Autre
Séance du 9 juin 2009

Syndrome métabolique : que peut la nutrition contre les organes « abuseurs et complices » ?

MOTS-CLÉS : développement fœtal. diabète de type 2. epigénétique. foie. intestins.
The metabolic syndrome : can nutrition influence rebellious organs ?
KEY-WORDS : cardiovascular diseases. diabetes mellitus, type 2. epigenesis, genetic. fetal development. intestines. lipids. lipoproteins. liver. obesity

Émile Levy

Résumé

Une constellation de signes cliniques et de perturbations biochimiques constitue le syndrome de résistance à l’insuline, associée étroitement à l’obésité et aux maladies cardiovasculaires (MCV). On y retrouve entre autres l’hyperinsulinémie, l’hypertension, des anomalies du métabolisme glucidique, des perturbations de la fibrinolyse et de la coagulation, la stéatose hépatique non alcoolique et une dyslipidémie caractérisée par une élévation des taux de triglycérides, une diminution du cholestérol porté par les lipoprotéines de haute densité et un nombre accru de particules de lipoprotéines de faible densité petites et denses. En particulier, les données patho-physiologiques mettent en cause le rôle direct de l’hyperlipidémie postprandiale dans la formation des plaques d’athérome. L’alimentation peut avoir une influence importante sur le développement de l’obésité, du diabète de type 2 et des MCV, en interaction avec les facteurs génétiques. Dans cette revue, nous présentons le potentiel des acides gras oméga-3 : à corriger les désordres lipidiques postprandiaux (en réduisant la sécrétion des chylomicrons et en altérant l’expression des gènes impliqués dans le métabolisme intestinal des lipides) ; à mieux contrôler le foie dans son métabolisme lipidique et à diminuer le risque/l’incidence de contracter la stéatose hépatique non alcoolique ; et à favoriser l’environnement fœtal et le terrain génétique, ce qui préviendrait la pathologie vasculaire plus tard dans la vie.

Summary

Insulin resistance, which is closely tied to obesity and cardiovascular disease (CVD), leads to a wide range of clinical and biochemical disorders, including hyperinsulinemia, hypertension, abnormal carbohydrate metabolism, blood coagulation and fibrinolysis, non alcoholic hepatic steatosis and dyslipidemia, the latter being characterized by high triglyceride levels, low high-density lipoprotein cholesterol levels, and an increased number of small dense particles of low-density lipoprotein. Pathophysiological stuidies underscore the direct role of postprandial hyperlipidemia in the formation of atheroma plaque. Diet, interacting with genetic factors, may also have a significant influence on the development of obesity, type 2 diabetes and CVD. In this review, we examine the potential of omega-3 fatty acids : to correct postprandial lipid disorders (by reducing chylomicron secretion and altering the expression of genes involved in intestinal lipid metabolism) ; to control hepatic lipid metabolism and to reduce the risk of non alcoholic hepatic steatosis ; and to provide a genetic substrate and environment during fetal development that will help prevent vascular disorders later in life.

INTRODUCTION

Des avancées scientifiques remarquables ont souligné les répercussions cliniques de l’obésité qui est fréquemment accompagnée de résistance à l’insuline, de diabète de type 2 (DT2), d’hypertension artérielle et de maladies cardiovasculaires (MCV) [1, 2]. Cliniciens et chercheurs ont dévoilé plusieurs sentiers aberrants menant à ces multiples désordres, identifié l’implication de certains gènes, trouvé des avenues thérapeutiques fort prometteuses et même établi des recommandations. Cependant, il semble que l’obésité est de nature complexe non seulement à cause de ses multiples variables biologiques et génétiques, mais également en vue de sa relation étroite avec des caractéristiques socio-économiques, comportementales/psychologiques et culturelles [3].

En fait, il est parfois important de remonter à la période périnatale pour comprendre la causalité de l’obésité et du syndrome métabolique. Selon l’hypothèse de Barker, un environnement intra-utérin délétère pourrait avoir des conséquences vasculaires et métaboliques affectant la santé de l’individu à l’âge adulte [4-6]. Dans ces conditions, le fœtus s’adapterait à la restriction des apports nutritionnels pour sa survie en développant une insulino-résistance. Ainsi en devenant moins sensible à l’insuline, il peut faire face aux carences nutritionnelles, à la malnutrition ou aux anomalies de la circulation fœto-placentaire et ralentir sa croissance qui exige normalement de lourdes dépenses énergétiques. Des modifications permanentes au niveau de plusieurs gènes vont alors entraîner des altérations fonctionnelles persistantes qui favoriseraient le développement ultérieur d’anomalies. Donc une programmation au cours de la vie fœtale peut accroître la vulnérabilité aux conditions environnementales plus tard dans la vie et prédisposer l’organisme à développer des affections chroniques.

 

Dans des situations d’obésité, le foie peut être le siège de surcharges lipidiques.

D’une simple accumulation de graisses, le foie peut évoluer vers une stéatohépatite non alcoolique pouvant être accompagnée d’inflammation, fibrose, cirrhose et même de carcinome hépatocellulaire [7]. Actuellement, on craint que la stéatohépatite devienne la première cause d’hépatopathies chroniques avec la pandémie d’obé- sité et du syndrome métabolique.

Dans cette revue, nous mettons en évidence tout d’abord la relation entre le syndrome métabolique et la perte de l’homéostasie lipidique au niveau de l’intestin et du foie tout en soulignant la contribution de ces organes à l’hyperlipidémie et aux maladies cardiovasculaires. D’autre part, nous rapportons l’effet bénéfique des acides gras oméga-3 sur ces dérangements, incluant la stéatohépatite, et leur rôle régulatoire dans la programmation épigénétique au cours du développement fœtoplacentaire tout en mettant l’emphase sur les effets trans-générationnels.

MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

Études chez l’animal

Dans nos travaux, le « rat du désert »

Psammomys obesus a été employé pour examiner les objectifs mentionnés précédemment. Le

Psammomys obesus vit dans les régions désertiques de l’Afrique du Nord et de la Méditerranée orientale. Il a comme caractéristique première une prédisposition au DT2, mais en captivité, il affiche tous les signes du syndrome métabolique et développe séquentiellement l’obésité, l’insulinorésistance et le DT2 [8]. Dans ces conditions, les concentrations plasmatiques de triglycérides et de cholestérol total sont très élevées et associées à une augmentation des lipoprotéines de très faible (VLDL) et de faible (LDL) densité. Par ailleurs, le foie regorge de lipides (triglycérides et cholestérol), ce qui dénote une franche stéatose. Finalement, des anomalies sont observées au niveau de l’agrégation plaquettaire et de la fonction vasculaire [9, 10]. L’ensemble de nos données valident le Psammomys obesus comme un modèle animal remarquable pour étudier le syndrome métabolique, la stéatohépatite et les désordres cardiovasculaires.

Études chez l’humain

Dans nos essais cliniques, nous avons évalué le rôle de l’intestin dans les désordres dyslipidémiques chez les sujets résistants à l’insuline.

INTESTIN ET PRODUCTION DES LIPIDES/LIPOPROTÉINES

Nous avons exploré les événements intracellulaires qui gouvernent les processus de transport des lipides et l’assemblage des lipoprotéines riches en triglycérides (chylo- microns), véhicules des graisses alimentaires dans l’intestin grêle du

Psammomys obesus . En utilisant des traceurs radioactifs, nous avons pu démontrer une plus grande efficacité intestinale à partir d’animaux insulinorésistants et diabétiques à produire les lipides et l’apolipoprotéine (apo) B-48, et à les assembler sous forme de chylomicrons [11]. Plusieurs des mécanismes sous-jacents ont été mis en évidence, révélant ainsi l’apport de l’intestin aux désordres postprandiaux, à l’hyperlipidémie et à l’athérosclérose [11].

Chez l’humain insulinorésistant, nos récents travaux démontrent une tendance bien semblable à celle des Psammomys obesus , confirmant une récente étude [12]. En outre, les taux exagérés de l’apo B-48 et des lipoprotéines intestinales étaient accompagnés par des marqueurs d’inflammation (protéine C réactive, interleukines pro-inflammatoires et facteurs chimiotactiques) responsables du recrutement des monocytes et lymphocytes T circulants au sous-endothélium vasculaire. Ces observations renforcent notre hypothèse voulant que l’intestin contribue substantiellement aux altérations lipidiques postprandiales, aux événements inflammatoires et à la genèse de l’athérome.

FOIE ET PRODUCTION DES LIPIDES/LIPOPROTÉINES

Des lipides en grandes quantités sont synthétisés par le foie des animaux

Psammomys obesus insulinorésistants et diabétiques et secrétés dans la circulation sous forme de lipoprotéines. Ce sont les acides gras mobilisés par le tissu adipeux qui sont estérifiés par le foie et servent comme précurseurs des VLDL [13]. Le manque de sensibilité à l’insuline déclenche plusieurs mécanismes concomitants responsables de l’intense sécrétion des VLDL hépatiques, ce qui explique partiellement l’hypertriglycéridémie et les risques cardiovasculaires. Parmi ces mécanismes, on retrouve la libération massive des acides gras par le tissu adipeux, la lipogenèse accrue, la disponibilité illimitée de l’apo B-100 et l’activité augmentée des enzymes contrôlant la synthèse des triglycérides et des phospholipides [13].

OMÉGA-3

ET

PRODUCTION

DES

LIPIDES/LIPOPROTÉINES

PAR

L’INTESTIN

Plusieurs études d’intervention ont prouvé l’efficacité de la nutrition dans la pré- vention des complications diabétiques et des MCV. Pour la première fois, nous avons testé l’impact des acides gras oméga-3 sur la synthèse des lipides, la biogenèse de l’apo B-48 et la production des chylomicrons par l’intestin grêle. Deux types de diète riches en acides gras saturés ou en oméga-3 ont été administrés au Psammomys obesus , un modèle animal qui développe, à l’image de l’humain, l’obésité, l’insulinorésistance et le DT2 lorsqu’il est exposé à une abondance nutritionnelle. Ce type d’expériences nous a amenés à conclure quant à l’influence bénéfique des oméga-3.

Fig. 1 Fig. 2 ces acides gras polyinsaturés ont amélioré le poids corporel, l’hyperglycémie, l’hyperinsulinémie et l’hypertriglycéridémie des animaux avec syndrome métabolique [14].

Par la suite, l’apport en oméga-3 a réduit la lipogenèse, l’estérification des lipides et la synthèse de novo de l’apo B-48, réduisant partiellement la surproduction des chylomicrons par l’intestin des animaux avec insulinorésistance et DT2 [14]. En enrichissant la nutrition avec les oméga-3, il est donc possible de freiner le transport des graisses par l’intestin et de modérer sa contribution aux lipides postprandiaux et à l’hyperlipidémie diabétique.

OMÉGA-3, PROGRAMMATION FŒTALE ET STÉATOHÉPATITE

Comme nous l’avons mentionné, la stéatose hépatique non alcoolique représente la forme inflammatoire de la stéatose et peut évoluer vers la fibrose ou la cirrhose. Sa physiopathologie et son évolution vers la cirrhose demeurent encore incompris.

Cependant, de nombreuses études scientifiques suggèrent que le syndrome métabolique joue un rôle crucial dans son développement. En se basant sur l’hypothèse selon laquelle la nutrition in utero influencerait le développement de certaines maladies à l’âge adulte, telles que les anomalies cardiovasculaires, nous avons exploré si une supplémentation en acides gras omega-3 durant la grossesse peut atténuer ou prévenir les anomalies métaboliques et l’apparition de la stéatohépatite à l’âge adulte. Nous avons de nouveau utilisé le Psammomys obesus . Les femelles gestantes ont reçu une diète composée de lipides saturés provenant du lard ou une diète isocalorique riche en huile de poisson, puis les analyses ont été effectuées sur leur progéniture. Nos observations ont pu documenter : une diminution de l’obé- sité ; une réduction de l’hyperlipidémie, de l’hyperglycémie et de l’insulinorésistance ; une baisse du contenu en lipides du foie ; une inflammation moindre reflétée par les niveaux de TNFα. ; et une augmentation des niveaux d’adiponectine chez les animaux ayant reçu une supplémentation en omega-3. D’autres résultats indiquent un abaissement de l’expression génique de la « fatty acid synthase » et de « l’acetyl CoA carboxylase », traduisant une atténuation de la lipogenèse hépatique. Nos résultats suggèrent que la nutrition de la mère avec des omega-3 influence la programmation fœtale de l’insulinorésistance et du DT2. Nos études ont aussi mis l’emphase sur les mécanismes intra-utérins induits par les omega-3, favorisant la protection contre la stéatohépatite et les facteurs de risques cardiovasculaires à l’âge adulte.

CONCLUSION

Nous avons rapporté la ‘‘complicité’’ de l’intestin et du foie à déverser d’abondantes quantités de lipides dans la circulation sanguine, coopérant ainsi à la dyslipidémie diabétique. Des signes précurseurs sont évidents dans les conditions d’obésité et du syndrome métabolique. Plusieurs des mécanismes sous-jacents ont été dévoilés soulignant les aberrations de la machinerie intracellulaire à ces deux organes.

D’autres mécanismes déclencheurs des anomalies mentionnées remontent à l’environnement intra-utérin délétère à l’origine des pathologies de l’adulte. En réponse à un programme épigénétique mis en place, les organes sont façonnés pour aboutir à des altérations homéostasiques menant à des pathologies cardio-métaboliques plus tardivement. Nous avons mis les bénéfices-santé à long terme des acides gras oméga-3 grâce à leurs multiples actions sur l’intestin et le foie, influençant favorablement la stéatohépatite.

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DISCUSSION

M. Georges DAVID

Vous avez rendu hommage, à juste titre, aux travaux de D. Barker mettant en évidence le risque à long terme de survenue d’un syndrome métabolique en cas d’hypotrophie fœtale. Ce risque n’est-il pas encore augmenté lorsque ces enfants présentent un gain de poids excessif dans les premières années de la vie ?

De plus en plus d’enquêtes épidémiologiques, d’études cliniques et de travaux expérimentaux chez l’animal indiquent que le faible poids de naissance et la rapidité de la croissance pondérale durant la petite enfance représentent des déterminants solides de l’obésité, du diabète, de l’hypertension et des affections coronariennes à l’état adulte. C’est surtout la croissance pondérale lors des six premiers mois de la vie, qui constitue la période la plus critique pour le développement de ces troubles chez l’adulte. Les conséquences de ces deux facteurs peuvent probablement être modulées par une modification de l’environnement et de la nutrition durant la grossesse et dans la petite enfance. Une importance capitale doit être particulièrement attribuée à la nutrition fœtale et au mode d’alimentation afin de prévenir les désordres à long terme surtout avec notre connaissance que la probabilité de persistance de l’obésité à l’âge adulte varie entre 20-50 % avant la puberté et 50-70 % après la puberté.

M. Edwin MILGROM

Les effets expérimentaux des Oméga-3 que vous avez montrés sont très impressionnants et quasi ubiquitaires. Y-a-t-il eu des essais thérapeutiques rigoureux chez l’homme et partant sur un nombre suffisant d’individus ?

Actuellement, les acides gras oméga-3 font partie de la classe des « vedettes » alimentaires ayant la capacité de prévenir les maladies cardiovasculaires comme le soulignent de nombreuses études sérieuses. D’abondantes données sont aussi disponibles pour documenter l’importance d’une bonne acquisition des acides gras oméga-3 dans le but d’assurer la croissance fœtale et néonatale, le développement et la fonction neurologiques, ainsi que les capacités d’apprentissage et d’attention. Dans ce contexte, il est approprié de mentionner que la matière grise du cerveau et la rétine sont exceptionnellement enrichies en acide docosahexaénoique (DHA) qui peut dépasser de 25 à 30 % la composition totale des acides gras. Néanmoins, des travaux sont encore requis pour démontrer la relation entre les acides gras oméga-3 chez le nourrisson et le risque d’obésité tardive.

M. Bernard SALLE

Les expériences d’enrichissement en oméga-3 des rates gestantes ont donné naissance à des ratons de poids normal. Qu’en est-il si on réalise des retards de croissance expérimentaux chez les ratons dans le devenir à long terme et en réalisant un enrichissement en oméga-3 des mères ?

Chez le «

Psammomys obesus » , un modèle animal d’obésité, d’insulino-résistance et de diabète de type 2, l’enrichissement des femelles gestantes en acides gras oméga-3 a amélioré le devenir métabolique de la progéniture. Plusieurs variables le démontrent, à ne mentionner que le poids corporel, la glycémie, l’insulino-résistance, la stéatose hépatique et l’hyperlipidémie. Nos données préliminaires révèlent que les mécanismes d’action des acides gras oméga-3 peuvent faire intervenir l’épigénétique. Cependant, nous ne disposons pas d’observations permettant d’entrevoir l’effet de l’enrichissement du lait de mère en acides gras oméga-3 sur des nouveau-nés manipulés expérimentalement afin de causer un retard de croissance. Dans ce cas, les mécanismes d’action doivent être bien différents.

 

* Centre de recherche, CHU Ste-Justine. 3175, chemin de la Côte Ste-Catherine, Montréal (Québec), Canada, H3T 1C5, e-mail : emile.levy@recherche-ste-justine.qc.ca Tirés à part : Professeur Emile Levy, Centre de recherche, CHU Ste-Justine. 3175, chemin de la Côte Ste-Catherine, Montréal (Québec), Canada, H3T 1C5 Article reçu et accepté le 8 juin 2009

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 6, 1271-1279, séance du 9 juin 2009