Résumé
Le plaisir de la consommation des aliments est souligné par Brillatt-Savarin au XIXème siècle. Indépendamment des bactéries pathogènes, des mauvais goûts dus à une prolifération microbienne ou à des actions enzymatiques peuvent se développer dans les réfrigérateurs à température mal gérée. Il faut distinguer température de conservation et température de consommation de l’aliment. L’ambiance idéale d’un repas se situe à 22° pour une humidité de 60 %. Sur le plan des quatre saveurs principales, sucré et salé sont mieux perçus à 18°, amer-acide à 8°. Toutes ces notions développées précédemment sont appliquées dans les cas de l’analyse sensorielle et des repas.
Summary
The pleasure of food-intake was emphasized by Brillat-Savarin in XIX° century. Beside pathogen bacterias, bad flavours caused by bacterial growth or enzymatic effects may happen in refrigerators with a mismanaged temperature. We have to distinguish between food-conservation and food-intake temperature. The ideal room-temperature to appreciate a meal is about 22° C with a damp of 60 %. Relating to the four main flavours, salt and sweet are at their best at 18°, bitter and sour at 8°. All what is written before can be applied either in the case of sensorial analysis and meal.
De la lecture attentive des livres « du Régime » et « de l’Aliment » d’Hippocrate, il ressort in fine que l’aliment n’est qu’une nécessité pour construire ou entretenir son
corps. De l’appétit, conséquence du phénomène physiologique qu’est la faim, et de sa dimension subjective, le goût, je ne l’ai guère vu en signaler l’importance.
Quant au « Traité de Cuisine d’Apicius » Ier siècle, souvent cité, il s’agit en fait d’un ensemble de recettes dont il décrit la préparation.
Le goût en est-il sucré, salé, amer, acide ?… Quelles sont les températures de consommation souhaitables ?… Ce n’est pas indiqué. Il est vrai qu’à cette époque, la consommation alimentaire était essentiellement à base de bouillies et que les légumes et viandes étaient également bouillis.
Il faut arriver à Brillat-Savarin et à son « Traité de Physlologie du Goût » de 1848 pour reconnaître que manger un aliment goûteux, appétent, est un des plaisirs de la vie et que cette consommation d’aliments obéit à certaines règles qui permettent d’en mieux apprécier les qualités sensorielles.
Par ailleurs, il déclare dans ses « Aphorismes » :
• « Le créateur en obligeant l’homme à manger pour vivre l’y invite par l’appétit et l’en récompense par le plaisir ».
Arrivé à un âge relativement avancé, il continue en déclarant :
• « Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays, et de tous les jours, il peut s’associer à tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte ».
C’est ce que je vous souhaite à tous.
Dans cette séance, nous aborderons :
Sur le plan organoleptique, la température de conservation de l’aliment frais
En particulier son maintien en atmosphère réfrigérée est nécessaire pour éviter des dégradations préjudiciables au goût. Celles-ci peuvent survenir lors d’une conservation à une température insuffisamment basse : viandes à odeur de putréfaction, poissons à odeur ammoniacale, laits tournés à saveur très acide, altérations toutes d’origine microbienne, mais également goûts de rance du beurre, saveur acide du jus d’orange, d’origine enzymatique.
En revanche, l’aliment au moment de sa consommation doit voir sa température varier en fonction des diverses saveurs recherchées
Si l’excès de froid , en particulier l’absorption d’eau glacée (surtout par temps chaud) risque d’engendrer de sérieux désordres intestinaux, l’excès de chaud est tout aussi néfaste de conséquences. Ainsi on voit apparaître des brûlures de la cavité buccale et nous avons en mémoire la relative fréquence des cancers de l’œsophage et de l’estomac chez l’homme japonais qui a l’habitude de manger très chaud tandis que son épouse, prenant son repas ensuite donc à température plus basse, y est moins sujette.
Ajoutons enfin que si la nature de l’aliment, sa température normale de consommation, permettent d’épanouir ses potentialités sensorielles dans les quatre saveurs fondamentales (sucré, salé, amer, acide), il faut savoir que l’ambiance du repas, en outre, reste essentielle, comme nous le redit Brillat-Savarin « On goûte le plaisir de la table dans toute son étendue lorsque les quatre conditions suivantes sont réunies :
chair au moins passable, bon vin, convives aimables, temps suffisant ».
Le froid et l’ambiance alimentaire
L’homme au cours de ses repas est « bombardé » de stimuli provenant aussi bien des boissons que des aliments qu’il consomme.
Tous ses sens sont ainsi mobilisés. Il se trouve dans une position poly-sensorielle mettant en jeu plusieurs régions de son cerveau.
On a observé que les propriétés sensorielles de l’objet « aliments-boissons » étaient différentes selon la température de consommation et que le sujet, c’est-à-dire le goûteur, était lui-même influencé dans ses performances sensorielles par l’effet thermique ambiant.
En agissant sur la température, les caractères sensoriels des boissons et des aliments peuvent ainsi être développés et élargir le champ psychosensoriel du goûteur.
La température va donc permettre de placer le sujet dans des conditions optimales de plaisir alimentaire comme elle va permettre à l’ « objet-aliment » de solliciter un registre émotionnel optimal.
J’ai pu observer que les caractères sensoriels des prises alimentaires étaient mieux perçus dans des locaux à une température de 22° pour une humidité de 60 %.
Si l’humidité est plus importante (pouvant atteindre 100 %) la température optimale dans laquelle doit se dérouler la dégustation est de 18° alors qu’à 40 % d’humidité elle est de 24 °. Ces valeurs étant observées dans des ambiances sans mouvement d’air marqué (ventilation naturelle ou artificielle).
L’utilisation du froid pour maintenir des locaux où les personnes prennent leurs repas à une température correcte, favorisera des prises alimentaires diversifiées et équilibrées.
Le sujet pourra dans de telles situations couvrir ses besoins tout en profitant normalement des sources émotionnelles émanant de son alimentation.
Le point est important car c’est ainsi que la satiété ne sera pas satisfaite uniquement par une impression physique, mais aussi réglée à partir du plaisir ressenti.
On veillera à ce que cet équilibre thermique soit obtenu par des techniques douces, sans effets dus à la circulation de l’air et à l’émission de bruit, sur l’ambiance.
Le froid et les aliments
Les aliments et les boissons vont alerter l’ensemble de nos sens au cours du repas. On a observé, pour certains de leurs constituants, les influences suivantes sur les perceptions (Tableau 1).
TABLEAU 1.
TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE 18° 6°
ALCOOL à 10° 8 6
ACIDE LACTIQUE 2g/1 6 8
ACIDE MALIQUE 2g/1 6 7
ACIDE TARTRIQUE 2g/1 6 7
TANIN 2g/1 5 8
GLYCÉRINE 3g/1 8 5 (Impressions sucrée et tactile) (1) (1) (1) Echelle de perception notée de 1 à 10
Les influences de la température sont donc nettement enregistrées. On peut souligner que, selon les seuils de sensibilité individuels, ils peuvent être plus ou moins décalés.
On a également étudié l’effet thermique pour l’ensemble des stimulations 1. Tout d’abord au niveau des quatre saveurs :
• les stimulations de l’ensemble sucré sont perçues avec moins d’intensité à la température de 8° qu’à 18° ;
• les stimulations de l’ensemble salé sont également perçues avec moins d’intensité à la température de 8° qu’à 18° ;
• les stimulations de l’ensemble amer sont perçues avec plus d’intensité à 8° qu’à 18° ;
• les perceptions de l’ensemble acide sont également plus importantes à basse température.
2. Les stimulations chimiques attachées aux stimulations astringentes, brûlantes, piquantes, métalliques seront également influencées par le froid :
• la note astringente est plus développée à 8° qu’à 18° ;
• la note brûlante à 8° est moins développée qu’à 18° ;
• la note piquante à 8° est plus développée qu’à 18°.
3. Pour ce qui concerne les stimulations olfactives, la perception des stimuli pré- sente moins d’intensité à basse température qu’à température élevée.
4. Quant aux stimulations tactiles, elles offrent une sensation plus dense à basse température qu’à haute température ; ainsi une soupe tiède paraîtra plus épaisse que si elle est servie chaude.
En conséquence, les personnes profitent pleinement des impressions sensorielles proposées lorsque leur aliment ou leur boisson est consommé à température optimale.
Quelques applications
Analyse sensorielle
Dans les ateliers sensoriels la température doit être de 21° fi 1°, ainsi les goûteurs se trouvent dans des conditions d’appréciation performantes. Cette température doit être maintenue pendant toute la durée de l’examen. Pour ce qui concerne les produits goûtés, ils devraient être présentés à leur température optimale d’expression. Il est inadmissible de rencontrer des résultats d’examen sensoriel sans indication de la température de dégustation.
Repas
Les mets et les boissons seront présentés à leur température d’usage. Ce point est important pour l’ensemble des repas familiaux mais cet aspect prendra encore plus d’importance chez les malades dont l’appétit est souvent faible. Cette remarque est valable pour tous les éléments entrant dans l’alimentation depuis les plus simples jusqu’aux plus complexes. La température de l’eau, par exemple, doit être d’environ 5 degrés inférieure à la température ambiante du local où le sujet se trouve. Il en sera de même des fromages, voire des fruits. On devra évidemment tenir compte des seuils de sensibilité thermiques, individuels.
Mais l’absence de rigueur sur des principes aussi simples tend à expliquer le manque d’appétit d’un sujet pour des raisons compliquées alors qu’il ne s’agit que d’un simple état de faits.
CONCLUSION
Tenir compte des stimulations thermiques des aliments comme des conditions ambiantes du repas met en jeu une suite de dispositions qui doivent être parfaitement maîtrisées… Ainsi chacun pourra pleinement profiter de ses aliments aussi bien dans leur aspect nutritionnel que dans leurs effets psychosensoriels.
* Académie d’Agriculture de France, 18 rue de Bellechasse — 75007 Paris, et Président de l’Institut français du goût. ** Correspondant de l’Académie nationale de médecine. Tirés-à-part : Professeur Jacques PUISAIS, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 5 janvier 2001, accepté le 15 janvier 2001.
Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 2, 323-327, séance du 13 février 2001