Communication scientifique
Séance du 12 juin 2007

Terrorisme chimique et modalités de la prise en charge

MOTS-CLÉS : antidotes. decontamination. produits dangereux, intoxication. terrorisme chimique/prevention et contrôle
Chemical terrorism and the healthcare response
KEY-WORDS : antidotes. chemical terrorisme/prevention and control. decontamination. hazardous substances. poisoning

Claude Renaudeau

Résumé

De nombreux produits chimiques peuvent être utilisés à des fins terroristes, provoquant une intoxication grave de nombreuses personnes et des risques de transfert de contamination. Malgré les mesures prises par les pouvoirs publics, concernant l’organisation des secours, la mise en place d’équipements de protection, de décontamination et de traitement, la prise en charge des victimes d’un attentat chimique reste difficile et très contraignante. La formation théorique et pratique des équipes d’urgence est une étape obligatoire. A côté, les travaux de recherche fondamentale réalisés par ingénierie protéique et génie biomoléculaire ont permis d’isoler des épurateurs catalytiques aux effets très prometteurs notamment vis-à-vis des neurotoxiques organophosphorés insecticides et toxiques de guerre. Les résultats obtenus encouragent à poursuivre ces travaux avec pour objectif de pouvoir appliquer ces épurateurs catalytiques comme moyens prophylactiques, de protection, de décontamination et de traitement.

Summary

Many chemical products can be used for terrorist purposes, as they have the potential for seriously intoxicating many people and creating a risk of secondary contamination. Despite precautions taken by the authorities with respect to emergency responses and equipment for protection, decontamination and treatment, victim management remains difficult. Theoretical and practical training is compulsory. Fundamental research, notably in enzymatic and biomolecular engineering, has identified very promising proteolytic agents that may be used for protection and treatment of those exposed to organophosphorus nerve agents and insecticides.

Parmi la multitude des produits chimiques existants, certains sont éligibles pour une utilisation terroriste en raison de leurs propriétés physico-chimiques, de leur toxicité, de la facilité avec laquelle il est possible de se les procurer et de les utiliser, et du spectre de la peur qu’ils génèrent. Les toxiques de guerre répondent notamment à ces critères.

Les pesticides qui regroupent les insecticides, les fongicides, les herbicides et les rodenticides, peuvent aussi être utilisés à des fins terroristes.

Face à cette menace et en raison des événements qui se sont produits ces dernières années, les pouvoirs publics ont pris certaines dispositions et mis en place des moyens de protection, de décontamination et de traitement d’urgence des victimes.

Les dispositifs de protection des intervenants et de décontamination des personnes exposées demeurent très contraignants et difficiles à mettre en œuvre. De surcroît, leur utilisation nécessite une formation et un entraînement soutenu.

Aux côtés des plans nationaux et départementaux existants, de la circulaire relative à la doctrine d’emploi des moyens de secours et de soins face au terrorisme chimique [1], de la loi du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur [2], des avancées thérapeutiques ont été réalisées. Cependant les travaux de recherche et l’application des découvertes fondamentales méritent d’être poursuivis et développés afin d’accroître et de faciliter les moyens de protection, de décontamination et de traitement des victimes intoxiquées par certains composés chimiques tout particulièrement dangereux.

Pour aborder les modalités de prise en charge, nous allons successivement envisager les caractéristiques des produits chimiques éligibles, rappeler les dispositions prises par les pouvoirs publics pour secourir les victimes puis évoquer les avancées thérapeutiques et les orientations qui méritent d’être développées.

LES PRODUITS CHIMIQUES ÉLIGIBLES

Les produits chimiques se caractérisent par leur état physique au moment de leur utilisation (gaz, liquide ou solide) qui conditionne leur voie de pénétration dans l’organisme. En effet, un toxique peut pénétrer par les voies respiratoire, digestive, cutanée et par les muqueuses, notamment l’œil et les muqueuses nasales qui sont particulièrement sensibles. Leur irritation constitue souvent le signe d’appel d’une intoxication chimique.

La voie respiratoire concerne les gaz, les aérosols et les vapeurs émises par les toxiques liquides. A température ambiante (20° C), certains composés sont à l’état gazeux, d’autres restent à l’état liquide et ne génèrent que peu ou pas de vapeur ; de
nombreux autres sont des liquides émettant des vapeurs plus ou moins abondantes.

La température est un paramètre qui conditionne l’état physique du produit chimique au moment de son utilisation.

Selon leurs propriétés physico-chimiques, il est possible de distinguer les agents fugaces qui polluent l’air et les agents persistants qui contaminent le sol et différents supports. Le mélange de substances organiques volatiles aux toxiques liquides accroît leur fugacité. A l’inverse l’addition de composés visqueux ou de produits épaississants accroît leur rémanence.

Les produits éligibles peuvent être des composés industriels comme le chlore, l’ammoniac, l’acide fluorhydrique ou des pesticides à concentration élevée détournés de leur usage normal. Le facteur limitant réside essentiellement dans les modalités de leur dispersion .

Bien que prohibés par la Convention d’interdiction des armes chimiques de 1993, les agressifs chimiques de guerre sont toujours à redouter à cause de leur toxicité, de leur caractère insidieux et du pouvoir contaminant très élevé de certains [3]. Plusieurs ont un caractère dual et sont utilisés dans l’industrie chimique, comme le phosgène et l’acide cyanhydrique. D’autres au contraire ont une application strictement militaire, c’est le cas de l’ypérite et des neurotoxiques organophosphorés (NOP), parmi lesquels nous distinguons les agents G et V [4, 5].

Certains insecticides organophosphorés et carbamates sont létaux pour l’homme à une prise inférieure à deux grammes. Parmi les rodenticides, des composés comme les dérivés coumariniques, les fluoroacétates, la strychnine, les minéraux (phosphore et ses dérivés, sels de thallium) et le chloralose sont létaux pour l’homme à partir de 100 mg pour certains et de deux grammes pour d’autres [6].

Les toxiques chimiques à usage militaire peuvent être classés en deux catégories, les agents létaux et les incapacitants . Les agents létaux ont largement été décrits dans la menace terroriste [7-9], de même les incapacitants physiques et psychiques peuvent se montrer particulièrement redoutables dans certaines conditions d’utilisation [10, 11].

Enfin, il importe également de différencier l’intoxication de la contamination.

L’intoxication résulte des effets délétères du toxique après pénétration dans l’organisme. La contamination correspond à la présence de toxique sur les vêtements, la peau ou les cheveux. La manipulation de la victime par l’entourage peut alors conduire à un risque de transfert de contamination par simple contact et à un risque d’intoxication par inhalation de vapeurs [12].

C’est pour cela que la décontamination présente un intérêt, car elle met un terme à l’exposition de la victime au toxique et elle évite le transfert de contamination vers les équipes soignantes. Elle est obligatoire avec les toxiques solides ou liquides.

LES DISPOSITIONS PRISES PAR LES POUVOIRS PUBLICS POUR SECOURIR LES VICTIMES

La prise en charge médicale consiste à éviter les risques d’intoxication pour les équipes de secours et de transfert de contamination . Pour cela, les sauveteurs interviennent en tenues de protection, mais ces équipements limitent les gestes réalisables et accroissent la pénibilité.

La circulaire ministérielle 700 a défini sur le terrain trois zones dans lesquelles les actions à mener sont préalablement déterminées [1,13].

— La zone d’exclusion, où les victimes sont dénombrées et où leur état est évalué.

Elles sont extraites du site le plus rapidement possible et placées à l’air libre.

Pendant ce temps, des cellules spécialisées vont identifier le toxique.

— La zone contrôlée, dans laquelle sont installés le Point de rassemblement des victimes (PRV) et les chaînes de décontamination.

— La zone de soutien, où sont déployés les Postes médicaux avancés (PMA).

La protection des intervenants

Le port d’équipements spécifiques constitue une barrière à l’entrée du toxique. Si la teneur en oxygène de l’air respiré est supérieure à 17 % et en l’absence de monoxyde de carbone , des appareils respiratoires filtrants (ARF) protégent les voies respiratoires, la face et les yeux. Des tenues de protection corporelle et des gants en caoutchouc butyle complètent l’équipement des secouristes.

Les ARF possèdent une cartouche de charbon activé à large spectre capable d’arrêter les toxiques industriels comme l’ammoniac et le dioxyde de soufre. Les sapeurs pompiers sont équipés d’appareils respiratoires isolants (ARI) alimentés de façon autonome en air ou en oxygène régénéré pour pénétrer dans la zone d’exclusion.

Les actions menées sur le terrain en présence d’un produit inconnu potentiellement contaminant

Les victimes non valides sont extraites le plus rapidement possible de l’atmosphère contaminée et sont transportées au PRV installé à l’air libre dans la zone contrôlée.

Les personnes valides y sont également regroupées.

La population indemne est maintenue à distance et reçoit des consignes de confinement.

Les cellules spécialisées [laboratoire de la Préfecture de Police, Cellules mobiles d’intervention chimique (CMIC) de la Sécurité civile ou des Services départementaux d’incendies et de secours (SDIS)], procèdent à l’identification du toxique ou de sa famille [14, 15].

Au Point de rassemblement des victimes

Les signes cliniques présentés par les victimes permettent parfois aux médecins d’identifier la famille du toxique. Cependant, cette première approche est à confirmer par les résultats obtenus par la cellule d’identification, en raison des interférences possibles dues aux associations de produits.

Il importe que les personnels de santé intervenant à ce niveau connaissent parfaitement la symptomatologie des principales familles de toxiques éligibles.

En effet, au début d’une intoxication, les symptômes peuvent ne pas être spécifiques.

L’irritation des yeux, des voies respiratoires supérieures et des parties cutanées découvertes peut être due à un agent lacrymogène, sternutatoire, suffocant, NOP ou à un solvant.

Une mydriase peut apparaître lors d’une exposition à un anticholinergique. Un myosis évoque l’emploi d’un NOP sous forme vapeur ou liquide mais dans ce cas l’œil doit avoir été en contact avec le liquide.

Ces symptômes apparaissent plus ou moins rapidement. Ils sont immédiats lors d’une intoxication par les lacrymogènes, les sternutatoires et les NOP.

En revanche, lors d’exposition à l’ypérite, les victimes sont au début asymptomatiques tout en étant contaminées. Elles présentent alors un risque de transfert de contamination particulièrement important.

Lors d’une intoxication par les agents suffocants les symptômes peuvent évoluer de l’irritation locale parfois bénigne, à l’œdème aigu du poumon (OAP) lésionnel si les voies respiratoires profondes sont atteintes. L’OAP peut se compliquer d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). Dans les intoxications sévères un laryngospasme peut survenir et conduire rapidement au décès [16].

Après une exposition aux dérivés cyanés, à l’irritation nasale et laryngée succède une hypoxie tissulaire qui conduit au collapsus cardio-vasculaire, à des troubles neurologiques et à une acidose métabolique caractérisée par une hyperlactacidémie. La victime n’est pas cyanosée. Lorsque l’intoxication est d’origine digestive, les manifestations cliniques apparaissent après un délai de trente minutes [17, 18].

En cas d’intoxication par les NOP, l’inhibition des cholinestérases tissulaires entraîne une accumulation d’acétylcholine au niveau des synapses nerveuses et neuromusculaires, provoquant des troubles neurologiques centraux et périphériques [19].

Si l’intoxication est importante, les signes cliniques se manifestent par une paralysie des centres respiratoires, un blocage des muscles du diaphragme, intercostaux et pharyngiens, et par des sécrétions bronchiques abondantes. Ces différentes perturbations peuvent conduirent rapidement à la mort si un traitement n’est pas immé- diatement entrepris. Celui-ci comprend le maintien de la fonction ventilatoire par désencombrement bronchique et mise sous oxygène des patients, suivi de l’administration répétée de doses de 2 mg de sulfate d’atropine par voie IV ou IM. L’atropine
en agissant sur les récepteurs muscariniques, évite la dépression du centre respiratoire, assure un relâchement de la bronchostriction et diminue les sécrétions. Injectée de façon précoce, elle possède des propriétés antiépileptiques [20].

Afin de réactiver les cholinestérases, des oximes peuvent être administrées. En France, pour l’instant seul le méthylsulfate de pralidoxime (Contrathion®) est utilisable. Des études sont actuellement réalisées en vue de sa substitution par une oxime plus efficace, le HI6.

L’administration précoce de benzodiazépine comme le diazépam évite la souffrance cérébrale et l’apparition de convulsions.

Le traitement d’une intoxication par les insecticides organophosphorés nécessite des doses d’atropine supérieures à celles utilisées pour les intoxications par les NOP.

En outre, des neuropathies se manifestant par des paresthésies et une diminution de la force musculaire peuvent apparaître après quelques semaines.

Au PRV, une décontamination locale des parties découvertes du corps est réalisée à l’aide du gant poudreur. Les victimes valides retirent elles-mêmes leur première couche de vêtements. En effet, un produit non persistant piégé sur les vêtements et les cheveux, est susceptible de générer des vapeurs toxiques lors d’un différentiel de température.

Des cagoules ventilées pour adultes, enfants et nourrissons sont distribuées aux victimes, lesquelles sont alors mises en position d’attente, certaines peuvent si besoin, être placées sous oxygène.

Si le nombre de soignants est suffisant par rapport à celui des victimes en détresse vitale, des actes de réanimation sont alors pratiqués. En effet, des équipes entraînées, vêtues de tenues de protection et portant des gants en caoutchouc butyle de faible épaisseur, peuvent effectuer une intubation orotrachéale, une injection intramusculaire et éventuellement poser une perfusion. Par contre aucun monitorage n’est possible à ce stade [21, 22].

La victime est ensuite transférée dans la chaîne de décontamination en poursuivant la ventilation à l’aide d’un insufflateur manuel.

Au niveau des chaînes de décontamination

Les sapeurs pompiers disposent de chaînes de décontamination qu’ils déploient dans la zone contrôlée. De même, les pouvoirs publics ont doté un certain nombre de centres hospitaliers de modules de décontamination pré-hospitaliers. Ces installations nécessitent un temps de montage d’environ une heure et exigent pour fonctionner du personnel formé et suffisamment nombreux, d’autant qu’une relève des équipes qui travaillent en tenue de protection est à prévoir.

Le débit des modules de décontamination est relativement faible ; pour les personnes valides il est d’environ trente à quarante par heure, pour celles à mobilité réduite, il est divisé par un facteur de 3 à 4.

La décontamination fine est obligatoire pour les victimes exposées à un NOP ou à un agent vésicant comme l’ypérite au soufre, elle doit précéder l’admission dans les services cliniques.

Dans certaines circonstances, notamment lorsque le toxique n’est pas persistant mais seulement dangereux par les vapeurs qu’il dégage, une décontamination de masse est suffisante [12].

L’efficacité de la décontamination de masse repose sur un déshabillage précoce des personnes ayant été exposées, suivi d’une douche qui élimine par entraînement le toxique résiduel ou déposé accidentellement sur la peau lors du déshabillage [23].

Aux postes médicaux avancés (PMA) déployés dans la zone de soutien

Les équipes médicales travaillent sans protection, le risque d’intoxication ou de transfert de contamination étant normalement écarté. Il est alors possible pour les médecins d’ausculter correctement les patients et de définir les priorités de soins avant d’assurer leur évacuation vers l’hôpital.

Dans la plupart des intoxications, le traitement symptomatique est souvent le seul réalisable. Il est essentiellement respiratoire, associant la libération des voies aériennes et une oxygénothérapie. Dans certains cas une intubation et une ventilation contrôlée sont nécessaires. Il a été constaté lors d’une intoxication accidentelle par l’ammoniac, qu’une simple intubation précoce sans ventilation pouvait sauver de nombreuses personnes.

Lors des intoxications par les NOP, si les victimes présentent un bronchospasme associé à un état de mal convulsif, une induction anesthésique par la kétamine à raison de 10 mg/kg est pratiquée avant l’intubation [24].

Pour certains composés comme les dérivés cyanés, les NOP et les insecticides organophosphorés, la lewisite, l’administration d’antidotes doit être poursuivie.

LES AVANCEES THÉRAPEUTIQUES ET LES PISTES À DÉVELOPPER

Les efforts entrepris en matière de formation théorique et pratique des équipes médicales d’urgence face au risque chimique et à la prise en charge des victimes doivent être poursuivis. En effet, tout médecin doit être capable d’assurer la surveillance des blessés chimiques, de définir les priorités de décontamination et de traitement afin d’éviter tout risque de transfert de contamination et d’aggravation de l’état des patients [25].

Malgré les progrès réalisés dans la protection des personnels et la mise en place de matériels de décontamination, des travaux de recherche doivent être encouragés afin d’assurer une protection plus efficace des intervenants et une meilleure prise en charge des victimes pour leur décontamination et leur traitement.

Certaines avancées technologiques ont été réalisées, comme le développement de l’auto-injecteur bicompartiment (AIBC) du service de santé des armées. Ce dispositif permet d’injecter facilement par voie IM à travers les vêtements, à de nombreuses personnes présentant les symptômes d’une intoxication par les neurotoxiques organophosphorés, la trithérapie : sulfate d’atropine, méthylsulfate de pralidoxime et avizafone (prodrogue du diazépam). Ce traitement d’urgence de l’intoxication par les NOP, qui peut être renouvelé quinze minutes plus tard, permet de traiter rapidement un grand nombre de victimes en attendant une prise en charge médicale plus spécifique.

Par ailleurs, l’ingénierie protéique a permis de modifier la structure d’une enzyme bactérienne la phosphotriestérase (PTE), la rendant alors capable de catalyser la détoxification de nombreux composés organophosphorés [26].

De même a été mise en évidence par génie biomoléculaire, la paraoxonase (PON1 : aryldialkylphosphatase), enzyme calcium dépendante, présente dans le plasma humain, qui peut inactiver les NOP et les insecticides organophosphorés [27].

La purification de la paraoxonase a permis également d’identifier une nouvelle protéine plasmatique : l’HPBP ( Human Phosphate Binding Protein). Cette protéine, transporteur de phosphate, stabilise la structure de la paraoxonase. Associée aux lipoprotéines HDL, elle pourrait être un nouveau marqueur du risque cardiovasculaire et être utilisée comme cible thérapeutique dans le traitement de l’athérosclérose [28].

La PTE et la PON1 sont des épurateurs catalytiques qui peuvent sans être inhibés, hydrolyser la liaison phosphoester des composés organophosphorés.

Les applications de ces enzymes sont nombreuses. Greffées sur un support comme une éponge ou une lingette, elles pourraient être utilisées pour décontaminer la peau. Incorporées à des crèmes elles pourraient assurer une protection et éventuellement la décontamination des parties cutanées exposées. Placées dans des liposomes ou PEGylées elles pourraient être utilisées comme moyen prophylactique et de détoxication [26]. Des travaux de recherche doivent être conduits dans ces directions.

Les cyclodextrines substituées, bien que d’une efficacité plus faible que les catalyseurs biologiques, peuvent cependant piéger puis dégrader des neurotoxiques comme le paraoxon et le soman, un NOP particulièrement redoutable. Les études réalisées sur ces catalyseurs biomimétiques ont permis de montrer leur rôle dans la dégradation des neurotoxiques organophosphorés [29].

Une équipe de Singapour a montré qu’en greffant de l’acide ortho-iodosobenzoïque (IBA) dans la cavité hydrophobe des cyclodextrines, et après incorporation de l’ensemble aux nanofibres d’un polymère (PVC), il était possible d’hydrolyser les NOP [30]. L’introduction de telles fibres dans des vêtements assurerait alors la protection de ceux qui les portent.

L’IBA agit comme un anion nucléophile sur l’atome de phosphore des neurotoxiques organophosphorés. En outre, il peut se régénérer facilement et serait également oxydant pour l’ypérite.

CONCLUSION

De nombreux produits chimiques industriels ainsi que les toxiques de guerre peuvent être éligibles à des fins terroristes. Cette menace doit être prise en compte.

La prise en charge des victimes consiste à mettre un terme à leur intoxication et à éviter le transfert de contamination. Pour cette raison, les secouristes et les équipes soignantes interviennent en tenue de protection complète ce qui gêne considérablement les mouvements.

En outre, si un toxique à l’état liquide ou solide a été utilisé, une décontamination fine des personnes exposées est obligatoire.

Selon l’agent utilisé, les symptômes apparaissent plus ou moins rapidement et peuvent être plus ou moins graves. Ils commencent généralement par une irritation suivie de troubles ventilatoires. Pour les victimes en détresse vitale, des gestes de réanimation peuvent être pratiqués par des équipes médicales avant la décontamination. Il importe par conséquent que les soignants connaissent parfaitement les symptômes des principales familles de toxiques et qu’ils soient entraînés à pratiquer ces gestes de survie, notamment d’assistance ventilatoire en tenue de protection.

Quel que soit le toxique utilisé un traitement symptomatique est toujours réalisable.

Les mesures prises par les pouvoirs publics en matière de formation des équipes médicales d’urgence doivent être poursuivies.

Si des moyens de protection, de décontamination et thérapeutiques ont été mis en place au niveau national, des voies de recherche ont également été ouvertes notamment pour la prise en charge des victimes d’une intoxication par les neurotoxiques organophosphorés. Le développement de procédés de dégradation catalytique de ces toxiques doit être envisagé.

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DISCUSSION

M. André-Laurent PARODI

On a l’impression, en écoutant les différents conférenciers, que l’accès malveillant aux armes terroristes NRBC est relativement facile. Or, à travers les nombreux conflits en cours qui donnent lieu à des actions terroristes, fort heureusement, le recours aux NRBC semble inexistant par rapport aux actions mettant en jeux les armes de guerre et les explosifs. Y a-t-il une ou des raisons à cette absence (que l’on ne doit pas regretter) ?

Pour le risque chimique, nous pouvons seulement dire que l’arme chimique n’est pas une arme de destruction massive mais de désorganisation massive. Les militaires engagés dans une opération ont, contrairement à la population civile, des moyens de protection et sont entraînés pour les utiliser. L’objectif est pour eux de poursuivre la mission même en ambiance NRBC. Cependant l’acte terroriste n’est jamais à écarter y compris à l’égard des militaires.

M. Jean-Daniel SRAER

Quels sont les enseignements tirés de l’attentat au gaz sarin à Tokyo ?

Ces enseignements sont nombreux. Ils ont été pris en compte pour l’élaboration du plan « Piratox » et de la circulaire 700. Cette circulaire décrit justement les modalités d’orga-
nisation sur le terrain en cas de terrorisme chimique. L’attentat de Tokyo a fait douze morts et plus de cinq mille intoxiqués. Quatre-vingts pour cent des victimes se sont présentées spontanément dans les services d’accueil des urgences des hôpitaux environnants. Huit cent trente-huit personnes ont été hospitalisées dont dix-sept dans un état critiques cent trente-cinq soignants ont été intoxiqués par les vapeurs du toxique et des solvants dans lesquels il était dilué. Les personnels soignants sont intervenus sur les lieux de l’attentat et dans les différents hôpitaux sans aucune protection, et ils n’ont décontaminé aucune victime. Aucun triage des intoxiqués n’a été réalisé. De plus, le toxique n’a été identifié que plusieurs heures après l’attentat.


* Inspection technique des services pharmaceutiques des armées, 1 place Alphonse Laveran 75320 Paris. Tirés à part : Professeur agrégé Claude RENAUDEAU, même adresse. Article reçu et accepté le 4 juin 2007

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 6, 981-992, séance du 12 juin 2007