Published 28 October 2025

Les séances de l’Académie*

*Résumés rédigés par Catherine Adamsbaum, Bernard Bauduceau, Nathalie Cartier Lacave, Jacques Delarue, Jacques Hubert, Jean-Pierre Richer

Mardi du 28 octobre 2025

Séance dédiée : « Les vieux médicaments en cardiologie revisités »

Organisation : Michel KOMAJDA et Gilles BOUVENOT

 

 

Le traitement bêtabloqueur à vie après infarctus du myocarde est-il justifié ?

Philippe LECHAT (Université Paris-cité, France ; Membre de l’ANM)

 Depuis sa mise à disposition en 1970, le traitement par bêta-bloquant a constitué un progrès majeur dans la prise en charge de la maladie coronaire, en particulier au cours de l’infarctus du myocarde en raison de son effet sur l’ischémie et les troubles du rythme. Ce sont ses actions de réduction de la fréquence cardiaque (effet chronotrope négatif) et de la force des contractions cardiaques (effet inotrope négatif) qui sont à l’origine de l’effet anti-ischémique des bêta-bloquants. Ces médicaments sont toujours utilisés dans le traitement de l’insuffisance coronaire chronique (angor stable), mais leurs indications se sont étendues vers l’hypertension artérielle et l’insuffisance cardiaque chronique.

Cependant, depuis ces dernières décennies de nombreux progrès ont été enregistrés à la phase aiguë et dans les suites de l’accident coronarien.

C’est ainsi que les techniques de reperfusion en urgence comme la thrombolyse et l’angioplastie ont constitué des progrès majeurs de la prise en charge de l’infarctus du myocarde. En prévention secondaire, les apports des nouvelles classes de médicaments ont également été déterminants.  Les anti-agrégants, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les statines ont largement contribué à l’amélioration du pronostic de la maladie coronaire. Dans ce contexte, la place des bêta-bloquants lors d’un infarctus du myocarde ou dans le cadre de la prévention secondaire a été remis en question et a fait l’objet de nombreuses études cliniques.

Toutefois, le traitement par bêta-bloquant à la phase aiguë d’un infarctus du myocarde demeure préconisé par voie intra-veineuse en raison de son effet anti-ischémique et anti-arythmique. Les plus récentes recommandations de la société européenne de cardiologie restent ainsi favorables à l’administration d’un bêta-bloquant à la phase aiguë d’un infarctus du myocarde chez les patients candidats à une angioplastie coronaire, ne présentant pas de symptômes d’insuffisance cardiaque, chez lesquels la pression artérielle systolique est supérieure à 120 mmHg et en dehors des contre-indications.

En prévention secondaire, les études récentes ont confirmé le bénéfice du traitement bêta-bloquant sur le pronostic (mortalité et événements cardiovasculaires majeurs) chez les patients présentant une altération de la fonction ventriculaire gauche (fraction d’éjection <40%). En revanche, des résultats divergents ont été retrouvés chez les malades avec fraction d’éjection ventriculaire gauche >40%. Le bénéfice du traitement bêta-bloquant ne serait conservé que chez les patients présentant une fraction d’éjection comprise entre 40 et 50%. Cette amélioration, quand elle est observée, reste modeste n’entraînant qu’une réduction de 15 à 20% des événements cardiovasculaires.

En définitive, cette ancienne classe médicamenteuse qui a rendu beaucoup de service ne doit pas être mise au rebus mais les indications doivent prendre en compte les nouvelles études.

 

Reste-t-il une place pour les digitaliques dans le traitement de l’insuffisance cardiaque ?

Damien LOGEART (Université Paris Cité ; Assistance publique des Hôpitaux de Paris, Hôpital Lariboisière)

 

Les digitaliques sont des substances d’origine végétale déjà utilisées au Moyen Age dans le traitement de « l’hydropisie ». Ces médicaments sont les plus anciens destinés au traitement de l’insuffisance cardiaque mais leur place a été remise en question en raison des progrès de la pharmacopée.

Les digitaliques inhibent les échangeurs sodium/potassium-ATPase avec pour conséquence un effet inotrope positif. Ils potentialisent également le tonus parasympathique par une action vagale centrale ce qui induit une réduction de la fréquence cardiaque et de la conduction auriculo-ventriculaire. Cet effet rend compte de leur indication encore actuelle dans le contrôle de la fréquence cardiaque lors de la fibrillation auriculaire.

En revanche, leur intérêt dans le traitement de l’insuffisance cardiaque à Fraction d’éjection réduite (FEVG) a été remis en cause et a été évaluée dans deux essais randomisés contrôlés contre placebo.

L’essai DIG (6 800 patients, FEVG ≤45%) publié à la fin des années 1990 n’a pas montré de bénéfice de la digoxine sur la mortalité mais a conclu à son efficacité sur les hospitalisations qui étaient réduites de 18%.

Plus récemment, l’essai DIGIT-HF (1 212 patients, FEVG ≤40% et NYHA 3-4 ou FEVG ≤30% et NYHA2) a montré que la digitoxine qui n’est pas commercialisée en France, mais non la digoxine, en sus de la quadrithérapie recommandée, réduisait significativement de 18% le critère composite principal : décès ou première hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Cette observation résultait de la baisse des hospitalisations mais n’avait pas d’effet sur la mortalité.

A côté de ce bénéfice statistiquement significatif mais relativement modeste, l’utilisation des digitaliques est rendue difficile par une marge thérapeutique étroite (digoxinémie cible : 0,5-0,9 ng/mL) avec un risque d’effets indésirables cardiaques graves en cas de digoxinémie > 1,2 ng/mL mais aussi des conséquences digestives, neurologiques et visuelles.

Les facteurs augmentant le risque de toxicité comportent l’insuffisance rénale, l’hypokaliémie, l’hypomagnésémie, l’hypercalcémie, l’âge avancé, et certaines interactions médicamenteuses comme notamment l’amiodarone, la flécaïne, la propafénone, la dronadérone, la quinidine, et le vérapamil.

Les sociétés savantes européennes (2021) et nord-américaines (2022) considèrent que la digoxine pouvait être envisagée dans l’insuffisance cardiaque à FEVG réduite, en rythme sinusal, symptomatique malgré un traitement optimisé afin de réduire les hospitalisations. Toutefois, ces recommandations ont été rédigées avant la publication de DIGIT-HF si bien que la place de la digitoxine n’est pas mentionnée.

Enfin, la digoxine reste indiquée dans le contrôle de la fréquence cardiaque des patients en fibrillation atriale permanente notamment en cas d’insuffisance cardiaque.

 

 

Nouvelles indications de la colchicine dans le traitement des maladies cardiovasculaires

François ROUBILLE (PhyMedExp, Inserm, CNRS, Cardiology Department, INI-CRT, CHU de Montpellier)

 

La colchicine est l’un des plus vieux médicaments qui soit toujours utilisé en pratique clinique. Son principe actif est issu de plantes du genre Colchicum. Ce médicament a été initialement utilisé pour ses propriétés anti-inflammatoires tout particulièrement au cours de la goutte mais ses indications se sont maintenant étendues aux maladies cardiovasculaires.

Cette molécule réduit l’activité de plusieurs voies inflammatoires, diminue la fonction et la migration des neutrophiles et inhibe l’inflammasome NLRP-3 en réduisant l’interleukine-1β.

Des études précliniques ont montré que la colchicine avait un effet anti-athérosclérotique en diminuant les activités migratoires et prolifératives des cellules musculaires lisses au sein des plaques athéroscléreuses grâce à ses propriétés anti-inflammatoires.

Cette molécule réduit également les complications thrombotiques aiguës conduisant à l’infarctus du myocarde par rupture de plaque qui sont largement médiées par l’inflammation.

En clinique, l’étude LoDoCo (Low Dose Colchicine for Secondary Prevention of Cardiovascular Disease) a été menée 532 patients répartis pour recevoir soit de la colchicine à raison de 0,5 mg deux fois par jour, soit un placebo. Les résultats ont montré sous colchicine une réduction significative des syndromes coronaires aigus et des AVC ischémiques chez des patients en prévention secondaire.

Ces résultats ont été confirmés chez les patients coronariens chroniques, à travers l’étude LoDoCo2 (Low Dose Colchicine 2), menée chez 5 522 patients atteints de coronaropathie chronique stable randomisés pour recevoir soit 0,5 mg de colchicine par jour soit un placebo. L’étude montre une réduction de 31% à 29 mois du nombre des événements graves en comparaison du groupe placebo.

L’étude COLCOT (COLchicine Cardiovascular Outcomes Trial) a été le 1er essai international portant chez les patients ayant présenté un infarctus du myocarde avec une réduction de 23% des événements cardiovasculaires composites après un infarctus du myocarde. Des méta-analyses confirment cette tendance, avec une réduction de 25% des MACEs (événements cardiovasculaires majeurs). Ces résultats paraissent particulièrement intéressants dans le groupe des personnes diabétiques avec une réduction de 35% du critère composite ce qui incite à mettre en place une étude consacrée au diabète en prévention primaire (COLCOT-T2D).

En revanche, l’étude CLEAR n’a pas confirmé ces résultats mais elle présentait des limites importantes comme une mauvaise tolérance digestive et des interruptions de traitement.

En définitive, les recommandations ESC 2024 attribuent à la colchicine (0,5 mg/jour) un niveau de preuve IIa dans le syndrome coronaire chronique pour réduire les événements cardiovasculaires. La colchicine est peu couteuse et bien tolérée en dehors d’effets secondaires gastro-intestinaux mineurs ce qui constitue des avantages supplémentaires.

 

 

 

Quelle place reste-t-il pour les antivitamines K ?

Bernard IUNG (Hôpital Bichat Claude Bernard APHP ; Président de la Société Française de Cardiologie)

 

Les antivitamines K (AVK) ont constitué le traitement anticoagulant de référence depuis les années 50. Ces médicaments efficaces ont rendu beaucoup de services mais ils présentent pour inconvénient une variabilité de leur efficacité et la nécessité d’effectuer des contrôles mensuels de l’International Normalized Ratio (INR).

Depuis 2010, la mise à disposition des anticoagulants directs (AOD) qui inhibent un seul facteur de la coagulation : la thrombine ou facteur II pour le dabigatran et le facteur X pour le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban, ce dernier n’est pas commercialisé en France. Cette classe médicamenteuse a réduit à 10% la prescription des AVK en raison de l’absence de nécessité des contrôles sanguins ainsi que d’une efficacité et d’une sécurité au moins équivalentes à celle des AVK dans la plupart des indications d’anticoagulation au long cours.

C’est ainsi que les AOD sont aujourd’hui indiqués dans la maladie thromboembolique veineuse depuis les résultats concordants de six essais randomisés de phase III ayant comparé les différents AOD avec les AVK sur un total de 27 023 patients avec une thrombose veineuse aiguë et/ou une embolie pulmonaire. Les AOD ont fait la preuve de leur non-infériorité sur l’efficacité et d’une supériorité concernant la sécurité sur le risque hémorragique. Ce bénéfice a eu pour conséquence la prescription privilégiée des AOD après une hospitalisation pour maladie thromboembolique.

Les AOD sont également indiqués en cas de fibrillation atriale comme le montre une méta-analyse de 4 essais randomisés qui a mis en évidence, par rapport aux AVK, une diminution du risque d’accident vasculaire cérébral ou d’embolie systémique de 29%, de la mortalité toute cause de 10% et des hémorragies intracrâniennes de 52%. Cette indication concerne également les patients présentant une fibrillation atriale après un remplacement valvulaire par bioprothèse ou associée à une valvulopathie en dehors du rétrécissement mitral qui reste une contre-indication en raison de l’absence d’études et du risque plus important de complication thrombo-embolique.

En revanche, les AVK demeurent indiqués dans le cadre des complications vasculaires du syndrome des antiphospholipides, chez les patients présentant un rétrécissement mitral rhumatismal associé à une fibrillation atriale et après un remplacement valvulaire par prothèse mécanique. Enfin, les AVK demeurent également indiqués en cas d’insuffisance rénale terminale non dialysée en raison du métabolisme rénal des AOD.

La surveillance du traitement par AVK peut être améliorée par l’éducation du malade car une bonne connaissance de ces médicaments est associée à un meilleur équilibre du traitement.

Enfin, l’automesure de l’INR permet une diminution significative du risque thrombo-embolique comparativement à une surveillance conventionnelle des prélèvements pour détermination de l’INR en laboratoire.