Paradigme et paradoxe de la coopération en « santé mondiale » : de la pandémie de sida à l’épidémie d’Ebola en Afrique subsaharienne, par Dominique Kerouedan, Fondatrice et conseillère scientifique de la spécialisation « Global Health » de la « Paris School of International Affairs » de Sciences Po ; Titulaire de la Chaire Savoirs contre Pauvreté, Géopolitique de la santé mondiale, 2012-2013.
L’expression « santé mondiale » a des sources historiques précises, à l’origine du paradigme de la coopération sanitaire internationale en vigueur depuis plus de 20 ans. Dans le sillage de la pandémie du sida, notamment en Afrique subsaharienne dans le milieu des années 1990, l’ONU adopta en 2001 une Résolution appelant à la création d’un « Fonds VIH/sida et santé ». C’est ainsi que fut établi en 2002 le Fonds mondial de lutte contre trois maladies : le sida, la tuberculose et le paludisme. Pendant plus de vingt ans, les acteurs de l’aide internationale, dont la France, ont privilégié, en Afrique de l’Ouest, le financement du contrôle de ces trois maladies. Paradoxe de ce paradigme de la coopération en « santé mondiale », ce soutien financier, majeur mais très ciblé, issu de partenariats publics-privés (dits « philanthropiques ») mondiaux, s’est fait aux dépens du renforcement des systèmes de santé dans leur ensemble. Dans un contexte de pénurie de soignants et de faiblesse de la surveillance épidémiologique, une épidémie à virus Ebola émergea en 2014 en Afrique de l’Ouest (Guinée, puis Sierra Leone et Libéria). Cette épidémie peut ainsi être interprétée comme la conséquence paradoxale d’une forme d’aide financière qui a indirectement facilité l’émergence et la propagation d’autres pathologies infectieuses. À la lumière de cette analyse, il paraît essentiel de proposer un réajustement des priorités de l’aide internationale dans le champ de la santé et du développement et, pour la France, de réintroduire des programmes d’aides bilatérales en santé avec les pays francophones.