Résumé
La difficulté du traitement du CHC est due à son développement quasi-constant dans un parenchyme siège d’une cirrhose, ce qui limite la tolérance des traitements locaux et à — sa tendance à la multiplicité des foyers tumoraux, ce qui explique le très haut risque de récidive. Ces données expliquent que le traitement le plus logique est la transplantation hépatique qui traite à la fois la tumeur et la maladie hépatique. Le déséquilibre entre le nombre important de candidats et le nombre de greffons disponibles justifie une sélection qui ne retient que les malades ayant un très faible risque de récidive. Ce risque existe lorsque le CHC s’accompagne d’un envahissement vasculaire. Les malades à faible risque de récidive, ayant un CHC limité, sont sélectionnés par le bilan radiologique (tumeur de petite taille et/ou peu nombreuse), le bilan biologique (AFP < 400) et une histoire naturelle de plusieurs mois avec une stabilité tumorale. Si la TH n’est pas indiquée ou impossible, des traitements locaux ont une efficacité à moyen terme > 50 % à trois ans. Le traitement percutané par radiofréquence est indiqué lorsque la tumeur fait < 3 cm. Le traitement chirurgical est indiqué lorsque la fonction hépatocellulaire permet de tolérer une résection partielle. Les malades ayant des lésions multiples peuvent bénéficier d’une chimioembolisation qui associe l’injection par voie intra artérielle d’une chimiothérapie, ou de particules radioactives, suivie d’une embolisation du territoire tumoral. Tous ces traitements peuvent être associés notamment chez des malades dont l’attente avant transplantation hépatique est > neuf mois. Si le malade ne peut bénéficier d’aucun de ces traitements, le Sorafénib est un traitement systémique administré par voie orale dont l’efficacité sur le pronostic à court terme doit être balancé par des effets secondaires parfois majeurs.
Summary
HCC is frequent and difficult to treat, especially in patients with underlying chronic liver disease. The risk of recurrence is very high. The best curative treatment for patients with limited tumors is liver transplantation (LT), an option restricted to rich countries and selected patients with a low risk of recurrence. Other curative treatments include partial liver resection in patients with excellent liver function, and radiofrequency ablation of tumors measuring less than 5 cm. Multiple tumors can be treated with transcatheter arterial chemoembolization or, more recently, 90Y radiotherapy. All these treatments may be combined in patients on the waiting list for LT. Despite its potentially severe side effects, the new multikinase inhibitor sorafenib improves survival in the terminal phase.
INTRODUCTION
Le carcinome hépatocellulaire (CHC) est la tumeur hépatique maligne primitive la plus fréquente et se caractérise par son développement dans un parenchyme siège d’une maladie chronique qui aboutit à la constitution d’une cirrhose [1, 2]. Les principales causes de maladies chroniques du foie sont représentées par les infections virales B et C, la consommation chronique d’alcool et le syndrome métabolique. Cette dernière étiologie qui associe obésité, diabète, hypercholestérolémie et hypertension artérielle est en augmentation et est souvent associée aux autres causes de cirrhose [3]. Chez des malades ayant une infection chronique par le virus B ; une surcharge en fer (hémochromatose) ou un syndrome métabolique, le CHC peut se développer avant le stade de cirrhose sur un foie sain ou dans un foie remanié par des processus inflammatoires ou fibrosants. Le processus habituel de développement du CHC au cours d’une cirrhose passe par un nodule dysplasique qui augmente de volume et s’accompagne d’envahissement vasculaire. La cirrhose représente en elle-même un état pré-cancéreux avec la présence fréquente de multiples foyers de CHC. Ainsi le traitement le plus logique et le plus efficace du CHC sur cirrhose est la transplantation hépatique (TH) [4, 5]. Mais ce traitement ne peut cependant être proposé que chez des malades en bon état général ayant une tumeur à faible risque de récidive sous traitement immunosuppresseur. Les autres traitements du CHC qui ont pour objectif une ablation ou une destruction de la tumeur sont exposés à un haut risque de récidive s’il existe une cirrhose.
La destruction tumorale percutanée
Ce traitement est indiqué chez les malades ayant une tumeur de faible volume (< 3 cm), repérable sous échographie. C’est une technique réalisée par les radiologues sous anesthésie générale utilisant une sonde percutanée qui est placée sous contrôle échographique ou plus rarement sous scanner qui utilise un courant électrique à haute fréquence qui détruit la tumeur à partir de son centre [6]. Cette technique est très efficace lorsque la tumeur est de petite taille à distance des gros vaisseaux. Sa tolérance est excellente en dehors de perforations d’organes digestifs situés à proximité du site de ponction. Cette destruction percutanée réalisée initialement par injection d’alcool absolu est améliorée par des sondes de radiofréquence plus complexes qui élargissent le diamètre de destruction et par des sondes qui émettent des micro-ondes. Les principales limites du traitement percutané sont représentées par le risque de destruction incomplète du foyer tumoral soit parce que la tumeur est difficile à localiser, soit parce que son volume est trop important avec un risque de récidive locale.
La chimioembolisation
Ce traitement associe une chimiothérapie à base de doxorubicine injectée par voie intra artérielle après avoir embolisé l’artère nourricière du CHC. Il est contreindiqué en cas de thrombose porte et est réalisé par les radiologues sous anesthésie locale quelle que soit la taille de la tumeur lorsque la fonction hépatique est conservée. Sa tolérance est variable avec la survenue constante d’un syndrome post-chimioembolisation associant une élévation transitoire des transaminases, une fièvre qui peut durer plusieurs jours et parfois une abcèdation du foyer tumoral. Son efficacité est variable avec un taux de nécrose complète du CHC dans près de la moitié des cas [7], offrant des survies pouvant atteindre un an et demi à deux ans [8].
Il n’existe pas de critères prédictifs d’efficacité de ce traitement qui peut être répété tant que les artères hépatiques ne sont pas le siège d’une artérite. Il existe une tendance à réaliser des chimioembolisations hyper-sélectives du territoire tumoral le plus proche du CHC. Les autres progrès du traitement intra-artériel sont représentés par la radio-embolisation. Cette dernière technique utilise des micro-billes de produit radioactif (Ytrium) qui semblent avoir une plus grande efficacité antitumorale locale [9]. L’efficacité de cette technique avec des médianes de survie aux alentours de vingt mois, semble au moins équivalente à celle de la chimioembolisation sélective mais elle est mieux tolérée [9]. Elle n’est pas contre-indiquée en cas de thrombose porte mais elle nécessite une artériographie préalable pour supprimer des shunts extra-hépatiques qui risquent de diffuser du produit radioactif dans les poumons.
La résection partielle
C’est le traitement quasi-exclusif des CHC développés sur foie sain. La présence d’un parenchyme normal, qui existe dans 10 à 15 % des cas, permet une hépatectomie qui même étendue reste bien tolérée avec une survie à cinq ans sans récidive supérieure à 70 %. En revanche, la présence d’une maladie chronique du foie augmente le risque chirurgical qui dépend de la gravité de la cirrhose et de l’étendue de l’exérèse [10]. L’exérèse partielle n’est envisagée que chez les malades ayant une excellente fonction hépatocellulaire sans hypertension portale [11]. La résection hépatique qui doit emporter la tumeur et son territoire portal pour diminuer le risque de récidive locale ampute la masse fonctionnelle parenchymateuse qui régé- nère moins bien chez le cirrhotique. Ainsi la chirurgie doit ménager deux objectifs contradictoires : — réaliser une exérèse carcinologique passant à distance de la tumeur et — conserver au maximum le parenchyme non tumoral afin d’éviter une insuffisance hépatocellulaire postopératoire. Le traitement chirurgical des CHC a bénéficié de progrès majeurs avec une mortalité inférieure à 5 % et une survie à cinq ans supérieure à 60 % [12]. Mais le risque de récidive, qui atteint 80 % à cinq ans, est le principal facteur limitant de ce traitement [13]. Ce risque est d’autant plus important que la tumeur est volumineuse, peu différenciée ou associée à un envahissement vasculaire. Ces récidives qui justifient une surveillance continue des malades peuvent être traitées par un geste local ou parfois lorsque le malade reste en bon état général par une transplantation hépatique.
La transplantation hépatique
La TH semble être le traitement de choix des malades ayant un CHC limité car elle traite à la fois la ou les tumeur(s) et l’hépatopathie sous-jacente. La TH qui reste le traitement curatif le plus efficace du CHC développé sur une maladie chronique du foie ne peut être proposée que chez des malades qui ont un faible risque de récidive.
Cette sélection est actuellement radiologique et elle correspond aux « critères de Milan » (CM) : un nodule de moins de 5 cm de diamètre ou moins de trois nodules de moins de 3 cm, sans thrombose tumorale portale macroscopique [14]. Chez les malades présentant de tels critères, la survie sans récidive à cinq ans atteint 75 %.
Dans certains cas très sélectionnés, un élargissement de ces critères à des tumeurs plus volumineuses (6,5 cm) semble donner des résultats similaires [15]. Quoi qu’il en soit Le déséquilibre croissant entre le nombre de malades atteints d’un CHC et le nombre de greffons augmente la durée d’attente sur liste avec un risque de progression tumorale avec envahissement vasculaire qui expose à une récidive post-TH.
L’orientation des recherches cliniques en terme de TH pour CHC s’orientent vers :
— une meilleure sélection des malades à faible risque de récidive basée sur des données biologiques et histologiques et — un traitement d’attente pour détruire la tumeur ne compromettant pas une TH ultérieure [16]. Chez des malades ayant une bonne fonction hépatique, une hépatectomie partielle qui offreuntraitementd’attente efficace permet d’améliorer la sélection des malades candidats à une TH [17].
Le traitement médicamenteux
Les thérapies ciblées offrent maintenant une perspective de traitement palliatif lorsque les traitements précédents sont impossibles chez les malades ayant une bonne fonction hépatique. Ce traitement diminue la vitesse de croissance des cellules cancéreuses en empêchant le développement des vaisseaux sanguins qui alimentent la tumeur. Le bénéfice de survie reste néanmoins discret avec un allongement de la survie globale de trois mois environ [18]. Le Sorafénib est le seul traitement validé dans cette indication ; il s’administre par voie orale. Contre-indiqué en cas d’HTA ou de varices oesophagiennes, il a des effets secondaires importants incluant une asthénie, des diarrhées, des syndromes main-pied qui obligent à réduire les doses ou interrompre le traitement dans près d’un tiers des cas [18].
CONCLUSION
Le traitement du CHC reste difficile et il tend à associer de multiples thérapeutiques qui visent à détruire le ou les foyers tumoraux et à prévenir le risque de récidives. La prévention, la surveillance et le traitement de la maladie hépatique sous jacente restent la priorité. La vaccination conte l’hépatite B, le dépistage et le traitement des malades ayant une hépatite C et maintenant la prévention et le traitement de l’obésité sont des objectifs de santé publique.
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DISCUSSION
M. Bernard LAUNOIS
Vous avez parlé de l’indication de transplantation sur des malades child A à fonction hépatique peu altérée. Le scoring system de l’Agence de bioéthique favorise la priorisation des malades graves. On vient de changer les scores. Est-ce que cela va améliorer les choses ?
Effectivement, l’attribution des greffons hépatiques se fait depuis 2007 selon la gravité de l’insuffisance hépatocellulaire en utilisant un score prédictif du risque de mortalité en liste d’attente. Lors de la première année de son application, cette modification du score a entraîné une diminution de la mortalité en liste d’attente de près de 25 %. Vous soulevez un problème important concernant les malades ayant un hépatocarcinome car cette tumeur se développe en général sans insuffisance hépatocellulaire et il est difficile de classer les malades selon l’évolution de leur cancer. Au-delà d’un certain développement tumoral, la transplantation est inutile voire même néfaste ; l’immunosuppression accé- lérant le risque de récidive avec inéluctablement un décès du malade et donc une perte du greffon. La transplantation pour CHC n’est légitime que si la tumeur est de petite taille sans envahissement vasculaire chez ces malades. On leur attribue un score « moyen » pour que le délai d’attente se situe entre six mois et un an de façon à éviter un développement tumoral dans l’attente de la transplantation. L’augmentation du nombre de malades ayant un CHC sur cirrhose découvert lors de dépistage augmente le nombre de candidat à la transplantation et donc augmente la durée d’attente avec un risque de mortalité pendant cette attente et/ou un risque de récidive après greffe. Tous ces éléments conduisent à une plus grande sélection des candidats avec un seuil d’âge < 65 ans et en excluant les malades ayant une alphafœtoprotéine > 400 qui témoigne en général d’une agressivité tumorale. Il s’agit donc d’un sujet en perpétuelle évolution qui justifie des réévaluations annuelles des scores.
M. Jean Luc de GENNES
A côté du facteur alcool, dans les cancers hépatiques, vous avez cité l’insulinorésistance, le diabète etc. Mais pourquoi n’avez-vous pas cité le rôle de la stéatose hépatique qui est constante dans le syndrome métabolique, facteur associé constamment à l’hyperglycéridé- mie, composante majeure du syndrome métabolique, avec la baisse de HO<- cholestérol, l’hypercholestérolémie étant en deuxième zone ?
Vous avez parfaitement raison de lier la stéatose hépatique au syndrome métabolique.
Les mécanismes physiopathologiques restent mal connus, mais les CHC sur syndrome métabolique se caractérisent par leur survenue fréquente en l’absence de cirrhose.
M. Jacques ROUËSSÉ
Dans l’utilisation de Sorafénib sélectionnez-vous les CHC qui, par exemple, auraient une mutation de B-Maf ? Le Sorafénib a-t-il été utilisé en intra artérielle ?
A ma connaissance, le Sorafénib n’a jamais été utilisé en intra artérielle et il n’y a pour le moment, pas de sélection des candidats à la prise de Sorafénib en fonction du profil génétique des CHC.
Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 1, 97-103, séance du 24 janvier 2012