Communication scientifique
Séance du 9 avril 2002

Tolérance orthostatique après vol spatial et simulation d’impesanteur par alitement prolongé

MOTS-CLÉS : apesanteur. hypotension orthostatique. pression sanguine. système nerveux autonome.
Orthostatic tolerance after spaceflight or simulated weightlessness by head-down bed-rest
KEY-WORDS : autonomic nervous system.. blood pressure. hypotension, orthostatic. weightlessness

C. Gharib, M.A. Custaud

Résumé

Les modifications cardiovasculaires, spécialement l’intolérance orthostatique (IO), sont bien connues au retour des vols spatiaux ou après des simulations par alitement prolongé (décubitus). Les mécanismes, à leur origine, sont discutés. Dans le but de mieux les connaître nous avons comparé l’intolérance orthostatique après 42 jours d’alitement chez 7 sujets et après vol spatial d’une durée variant entre 90 et 198 jours chez 10 cosmonautes. Ces études ont été réalisées au cours d’un test d’orthostatisme actif (stand test) de 10 minutes (précédé d’une phase allongée de 10 minutes puis assise de 5 minutes). Dans les deux groupes, la mesure de la pression artérielle a été faite par pléthysmographie transcutanée (Finapres ®) et l’ECG recueilli pour la détermination de l’intervalle RR. Ceci nous a permis de réaliser une analyse spectrale de l’intervalle RR et de déterminer les index sympathique et parasympathique ainsi que le baroréflexe spontané. Chez les cosmonautes, un sujet (sur les dix) a présenté un malaise vaso-vagal, et deux ont demandé l’arrêt du test. Chez les sujets ayant participé au décubitus, quatre (sur sept) ont présenté des signes obligeant à l’arrêt du test (un malaise vaso-vagal, une tachycardie, deux hypotensions). Dans les deux groupes on a mis en évidence une tachycardie au repos, une baisse de l’index parasympathique et un abaissement de la pente baroréflexe. Ces résultats permettent d’affirmer que si les deux groupes ont une intolérance orthostatique, les mécanismes en sont légèrement différents (importance des troubles vestibulaires chez les astronautes, ce qui n’est pas le cas chez les sujets alités). Pourtant, dans les deux conditions, la tachycardie orthostatique posturale (POTS) est retrouvée. Le pourcentage d’IO est de 30 %. La durée du vol spatial n’est pas un élément déterminant. Nous n’avons, par ailleurs, aucun élément permettant de prédire cette IO, ce qui était l’un des buts du travail.

Summary

Cardiovascular modifications, specially orthostatic intolerance (OI) are well known after spaceflight or long duration head-down bed-rest (HDBR) There is no agreement about their mechanisms. The aim of the study was to compare OI after a 42 day HDBR (n=7) and after a 90 to 198 day spaceflight (n=10). The studies were made during a stand test of 10 minutes for HDBR following 10 min in supine position and 5 min in sitting position. In both groups the variables measured were blood pressure (BP by transcutaneous plethysmography, Finapres ®) and ECG for RR interval (RRi) determination which allowed us to calculate autonomic indexes by spectral analysis of RRi and to determine spontaneous baroreflex sensitivity. In the cosmonaut group, 1 subject experienced a vaso-vagal syncope and 2 asked to stop the test without a decrease in BP. In HDBR, 4 subjects out of 7 did not perform the whole stand test (1 vaso-vagal syncope, 1 tachycardia and 2 hypotensions). Cosmonauts or HDBR subjects had common profiles : tachycardia and a decrease in parasympathetic index and baroreflex sensitivity. Both groups have an OI (30 % of the subjects). However the mechanisms are different even if they have a common postural orthostatic tachycardia syndrome (POTS). The spaceflight duration was not determinant and we have no indice to predict OI which was one of the aims of the study.

INTRODUCTION

L’exploration spatiale humaine est passée en quelques décades de l’exploit au banal tourisme avec les vols payants et le voyage de sujets a priori moins entraînés (un sénateur américain). Cela ne veut pas dire que des précautions ne sont pas à prendre.

Les problèmes posés par le système cardiovasculaire sont, à ce titre, évocateurs. Si l’adaptation de l’homme au cours d’un vol spatial (donc en impesanteur 1) même de longue durée (1 an) est remarquable il n’en est plus de même au retour : le spationaute est alors incapable de se maintenir debout (intolérance orthostatique) et présente des troubles cardiovasculaires [1, 2]. Ceux-ci sont caractérisés par une tachycardie, une baisse de la pression artérielle en position debout auxquelles s’ajoute une diminution de la capacité à l’exercice musculaire (la V ˆO max diminue 2 d’environ 20 à 30 %), l’ensemble constituant le déconditionnement cardiovasculaire (DCV) [3]. De multiples hypothèses ont été émises depuis 30 ans pour expliquer son origine, qui n’est de toutes les façons pas univoque :

• baisse de la volémie, • élévation de la compliance veineuse associée à une atrophie musculaire, 1. L’absence de gravité (impesanteur) est caractérisée par la disparition de la pression hydrostatique à l’origine d’une redistribution des fluides de l’organisme à prédominance cardiothoracique. On peut avoir un équivalent de cette redistribution par un alitement tête basse, ce qui est réalisé lors des simulations.

• altération de la concentration plasmatique des hormones vasoactives (système rénine angiotensine, vasopressine, peptide atrial natriurétique, …), • modification de la balance sympathique/parasympathique.

Seul cet aspect cardiovasculaire a été étudié pendant de nombreuses années. En fait, des désordres neurovestibulaires et métaboliques (toujours présents au retour des vols spatiaux et après décubitus) participent vraisemblablement de façon importante au DCV.

Les études après des vols spatiaux sont relativement difficiles étant donné les conditions de retour très variables d’un vol à l’autre (accélérations, stress, durée du séjour) et surtout le faible nombre d’astronautes qu’il est possible d’expertiser. Par ailleurs, au cours de tous les vols spatiaux de longue durée (supérieure à 15 jours), des contre-mesures sont utilisées : l’exercice musculaire, la mise en dépression de l’extrémité inférieure du corps (Lower Body Negative Pressure) et la thérapeutique.

Aussi, a-t-on recours à des simulations d’impesanteur : alitement prolongé (décubitus), tête légèrement déclive à -6° (anti-orthostatisme), qui réalise bien les conditions que l’on trouve dans l’espace : redistribution cardiothoracique immédiate des liquides de l’organisme (avec adaptation secondaire et hypovolémie), atrophie musculaire, déminéralisation osseuse, troubles neurosensoriels [5]. De nombreuses études ont donc été entreprises pour mieux connaître le déconditionnement cardiovasculaire à partir des données obtenues lors des simulations ou des vols.

Le but de l’étude présentée est de comparer l’intolérance orthostatique observée chez les spationautes et des sujets sains soumis à une simulation et d’étudier le déterminisme de l’intolérance orthostatique dans les deux conditions.

SUJETS ET MÉTHODES

Protocole expérimental

Deux protocoles ont été mis en place :

• sol : décubitus anti-orthostatique de 42 jours réalisé à Toulouse chez 7 sujets (28 fi 0,9 ans ; 176 fi 1,3 cm ; 71 fi 3,5 Kg) après accord du Comité Consultatif de Protection des Personnes de la Recherche Biomédicale (Midi Pyrénées). Initialement il y avait 8 sujets mais un sujet n’a pas pu terminer le protocole pour rachialgies. Ces sujets, non fumeurs, avaient subi un examen clinique, biochimique et radiographique, • vols spatiaux d’une durée de 90 à 198 jours chez 10 astronautes (42 fi 2 ans ;

175 fi 2 cm ; 75 fi 2 Kg) après accord du Comité d’Ethique russe de la Cité des Étoiles.

Test d’orthostatisme actif (stand test)

Il consiste à demander au sujet de se maintenir debout pendant 10 minutes au lever 3 jours avant la période d’alitement (contrôle) et à la fin de la période d’alitement. Ce test est précédé d’une période de 10 minutes en position allongée puis de 5 minutes en position assise. Pour les vols, le test est réalisé dans les mêmes conditions 30 jours avant le vol (contrôle) et au lever le lendemain du retour. Ce lever se faisant en deux étapes : 5 minutes assis et 10 minutes debout.

Données cardiovasculaires

Lors des tests d’orthostatisme actif dans les deux protocoles, les sujets étaient équipés d’un Finapres ® 2300 Ohméda (pour la mesure en continu de la courbe de pression artérielle au doigt par photopléthysmographie transcutanée). Un ECG recueilli à l’aide de trois électrodes thoraciques permet la détection des pics R et le calcul de l’intervalle RR, c’est-à-dire la période qui s’exprime 1/fréquence. Nous mesurons ainsi, pour chaque battement cardiaque, la pression artérielle systolique (PAS), diastolique (PAD) et l’intervalle RR (IRR). Ces enregistrements permettent l’étude des variations d’un battement à l’autre de l’intervalle RR grâce à une analyse spectrale par transformée de Fourier. Cette analyse permet de distinguer plusieurs bandes de fréquences [6, 7] :

• des oscillations de basses fréquences (0 < LF < 0,15 Hz), • des oscillations de hautes fréquences (0,15 < HF < 0,50), • l’étendue du spectre (P totale) qui va de 0 à 0,5 Hz et de déterminer ainsi la balance sympathique/parasympathique puisque différentes expériences et données pharmacologiques ont permis de considérer le rapport des puissances spectrales HF/Ptot comme un index de modulation cardiaque parasympathique et LF/HF comme un index sympathique (Fig. 1).

Ces données, battement par battement, permettent aussi de déterminer la sensibilité du baroréflexe spontané : les séquences du baroréflexe spontané sont définies comme une variation dans le même sens, sur au moins trois battements cardiaques consécutifs de la pression artérielle systolique et de l’intervalle RR [9]. Chaque séquence est soumise à une régression linéaire qui permet le calcul de la pente baroréflexe spontanée pour une période donnée (Fig. 2).

Critères d’intolérance justifiant l’arrêt du test

Les critères d’arrêt étaient les suivants :

• chute de la PAS de plus de 30 mmHg, • variation de la fréquence cardiaque d’au moins 15 battements par minutes, • tachycardie importante > 160 bpm,

Fig. 1. — Exemple d’un tachogramme et de l’analyse spectrale (intervalle RR). HF : 0,15 à 0,50 ; LF :

0 à 0,15. Les expériences pharmacologiques ont permis de déterminer les index définis dans le texte.

Fig. 2. — Exemple de la détermination de la pente baroréflexe.

En haut : Les séquences « baroréflexe spontané » sont définies comme une variation dans le même sens, sur au moins trois battements cardiaques consécutifs, de la pression artérielle systolique accompagnée de l’intervalle RR.

En bas : chaque séquence est soumise à une régression linéaire, ainsi la pente moyenne pour une période donnée peut être calculée.

• apparition de signes pré-syncopaux (pâleur, nausée, sensation vertigineuse), • le test pouvait être aussi arrêté à la demande du sujet.

L’arrêt pour un quelconque de ces motifs classe le sujet en sujet intolérant (SI). Si le sujet finit le test, il est classé sujet tolérant (ST).

Tests statistiques

Les valeurs sont exprimées en moyenne (fi écart type). Les données ont été analysées en utilisant le test de Wilcoxon ou Mann-Whitney. P < 0,05 est considéré comme significatif.

RÉSULTATS

Tests d’orthostatisme

Chez les spationautes, l’épreuve a été subie en totalité avant le vol sans aucun signe objectif pendant 10 minutes. Au retour, un des sujets a présenté un malaise vasovagal typique (bradycardie + hypotension), cf. Fig. 3. Deux astronautes ont demandé un arrêt de l’épreuve pour sensation de malaise (vertiges, étourdissements) sans signe objectif du point de vue cardiovasculaire pour l’un et avec une accélération cardiaque de 110 à 140 bpm pour l’autre. La durée du vol n’intervient pas dans ces manifestations. Globalement, tous les sujets présentent une élévation de la fréquence cardiaque, la pression artérielle étant peu augmentée.

Chez les sujets ayant participé à un alitement de 42 jours , quatre présentaient des signes d’intolérance ayant obligé à arrêter le test (une tachycardie à 170 bpm, deux hypotensions avec tachycardie. Cf. figure, un malaise vaso-vagal), les trois autres, une tachycardie (61 à 113 bpm ; 75 à 119 ; 90 à 136).

Analyse spectrale et baroréflexe

Chez les spationautes (Tableau 1)

On note une augmentation de la fréquence cardiaque (significative chez les intolé- rants) et une élévation de la pression artérielle. L’index parasympathique (HF/Ptot) s’abaisse significativement chez les intolérants, alors que l’index sympathique s’élève de façon importante. En fait, l’état cardiovasculaire est bien résumé par les données de la pente baroréflexe qui s’abaisse de façon significative dans tous les cas.

Chez les sujets après alitement (Tableau 2)

Les mêmes constatations peuvent être faites : élévation de la fréquence cardiaque, élévation de la pression artérielle, diminution de l’index parasympathique, élévation de l’index sympathique, abaissement de la pente baroréflexe.

Fig. 3. — Exemple d’enregistrements et de types de malaises au cours de stand test.

5 vol 2*

0,04‡ 0,50‡ 3,9*

fi fi fi (n=3) 0 fi fi Après 125 0,23 1,70 15,0 .

Intolérants vol 26 4‡ 2,7 0,03‡ 0,02‡ fi fi fi (n=3) 3 4 fi fi cosmonautes 1 Avant 1 23,7 les 0,37 0,60 chez thiques vol 15 5*

0,02 10 4*

sympa fi fi fi fi fi x (n=7) 4 9 4 Après 132 inde 0,06 et olérants T ynamiques 4 vol 46 0,01 71 31 fi hémod fi fi fi fi (n=7) 58 13 23 Avant 125 0,08 Données — 1.

ableau (mmHg) T (bpm) spontané vol parasympathique Systolique sympathique (HF/Ptot) (LF/HF) Cardiaque avant tolérants index Baroréflexe :

index PNSi SNSi (ms.mmHg-1) :

Artérielle du versus versus

Fréquence 0,05 Pente 0,05 (HF/Ptot) (LF/HF) < < .

Pression .

p p *

‡ PNSi SNSi
8 3*

0,037*

0,9 2,9‡ alitement fi fi (n=3) 5 fi fi fi 128 3,5 19,7 0,172 Après

Intolérants olongé.

57 2 pr 0,026 0,8 4,4‡ fi alitement fi (n=3) 2 fi fi fi 109 1,9 0,055 26,5 alitement Avant près a thiques *

56 * 5 0.032*

1,8*

2,6 alitement fi fi fi fi fi sympa (n=4) 6 x 132 5,6 9,9 inde 0,138 Après et olérants T ynamiques 37 3 0,015 0,8 2 fi alitement fi fi fi fi hémod (n=4) 64 1 1 4 1,7 16 0,074 Avant

Données — 2.

(mmHg) ableau (bpm) T spontané )-1 alitement Systolique fl exe HF/Ptot LF/HF parasympathique sympathique Cardiaque avant tolérants PNSi SNSi Baroré (ms.mmHg index :

index Artérielle du :

versus versus

Fréquence Pente 0,05 0,05 HF/Ptot LF/HF < < Pression p .

p .

*

‡ PNSi SNSi

DISCUSSION

Cette étude avait plusieurs objectifs. Le premier était de comparer les troubles tensionnels dans les deux situations : vol spatial et simulation. Le second était plus difficile et constituait la suite logique du précédent : quel est le déterminisme de ces troubles ? Enfin le dernier était de savoir s’il était possible de prédire la survenue de ces troubles sur les données limitées recueillies.

Le nombre de sujets a été réduit, il est de 7. C’est le nombre utilisé lors de telles expériences pour des motifs d’ordre logistique et financier. Initialement il était prévu 8 sujets, mais un des sujets a présenté un mal de dos, ce qui l’a obligé à arrêter l’alitement. On confond souvent IO et hypotension orthostatique (HO). Il s’agit de deux comportements pathologiques différents lors de l’orthostatisme. Le sujet peut être incapable de maintenir la position debout alors que sa fréquence cardiaque et sa pression artérielle sont normales en position debout, c’est l’intolérance orthostatique. C’est le cas des astronautes qui présentent des signes neurovestibulaires isolés (instabilité, vertiges, bourdonnements). Une autre possibilité est représentée par une élévation de la fréquence cardiaque en position debout (supérieure à 30 bpm dans les 5 minutes en position debout) avec une pression artérielle normale ou subnormale. C’est la tachycardie posturale orthostatique ou POTS (Postural Orthostatic Tachycardia Syndrome) : si la posture orthostatique est maintenue on peut voir apparaître des signes neurologiques (étourdissements, malaise, vertiges, état pré-syncopal) et arriver à une véritable syncope [10, 11].

Une troisième éventualité est la survenue d’une hypotension orthostatique : tachycardie avec baisse de la pression artérielle systolique et diastolique pouvant conduire à la syncope vaso-vagale [12, 13] (Fig. 4).

En fait cette schématisation est abusive et souvent les phénomènes sont intriqués :

— aussi bien dans le POTS que l’hypotension orthostatique, on retrouve constamment une hypovolémie et une baisse de la concentration en érythropoïétine, — POTS et hypotension orthostatique peuvent conduire à la syncope vaso-vagale.

Dans les deux cas, le facteur déclenchant est une séquestration veineuse au niveau des membres inférieurs, séquestration aggravée par une atrophie musculaire constante après les vols ou les simulations et démontrée par une élévation de la compliance veineuse et une baisse de la volémie, — les troubles neurovestibulaires (parfaitement démontrés) peuvent être à l’origine de variations tensionnelles alors que le système vasculaire n’est pas altéré. Les expériences de Yates le prouvent [14], — au cours du POTS on peut avoir des signes neurologiques : vertiges, étourdissements, palpitations, état pré-syncopal, faiblesse des membres inférieurs…, ceci alors que la pression artérielle est normale. Les signes neurologiques doivent s’expliquer par des troubles de la vascularisation cérébrale. De même dans l’HO, on doit avoir une participation périphérique avec une activité exagérée des

Fig. 4. — Description schématique des différents troubles menant à l’intolérance orthostatique en dehors d’une dysautonomie (chute de la pression artérielle sans modification de la fréquence cardiaque.

récepteurs β adrénergiques qui conduisent à une vasodilatation importante, alors que le volume d’éjection systolique baisse, — enfin un élément est à considérer : au-delà de 6 semaines, on observe une atrophie myocardique qui va participer aux altérations décrites ci-dessus.

En ce qui concerne nos données, le pourcentage d’intolérance orthostatique observé est identique (30 %) à ceux de la littérature pour des stand tests (vols de 8-14 jours) [3, 15]. La durée de l’exposition à la microgravité ne semble pas avoir un rôle marquant puisque l’intolérance a pu se voir après un vol de 9 heures (programme Mercury) ou mieux de quelques secondes. Schlegel et coll. ont montré qu’après vols paraboliques (20 secondes répétées plusieurs fois) on peut observer des signes d’intolérance orthostatique et que les vomissements (fréquents au cours des vols paraboliques) peuvent modifier les tests cardiovasculaires.

Le premier élément à noter est l’élévation caractéristique de la fréquence cardiaque même si cette élévation n’est significative que chez les sujets intolérants après vol. La pression a aussi tendance à s’élever. Cette élévation de la fréquence cardiaque évoque bien le syndrome de tachycardie posturale (POTS) d’autant que l’on retrouve chez les astronautes les signes associés mentionnés (hypovolémie). Comme beaucoup d’autres groupes utilisant les index sympathiques [17], nous constatons une exagération de l’activité sympathique (LF/HF) et une diminution de l’index parasympathique (HF/Ptot). C’est probablement aussi par ce biais que l’on observe une diminution de la pente baroréflexe. L’explication du POTS et de l’hypotension orthostatique (HO) n’est pas claire malgré les éléments communs signalés plus haut : diminution de la volémie, augmentation de l’activité sympathique cardiaque qui correspond à ce que l’on peut voir lors du passage en position debout chez un sujet normal pendant les premières minutes. L’anomalie réside dans la persistance de la tachycardie (hypersensibilité des récepteurs β cardiaques et une atrophie cardiaque [18]) avec des anomalies de régulation périphérique. Pour le POTS il existe très certainement un trouble de la régulation de la circulation cérébrale expliquant la symptomatologie décrite [19]. Pour l’HO on peut évoquer une exagération de la réponse vasodilatatrice avec hyposensibilité des récepteurs α vasculaires. Ces troubles sont réversibles en quelques jours. Aucun élément prédictif n’a pas pu être mis en évidence.

Travaux réalisés grâce à des contrats du Centre National d’Etudes Spatiales.

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DISCUSSION

M. Georges SERRATRICE

A t’on observé des accidents cérébraux permanents d’origine hypotensive ? Vous avez fait allusion à l’amyotrophie. Porte t’elle sur les fibres oxydatives et/ou glycolytiques ? Y a t’il des lésions de nécrose ischémique ?

Il n’a pas été décrit (à ma connaissance) d’accident cérébral d’origine hypotensive. En ce qui concerne la nature des fibres, la question est difficile : les résultats diffèrent selon l’espèce et le type de muscle. Chez l’homme tous les types de fibres sont atteints avec une prédominance sur les fibres de type II B (contraction rapide, glycolytique).

M. Jacques-Louis BINET

Est-ce que l’agence européenne publie les résultats scientifiques et médicaux ?

Il n’y a pas de publication systématique des résultats si ce n’est pour certains vols où les résultats publiés dans des revues scientifiques sont rassemblés.

M. André VACHERON

Vous soulignez l’importance des troubles vestibulaires chez les astronautes ? Pouvez-vous apporter quelques précisions sur leur mécanisme ?

Différents index sont utilisés pour mettre en évidence les troubles vestibulaires, qui atteignent plus de 60 % des astronautes. Si physiologiquement les rapports régulation de la pression artérielle et système vestibulaire ont été clairement démontrés, on a montré récemment une corrélation entre troubles vestibulaires et troubles tensionnels au cours de très courtes périodes de microgravité lors des vols paraboliques. On a aussi montré l’existence d’un contrôle vestibulaire de l’activité sympathique.

M. Pierre GODEAU

Les sujets d’expérience soumis à un décubitus prolongé ont-ils été traités préventivement contre un accident thrombotique éventuel ? Y a-t-il eu un dépistage systématique d’une thrombose latente ?

Chez les volontaires participant à des décubitus, les sujets à risque sont éliminés systé- matiquement. Par ailleurs, au cours du décubitus il y a un suivi journalier clinique et de la kinésithérapie.

M. René MORNEX

Pour essayer de distinguer l’origine neurovégétative de l’origine hormonale des modifications adaptatives tensionnelles, je suggère de vous reporter à un modèle clinique : celui des neuropathies diabétiques, dans lesquelles l’hypotension orthostatique s’accompagne d’une disparition absolue de la sudation. Ma question concerne l’existence éventuelle d’un tel symptôme et de sa corrélation potentielle avec les troubles tensionnels ?

Il s’agit effectivement d’un problème important et les références aux neuropathies diabétiques sont constantes. À ma connaissance, il n’y a pas d’étude sur la sudation, vraisemblablement à tort. Pour cette même raison, on essaie en physiologie spatiale de s’adresser à des régulations qui ne soient pas en boucle (système cardiovasculaire) comme la salivation ou la contraction pupillaire.

M. Claude SUREAU

Votre expérience des décélérations brutales peut-elle fournir une explication à une observation courante en obstétrique : la survenue d’accidents majeurs, thoraciques ou cérébraux, parfois mortels, chez des fœtus in utero soumis à une telle décélération à l’occasion d’un accident de voiture, alors que la mère, maintenue par la ceinture de sécurité, ne souffre que de contusions légères ou infimes ?

Je ne peux apporter aucune réponse. Le fœtus est en immersion (ce qui est un moyen de simuler l’impesanteur) et je suppose que lors d’un accident, la décélération est beaucoup plus importante pour le fœtus qui n’est pas maintenu, que pour la mère.

M. Claude JAFFIOL

Avez-vous des données ou un projet d’étude sur l’évolution pondérale des astronautes, la répartition des masses grasse et maigre ainsi que sur la régulation glycémique ?

Chez les astronautes on a une multitude de troubles métaboliques : une résistance à l’insuline avec des flèches d’hyperglycémie plus importante lors de l’HGPO comme cela se voit lors de l’inactivité (en vol on a une réduction importante de l’activité musculaire).

On observe une perte pondérale liée à plusieurs facteurs : diminution de l’eau totale, diminution de la masse maigre (atrophie musculaire, mais aussi diminution de la synthèse protéique).

M. Jean-François CIER

Dans votre étude de la tolérance, ou mieux de l’intolérance à l’impesanteur qui caractérise le vol spatial, vous évoquez un déconditionnement neurovasculaire que démontre l’état pré syncopal et la tachycardie supérieure à 160. Pourquoi n’avez-vous pas alors pratiqué, chez vos sujets en observation, un dosage des catécholamines (adrénaline et noradrénaline) dans le sang ou de leurs métabolites dans les urines de 24 heures ?

Des dosages de catécholamines et de leurs dérivés ont été pratiqués aussi bien en vol (malgré toutes les difficultés) qu’en simulation. L’activité sympathique est réduite, ce que
montre aussi les études microneurographiques. Mais cela n’explique pas les faits observés au retour : hyperactivité des β récepteurs et diminution de l’activité des récepteurs α. Au retour on aurait une sécrétion majorée de catécholamines entraînant un effondrement des résistances périphériques….

M. Eugène NEUZIL

Avez-vous examiné les variations de quelques constituants du plasma au cours du passage du décubitus à l’orthostatisme ? Au cours de vos tests, avez-vous observé une albuminurie orthostatique, la micro albuminurie étant maintenant très facile à déceler ?

L’albuminurie orthostatique n’a pas été signalée mais une telle recherche devrait être faite plus systématiquement.


* Université Claude Bernard Lyon 1, Faculté de Médecine Lyon Grange-Blanche, Laboratoire de Physiologie de l’Environnement, 8 avenue Rockefeller — 69373 Lyon cedex 08. Tél. 04 78 77 70 78 — Télécopie : 04 78 01 74 67 — Email : gharib@pop.univ-lyon1.fr Tirés-à-part : Professeur Claude Gharib, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 4 janvier 2002, accepté le 4 février 2002 .

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 4, 733-749, séance du 9 avril 2002