ et l’eau [1, 2]. Ils sont exceptionnellement exacts pour expliquer les dysnatrémies. La plupart du temps, l’intervention des échanges de K+ dans la variation de la natrémie n’est pas négligeable et souvent importante. Les polyuries avec [K+] très faible mais débit élevé et compensées par des perfusions abondantes d’eau salée, les comportements alimentaires particuliers (notamment des sujets âgés à alimentation préférentiellement glucidique et hydrique : « tea and toast syndrome ») ou encore des traitements médicamenteux (thiazides surtout) sont des exemples fréquents de perte de K+ entraînant des hyponatrémies graves. Il est à la fois logique, aisé et prudent de toujours incorporer le K+ dans le calcul.

L’équilibre hydrique n’est pas l’équilibre de la tonicité. Un sujet en parfait équilibre hydrique (balance hydrique nulle) peut avoir un équilibre de la tonicité perturbé et développer une dysnatrémie [15, 18].

Les tonomoles proviennent directement de l’environnement et y retournent. Les osmoles n’intervenant pas dans la tonicité apparaissent en général dans l’organisme ; elles sont dérivées du métabolisme (Urée, NH +) (Fig. 5). Ces osmoles 4 n’interviennent que fort peu dans l’osmolalité plasmatique (urée 5 mM), mais constituent une fraction très importante de l’osmolalité urinaire (urée 250-400 mM, NH + 50-100 mM) variable selon le régime alimentaire et pouvant atteindre des 4 valeurs considérables. L’osmolalité urinaire ne représente donc pas la tonicité de l’organisme. Il est exceptionnel que des osmoles non tonomoles soient fournies par l’environnement (éthanol). Il est aussi exceptionnel que des osmoles produites dans l’organisme se comportent comme des tonomoles (glucose en l’absence d’insuline).

La production d’osmolytes organiques relève de la défense à long terme du volume cellulaire et ne semble pas avoir d’effet sur la natrémie.

FIG. 4. — Équilibre de la tonicité.

FIG. 5. — Les tonomoles proviennent de l’environnement, la plupart des autres osmoles sont formées dans l’organisme.

La seule étude des sorties, lorsqu’elle est réalisée, ne permet pas de comprendre les variations de la natrémie car elle porte sur un mélange de tonomoles et d’osmoles non tonomoles. Elle peut contribuer à apprécier le fonctionnement rénal (Tableau 1).

TABLEAU 1. — Dysnatrémies : le rein est-il responsable ou corrige-t-il ?

Les exemples cliniques suivants montrent que la seule considération du fonctionnement rénal par le calcul d’un paramètre classique mais ambigu dans son principe, la clairance de l’eau libre ou d’un paramètre exact mais peu connu et compliqué, la clairance de l’eau sans électrolytes, conduit à des interprétations erronées pouvant aboutir à des thérapeutiques malencontreuses. Par opposition, le simple calcul du bilan de la tonicité explique correctement la variation de la natrémie et permet une thérapeutique non empirique et adéquate.

LES GRANDES PERTURBATIONS DE LA TONICITÉ [1, 2, 14, 15, 30, 36, 38].

Ce paragraphe sort de notre étude qui n’envisage pas les causes des dysnatrémies.

Nous présentons donc une simple classification permettant de situer les applications de notre concept physiopathologique (Fig. 6).

INVESTIGATIONS CLASSIQUES INDIRECTES DES DYSNATRÉMIES

Elles sont effectuées à partir du débit urinaire ou diurèse. Elles n’envisagent pas les entrées. Le médecin ne dispose donc que d’une demi-vérité, les sorties, et ne peut comprendre le déséquilibre de la tonicité.

Le volume urinaire recueilli durant un temps donné, représente ce qu’il est commun d’appeler les « pertes rénales » : volume d’eau contenant en solution des substances diverses, notamment des électrolytes et des molécules organiques non ionisées (urée, glucose). Ce volume peut être divisé en deux composants fictifs de deux manières correspondant à deux notions semblables dans leur forme, mais bien différentes quant à leur effet sur la tonicité.

Clairance de l’eau libre [22, 29, 30]

L’un des composants fictifs du volume par unité de temps contient la totalité des particules de l’urine à une concentration égale à la somme de leurs concentrations dans le plasma (osmolalité plasmatique), c’est la clairance osmotique (Cosm). La clairance de l’eau libre (CH), qui peut être négative, est la différence entre la diurèse et la clairance osmotique :

Uosm V CH = V – Cosm = V – Posm où V est le débit urinaire et UOSM et POSM sont les osmolalités urinaire et plasmatique. L’eau libre a donc une osmolalité nulle.

Ce concept, très classique, considère toutes les osmoles comme équivalentes, qu’il s’agisse d’osmoles traversant librement la membrane cellulaire (urée) ou de tonomoles. Iso-osmolalité veut dire qu’un litre d’urine contenant 280 mmoles d’urée est
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comparable à un litre d’urine contenant 140 mmoles de Na+ + 140 mmoles de Cl- !

Dans le premier cas, l’eau contenant l’urée provient des deux compartiments LEC et LIC, donc de l’eau totale. Dans le deuxième cas, l’eau contenant le NaCl provient du seul compartiment LEC.

Clairance de l’eau sans électrolytes (ESE)

Le composant isolé du volume urinaire contient toutes les tonomoles (Na+ + K+).

Pour chaque cation, il y a un anion. Donc un litre d’urine contenant 140 mmoles de Na+ contient en fait 280 mmoles (Na+ + Cl-). Par simplification, on ne considère que les cations. Le volume nécessaire pour excréter les tonomoles de l’urine à leur concentration plasmatique est la clairance des électrolytes (Clytes). L’isotonicité veut dire qu’un litre d’urine correspond à un litre de LEC. La clairance de l’eau sans électrolytes (CESE), qui peut être négative, est :

U (Na+ + K+) X V CESE = V – Clytes = V – P (Na+ + K+) où V est la diurèse et U(NA+ + K+) et P(NA+ + K+) sont les concentrations [Na+ + K+] dans l’urine et le plasma.

Ce concept, plus récent, ne considère que les tonomoles et l’excrétion d’ESE a un effet direct sur leur concentration dans l’organisme. L’urée est répartie dans les deux volumes urinaires fictifs et l’osmolalité de l’ESE n’est pas nulle [31].

Remarques sur les clairances de l’eau libre et de l’eau sans électrolytes

L’excrétion d’ESE a un effet direct sur la tonicité alors que l’excrétion d’eau libre a un effet sur l’osmolalité globale, mais pas nécessairement sur la tonicité [revue dans 27 et 31]. C’est ainsi qu’un patient hyponatrémique soumis à une restriction hydrique a une urine concentrée avec une CHO négative (donc pas d’excrétion d’eau libre) alors qu’il a une CESE positive (donc excrétion d’ESE), car son urine contient très peu d’électrolytes.

La remarque majeure est que ces clairances expriment le fonctionnement rénal, mais pas l’équilibre de la tonicité, car les apports ne sont pas connus.

CHO est utilisée comme paramètre de la fonction de concentration globale du rein.

La concentration urinaire dépend beaucoup de l’urée. Dans des situations cliniques de petit volume circulatoire efficace (insuffisance cardiaque par exemple), les électrolytes urinaires peuvent être en concentration quasi-nulle, alors que la concentration d’urée est élevée. Cette excrétion d’une urine concentrée correspond en fait à la production d’une urine hypotonique (bien qu’hyperosmotique). L’ESE représente les ¾ du volume, mais le débit urinaire étant minime, l’excrétion d’ESE est très faible par rapport aux apports diététiques, d’où l’hyponatrémie [27].

CESE représente l’aspect rénal du maintien ou de la perturbation de l’équilibre de la tonicité. Ainsi, une même CESE très positive peut représenter la perte d’eau d’un
diabète insipide aussi bien que l’élimination d’une charge hydrique. CESE constitue un progrès par rapport à CH, mais n’offre cependant qu’une demi-vérité. La variation de la tonicité, donc de la natrémie, ne peut être appréciée que si l’on dispose de l’autre demi-vérité représentée par les apports.

MISE EN ÉVIDENCE DES MÉCANISMES DES DYSNATRÉMIES

A partir de l’étude des entrées et des sorties : détermination du bilan de la tonicité

Dans les entrées et les sorties, on mesure le volume hydrique et le contenu en électrolytes cationiques constituants de la tonicité (Na+ + K+). On détermine donc le bilan de l’eau et celui des électrolytes Na+ + K+. Pour envisager l’effet sur la natrémie, ces bilans sont considérés par rapport à l’eau totale. Une balance hydrique positive ou négative correspond à une augmentation ou une diminution de l’eau totale. Ainsi une balance positive de 1 L diminue la natrémie selon la formule (1/eau totale) X natrémie. Un gain de 1 mmole de Na+ + K+ par litre d’eau totale (par exemple 42 mmoles pour un sujet de 70 kg ayant 42 L d’eau totale) augmente la natrémie de 1 mM [20].

Habituellement la simple analyse des deux éléments du bilan de la tonicité suffit pour établir le mécanisme global de la dysnatrémie (Fig. 7).

Il est possible de calculer la natrémie résultante selon la formule :

(natrémie initiale X eau totale) + bilan (Na+ + K+) (Fig. 8)

Natrémie résultante = eau totale + bilan hydrique

La natrémie résultante calculée correspond souvent exactement à la natrémie mesurée ou s’en écarte de 1 à 2 mM.

L’eau totale est appréciée à partir du poids corporel et d’une estimation de la composition de l’organisme. L’approximation ne nuit que peu à la valeur du résultat car l’eau totale apparaît au numérateur et au dénominateur.

Le bilan hydrique en revanche (volumes des entrées et des sorties) doit être le plus précis possible et ce d’autant plus que le malade est de petit poids (enfant, sujet âgé).

Les dosages (Na+ et K+) sont aisément réalisables dans le plasma, les urines et les liquides d’aspiration, même en urgence. Pour les entrées, on dispose des compositions des perfusions, ampoules, gélules, etc… Si le malade s’alimente oralement, l’éducation de la diététicienne devrait permettre une appréciation correcte du Na + et du K + ingérés (à 10 mmoles près). Les vomissements et les diarrhées rendent délicat le calcul du bilan : les dosages sont accessibles, mais l’appréciation des volumes est difficile.

Il n’y a pas de mesure d’osmolalité dans ce bilan.

FIG. 7. — Bilan de la tonicité [1].

FIG. 8. — Bilan de la tonicité [2].

Tout ceci suppose une cohérence dans les unités et dans l’expression des entrées qui ne sont pas des poches, des ampoules, des gélules, ni des grammes, mais des mmoles comme pour les sorties.

Entrées :

Na+ + K+ mmoles Eau Litres Sorties :

Na+ + K+ mmoles Eau Litres Bilan :

fi mmoles fi Litres Plasma :

Na+ + K+ mM (concentration) Remarque 1 : La comparaison entre (Na+ + K+) urinaire et (Na+ + K+) plasmatique permet d’apprécier immédiatement si le rein fonctionne de manière à élever ou abaisser la natrémie. Elle ne permet en aucune façon de dire si la natrémie va augmenter ou diminuer, mais elle indique si le fonctionnement rénal est cohérent par rapport à la natrémie, ou si le rein a une responsabilité dans la dysnatrémie (Tableau 1).

Remarque 2 : La prévision de la natrémie est une illusion souvent rencontrée. Il n’est pas possible par exemple de dire combien un diurétique va faire excréter de Na+, ou comment le remplissage vasculaire va modifier la sécrétion d’hormone antidiurétique ou augmenter la natriurèse.

Remarque 3 : La tonicité étant l’osmolalité efficace, il est possible de la calculer à partir de la valeur de l’osmolalité : osmolalité efficace = osmolalité – urée – glucose.

Ce calcul est très utilisé dans les ouvrages de physiologie pour expliquer qu’une partie seulement de l’osmolalité est responsable de mouvements d’eau entre compartiments. Il donne une valeur approximativement double de celle obtenue par Na+ + K+, car elle tient compte de toutes les tonomoles cationiques et anioniques.

Calculer l’osmolalité efficace est inutile en pratique clinique et illogique pour au moins trois raisons :

— la tonicité résultant de variations du contenu de l’organisme en Na+ + K+ (et de l’eau), il est préférable de l’apprécier par la détermination directe de ses constituants, dont le dosage fait partie du bilan d’urgence ou quotidien ;

— la tonicité résultant des tonomoles contenues dans l’organisme mais provenant de l’environnement, il serait pédagogiquement regrettable d’utiliser une détermination indirecte, longue, lente, insistant sur la présence de molécules organiques qui ne modifient pas la natrémie (sauf le glucose en l’absence d’insuline) et occultant la considérable importance du bilan entrées-sorties des électrolytes.

Rappelons que la plupart des dysnatrémies graves surviennent en cours d’hospitalisation. Une perfusion d’une solution de NaCl 0,9 % « physiologique » peut parfaitement être responsable d’une hypo ou d’une hypernatrémie [17, 25, 28, 36] ;

— La tonicité résultant du contenu Na+ + K+, l’effet des variations des entrées de Na+ + K+ (perfusions, apports oraux) et des sorties de Na+ + K+ (urine) doivent être observés sur la concentration de Na+ + K+ dans l’organisme.

Le bilan de la tonicité permet de comprendre ce qui s’est passé et de définir une conduite adaptée.

EXEMPLES CLINIQUES

Les cas cliniques suivants, réels, montrent l’intérêt du calcul du bilan de la tonicité :

le cas 1 permet de comparer les conclusions tirées des calculs des clairances classiques de l’eau libre et de l’eau sans électrolytes ; CESE n’explique qu’en apparence l’augmentation de la natrémie due en fait à une surcharge en Na+ + K+. Le cas 2 montre que l’effet du médicament utilisé peut être interprété à tort, la perte d’ESE explique apparemment de façon rigoureuse l’augmentation de la natrémie due en fait à un gain de Na+ + K+. Le cas 3 présente une sortie d’ESE, suffisante à elle seule à expliquer l’élévation de la natrémie alors qu’il s’agit d’un gain de Na+ + K+ associé à un petit déficit hydrique.

Cas 1 : Augmentation d’une hypernatrémie (Fig. 9) [9, 25]

Un homme de 36 ans subit une greffe de moelle osseuse pour traiter une leucémie myéloïde aiguë. Durant la 2ème semaine post-transplantation, une infection et une obstruction respiratoires nécessitent une intubation et une antibiothérapie massive.

Une polyurie apparaît avec une urémie importante et une hypernatrémie progressive. Il est perfusé avec du soluté glucosé (5 %) et salé (0,9 %). Il est stable du point de vue hémodynamique, la desmopressine ne diminue pas la diurèse. Le diagnostic porté est : hypernatrémie par polyurie osmotique. Après une dizaine de jours de polyurie, perfusion et hypernatrémie, l’arrêt du soluté salé (0,9 %) et la reprise d’une alimentation parentérale entraînent la guérison de cet épisode aigu et la normalisation de la natrémie.

Les valeurs de l’urée plasmatique, de la natrémie et des osmolalités plasmatique et urinaire sont notées quotidiennement ainsi que les volumes des perfusions et des urines. Mais, [Na+ + K+] urinaire n’est rapportée que pour la 4ème journée durant laquelle la natrémie augmente de 156 mM à 162 mM.

Durant cette journée :

— CHO négative (-650 ml/24h) peut être interprétée comme un mécanisme de correction de l’hypernatrémie qui cependant augmente encore ;

— CESE positive objective au contraire une perte de près de 3.5 L d’ESE, soit 8 % de l’eau totale. La natrémie devrait augmenter de 8 % et atteindre 169 mM ;

— le bilan de la tonicité montre un bilan hydrique très légèrement négatif, -0.75 L, expliquant 1/3 de l’augmentation de la natrémie et un bilan électrolytique très positif de + 176 mmoles. La natrémie calculée est 163 mM.

FIG. 9. — Cas 1.

Conséquences : l’hypernatrémie et peut-être la polyurie ont été entretenues par les perfusions durant une semaine en raison du diagnostic erroné de perte d’eau sans électrolytes.

Cas 2 : Correction d’une hyponatrémie (Fig. 10).

Une femme de 54 ans (eau totale 33 L) a une hyponatrémie chronique par sécrétion inappropriée d’ADH (133 mM). Un antagoniste des récepteurs V2 de l’AVP entraîne une baisse de l’osmolalité urinaire et une CESE de 2,4 L en 48h. La natrémie augmente (139 mM).

CESE explique apparemment bien l’augmentation de 6 mM de la natrémie.

Toutefois le bilan de la tonicité est très légèrement positif pour l’eau (+ 0.2 L) et nettement positif pour [Na+ + K+] (+ 224 mmoles).

Conséquences : la correction de l’hyponatrémie pouvait être attribuée à une action du médicament sur l’excrétion d’ESE ; il s’agissait en fait d’un bilan positif en électrolytes chez un sujet en équilibre hydrique.

Cas 3 : Induction d’une hypernatrémie (Fig. 11).

Un jeune homme de 14 ans (eau totale 24 L) subit une intervention neurochirurgicale suivie immédiatement par une polyurie. En 9h, 4 L d’urine (Na+ 37 mM, K+ 13 mM) sont émis, la natrémie monte de 140 mM à 157 mM. Trois litres de solution de NaCl 0.9 % « physiologique » sont perfusés. La diurèse passe de 10 ml/min à 4 ml/min après ddAVP, elle contient Na+ 165 mM et K+ 10 mM et le diagnostic posé est celui de diabète insipide central.

CESE montre une perte de 2,7 L d’ESE pouvant expliquer l’hypernatrémie.

Le bilan de la tonicité montre un déficit hydrique (1 L) et un gain de 250 mmoles de [Na+ + K+].

Conséquences : la thérapeutique a été d’éliminer l’excès d’électrolytes en rendant l’urine hypertonique et en compensant le déficit hydrique plutôt que de compenser un déficit inexistant d’ESE.

INTERVENTION DU POTASSIUM DANS LE BILAN DE LA TONICITÉ

Lors de l’interprétation d’une dysnatrémie, il est généralement admis que le contenu intracellulaire ne varie pas et que seuls les mouvements de l’eau à travers la membrane cellulaire interviennent pour que les tonicités intra et extracellulaires demeurent égales [20]. De ces mouvements d’eau résultent des modifications du volume cellulaire. Il est vrai que lors des hypernatrémies, le volume intracellulaire diminue et qu’il augmente en général lors des hyponatrémies. Les conséquences sont très dangereuses dans le tissu cérébral : l’hypernatrémie entraîne une déshydratation

FIG. 10. — Cas 2.

FIG. 11. — Cas 3.

avec soif, convulsions ou même collapsus cérébral et accidents vasculaires ; l’hyponatrémie peut provoquer un œdème du cerveau qui, en raison de l’inextensibilité de la boîte crânienne, peut entraîner des hernies cérébrales ou un engagement cérébelleux [4].

Le K+ et les osmolytes sont les éléments essentiels de la tonicité intracellulaire [19].

Une variation significative du contenu cellulaire en osmolytes est lente et se produit en 2 à 3 jours. Le K+ peut, lui, entrer ou sortir de la cellule en quelques secondes.

Lors d’une hyponatrémie aiguë avec perte de Na + , le K+ devrait sortir de la cellule pour rétablir l’isotonicité. Il en résulterait une diminution du volume cellulaire et un volume extracellulaire conservé, voire augmenté. Se produirait alors le contraire de ce qui est observé.

La régulation impérieuse du volume cellulaire empêche une telle évolution. Si une perte de K+ se produit, il y a entrée compensatrice de Na+ dans la cellule.

Par conséquent, une variation dans l’équilibre entrée — sortie de K+ produit une modification du Na+ extracellulaire qui peut être plus ou moins incorporé dans la cellule selon que le K+ diminue ou augmente [23].

C’est donc le total (Na+ + K+) qu’il faut considérer et non le bilan de Na+ seul.

Le K+ excrété dans l’urine ne représente pas nécessairement une perte d’une particule intracellulaire. Selon l’anion accompagnant, la perte urinaire d’une particule de K+ peut représenter la perte cellulaire de 0, 1 ou 2 particules (Fig. 12) [16] :

— lorsque du K+ est excrété avec du chlore, ce dernier provient du NaCl extracellulaire. Le Na+ pénètre dans la cellule en remplacement de K+. Le LIC ne perd pas de particule alors que le LEC perd un cation et un anion. C’est le cas le plus fréquent ;

— le K+ excrété avec un anion dérivé d’une macromolécule (phosphate par exemple) représente la perte d’une particule par le LIC. Il y a alors une diminution du volume cellulaire (fonte musculaire) ;

— le K+ excrété avec un anion organique (citrate, céto-acide) correspond à la perte de 2 particules par le LIC. En effet, le H+ provenant du précurseur de l’anion organique dans la cellule se combine avec du HCO- pour donner CO + H O. La 3 2 2 cellule perd donc du K+ et du HCO- . Ceci est observé lors de perturbations 3 acido-basiques importantes [37] ;

— en pratique, en dehors de l’équilibre quotidien, de graves altérations acidobasiques ou de l’excrétion importante de phosphates (destruction cellulaire), la présence de K+ urinaire correspond à une pénétration de Na+ dans la cellule, ce qui contribue à la constitution de l’hyponatrémie.

Le bilan de la tonicité doit donc impérativement tenir compte des entrées et des sorties de K+, pourtant rarement mesurées.

FIG. 12. — Potassium urinaire et tonicité intracellulaire.

INFLUENCE DES PERTES EXTRA-RÉNALES D’EAU

Ce sont celles qui se produisent par voie pulmonaire et par voie cutanée.

La perte d’eau par voie respiratoire n’a pas d’effet important sur l’équilibre de la tonicité. Le métabolisme des glucides et des graisses produit, si l’oxydation est complète, CO et H O dans un rapport voisin de 1. Tout le CO est éliminé par voie 2 2 2 respiratoire. S’il n’y a pas de perturbation métabolique majeure les pressions partielles de CO et d’eau dans l’air alvéolaire sont voisines (40 et 47 mmHg respecti2 vement). Si la pression partielle de l’eau dans l’air inspiré s’élève, il y a toujours une sortie d’eau tant que la température de l’air inspiré est inférieure à celle du corps [24, 33, 34]. La production quotidienne d’eau métabolique est donc éliminée complètement par voie respiratoire. Dans le cas des sujets intubés et ventilés mécaniquement avec un air humidifié et à 36°5, il n’y a pas de perte d’eau et toute l’eau métabolique est conservée (environ 300 ml/jour pour un adulte). Cette eau métabolique non
éliminée par voie aérienne compense presqu’en totalité l’ESE sortant par la peau. Il n’y a donc que peu d’effet sur la tonicité.

La perte d’eau par la sueur est plus difficile à mesurer. Elle est probablement le double de l’eau produite par le métabolisme s’il n’y a pas de production excessive de chaleur. Environ 1/4 à 1/3 du volume de la sueur est isotonique et n’intervient pas dans l’équilibre de la tonicité.

CONCLUSION

L’homéostasie se traduit dans les compartiments liquidiens cellulaire et extracellulaire par un équilibre de la tonicité qui permet le maintien du volume cellulaire et qui définit le niveau de la natrémie. La balance de cette tonicité, normalement nulle, est appréciée par le bilan simultané des entrées et des sorties de l’eau et de Na+ + K+. La détermination de ce bilan est aisée dès lors que l’éducation du médecin souligne l’importance équivalente de la mesure des entrées et des sorties et la nécessité d’une cohérence des unités utilisées pour comparer le milieu intérieur et l’environnement de l’organisme.

Les difficultés de la détermination du bilan de la tonicité sont davantage psychologiques que techniques. Des idées doivent être combattues, d’autres développées :

l’explication d’une variation de la natrémie par l’étude des sorties seulement est illusoire et dangereuse ainsi que la notion concluant directement de la valeur de la natrémie à un simple manque ou excès de Na+ ou d’eau. De la même façon, l’illusion de pouvoir imposer une natrémie par manipulation des entrées relève de l’incantation. La principale notion à acquérir lors des études médicales et paramédicales est que l’homme lutte à chaque instant contre le déséquilibre par une adaptation réciproque des entrées et des sorties. Le médecin intervient bien souvent dans ce déséquilibre. Soit il impose des entrées difficilement corrigibles par des sorties éventuellement non compliantes (ou inversement en imposant des sorties disproportionnées par rapport aux entrées) et alors il crée ou accentue le déséquilibre, soit cherchant à corriger un déséquilibre il n’envisage qu’une partie de la vérité (en général les volumes) et sa thérapeutique symptomatique peut être inefficace ou malencontreuse. Les études médicales devraient apprendre avec soin ce qu’est un bilan et comment le réaliser.

La physiologie hydroélectrolytique impose tout particulièrement cette démarche. La natrémie est directement au carrefour de trois métabolismes, l’eau, le sodium et le potassium. Une bonne compréhension de la balance de la tonicité, acquise en cours d’étude, permet la compréhension des dysnatrémies et donc leur correction sans perte de temps et leur prévention de façon optimale (Tableau 2).

TABLEAU 2. — Erreurs évitables par utilisation du bilan de la tonicité.

REMERCIEMENTS

Nous remercions les techniciennes du Laboratoire d’Explorations Fonctionnelles Rénales du CHU et du Laboratoire de Néphrologie de la Faculté de Médecine de Nancy, en particulier Annick Pierrat. Viviane Poirot a fourni une excellente assistance secrétariale.

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DISCUSSION

M. Alain LARCAN

Vous avez raison en ce qui concerne les tonomoles, l’osmolalité efficace, le rôle de deux cations et non d’un seul dans le maintien par hydratation du volume cellulaire et de l’inter-relation des 3 paramètres Na+, K+ et H20. Vous avez raison aussi en ce qui concerne les bilans (sorties et aussi entrées) non limités à celui de l’eau. Vous critiquez finement la notion théorique de clairance de l’eau libre en lui substituant celle de clairance de l’eau sans électrolytes. J’ai pu, grâce à votre communication, mieux comprendre les mécanismes de certaines hyponatrémies en particulier celles liées à une perte potassique (perfusion de sérum salé, thiazidiques, régime anglais « tea and toast ») et de mieux saisir les mécanismes de leur correction. Vous avez attiré l’attention des réanimateurs sur l’empirisme des corrections basées sur la seule natrémie et le danger de ne pas tenir compte des électrolytes ou de l’absence d’électrolytes dans les perfusions à but purement hydrique (sérum physiologique, sérum glucosé) administrées trop systématiquement, en particulier à la période postopératoire (avec élévation de l’ADH). Mais je m’interroge sur la validité d’un concept purement physique fondé sur les échanges passifs et la diffusion (corrigés par l’équilibre de Gibbs et Donnan). Ne faut-il pas faire une place aux échanges actifs, à l’extrusion de sodium (après l’échange 3 K+ 2 Na+ + H+), à la perméabilité de la membrane, aux canaux, aux substances porteuses et surtout aux différentes variétés de l’eau intracellulaire. Votre propos
ne concerne-t-il que l’eau réellement libre ? Ne faut-il pas aussi rappeler la notion hétérodoxe (Roberston) d’un certain degré physiologique d’hypertonie intracellulaire ?

Ma réflexion a commencé dans votre service lorsque, la même année, plus d’une dizaine d’hyponatrémies ont été hospitalisées. Placées sous restriction hydrique, elles corrigeaient toutes leur natrémie et avaient toutes une clairance de l’eau libre négative.

L’élimination d’une urine apparemment très concentrée n’aurait pas dû permettre cette correction. La notion d’eau sans électrolytes a constitué un progrès. Elle permet de comprendre le fonctionnement rénal, mais pas les variations de la natrémie, ce que l’on a cru durant une dizaine d’années et elle donne une impression fausse de sécurité. Un autre point important est que l’on surveille habituellement le bilan hydrique, parfois le bilan hydro-sodé, mais jamais le bilan Na++K+ et eau. On devrait cependant savoir depuis Edelman et al que le bilan hydro-sodé n’est pas corrélé avec la natrémie et qu’il faut l’association des trois. Pourquoi toujours considérer à part K+ ? En ce qui concerne les altérations que vous évoquez à propos de la membrane et du milieu intracellulaire, vous avez raison. Toutefois, notre concept n’envisage pas les causes mais les mécanismes des dysnatrémies. Il met en évidence un gain ou une perte de Na++K+ et/ou en eau, mais ne dit pas pourquoi. Il permet donc d’instaurer un traitement pour corriger la natrémie. Il n’explique pas pourquoi il y a par exemple un SIDAH ou une excrétion altérée du K+.

L’existence d’eau liée et d’eau structurale dans les cellules est passionnante.

M. Gabriel RICHET

Avez-vous observé une relation quelconque entre l’hyponatrémie et l’hypertension artérielle que nous avions parfois observée chez Jean Hamburger, il y a 45-50 ans ? Une population qui pourrait être explorée avec profit est celle des insuffisants rénaux chroniques fréquemment hyponatrémiques soumis à leurs premières hémodialyses par hémofiltration. La perte de poids et la pression artérielle sont difficiles à équilibrer. Les bons résultats ne sont obtenus que par des déplétions lentes et répétées n’aboutissant qu’au bout de 10 à 20 séances d’hémodialyse.

Lorsque j’étais hémodialyseur, cette association survenait parfois. Un cas récent vient d’être publié. La relation volume extracellulaire — hypertension artérielle est plus complexe que seulement HTA — augmentation de volume. Un travail récent (AJP 2000) remet en cause la relation niveau d’apport alimentaire en sodium — volume extracellulaire. Une étude de ces situations physiopathologiques bien documentée serait certainement très intéressante.

M. Maurice GOULON

Depuis des années, les cliniciens ont été préoccupés par les conséquences des désordres hydro-électrolytiques ; leurs tableaux cliniques sont maintenant mieux connus : leur dépistage est facilité par les dosages réguliers du NA+, du K+, du Cl- dans le sang et les urines ;

le poids des patients, le volume de la diurèse quotidienne apportent des informations indispensables. Le bilan de la tonicité des entrées et des sorties, que vous rappelez, va dans ce sens et nous ne saurions que vous approuver pour ce rappel.

Il est certain que la notion d’un nécessaire bon maintien des concentrations d’électrolytes dans le plasma et celle de déficits par pertes urinaires, en particulier d’eau et de sodium, doivent beaucoup aux réanimateurs. Ce concept, que nous présentons, a deux ambi-
tions : d’une part, montrer que la surveillance du plasma et des urines ne renseigne que sur le fonctionnement rénal et ne donne qu’une demi-vérité. En l’absence d’une bonne connaissance des entrées, il est impossible de comprendre pourquoi une variation de la tonicité de l’organisme s’est produite ; d’autre part, lutter contre l’empirisme qui s’est progressivement instauré dans notre médecine. Il est inadmissible que des grands journaux médicaux publient qu’il faille perfuser en surveillant seulement la natrémie. Le cas 1 est un bon exemple d’hypernatrémie entretenue durant 10 jours par des perfusions paraissant adaptées à l’état du malade. Le simple bilan de Na+ + K+ et de l’eau aurait permis, dès le premier jour, de comprendre que l’on faisait une erreur.

M. Pierre DELAVEAU

Quelle est la définition précise de la tonomole ?

Les tonomoles sont des particules retenues dans un compartiment liquidien sans passer dans l’autre en raison, soit de l’activité de la membrane cellulaire (sodium et potassium), soit de l’imperméabilité de la membrane cellulaire (mannitol, glucose en l’absence d’insuline). Une variation de quantité de ces particules entraîne un changement de tonicité, donc un transfert d’eau à travers la membrane d’où un changement de volume des deux compartiments. L’ancien nom de la tonicité, moins expressif, est osmolalité efficace.

* Explorations Fonctionnelles Rénales — Hôpital d’Enfants — CHU de Nancy — Rue du Morvan — 54511 Vandœuvre cedex (France). ** Renal Division — St Michael’s Hospital — University of Toronto — Canada. Tirés-à-part : Professeur Jean-Pierre MALLIÉ, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 12 avril 2000, accepté le 22 mai 2000.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 1, 119-148, séance du 16 janvier 2001