Rapport
Session of 24 juin 2003

Sur la santé mentale de l’enfant de la maternelle à la fin de l’école élémentaire

MOTS-CLÉS : bilan santé.. développement enfant. éducation sanitaire. enfant. enfant âge préscolaire. parents. santé. santé mentale
Report on the mental health of children from nursery school through elementary school
KEY-WORDS : child development. child preschool. cuild. health. health education. mental health. multiphasic screening.. parents

Maurice Tubiana et Michel ARTHUIS, Michel Arthuis*.

Résumé

La santé physique chez les enfants d’âge scolaire est, dans l’ensemble, correctement suivie et évaluée, néanmoins des progrès pourraient encore être faits. Les bilans obligatoires à 3-4 ans et 5-6 ans devraient être codifiés et leur qualité améliorée et évaluée. Il faut veiller à ce que les médecins qui effectuent ce bilan aient le temps, la qualification et l’instrumentation nécessaires pour les effectuer correctement. Un dossier de santé devrait être établi dès la naissance et être informatisé de façon à faciliter le suivi. Par contre les problèmes que pose le développement psychique sont beaucoup plus graves car le suivi de la santé mentale se heurte à de nombreuses difficultés. On dispose, en France, de peu de données sur le développement psychique des enfants et presque tout est à mettre en place en ce domaine : formation du personnel faisant ces bilans, codification de leur contenu, renforcement du suivi grâce à des liaisons étroites entre PMI et santé scolaire. Les premières années, notamment entre la naissance et trois ans, sont celles qui sont les plus importantes pour le développement intellectuel et affectif de l’enfant. Pendant cette période les parents, les modalités de garde et l’école maternelle ont un rôle crucial et il faudrait que leurs influences respectives soient optimisées et articulées car ce qui se passe pendant cette période a un impact profond et unique sur l’équilibre psychique ultérieur. L’équilibre psychologique du jeune enfant et son bien-être, l’image qu’il a de lui-même, retentiront sur la santé mentale de l’adolescent, et c’est pendant l’adolescence que s’acquièrent les comportements à risque (tabac, alcool, déséquilibres alimentaires, manque d’exercice physique, violences contre les autres et contre soi-même, etc…) qui handicapent la santé de l’adulte. Santé mentale et santé physique sont étroitement liées. L’acquisition des rythmes physiologiques essentiels à la maternelle montre à l’enfant que l’on peut discipliner son corps ce qui développe la confiance en soi. L’éducation à la santé à l’école élémentaire contribue à faire prendre conscience aux enfants, et à la société, de l’influence que chacun a sur sa propre santé et celle de son entourage. En enseignant le respect de son propre organisme elle accroît l’estime de soi et encourage l’effort, elle introduit aussi le respect de celui des autres et constitue de ce fait une introduction à l’éducation à la citoyenneté. Le personnel enseignant peut, dès la maternelle, avoir un rôle majeur dans la détection des troubles sensoriels ainsi que ceux du développement psychomoteur et de la santé mentale, en liaison étroite avec les services de la PMI et de santé scolaire et entre ceux-ci et des médecins qualifiés ainsi que les médecins traitants. Le rapport identifie donc deux objectifs : — Accroître la contribution de l’école au développement psychique de l’enfant et à sa santé physique grâce à l’éducation à la santé qui lui fait prendre conscience de l’influence qu’il peut avoir sur sa croissance et sa santé. — Augmenter la contribution de l’école à la détection des anomalies du développement physique, mental, intellectuel et à la détection des troubles sensoriels et du développement psychomoteur jusque là méconnus. Le rapport examine ensuite les moyens nécessaires : — Les enseignants doivent être au courant des connaissances récentes concernant le développement psychomoteur puis affectif et cognitif de l’enfant. Ils doivent aussi être sensibilisés au repérage des enfants présentant des troubles ou à risque et être préparés à coopérer avec les services de santé scolaire dans cet objectif. Il est donc impératif qu’ils reçoivent la formation nécessaire dans les IUFM et au cours de la formation continue. — Les professionnels de santé et en particulier les médecins généralistes et les pédiatres doivent recevoir une formation mise à jour sur le développement cérébral du bébé et les facteurs qui l’influencent ainsi que sur l’interaction mère/bébé. — Les parents doivent être informés et aidés dans l’exercice de leur responsabilité. Le développement intellectuel de l’enfant est étroitement lié au milieu dans lequel il vit. Si la majorité des parents jouent pleinement leur rôle, ce n’est pas le cas pour tous et un effort particulier doit être effectué dans ces cas. Une coopération étroite entre enseignants et parents est nécessaire tant pour l’éducation à la santé que pour le suivi du développement psychique. La présence de la mère auprès de son enfant jusqu’à l’âge de 6 mois à une grande importance. Les jeunes enfants sont profondément influencés par ce que disent et surtout font les parents. Or ceux-ci sont souvent désemparés, inquiets ou indisponibles ; ils doivent donc être rassurés et conseillés. L’éducation à la parentalité revêt de ce fait dans notre société une importance cruciale. Il faut développer des liens entre enseignants et parents afin d’éviter toute césure ou contradiction entre l’enseignement reçu à l’école et les activités qu’on y pratique et ce qui se passe en dehors d’elle. Un jour sur deux les enfants ne vont pas à l’école. De plus, ils passent, en moyenne, plus de trois heures par jour devant la télévision. L’école, les parents ainsi que la société influent donc sur la santé physique, mentale et sociale de l’enfant et il faut considérer l’ensemble de ces facteurs. Des recherches psychosociales dans ce domaine seraient nécessaires Pour atteindre ces objectifs, il faut des moyens et des structures. Les contrats d’éducatifs locaux et les Comités d’Education à la Santé et Citoyenneté (CESC), à l’intérieur des établissements, peuvent y contribuer. Il faut renforcer les liens entre les établissements scolaires, les autorités territoriales et les municipalités (par exemple pour les activités physiques et éducatives les jours sans école). Etant donné la multiplicité des structures concernées par la santé physique et mentale des enfants, il paraît nécessaire d’avoir au niveau des régions une concertation, une harmonisation et une évaluation. Un comité national devrait définir les grandes lignes d’une stratégie destinée à inspirer les activités régionales et locales. La plupart des mesures de prévention souhaitables ne peuvent pas être appliquées immédiatement à l’ensemble de la population. Certaines d’ailleurs devraient faire l’objet d’expérimentations locales. Il est donc recommandé de développer les enquêtes permettant de cerner les facteurs favorisant l’apparition de troubles du développement psychique et d’évaluer l’efficacité des actions entreprises. Agir pour améliorer la santé mentale des enfants est une tâche difficile et longue qui nécessitera beaucoup d’efforts notamment dans le domaine de la formation, mais sans elle on ne peut pas espérer de baisse de la violence, ni de diminution des comportements à risque, lesquelles conditionnent à terme une amélioration de la santé des Français.

Summary

Although in France the physical health of school-age children is generally well monitored and assessed, more progress could be made. The mandatory medical check-up at 3-4 years and 5-6 years of age should be codified and their quality improved and evaluated. It should be assured that physicians be qualified for these examinations, that they have enough time to carry them out, and be equipped properly. A computerized health file should be established at birth to facilitate follow-up. Problems posed by psychological development are more difficult because mental health follow-up faces many difficulties. Few data are available on the psychological development of children in France. The early years, notably between birth and 3, are the most important for the intellectual and emotional development of the child. During this period parents, various forms of childcare, and nursery schools have a crucial role and their respective influences must be optimized and articulated since what happens at this time will have a unique and great impact on future mental stability. The psychological health and sense of well being of the young child, his or her self-image will later affect mental health in the adolescent years. It is during adolescence that risk behavior is acquired (smoking, alcohol, eating disorders, lack of physical exercise, self-inflicted violence and violence to others, etc.) which in turn undermines adult health. Mental and physical health are closely linked during childhood. The acquisition of essential physiological rhythms at an early age demonstrate to children that they can have control over their bodies, which helps develop their self confidence. Health education at school contributes to making children and society aware of the influence that each individual can have on his or her own health and on others. Children’s self-esteem is enhanced when they are taught to respect their bodies and this encourages effort as well as the respect for others, which is an introduction to the concept of good citizenship. Starting in nursery school, teachers play an important role in the detection of sensorial difficulties and mental health problems by working closely with school doctors and public health services. The report identifies two objectives : — Increase the contribution of schools to the psychological and physical development of children through health education at school, which makes children aware of the influence they have on their own growth and health. — Improve the contribution of schools in the detection of anomalies, whether they be physical, mental, intellectual, as well as the detection of sensorial and psychomotor development problems. The report then examines what means are necessary for teachers and especially parents who must be informed and helped in the exercise of their responsibilities. The intellectual development of the child is closely linked to the environment in which he or she lives. The majority of parents fulfill their role, but some do not and more effort must be made to help in such cases. Close cooperation between teachers and parents is necessary for health education and the monitoring of psychological development. Young children are greatly influenced by what their parents do and say, and the latter are often overwhelmed, worried or unavailable. Therefore parents must be reassured and counseled, which is why the acquisition of parenting skills has become of foremost importance in our society. Most desirable prevention measures cannot be immediately applied to the population as a whole. Some measures would benefit from being tested at a local level. It is therefore recommended that surveys be developed which could identify the factors linked to problems of psychological development and evaluate the effectiveness of actions undertaken. The improvement of children’s mental health is a long and difficult task that will require much effort, especially in the field of training. But without this effort, there is little hope of seeing a reduction in violence, nor a decrease in risk behavior, both of which, in the long term, will affect public health in France.

Proposals 1 The physical health of children between the ages of 0 to 12 is generally satisfactory, but protocols of systematic examinations should be codified. The psychomotor, emotional and intellectual development of each child should be evaluated during these examinations. Children’s health reports should be a result of expertise and follow-up must be improved. The examination at 3 years of age is particularly important since it is at this age that an early detection of learning difficulties can be made. The health file created at birth should be accessible to physicians monitoring the child’s development (under confidentiality) and should be computerized.

2 Nursery and elementary schools are the ideal places for detecting anomalies in mental development, because of the close collaboration between teachers and school health services. Teachers must be made aware of their role and prepared for it.

3 Health education at school is imperative for public health. It must be institutionalized and its regular evaluation is indispensable in order to generalize initiatives with good results.

4 Physicians and other health practitioners should receive theoretical and practical training in the field of psychomotor and intellectual development of children, especially school doctors and pediatricians.

5 Parents must be helped and informed.

Parenting skills should be taught from the beginning of pregnancy and continued thereafter. Parents must be helped to assume their role, notably by giving children a feeling of security and self-esteem which is necessary for children to adapt to the demands of life in society. During pregnancy, mothers and couples should be identified who may have more difficulty facing their responsibilities, for personal or social reasons. A special effort must be made in these cases.

Parental leave, when possible until the age of 2, should be promoted. When this is not possible, systems of childcare should be evaluated and improved by training care providers. It is recommended that work hours of parents with very young children should be made more flexible.

Children between the ages of 2 and 4, especially those from underprivileged backgrounds, should have access to establishments that will stimulate their intellectual development.

Specific locations should be made available to parents in need of help or counseling.

They should also enable to deepen ties between parents and teachers. Nursery schools are a natural place for parents to receive counseling to improve their parenting skills.

6 Structures devoted to the monitoring of children’s health should be rationalized and simplified. Those, which exist in municipalities, departments, and regions, should be harmonized.

PROPOSITIONS

La santé physique est, chez l’enfant de 0 à 12 ans, dans l’ensemble satisfaisante mais il faudrait que les protocoles des examens systématiques soient codifiés et évalués et que des liaisons plus étroites entre PMI et santé scolaire permettent une amélioration du suivi. Le développement psychomoteur, affectif et intellectuel des enfants doit être, à l’occasion de ces bilans, évalué avec soin car le système actuel est déficient à cet égard. Le contenu des bilans de santé chez l’enfant doit faire l’objet d’expertises et le suivi être amélioré. Le bilan à 3 ans est particulièrement important car c’est un âge clé pour dépister précocement les troubles du comportement et des apprentissages.

Le dossier constitué dès la naissance ne doit pas être détruit à six ans et doit rester accessible aux médecins concernés par le développement de l’enfant (sous couvert du secret médical). Il doit être informatisé.

— La maternelle et l’école élémentaire sont des lieux propices à la détection des anomalies du développement psychique, grâce en particulier à une étroite collaboration entre enseignants et services de santé scolaire.

Les enseignants doivent être sensibilisés et préparés à ces tâches. Une formation spécifique doit donc être donnée aux enseignants sur le développement psychique des enfants et leurs besoins affectifs. Les services de santé scolaire doivent collaborer quand ceci est utile avec des experts qualifiés. Une liaison avec les parents est indispensable.

L’éducation à la santé à l’école est un impératif de santé publique. Elle doit être institutionnalisée, faire l’objet d’un programme et d’évaluations, tout en laissant une large initiative aux rectorats et aux chefs d’établissement. Une évaluation régulière est indispensable de façon à pouvoir généraliser les initiatives ayant donné de bons résultats.

Des outils pédagogiques doivent être disponibles.

Il faut donc que les enseignants acquièrent des connaissances sur la santé publique en France et les actions qui peuvent être entreprises pour l’améliorer.

— Une formation théorique et pratique sur le développement psychomoteur et intellectuel de l’enfant doit être donnée à tous les médecins et aux autres membres des professions de santé (prévoir l’existence de stages en PMI ou médecine scolaire). Elle doit être approfondie chez les médecins scolaires et les pédiatres.

Il faut aider les parents et les informer .

L’éducation parentale devrait être systématique dès le début de la grossesse et être poursuivie ensuite. Cette préparation à la parentalité, que l’évolution de la société rend indispensable, a été trop souvent négligée en France. Il faut aider les parents à assumer leur rôle, notamment en donnant à l’enfant un sentiment de sécurité et d’estime de soi qui est nécessaire pour que l’enfant puisse s’adapter aux exigences de la vie en société. Au cours de la grossesse, il faut détecter les mères et les couples qui, pour des raisons personnelles ou sociales, sont peu préparés à affronter leurs responsabilités et faire, pour eux un effort particulier.

Il faut inciter les mères à rester auprès de leur enfant jusqu’à l’âge de 6 mois et à les allaiter pendant cette période.

La notion de congé parental, quand ceci est possible jusqu’à 2 ans, devrait être promue. Pour les parents chez qui cela est impossible, il faut améliorer et évaluer le système de garde, notamment en développant la formation des personnes assurant celle-ci. Il faut recommander l’aménagement des horaires de travail pour les parents de très jeunes enfants.

Entre 2 et 4 ans l’enfant, particulièrement dans les milieux défavorisés, devrait avoir accès à un établissement favorisant son développement intellectuel.

Des lieux spécifiques doivent être consacrés à l’aide et au conseil des parents.

Ils devraient aussi permettre d’approfondir les liens entre parents et enseignants. L’école maternelle devrait être un lieu de formation privilégié et naturel pour la formation à la parentalité.

Les structures permettant la surveillance de la santé de l’enfant doivent être rationalisées et simplifiées. Celles qui existent à l’échelle municipale, départementale et régionale doivent être harmonisées. Les contrats éducatifs locaux doivent être évalués et éventuellement encouragés. Il faudrait créer, à l’échelle de la région, une structure assurant la cohé- rence du système et sa supervision et réunissant toutes les structures concernées. Elle pourrait être localisée au sein des Agences régionales de santé. Une structure nationale devrait harmoniser leur fonctionnement et inspirer une stratégie nationale, notamment dans le domaine de la recherche.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 24 juin 2003, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.

Le rapport, dans son intégralité, peut être consulté sur le site www.academie-medecine.fr

* Membres des groupes de travail : M. Arthuis, J. Battin, P. Bégué, G. Blancher, D. Bontoux, C. Dreux, G. Dubois, D.J. Duché, C.P. Guidicelli, B. Hillemand, Ph. Jeammet, F. Legent, D. Marcelli, G. Nicolas, R. Nordmann, P. Parquet, M.O. Réthoré, B. Salle, H. SanchoGarnier, J. Sénécal, M. Tubiana, J.D. Vincent. ** Composition du groupe de rédaction : M. Tubiana, M. Arthuis, Ph. Jeammet, D. Marcelli, P. Parquet, J. Sénécal. *** Personnalités consultées oralement : M. Bossi, M. Brodin, M. Cheymol, J. Etiemble, A. Morgon, S. Nguyen The Tich, C. Paclot, M.C. Romano, A. Tursz. Personnalité consultée par écrit : J.C. Azorin.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 6, 1175-1182, séance du 24 juin 2003