« L’échinococcose alvéolaire : une zoonose négligée en pleine évolution »
Introduction, Georges MANTION (Membre de l’Académie nationale de médecine)
L’échinococcose alvéolaire est une zoonose négligée qui est comparée chez l’homme à un « cancer » parasitaire d’évolution lente, mortelle, avec une destruction du foie et des métastases possibles. L’hôte habituel du ténia adulte Echinococcus multilocularis est le renard, hébergeant dans son intestin le vers et libérant dans ses fèces de nombreux œufs résistants qui peuvent être ingérés par des rongeurs des champs, les campagnols. Celui-ci développe dans son foie une larve kystique multivésiculaire, qui dévorée par un renard se transformera dans son intestin en ténia adulte. L’homme se contamine en ingérant des œufs souillant des baies sauvages ou des légumes, ou chasseur, en manipulant un renard mort. La larve chez l’homme se développe lentement dans le foie en plusieurs années. L’échinococcose alvéolaire en France est observée dans 0,1 à 1 pour 100 000 habitants, environ 40 nouveaux cas par an (dans le nord-est de la Chine 1 cas pour 100). La localisation hépatique est présente dans 70% des cas mais des extensions régionales vasculaires, biliaire, péritonéale sont fréquentes. Le traitement médical par l’albendazole au long cours et, lorsqu’elle est possible, l’exérèse chirurgicale ont considérablement amélioré le pronostic dans les 20 dernières années.
Communications
L’échinococcose alvéolaire, une zoonose en expansion, Benoît COMBES (Directeur de l’Entente de Lutte Interdépartementale contre les zoonoses, Malzeville/Nancy)
L’Entente de Lutte et d’Intervention contre les Zoonoses, après son implication efficace dans le contrôle des renards pour éliminer la rage en France, s’est intéressée à l’échinococcose alvéolaire et à l’infection des renards par ce ténia. Les chiens et chats qui sont aussi des hôtes possibles, mais dont le rôle épidémiologique n’est pas bien établi, n’ont pas été étudiés. Les renards contaminés et les cas humains d’échinococcose alvéolaire sont connus depuis de nombreuses années dans l’est de la France dans une dizaine de départements entre la Franche-Comté et la Lorraine, ainsi qu’en Savoie et dans le Cantal. L’objectif était d’identifier dans des départements où cette recherche n’avait pas été faite à grande échelle le taux de renards parasités et de pratiquer deux études à 10 ans d’intervalle pour évaluer l’évolution de la contamination. Dans l’intestin des renards collectés les vers adultes d’E. multilocularis sont isolés par une technique sensible, puis l’espèce confirmée au Laboratoire National de Référence de l’ANSES Nancy. La première étude 2006-2010 porte sur 42 départements et 3 307 renards ont été collectés. La deuxième étude 2016-2018 porte sur 24 départements communs à la première étude, et 1 834 renards. Dans la zone d’endémie historique la prévalence globale était de 41%. Dans 25 département supplémentaires, des renards infectés sont identifiés, plus à l’ouest, avec des prévalences pouvant atteindre 14% dans le Calvados. En Île de France l’échantillon de renards est faible, mais dans l’Essonne et en Seine-Saint Denis des infections sont identifiées dans des parcs publics. Pour la seconde étude on observe une prévalence générale significativement plus élevée que celle de la première phase (22,9% vs 17,3%), la découverte d’une infection dans le Pas de Calais : 5,2% ; la confirmation des infections dans l’Essonne : 7 renards sur 9 ; des infections inattendues dans les vignobles de Bourgogne ou les grandes plaines céréalières de Brie ou du Nord, pauvres en prairies nécessaires aux campagnols.
Au total, on constate une extension géographique qui s’effectue depuis la zone d’endémie historique vers les départements voisins comme ceux de la Région Hauts-de-France, l’Aube, l’Ain ou encore la Savoie. Dans le périmètre de l’Île-de-France, autour de Paris, des conditions favorables à l’exposition humaine représentent un risque nouveau. C’est déjà le cas dans d’autres territoires fortement urbanisés en Suisse ou en Allemagne.
L’échinococcose alvéolaire au XXIe siècle : une maladie infectieuse opportuniste ? Dominique A. VUITTON (Professeur Émérite d’Immunologie Clinique – Membre Correspondant de l’Académie nationale de médecine )
Chez des patients ayant une échinococcose alvéolaire (EA) purement hépatique et ayant bénéficié avant 2010 d’une transplantation du foie, l’apparition de lésions dans le greffon ou une progression rapide de lésions résiduelles avait confirmé le rôle de l’immunodépression sur un parasite qui devient opportuniste. Les pathologies les plus fréquemment associées à ces EA sont les cancers viscéraux et hémopathies malignes (47,6 % des patients immunodéprimés sous chimiothérapie lourde), puis les maladies inflammatoires chroniques (33,3%) dont des polyarthrites rhumatoïdes sous méthotrexate ; 6 cas sont des transplantés et deux cas des patients atteints de sida.
L’augmentation des cas observés dans la première décennie du 21ème siècle n’est pas un fait passager : de juillet 2012 à juillet 2018, le pourcentage de cas d’EA chez des patients immunodéprimés s’est stabilisé entre 16 et 21% du total des patients atteints d’EA (moyenne : 19,4% ; données Registre FrancEchino; ce pourcentage est similaire à celui observé dans la période 2002-2012 du Registre (18%). C’est parfois une découverte fortuite lors du suivi de la pathologie sous-jacente. Les formes aiguës se manifestent par de la fièvre avec tableau d’abcès, et sont sources d’errance diagnostique : l’imagerie est trompeuse, pseudo-abcès, pseudo-angiome, lésions jeunes micro vésiculaires, envahissantes, atypiques. La sérologie spécifique, habituellement très performante, est souvent négative. Une biopsie à l’aiguille est parfois nécessaire pour affirmer le diagnostic. La stratégie thérapeutique de l’EA est la suivante: résection hépatique complète des lésions si elle est possible associée, si la maladie sous-jacente le permet, à l’albendazole, et traitement à vie par albendazole chez les patients inopérables; dans ce dernier cas, l’amélioration peut être spectaculaire, le médicament agissant vite sur des kystes jeunes, mais les effets secondaires (toxicité hépatique et/ou hématologique) semblent plus fréquents.
De la transplantation hépatique par allogreffe à l’auto transplantation après résection « ex vivo » : des approches agressives curatives des formes avancées d’échinococcose alvéolaire, Georges MANTION au nom de Hao WEN (Professeur de chirurgie hépato-biliaire, Xinjiang Medical University, Urumqi, China, Directeur du Centre collaborateur OMS pour le traitement et la prévention des échinococcoses humaines)
L’auteur travaille à l’université médicale du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, une région peuplée par 25 millions d’habitants, où l’on compte environ 1800 cas d’échinococcose alvéolaire par an et 100 000 patients enregistrés entre 1957 et 2017.
La résection complète des lésions, associée à un traitement par albendazole pendant deux ans, a représenté le traitement le plus efficace de l’échinococcose alvéolaire hépatique (EAH), avec cependant 30% de récidive. Mais un petit nombre de patients ne peuvent bénéficier d’une hépatectomie partielle du fait de l’infiltration extensive des lésions hépatiques d’EAH en sorte qu’un traitement par albendazole seul ou avec allotransplantation doit être envisagé. Bien que la transplantation soit considérée comme une option légitime pour des cas aussi avancés, la pénurie de donneurs d’organes, la nécessité d’un traitement immunosuppresseur post-opératoire à vie et une possible récidive due aux effets secondaires des traitements anti-rejet, ont motivé la recherche par les chirurgiens d’une modalité alternative. C’est dans cette optique que la résection « ex vivo » des lésions hépatiques suivie par l’auto-transplantation du foie résiduel sain (ELRA) a été entreprise pour la première fois chez un patient avec une EAH au stade terminal par les auteurs en 2011 et réalisée à ce jour chez 94 patients avec des résultats cliniques prometteurs. Les données actuellement disponibles chez les 69 premiers patients, confirment que la résection « ex vivo » suivie d’auto-transplantation pour les lésions d’EAH au stade terminal est une option émergente en cas de lésions non résécables par chirurgie classique avec une mortalité de 7% à 30 jours, globale de 11,5%, et une survie sans récidive de 100 %. La sélection minutieuse des patients, l’évaluation précise du volume et de la qualité du foie restant sont les clés de la réussite du geste chirurgical. Cette intervention est complexe, longue et impose des équipes très entrainées. Des cohortes complémentaires avec un nombre plus élevé de patients et un suivi à plus long terme devraient confirmer ces résultats.
Conclusions, Yves CHAPUIS (Membre de l’Académie nationale de médecine)
Yves Chapuis félicite les intervenants de cette séance qu’il a trouvé riche et complexe. Il se souvient de la capture en 2008 d’un renard qui avait été trouvé dans les sous-sol de l’Académie, mais dont l’infection par l’échinocoque n’avait pas pu être recherchée !
Il rappelle que la prévention de l’échinococcose alvéolaire humaine doit comporter
-le traitement des renards grâce à des appâts imprégnés de praziquantel,
-la défense de manger de baies sauvages,
-l’évitement de tout contact avec un renard mort,
-la pratique, dans les zones à haut risque, d’une échographie abdominale tous les trois ans.